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17/11/2022 | LUXEMBOURG | N°136/22

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 17 novembre 2022, 136/22


N° 136 / 2022 du 17.11.2022 Numéro CAS-2022-00023 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-sept novembre deux mille vingt-deux.

Composition:

MAGISTRAT1.), président de la Cour, MAGISTRAT2.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT3.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT4.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT5.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT6.), premier avocat général, GREFFIER1.), greffier à la Cour.

Entre:

PERSONNE1.), demeurant à B-ADRESSE1.), demandeur en c

assation, comparant par la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), inscrite à ...

N° 136 / 2022 du 17.11.2022 Numéro CAS-2022-00023 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-sept novembre deux mille vingt-deux.

Composition:

MAGISTRAT1.), président de la Cour, MAGISTRAT2.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT3.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT4.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT5.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT6.), premier avocat général, GREFFIER1.), greffier à la Cour.

Entre:

PERSONNE1.), demeurant à B-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître AVOCAT1.), avocat à la Cour, et:

PERSONNE2.), demeurant à L-ADRESSE2.), défendeur en cassation.

Vu le jugement attaqué, numéro 2021TADCOMM/962, rendu le 10 novembre 2021 sous le numéro TAD-2019-00783 du rôle par le tribunal d’arrondissement de Diekirch, siégeant en matière d’appel de bail à loyer ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 10 février 2022 par PERSONNE1.) à PERSONNE2.), déposé le 9 mars 2022 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Sur les conclusions du premier avocat général MAGISTRAT6.).

Sur les faits Selon le jugement attaqué, le juge de paix de Diekirch, siégeant en matière de bail à loyer, avait déclaré nulle la décision de la commission des loyers de la commune de LIEU1.) ayant réduit le loyer dû par le locataire, PERSONNE2.), au bailleur, PERSONNE1.). Le tribunal d’arrondissement de Diekirch avait, par réformation, dit non fondée la demande en annulation de la décision de la commission des loyers et avait ordonné une mesure d’instruction par expertise afin de « déterminer le capital investi, réévalué et décoté » dans le bien loué. Suite au dépôt du rapport d’expertise, le tribunal a fixé le loyer à un montant plus élevé que celui retenu par la commission des loyers.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen «Tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application sinon de la mauvaise interprétation de l’article 3 (4) de la loi du 21 septembre 2006.

En ce que, pour fixer le loyer à 578 €, le juge a estimé que :

Il convient de relever en premier lieu que contrairement aux données du jugement du 21 décembre 2020, le tribunal retient en l'occurrence que les bailleurs devraient être en possession des pièces documentant la réalité du capital investi dans la construction, l'immeuble appartenant à PERSONNE1.) ayant été construit par ce dernier qu'au courant de l'année 1997 tandis que l'immeuble faisant l'objet du jugement du 21 décembre 2020 a été construit en 1958 et le bailleur en a hérité seulement en 2018, de sorte qu'en l'espèce, le loyer est à fixer conformément aux dispositions des alinéa 2 et 3 de l'article 3 de la loi modifiée du 21 septembre 2006 et à l'évaluation faite par l'expert, PERSONNE1.) n'ayant de surcroît pas établi le montant des loyers correspondant à des logements similaires dans les environs.

Alors que 2 L’article 3 (4) de la loi du 21 septembre 2006 précise que Dans le cas où le capital investi défini ci-avant ne peut pas être déterminé sur base de pièces justificatives et s’il y a désaccord entre le bailleur et le locataire sur le montant du loyer, la partie la plus diligente chargera un expert assermenté en bâtiment qui procédera à l’évaluation du capital investi, réévalué et décoté.

Toutefois, en cas d’aliénation à titre onéreux, le prix d’acquisition indiqué dans l’acte authentique translatif de propriété, et les frais de l’acte, sont présumés correspondre au jour de la signature de l’acte au capital investi, réévalué et décoté.

Dans le cas où la prédite évaluation ou la présomption prévue à l’alinéa 2 est contestée par la partie qui aura prouvé qu’elle ne saurait manifestement correspondre à la valeur marchande comparable, sans pour autant que cette partie ne puisse établir le véritable capital investi, la commission des loyers, saisie conformément à l’article 8, détermine le capital investi compte tenu de la valeur du terrain, du volume de l’immeuble loué, de la surface louée, de la qualité de l’équipement, de l’état d’entretien ou de réparation du logement, et de la finition du logement. ».

Réponse de la Cour L’article 3, paragraphe 1, de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation (ci-après « la loi du 21 septembre 2006 ») prévoit que la location d’un logement à usage d’habitation ne peut rapporter au bailleur un revenu annuel dépassant un taux de 5 % du capital investi dans le logement.

