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30/06/2022 | LUXEMBOURG | N°94/22

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 30 juin 2022, 94/22


N° 94 / 2022 du 30.06.2022 Numéro CAS-2021-00062 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trente juin deux mille vingt-deux.

Composition:

Roger LINDEN, président de la Cour, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Jean ENGELS, premier conseiller à la Cour d’appel, Monique SCHMITZ, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

la société anonyme ASSURANCES X), demanderesse

en cassation, comparant par Maître Michel SCHWARTZ, avocat à la Cour, en l’étude duquel...

N° 94 / 2022 du 30.06.2022 Numéro CAS-2021-00062 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trente juin deux mille vingt-deux.

Composition:

Roger LINDEN, président de la Cour, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Jean ENGELS, premier conseiller à la Cour d’appel, Monique SCHMITZ, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

la société anonyme ASSURANCES X), demanderesse en cassation, comparant par Maître Michel SCHWARTZ, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

la société anonyme ASSURANCES Y), défenderesse en cassation, comparant par Maître Gast NEU, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.

Vu l’arrêt attaqué, numéro 159/20-IV-COM, rendu le 1er décembre 2020, sous le numéro CAL-2019-00420 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 10 juin 2021 par la société anonyme ASSURANCES X) (ci-après « la société ASSURANCES X) ») à la société anonyme ASSURANCES Y), (ci-après « la société ASSURANCES Y) »), déposé le 11 juin 2021 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 30 juillet 2021 par la société ASSURANCES Y) à la société ASSURANCES X), déposé le 4 août 2021 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions de l’avocat général Sandra KERSCH ;

Vu la rupture du délibéré ordonnée par la Cour pour permettre aux parties de prendre position quant à la recevabilité du pourvoi au regard de l’article 3 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation ;

Vu les conclusions additionnelles de la demanderesse en cassation et celles de la défenderesse en cassation déposées le 2 juin 2022 au greffe de la Cour.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait déclaré la demande de la société ASSURANCES Y), dirigée contre la société ASSURANCES X), irrecevable pour être prescrite. La Cour d’appel a, par réformation, dit la demande non prescrite et renvoyé le dossier devant les juges de première instance.

Sur la recevabilité du pourvoi L’article 3 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation dispose en ses alinéas 2 et 3, « Les arrêts et jugements rendus en dernier ressort qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d’instruction ou une mesure provisoire peuvent également être déférés à la Cour de cassation comme les décisions qui tranchent tout le principal.

Il en est de même lorsque l’arrêt ou le jugement rendu en dernier ressort qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident de procédure met fin à l’instance. ».

En retenant, par réformation, que l’action intentée par la société ASSURANCES Y) contre la société ASSURANCES X) n’était pas prescrite et en renvoyant l’affaire devant les juges de première instance, les juges d’appel n’ont, dans le dispositif de l’arrêt attaqué, ni tranché une partie du principal ni statué sur un incident de procédure mettant fin à l’instance.

Il s’ensuit que le pourvoi est irrecevable.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure La demanderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

Il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

déclare le pourvoi irrecevable;

rejette la demande de la demanderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la demanderesse en cassation à payer à la défenderesse en cassation une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

la condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Gast NEU, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Roger LINDEN en présence de l’avocat général Monique SCHMITZ et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation de la société anonyme Assurances X) SA, contre la société anonyme Assuances Y) SA.

N° 2021-00062 du registre Par mémoire déposé au greffe de la Cour d’appel le 11 juin 2021, la société anonyme ASSURANCES X) (ci-après ASSURANCES X)), a introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt n° 159/20-IV-COM du rôle, contradictoirement rendu entre parties le 1er décembre 2020 par la Cour d’appel, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale.

