N° 119 /2022 du 13.10.2022 Numéro CAS-2021-00124 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, treize octobre deux mille vingt-deux.
Composition:
MAGISTRAT1.), président de la Cour, MAGISTRAT2.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT3.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT4.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT5.), conseiller à la Cour de cassation, MAGISTRAT6.), premier avocat général, GREFFIER1.), greffier à la Cour.
Entre:
PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demanderesse en cassation, comparant par Maître AVOCAT1.), avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:
PERSONNE2.), demeurant à L-ADRESSE2.), défenderesse en cassation, comparant par Maître AVOCAT2.), avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu.
Vu l’arrêt attaqué, numéro 144/21 - I - CIV, rendu le 16 juin 2021 sous le numéro 45375 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, première chambre, siégeant en matière civile ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 3 novembre 2021 par PERSONNE1.) à PERSONNE2.), déposé le 8 novembre 2021 au greffe de la Cour supérieure de justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 29 décembre 2021 par PERSONNE2.) à PERSONNE1.), déposé le 31 décembre 2021 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions de l’avocat général MAGISTRAT7.).
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de Diekirch avait, par jugement du 11 juillet 2017, dit non fondée la demande d’PERSONNE1.) dirigée contre PERSONNE2.) tendant à l’annulation pour insanité d’esprit dans le chef de PERSONNE3.) dite PERSONNE3.) de la donation faite suivant acte notarié du 1er octobre 2003 au bénéfice de PERSONNE2.). La Cour d’appel a confirmé ce jugement.
Sur les premier et deuxième moyens de cassation réunis Enoncé des moyens le premier, « tiré de la violation de l’article 489 du code civil en ce que les juges du fond n’ont pas opposé le fait d’être à celui d’être sous le coup .
La Cour d’appel a retenu : même à admettre qu’à l’époque de la donation litigieuse PERSONNE3.) ait été affectée de démence modérée, le certificat du docteur PERSONNE4.) n’établit pas que le trouble dont celle-ci souffrait étant grave au point de la priver de raison […] » Alors que le premier alinéa de l’article 489 du code civil énonce que Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. Mais c’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte. ». » et le deuxième, « tiré d’une application erronée de l’article 901 du code civil qui énonce que pour faire une donation entre vifs ou un testament, il faut être sain d’esprit ».
En retenant même à admettre qu’à l’époque de la donation litigieuse PERSONNE3.) ait été affectée de démence modérée, le certificat du docteur PERSONNE4.) n’établit pas que le trouble dont celle-ci souffrait étant grave au point de la priver de raison […I », la cour d’appel viole l’article 901 du code civil qui prévoit qu’il faut être sain d’esprit pour faire une donation entre vifs ou un testament. » Réponse de la Cour L’article 901 du Code civil est une application particulière à la matière des donations entre vifs et des testaments de la règle générale formulée à l’article 489 du Code civil, qui requiert que l’auteur d’un acte juridique doit être sain d’esprit pour faire un acte valable.
Sous le couvert de la violation des dispositions visées aux moyens, ceux-ci ne tendent qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, des éléments de fait qui les ont amenés à retenir qu’il n’était pas établi que la donatrice, bien que souffrant de démence modérée, ait été atteinte, au jour de la donation, d’une altération de ses facultés mentales à tel point qu’elle n’était pas saine d’esprit, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.
Il s’ensuit que les deux moyens ne sauraient être accueillis.
Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 61 alinéa 2 du Nouveau code de procédure civile en ce que les juges du fond ont retenu, sans restituer leur exacte qualification aux faits litigieux établis dans le certificat du docteur PERSONNE4.) du 17 janvier 2005 » (il faut lire 17 janvier 2015, pièce n°3), que la démence modérée […] n’établit pas que le trouble […] étant grave au point de la priver de raison ». ».
Réponse de la Cour Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, chaque moyen doit préciser, sous peine d’irrecevabilité, ce en quoi la partie critiquée de la décision encourt le reproche allégué.