L’article 3, paragraphe 4, de la loi du 21 septembre 2006 dispose qu’en l’absence de pièces justificatives quant au capital investi et en cas de désaccord entre parties, l’évaluation du loyer se fait par expertise. La partie qui conteste cette évaluation doit prouver que le montant retenu par l’expert ne correspond pas à la « valeur marchande comparable » du bien.

En entérinant l’évaluation du loyer contenue dans le rapport d’expertise judiciaire après avoir constaté que le demandeur en cassation était resté en défaut d’établir « le montant des loyers correspondant à des logements similaires dans les environs » et qu’« aucune contestation circonstanciée [n’avait] été soulevée » à l’encontre dudit rapport, les juges d’appel n’ont pas violé la disposition visée au moyen.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le second moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 10bis de la constitution en ce que 3 En ce que, pour fixer le loyer à 578 €, le juge a estimé que :

L'article 3 (1) de la loi modifiée du 21 septembre 2006 prémentionnée, prévoit que , de sorte qu'il y a lieu de retenir en l'occurrence un loyer annuel maximal de (121.000 + 9.300) = 130.300 x 0,05 = 6.515 euros, soit un loyer mensuel maximal de 543 euros.

En ajoutant le montant de 35 euros mis en compte à titre de loyer pour l'emplacement extérieur, il y a partant lieu de fixer le loyer mensuel au montant de 578 euros. ».

Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir fait application de l’article 3, paragraphe 1, de la loi du 21 septembre 2006 qui limite le revenu locatif annuel pour un bien à usage d’habitation à 5% du capital investi dans ce bien, limitation non imposée aux bailleurs de biens autres qu’à usage d’habitation, de sorte que cette disposition violerait le principe de l’égalité devant la loi consacré par l’article 10bis de la Constitution.

La mise en œuvre de la règle constitutionnelle de l’égalité devant la loi suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable.

Aux termes de l’article 6, point b), de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, la juridiction devant laquelle est soulevée une question de constitutionnalité est dispensée d’en saisir la Cour constitutionnelle lorsque la question est dénuée de tout fondement. Une question de constitutionnalité soulevée par rapport au principe d’égalité devant la loi de l’article 10bis de la Constitution est dénuée de tout fondement lorsque les deux situations mises en exergue ne sont manifestement pas comparables.

Eu égard aux cadres économiques et sociaux distincts dans lesquels se concluent et s’exécutent les deux catégories de contrats visés - contrat de bail d’habitation et tout autre type de contrat de bail -, les situations respectives ne sont manifestement pas comparables.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de saisir la Cour constitutionnelle de la question posée.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Le demandeur en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

4 PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

rejette le pourvoi ;

rejette la demande du demandeur en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne le demandeur en cassation aux dépens de l’instance en cassation.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président MAGISTRAT1.) en présence du premier avocat général MAGISTRAT6.) et du greffier GREFFIER1.).

5 Conclusions du Parquet général dans l’affaire de cassation entre PERSONNE1.) et PERSONNE2.) (n° CAS-2022-00023 du registre) Par mémoire signifié le 10 février 2022 à PERSONNE2.) et déposé le 9 mars 2022 au greffe de la Cour supérieure de justice, Maître AVOCAT1.), avocat à la Cour, agissant pour le compte de PERSONNE1.), a formé un pourvoi en cassation contre un jugement rendu contradictoirement le 10 novembre 2021 par le tribunal d’arrondissement de Diekirch, siégeant en matière d’appel de bail à loyer, dans la cause inscrite sous le numéro TAD-2019-00783 du rôle.

En l’absence de pièces documentant la signification du jugement entrepris au demandeur en cassation, il y a lieu de présumer que le pourvoi introduit est recevable au regard des délais prévus par la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Le pourvoi répond encore aux conditions de forme prévues dans cette loi.

Il est partant recevable.

Le défendeur en cassation n’a pas déposé de mémoire.

Sur les faits et rétroactes :

Par un jugement du 21 février 2019, le tribunal de paix de Diekirch avait déclaré nulle la décision de la commission des loyers de la commune de ADRESSE3.) qui avait fixé à un certain montant le loyer mensuel redû par PERSONNE2.) à PERSONNE1.) au titre de la location d’un appartement situé à ADRESSE3.).

6 Sur l’appel interjeté par PERSONNE2.), le tribunal d’arrondissement de Diekirch, par un jugement du 4 décembre 2019, avait, par réformation, dit non fondée la demande de PERSONNE1.) en annulation de la décision de la commission des loyers et avait nommé un expert avec la mission de déterminer le capital investi, réévalué et décoté dans l’appartement loué à PERSONNE2.).

Par un jugement du 10 novembre 2021, le tribunal d’arrondissement de Diekirch, statuant en continuation du jugement du 4 décembre 2019, avait fixé le loyer à un montant plus élevé que celui déterminé par la commission des loyers.

Le pourvoi est dirigé contre ce jugement.

Sur le premier moyen de cassation :

Le premier moyen de cassation est « tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application, sinon de mauvaise interprétation de l’article 3 (4) de la loi du 21 septembre 2006.

En ce que, pour fixer le loyer à 578 €, le juge a estimé que :

Il convient de relever en premier lieu que contrairement aux données du jugement du 21 décembre 2020, le tribunal retient en l’occurrence que les bailleurs devraient être en possession des pièces documentant la réalité du capital investi dans la construction, l’immeuble appartenant à PERSONNE1.) ayant été construit par ce dernier qu’au courant de l’année 1997 tandis que l’immeuble faisant l’objet du jugement du 21 décembre 2020 a été construit en 1958 et le bailleur en a hérité seulement en 2018, de sorte qu’en l’espèce, le loyer est à fixer conformément aux dispositions des alinéa 2 et 3 de l’article 3 de la loi modifiée du 21 septembre 2006 et à l’évaluation faite par l’expert, PERSONNE1.) n’ayant de surcroît pas établi le montant des loyers correspondant à des logements similaires dans les environs.

Alors que L’article 3 (4) de la loi du 21 septembre 2006 précise que Dans le cas où le capital investi défini ci-avant ne peut pas être déterminé sur base de pièces justificatives et s’il y a désaccord entre le bailleur et le locataire sur le montant du loyer, la partie la plus diligente chargera un expert assermenté en bâtiment qui procédera à l’évaluation du capital investi, réévalué et décoté.

7 Toutefois, en cas d’aliénation à titre onéreux, le prix d’acquisition indiqué dans l’acte authentique translatif de propriété, et les frais de l’acte, sont présumés correspondre au jour de la signature de l’acte au capital investi, réévalué et décoté.

Dans le cas où la prédite évaluation ou la présomption prévue à l’alinéa 2 est contestée par la partie qui aura prouvé qu’elle ne saurait manifestement correspondre à la valeur marchande comparable, sans pour autant que cette partie ne puisse établir le véritable capital investi, la commission des loyers, saisie conformément à l’article 8, détermine le capital investi compte tenu de la valeur du terrain, du volume de l’immeuble loué, de la surface louée, de la qualité de l’équipement, de l’état d’entretien ou de réparation du logement, et de la finition du logement. » Le moyen, qui se borne à reproduire la motivation attaquée du jugement entrepris par le pourvoi et le texte de loi, ne précise pas en quoi les juges d’appel auraient violé la disposition légale visée au moyen. D’après une jurisprudence constante de Votre Cour, les développements en droit qui, aux termes de l’alinéa 3 de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, peuvent compléter l’énoncé du moyen, ne peuvent suppléer la carence de celui-ci au regard des éléments dont la précision est requise sous peine d’irrecevabilité1.

Il en suit qu’à titre principal, le moyen est irrecevable.

A titre subsidiaire, dans les développements qui suivent le moyen, le demandeur en cassation semble faire reproche aux juges d’appel, pour fixer le loyer redu par le défendeur en cassation, de ne pas avoir fait application de l’alinéa 3 du paragraphe 4 de l’article 3 de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation et modifiant certaines dispositions du Code civil et de ne pas avoir déterminé le loyer litigieux par référence à la valeur marchande du logement.

Le paragraphe 1 de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation dispose :

« La location d’un logement à usage d’habitation ne peut rapporter au bailleur un revenu annuel dépassant un taux de 5 % du capital investi dans le logement. » Le paragraphe 4 de l’article 3 de cette même loi dispose :

« Dans le cas où le capital investi défini ci-avant ne peut pas être déterminé sur base de pièces justificatives et s’il y a désaccord entre le bailleur et le locataire 1 P.ex. Cass 19 mai 2022, numéro CAS-2021-00085 du registre.

8 sur le montant du loyer, la partie la plus diligente chargera un expert assermenté en bâtiment qui procédera à l’évaluation du capital investi, réévalué et décoté.

Toutefois, en cas d’aliénation à titre onéreux, le prix d’acquisition indiqué dans l’acte authentique translatif de propriété, et les frais de l’acte, sont présumés correspondre au jour de la signature de l’acte au capital investi, réévalué et décoté.