Le moyen ne précise pas en quoi les juges d’appel auraient violé la disposition visée au moyen.
Il s’ensuit que le moyen est irrecevable.
Sur les quatrième, cinquième et sixième moyens de cassation réunis Enoncé des moyens le quatrième, « tiré de la violation de la règle de l’écrit clair, sinon de la dénaturation, principe général du droit, en ce que les juges du fond ont dénaturé les certificats médicaux en écartant le qualificatif de pour retenir que le certificat du docteur PERSONNE4.) n’établit pas que le trouble dont celle-ci fia donatrice] souffrait étant grave au point de la priver de raison […] ». », le cinquième, « tiré de la violation de la règle de l’écrit clair, sinon de la dénaturation, principe général du droit, en ce que les juges ont dénaturé le certificat médical du médecin traitant, le docteur PERSONNE4.) du 17 janvier 2005 (il faut lire 17 janvier 2015, pièce n°3) en écartant le caractère intuitu personae du certificat médical pour en déduire ce certificat étant conçu en termes généraux et ne se référant pas au cas spécifique d’PERSONNE3.) ». » et le sixième, « tiré de la violation de la règle de l’écrit clair, sinon de la dénaturation, principe général du droit, en ce que les juges ont déformé l’expertise médicale dressée par le docteur PERSONNE5.) (pièce n°4) en écartant le caractère intuitu personae de l’ pour en déduire le constat général de celui-ci qu’une personne souffrant […] et qu’elle devrait être considérée comme incapable majeure, n’est pas de nature à convaincre la Cour qu’à l’époque de l’acte litigieux PERSONNE3.) se trouvait dans un état de démence habituelle et n’était pas en état d’exprimer une volonté éclairée ». ».
Réponse de la Cour Sous le couvert de la violation de la règle de l’écrit clair, sinon de la dénaturation, les moyens ne tendent qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, des éléments de fait qui les ont amenés à retenir qu’il n’était pas établi que la donatrice, bien que souffrant de démence modérée, ait été atteinte, au jour de la donation, d’une altération de ses facultés mentales à tel point qu’elle n’était pas saine d’esprit, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.
Il s’ensuit que les trois moyens ne sauraient être accueillis.
Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :
rejette le pourvoi ;
condamne la demanderesse en cassation à payer à la défenderesse en cassation une indemnité de procédure de 2.500 euros ;
la condamne aux dépens de l’instance de cassation avec distraction au profit de Maître AVOCAT2.), sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller MAGISTRAT2.) en présence du premier avocat général MAGISTRAT6.) et du greffier GREFFIER1.).
Monsieur le Président MAGISTRAT1.), qui a participé au délibéré, étant dans l’impossibilité de signer, la minute du présent arrêt est signée, conformément à l’article 82 de la loi modifiée du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire, par le conseiller le plus ancien en rang ayant concouru à l’arrêt.
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.)/PERSONNE2.) Affaire n° CAS -2021-00124 du registre Le pourvoi en cassation introduit par PERSONNE1.) par mémoire en cassation signifié à PERSONNE2.) le 3 novembre 2021 et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 8 novembre 2021, est dirigé contre l'arrêt n° 144/21-I-CIV, rendu contradictoirement le 16 juin 2021 par Cour d'appel du Grand-Duché de Luxembourg, première chambre, siégeant en matière civile, dans la cause inscrite sous le numéro 45375 du rôle.
Ledit arrêt fut signifié à PERSONNE1.) le 8 septembre 2021.
Le pourvoi en cassation a été interjeté dans les forme et délai prévus aux articles 7 et 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure de cassation.
La partie défenderesse en cassation a signifié un mémoire en réponse le 29 décembre 2021 et l’a déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 31 décembre 2021.
Ayant été signifié et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice conformément aux articles 15 et 16 de la loi précitée du 18 février 1885, ce mémoire est à considérer.
Faits et rétroactes de l’affaire :
Par arrêt dont pourvoi les juges d’appel ont confirmé le jugement civil n° 131/2017 rendu contradictoirement le 11 juillet 2017 par le tribunal d’arrondissement de Diekirch, aux termes duquel fut déclaré non fondée la demande de PERSONNE1.) tendant à voir constater la nullité, pour insanité d’esprit, d’une donation faite le 1er octobre 2003 par PERSONNE3.), dite PERSONNE3.), PERSONNE3.), décédée le DATE1.), en faveur de PERSONNE2.), motifs pris que la partie demanderesse n’a pas prouvé que feu PERSONNE3.) n’était plus saine d’esprit au moment où l’acte notarié en question fut dressé.
La motivation des juges d’appel est la suivante1 :
« (…).
Tel que relevé à juste titre par les juges de première instance, l’insanité d’esprit visée par l’article 901 du Code civil ne comprend que les affections mentales par l’effet desquelles l’intelligence du disposant est obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée. L’affaiblissement des facultés morales et affectives, de même que les 1 cf. pages 4 à 6 de l’arrêt dont pourvoi ;
déchéances physiques ne rendent pas annulable la libéralité, si l’intelligence, quoiqu’amoindrie, permet toutefois encore au disposant d’avoir conscience de ses actes. (Cour, 5 avril 2017 rôle 39496).
De même qu’en première instance, PERSONNE1.) se réfère à des certificats médicaux, des comptes-rendus hospitaliers ainsi qu’à des attestations testimoniales afin d’établir l’insanité d’esprit dans le chef de PERSONNE3.). En instance d’appel, elle produit encore une expertise psychiatrique.
Il résulte d’une ordonnance médicale du 12 septembre 2003 et du rapport de sortie établis par le docteur PERSONNE7.) que PERSONNE3.) a été hospitalisée du 2 au 14 septembre 2003 suite à une chute à son domicile. S’il résulte des pièces produites que celle-ci nécessitait à sa sortie de l’hôpital des soins à domicile pour l’aider à effectuer ses soins corporels en raison d’une dégradation de son état général, il n’en résulte pas que PERSONNE3.) présentait des troubles mentaux. Le diagnostic d’une maladie vasculaire « avec possible hydrocéphalie normotensive associée » ne permet pas une telle conclusion. Le certificat émis par le docteur PERSONNE8.) le 3 mai 2005, outre le fait qu’il date de presque deux ans après la donation litigieuse, ne contient pas d’indications concernant l’état mental de PERSONNE3.), le docteur PERSONNE8.) certifiant uniquement que PERSONNE3.) « est actuellement hospitalisée à la CST. Elle est incapable de se rendre à la banque et gérer actuellement ses affaires courantes ». Le docteur PERSONNE4.) note dans un certificat du 31 août 2010 que l’évaluation MMSE montre que PERSONNE3.) présentait le 14 octobre 2003 un score de 14/30 et le 17 décembre 2004 un score de 20/30 et il précise qu’entre 21-26 on parle de déficit cognitif subjectif, entre 11-20 de démence modérée et entre 0-10 de démence sévère. Or, même à admettre qu’à l’époque de la donation litigieuse PERSONNE3.) ait été affectée de démence modérée, le certificat du docteur PERSONNE4.) n’établit pas que le trouble dont celle-ci souffrait étant grave au point de la priver de raison, indépendamment du certificat établi par le même médecin le 17 janvier 2005, aux termes duquel celui-ci déclare que « il est évident médicalement qu’une personne présentant au MMSE test un score de 20 ou de 14 points sur 30 n’est plus capable de gérer ses affaires courantes notamment administratives », ce certificat étant conçu en termes généraux et ne se référant pas au cas spécifique de PERSONNE3.). Une insanité d’esprit de PERSONNE3.) ne résulte pas non plus des certificats médicaux établis par le même médecin en date des 19 février 2006 et 23 novembre 2006, renseignant