Dans le cas où la prédite évaluation ou la présomption prévue à l’alinéa 2 est contestée par la partie qui aura prouvé qu’elle ne saurait manifestement correspondre à la valeur marchande comparable, sans pour autant que cette partie ne puisse établir le véritable capital investi, la commission des loyers, saisie conformément à l’article 8, détermine le capital investi compte tenu de la valeur du terrain, du volume de l’immeuble loué, de la surface louée, de la qualité de l’équipement, de l’état d’entretien ou de réparation du logement, et de la finition du logement. » Les documents parlementaires relatifs à la loi du 21 septembre 2006 renseignent à cet égard ce qui suit :

« La commission des loyers compétente ne pourra cependant être saisie de l’affaire que si la partie contestante prouve que l’évaluation, respectivement la présomption, ne saurait manifestement correspondre à la valeur marchande comparable. Cette partie ne devra cependant pas démontrer le capital réellement investi, mais uniquement le caractère nettement surfait ou sous-fait du loyer. Pour mesurer ce caractère surfait ou sous-fait sans pour autant tomber dans des calculs trop difficiles, il suffira de se rapporter à la valeur marchande comparable qui se mesurera par rapport à des objets comparables dans la vicinité. La commission des loyers, saisie conformément à la procédure prévue à l’article 8, retrouvera dans ce cas une certaine liberté d’évaluation du capital investi actualisé.

Elle déterminera le capital investi en tenant compte des critères suivants : valeur du terrain, volume de l’immeuble loué, surface louée, qualité de l’équipement, état d’entretien et finition du logement. S’il s’agit d’un logement dans un immeuble en copropriété, il devra être tenu compte des parties communes dans l’évaluation du capital investi.

Dans l’hypothèse où la construction, respectivement des travaux d’amélioration, ont été exécutés – totalement ou en partie – personnellement par le propriétaire et/ou sa famille ou des amis, le travail personnel fourni doit également être pris en considération. »2 2 Doc. parl. 5216, p. 17.

9 Il résulte de l’économie du texte de loi et des documents parlementaires que l’évaluation du loyer est faite uniquement en fonction du capital investi. Elle n’est pas faite en fonction de la valeur marchande du logement.

Au vœu de la loi, l’évaluation du capital investi dans le logement est à effectuer sur base de pièces justificatives. En l’absence de telles pièces et en cas de désaccord entre les parties, elle est faite par un expert. Cette évaluation par expertise peut être remise en cause s’il est prouvé par la partie intéressée qu’elle ne correspond manifestement pas à la « valeur marchande comparable ». Dans ce cas, le capital investi – et non la valeur marchande du logement – est déterminé compte tenu de la valeur du terrain, du volume de l’immeuble loué, de la surface louée, de la qualité de l’équipement, de l’état d’entretien ou de réparation du logement, et de la finition du logement. D’après le texte de loi, le concept de « valeur marchande comparable » intervient donc uniquement dans le cadre de la contestation de l’évaluation faite par l’expert du capital investi afin de provoquer une nouvelle évaluation du capital investi. Il en résulte que le concept de valeur marchande comparable ne saurait être appliqué afin de déterminer directement le montant du loyer. Celui-ci est fixé exclusivement en fonction du capital investi dans le logement.

En l’espèce, les juges d’appel ont, en vertu de leur pouvoir souverain d’appréciation des faits et éléments de preuve, considéré que PERSONNE1.), qui contestait l’évaluation du loyer faite par l’expert sur le fondement du capital investi, n’avait « pas établi le montant des loyers correspondant à des logements similaires dans les environs ». Ils ont par-là implicitement mais nécessairement considéré que PERSONNE1.) n’avait pas établi que l’évaluation faite par l’expert du capital investi ne correspondait manifestement pas à la valeur marchande comparable du logement objet du bail, de sorte que c’est à juste titre, et sans violer la loi, qu’ils ont pu rejeter sa demande tendant à la détermination du loyer en application de l’alinéa 4 de l’article 3 de la loi du 21 septembre 2006 [en fait alinéa 3 du paragraphe 4 de l’article 3] et qu’ils ont fixé le loyer en fonction de l’évaluation du capital investi faite par l’expert.

Il en suit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen de cassation :

Le deuxième moyen de cassation est « tiré de la violation de l’article 10bis de la constitution en ce que « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi. » En ce que, pour fixer le loyer à 578 €, le juge a estimé que :

10 L'article 3 (1) de la loi modifiée du 21 septembre 2006 prémentionnée, prévoit que « la location d'un logement à usage d'habitation ne peut rapporter au bailleur un revenu annuel dépassant un taux de 5% du capital investi dans un logement », de sorte qu'il y a lieu de retenir en l'occurrence un loyer annuel maximal de (121.000 + 9.300) = 130.300 x 0,05 = 6.515 euros, soit un loyer mensuel maximal de 543 euros.