qu’il a examiné à deux reprises, le 14 octobre 2003 et le 17 décembre 2004, PERSONNE3.) en vue d’une prise en charge par l’assurance maladie d’un médicament prescrit dans le traitement de déficits cognitifs. La prise d’un médicament contre de simples déficits cognitifs ne signifiant pas que PERSONNE3.) présentait une insanité d’esprit. L’expertise psychiatrique établi par le docteur PERSONNE5.) le 20 janvier 2021, soit plus de quinze ans après le décès d’PERSONNE3.), sur base de certificats et de rapports médicaux d’autres médecins, c’est-à-dire sans jamais avoir vu PERSONNE3.) en consultation, ne contient pas d’éléments concrets permettant de retenir avec certitude qu’à l’époque de l’acte litigieux le discernement de PERSONNE3.) ait été gravement altéré. Même si PERSONNE3.) a souffert à la fin de sa vie d’une démence vasculaire mixte corticale et sous-corticale, se caractérisant par une diminution des facultés cognitives et même à admettre que la maladie démentielle dont souffrait PERSONNE3.) existait déjà au niveau asymptomatique ou paucisymptomatique au moment de son hospitalisation en février 2003 et que cette maladie est devenue symptomatique dès le mois de septembre 2003, tel que retenu par le docteur PERSONNE5.), le constat général de celui-ci qu’une personne souffrant de démence corticale/sous-corticale dûment documentée, dont les capacités noopsychiques évaluées dans un test MMSE à 14/30 ou 20/30 n’est plus capable de s’occuper seule de sa personne, de gérer ses biens ou de s’occuper de son patrimoine et qu’elle devrait être considérée comme incapable majeure, n’est pas de nature à convaincre la Cour qu’à l’époque de l’acte litigieux PERSONNE3.) se trouvait dans un état de démence habituelle et n’était pas en état d’exprimer une volonté éclairée. Aucun des médecins ayant vu PERSONNE3.) en consultation en 2003 n’a, par ailleurs, constaté un tel état de démence dans son chef.
Quant aux attestations testimoniales, la Cour constate, à l’instar des juges de première instance, que les témoins n’ont donné que des appréciations personnelles sur l’état mental de PERSONNE3.) sans que ces témoignages ne prouvent objectivement que PERSONNE3.) présentait avant ou après le 1er octobre 2003 un état de démence habituelle, permettant de supposer qu’au moment de la passation de l’acte de donation PERSONNE3.) était privée de sa raison. Le fait pour une personne âgée de 88 ans d’avoir des troubles de mémoire ponctuels et d’égarer parfois son dentier ne suffit, en effet, pas pour établir que celle-ci souffre d’une maladie démentielle permanente.
L’insanité d’esprit de PERSONNE3.) ne saurait, contrairement aux déclarations de l’appelante, pas non plus être déduite du fait que l’acte de donation litigieux ne respecte pas l’équilibre entre les héritiers. En effet, même à admettre que les époux GROUPE aient planifié leur succession de manière à ce que leurs biens soient répartis équitablement entre les descendants des frères et sœurs de l’un et de l’autre, il n’en reste pas moins que PERSONNE3.), à défaut d’héritiers réservataires pouvait disposer à sa guise de l’entièreté de son patrimoine.
Finalement, le fait que PERSONNE3.) déclare aux termes d’une assignation introduite le 22 avril 2005 devant le tribunal d’arrondissement de Diekirch aux fins de voir dire notamment que la procuration par elle signée le 15 avril 2003 était viciée pour avoir été signée pendant une période où elle était, en raison de son état de santé, incapable de ce faire, ne permet pas de conclure que celle-ci se trouvait dans un état de démence constante qui aurait perduré et qui aurait obéré ses facultés intellectuelles au moment de la signature de l’acte de donation litigieux, le 1er octobre 2003.
Il suit des développements qui précèdent qu’une insanité d’esprit dans le chef de PERSONNE3.) au moment de l’acte de donation du 1er octobre 2003 n’est pas établie. Les juges de première instance ont dès lors, à juste titre, dit non fondée la demande de PERSONNE1.) tendant à l’annulation de cet acte.» Quant au premier moyen de cassation :
Le premier moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 489 du Code civil en ce que les juges du fond « n’ont pas opposé le fait d’être « sain d’esprit » à celui d’être sous le coup « d’un trouble mental », et en ce que la Cour d’appel a retenu : « Or même à admettre qu’à l’époque de la donation litigieuse PERSONNE3.) ait été affectée de démence modérée, le certificat du docteur PERSONNE4.) n’établit pas que le trouble dont celle-ci souffrait étant grave au point de la priver de raison […] », alors que le premier alinéa de l’article 489 du Code civil énonce que « Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. Mais c’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte. » En ordre principal, le moyen sous examen ne saurait être accueilli pour être nouveau. En effet, l’article 489 du Code civil n’a pas fait l’objet des débats devant les juges du fond, appelés à examiner la demande de PERSONNE1.) à la seule lumière de l’article 901 du Code civil. C’est en application de l’article 901 du Code civil, seul fondement juridique sur lequel PERSONNE1.) a basé sa demande, qu’ils ont dit que la partie demanderesse n’a pas établi par les éléments de la cause une insanité d’esprit dans le chef de la donatrice au moment de l’acte notarié en question.
En ordre subsidiaire, il est rappelé qu’un moyen ou un élément de moyen est recevable en la forme dès qu’il répond aux exigences minimales de formulation instaurées par l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure de cassation, celles-ci soumettant la recevabilité d’un moyen de cassation aux seules critères suivants :
1. qu’il ne mette en œuvre, au moins dans ses différents éléments, qu’un seul cas d’ouverture de cassation à la fois, et cela en précisant à chaque fois le cas d’ouverture invoqué, 2. qu’il indique la partie critiquée de la décision, et 3. en quoi celle-ci encourt le reproche allégué.
Or, le moyen sous examen se borne à reproduire la motivation attaquée du jugement entrepris par le pourvoi et le libellé du texte de loi, sans pour autant préciser en quoi les juges d’appel auraient violé la disposition légale visée au moyen.
D’après une jurisprudence constante de Votre Cour, les développements en droit qui, aux termes de l’alinéa 3 de l’article 10 de la prédite loi modifiée du 18 février 1885, peuvent compléter l’énoncé du moyen, ne peuvent suppléer la carence de celui-ci au regard des éléments dont la précision est requise sous peine d’irrecevabilité2.
Il en suit que le moyen est à déclarer irrecevable à ce titre.
En ordre encore plus subsidiaire, l’insanité d’esprit est une question de fait, relevant du pouvoir souverain d’appréciation du juge du fond. Sa preuve étant libre, elle peut être rapportée par tous moyens. Après examen des éléments de fait leur soumis, les juges d’appel, par la motivation ci-avant reproduite, ont confirmé les premiers juges en ce qu’ils ont retenu que PERSONNE1.) est restée en défaut de prouver que feu PERSONNE3.) n’était pas saine d’esprit lors de l’acte de donation signé par devant le notaire NOTAIRE1.) dressé le 1er octobre 2003, et que l’acte n’est partant pas à annuler.
En l’occurrence, la demanderesse en cassation, sous le couvert de la violation visée au moyen, ne tend qu’à rediscuter la question de l’insanité d’esprit de la donatrice au moment de l’acte de donation en cause, ainsi que le contenu des documents, dont certificats médicaux, expertise, 2 cf. à titre illustratif Cass 19 mai 2022, numéro CAS-2021-00085 du registre ;
attestations testimoniales, etc., versés par elle en tant qu’éléments de preuve à l’appui de sa demande. Ladite appréciation relevant du pouvoir souverain des juges du fond et échappant au contrôle de Votre Cour, le moyen ne saurait être accueilli.