En ajoutant le montant de 35 euros mis en compte à titre de loyer pour l'emplacement extérieur, il y a partant lieu de fixer le loyer mensuel au montant de 578 euros. » En rapport avec ce moyen, le demandeur en cassation demande à Votre Cour de saisir la Cour constitutionnelle de la question suivante :

« L’article 3 (1) de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation principale en tant qu’il fixe un taux de 5% du capital investi pour déterminer le revenu locatif annuel du bailleur est-il conforme à l’article 10bis de la Constitution ? » A titre principal, ce moyen est, à l’instar du premier, irrecevable puisqu’il ne précise pas en quoi les juges d’appel auraient violé la disposition légale reproduite au moyen et que les développements en droit qui peuvent compléter l’énoncé du moyen, ne peuvent suppléer la carence de celui-ci au regard des éléments dont la précision est requise sous peine d’irrecevabilité. Au vu de l’irrecevabilité du moyen, la question de la conformité à la Constitution de la disposition légale reproduite au moyen n’est pas à soumettre à la Cour constitutionnelle.

A titre subsidiaire, il résulte des développements qui suivent le moyen que le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir, pour fixer le loyer litigieux, fait application de l’article 3 (1) de la loi du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation qui limite le revenu annuel issu de la location d’un logement à usage d’habitation à un montant correspondant à 5 % du capital investi dans le logement.

Suivant l’argumentaire du demandeur en cassation, cette disposition légale violerait le principe constitutionnel de l’égalité des citoyens devant la loi, en ce que tous les bailleurs ne seraient pas soumis à cette limite des 5 % du capital investi dans le logement alors que certains d’entre eux fixeraient librement les loyers leur redus selon les tendances du marché locatif.

D’après la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle, le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité devant la loi, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents à la condition que la différence 11 instituée procède de disparités objectives, qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but3.

En l’espèce, la disposition légale dont l’inconstitutionnalité est alléguée s’applique indistinctement à tous les bailleurs d’un logement à usage d’habitation au sens de l’article 1er de la loi du 21 septembre 2006, donc à une catégorie bien déterminée de personnes. A l’égard de cette catégorie de personnes, le principe de l’égalité devant la loi n’est donc pas remis en cause.

Il est vrai que les bailleurs de locaux qui ne sont pas à usage d’habitation (tels que les locaux commerciaux, emplacements de parking et garages énumérés par le demandeur en cassation) peuvent fixer librement le prix de location, et que cette catégorie de personnes, exclue du champ d’application de la loi du 21 septembre 2006 est donc traitée, de ce point de vue, plus favorablement.

Or, dans le domaine du bail à habitation, la limitation du montant du loyer annuel, et donc l’exclusion d’une libre fixation des loyers, est justifiée pour des raisons d’ordre économique et social. Il s’agit de trouver un équilibre, d’une part, entre le souci de protéger les locataires en favorisant l’accès à un logement pour un prix abordable et la conservation de celui-ci en limitant les hausses de loyers abusives et, d’autre part, celui de satisfaire les propriétaires par un rendement respectable destiné à promouvoir l’investissement immobilier.

La différence instituée au niveau de la liberté dans la fixation du prix du loyer entre le bailleur d’un local à usage d’habitation et celui d’un local à usage autre est partant justifiée et adéquate au vu du but recherché – l’accès au logement pour un prix abordable –, et également proportionnée à son but en ce que le rendement annuel maximal de la location à usage d’habitation permis par la loi demeure respectable.

Cette solution s’impose avec une évidence telle que la question de constitutionnalité doit être considérée comme dénuée de tout fondement, de sorte Votre Cour est dispensée, en application de l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, de saisir le Cour constitutionnelle de la question préjudicielle formulée par le demandeur en cassation.

Il en suit qu’à titre subsidiaire, le moyen n’est pas fondé.

3 P.ex. : Cour constitutionnelle, arrêt n° 00162 du 12 février 2021, Mémorial A n° 130 du 23 février 2021.

12 Conclusion Le pourvoi est recevable, mais n’est pas fondé.

Pour le Procureur général d’Etat, le premier avocat général, MAGISTRAT6.) 13


Synthèse
Numéro d'arrêt : 136/22
Date de la décision : 17/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 19/11/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2022-11-17;136.22 ?

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