Quant au deuxième moyen de cassation :
Le deuxième moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 901 du Code civil, énonçant que « Pour faire une donation entre vifs ou un testament, il faut être sain d’esprit », en ce que la Cour d’appel a retenu : « Or même à admettre qu’à l’époque de la donation litigieuse PERSONNE3.) ait été affectée de démence modérée, le certificat du docteur PERSONNE4.) n’établit pas que le trouble dont celle-ci souffrait étant grave au point de la priver de raison […] ».
En termes de libellé, le moyen ne fournit aucune indication en quoi l’arrêt dont pourvoi devait encourir le reproche de la violation alléguée.
Si l’article 10 de la loi du 18 février 1885 précitée prévoit certes que l’énoncé du moyen de cassation peut être complété par des développements en droit figurant à la discussion du moyen, cette disposition salvatrice ne saurait jouer si, comme en l’espèce, l’énoncé du moyen est dépourvu de la moindre indication de « ce en quoi (la décision attaquée) encourt le reproche allégué », condition énoncée au deuxième alinéa du même article 10 comme requise sous peine d’irrecevabilité du moyen.
En ordre principal, à l’instar du premier moyen, le moyen sous examen est irrecevable en la pure forme.
En ordre subsidiaire, dans la mesure où le deuxième moyen, tout comme le moyen précédent, ne tend qu’à remettre en cause les éléments de fait et de preuve soumis aux juges du fond afin d’apprécier si feu PERSONNE3.) était au moment de l’acte notarié en cause saine d’esprit ou ne l’était pas, et que cette appréciation, en ce qu’elle relève du pouvoir souverain des juges du fond, échappe au contrôle de la Cour régulatrice, il ne saurait être accueilli.
Quant au troisième moyen de cassation :
Le troisième moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 61 alinéa 2 du Nouveau code de procédure civile en ce que « les juges du fond ont retenu, sans restituer leur exacte qualification aux faits litigieux établis dans le certificat du docteur PERSONNE4.) du « 17 janvier 2005 » (il faut lire 17 janvier 2015, pièce n°3), que « la démence modérée […] n’établit pas que le trouble […] étant grave au point de la priver de raison ».
A l’instar des moyens précédents, le moyen sous examen est formulé de façon lacunaire.
En l’absence de la moindre indication en quoi l’arrêt dont pourvoi devait encourir le reproche de la violation alléguée, le libellé du moyen se heurte aux exigences de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation ci-avant reproduites, carence à laquelle toute discussion subséquente ne saurait parer.
Le moyen étant irrecevable à ce titre, il ne sera pas examiné autrement quant à son bien-fondé.
Quant aux quatrième, cinquième et sixième moyens de cassation pris ensemble :
Le quatrième moyen est tiré de la violation de la règle de l’écrit clair, sinon de la dénaturation, principe général du droit, en ce que les juges du fond ont dénaturé les certificats médicaux en écartant le qualificatif de « démence modérée » pour retenir que « le certificat du docteur PERSONNE4.) n’établit pas que le trouble dont celle-ci [la donatrice] souffrait étant grave au point de la priver de raison […] ».
Le cinquième moyen est tiré de la violation de la règle de l’écrit clair, sinon de la dénaturation, principe général du droit, en ce que les juges ont dénaturé le certificat médical du médecin traitant PERSONNE4.) du 17 janvier 2005 (il faut lire 17 janvier 2015, pièce n°3) en écartant le caractère intuitu personae du certificat médical pour en déduire « ce certificat étant conçu en termes généraux et ne se référant pas au cas spécifique de PERSONNE3.)».
Le sixième moyen est tiré de la violation de la règle de l’écrit clair, sinon de la dénaturation, principe général du droit, en ce que les juges ont déformé l’expertise médicale dressée par le docteur PERSONNE5.) (pièce n°4) en écartant le caractère intuitu personae de l’ « Expertise psychiatrique concernant Mme PERSONNE3.), épouse PERSONNE6.) » pour en déduire « le constat général de celui-ci qu’une personne souffrant […] et qu’elle devrait être considérée comme incapable majeure, n’est pas de nature à convaincre la Cour qu’à l’époque de l’acte litigieux PERSONNE3.) se trouvait dans un état de démence habituelle et n’était pas en état d’exprimer une volonté éclairée ».
Un chacun des moyens sous examen vise un principe général de droit, à savoir, selon la demanderesse en cassation, celui de « la règle de l’écrit clair, sinon de la dénaturation ».
La violation d’un principe général de droit ne donne ouverture à cassation que s’il trouve son expression dans un texte de loi ou s’il est consacré par une juridiction supranationale3.
Toutefois, la demanderesse en cassation n’invoque pas de texte de loi qui exprimerait le principe énoncé au moyen, ni une jurisprudence d’une juridiction supranationale qui consacrerait le principe visé au moyen.
Partant les moyens sont irrecevables à ce titre.
Ce qui plus est, les moyens sous examen pêchent également par leur formulation imprécise, la demanderesse en cassation étant restée en défaut d’énoncer avec précision la partie critiquée de l’arrêt dont pourvoi. Un chacun des moyens est dès lors irrecevable pour se heurter aux exigences de l’article 10 de la prédite loi modifiée du 18 février 1885 ci-avant reproduites.
Finalement, en dernier ordre de subsidiarité, dans la mesure où les moyens sous examen visent plus particulièrement la dénaturation des écrits clairs, à savoir le certificat médical du médecin 3 cf. dans ce sens Cass n° 74 / 2017 du 26.10.2017, n° 3850 du registre ;
traitant PERSONNE4.) du 17 janvier 2005 (il faut lire 17 janvier 2015, pièce n°3) et l’expertise médicale dressée par le docteur PERSONNE5.) (pièce n°4), il s’agit de donner à considérer que la dénaturation des écrits clairs est un cas d’ouverture prétorien consacré par la Cour de cassation française en 1872. Si la Cour de cassation française n’accepte d’appliquer ce cas d’ouverture qu’avec réserve et parcimonie4, Votre Cour a jusqu’à présent été constante de refuser d’accueillir cette théorie5. Ce n’est que dans un arrêt isolé que le grief de dénaturation, tiré de la violation de l’article 1134 du Code civil, a été accueilli et sanctionné6, espèce se distinguant de l’affaire soumise actuellement au contrôle de Votre Cour.
Il est donc difficile de soutenir que Votre Cour accepte le principe de ce cas d’ouverture. Le cas échéant il doit s’en suivre que dans le cas d’espèce les moyens sous examen ne sauraient être accueillis puisque, sous le couvert de la violation alléguée, un chacun des moyens ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, des écrits versées aux débats par la partie PERSONNE1.) pour servir de preuve à l’appui de ses prétentions, tout comme leur valeur probante. Cette appréciation est souveraine et échappe au contrôle de Votre Cour7.
Conclusion :
Le pourvoi est recevable, mais doit être rejeté.
Pour le Procureur général d’Etat, l’avocat général, MAGISTRAT7.) 4 BORE, La cassation en matière civile, n° 79.09 et n° 79.10, p. 441 ;
5 la soussignée renvoie expressément aux conclusions exhaustives y relativement par Monsieur le Procureur général d’Etat adjoint MAGISTRAT8.) dans l’affaire de cassation ayant abouti à l’arrêt n° 79/2021 du 06.05.2021, n° CAS-2020-00080 du registre, p. 16, sous les 2e au 5e moyens de cassation ;
6 cf. op. cit ;
7 voir à tire d’illustration : Cour de cassation, 8 mai 2014, n° 50/14, numéro 3339 du registre (réponse au premier moyen) ; idem, 29 octobre 2020, n° 136/2020, numéro CAS-2019-00133 du registre (réponse au cinquième moyen) ;