Le pourvoi est recevable pour avoir été introduit dans les forme1 et délai2 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Maître Gast NEU, avocat à la Cour, mandataire de la société anonyme ASSURANCES Y) SA (ci-après ASSURANCES Y)), a fait signifier le 30 juillet 2021, au domicile élu de la partie demanderesse en cassation, un mémoire en réponse et l’a déposé au greffe de la Cour d’appel le 4 août 2021.

Ce mémoire peut être pris en considération pour avoir été signifié dans les formes et délai de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Sur les antécédents factuels et procéduraux Par exploit d’huissier de justice du 25 novembre 2015, ASSURANCES Y) a donné assignation à ASSURANCES X) à comparaître devant le tribunal d’arrondissement de 1 La demanderesse en cassation a déposé un mémoire signé par un avocat à la Cour, signifié le 10 juin 2021 au domicile de la partie adverse, donc antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que les formalités de l’article 10 de la loi du 18 février de 1885 ont été respectées.

2 Selon les éléments du dossier, le jugement entrepris a été signifié le 14 avril 2021, de sorte que le pourvoi a été introduit endéans le délai prévu à l’article 7 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Luxembourg pour s’entendre condamner à lui payer la somme de 600.528,55 euros, augmentée des intérêts au taux légal à partir du jour du sinistre, sinon à partir de chaque décaissement, sinon à partir de l’assignation en justice, jusqu’à solde.

ASSURANCES Y) a encore réclamé la condamnation d’ASSURANCES X) à une indemnité de procédure et aux frais et dépens.

A l’appui de sa demande, elle exposa que son assuré, la société C) sàrl (ci-après C)) avait en date du 13 septembre 2005 commandé auprès de l’Entreprise B) sàrl (ci-après B)) d’importants travaux de terrassements et de blindage pour la construction d’un immeuble sis à

____. B) avait sous-traité différents travaux de terrassements à la société E) s.a. Le 10 octobre 2005 des problèmes de mouvements de terrain sont apparus ; la route s’est fissurée et les deux immeubles A1) et A2), situés en face de la zone des travaux, ont été endommagés de manière à les rendre inhabitables.

Selon ASSURANCES Y), la responsabilité de son assuré aurait été engagée à l’égard d’A1), propriétaire de l’immeuble sis au

____, sur base de l’article 544 du Code civil.

Elle a dès lors réglé « pour compte de qui il appartiendra » la somme de 600.528,55 euros, en exécution d’un contrat d’assurance « Tous Risques Chantier ».

La demanderesse fit valoir être subrogée dans les droits et actions d’A1) à l’encontre du ou des responsables du sinistre.

Suivant rapport d’expertise judiciaire les travaux auraient été exécutés par B) et ses sous-

traitants selon une méthode différente des prescriptions initiales du cahier des charges et sans respect des règles de l’art, de sorte que les responsabilités des sociétés B) et E), vis-à-vis d’A1) seraient clairement établies principalement sur base de l’article 1382 du Code civil, subsidiairement sur base de l’article 1383 du même Code et plus subsidiairement sur base de l’article 1384 alinéa 2 du prédit Code.

ASSURANCES Y), déclarant être subrogée dans les droits d’A1), indiqua exercer l’action directe à l’encontre d’ASSURANCES X), assureur des parties B) et E) en application des articles 52 et 89 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 sur le contrat d’assurance (ci-après LCA).

Par jugement rendu contradictoirement en date du 6 décembre 2018, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, a constaté que le délai de prescription de cinq ans prévu à l’article 44 point 2 de la Loi de 1997 a expiré le 11 octobre 2010. L’action de ASSURANCES Y), qualifiée de tardive, a été déclarée irrecevable en l’absence d’une quelconque interruption de la prescription.

Par exploit d’huissier de justice du 11 avril 2019, ASSURANCES Y) a interjeté appel à l’encontre de ce jugement qui lui avait été signifié en date du 12 mars 2019.

L’appelante conclut, par réformation du jugement, à la condamnation d’ASSURANCES X) au paiement de la somme de 600.528,55 euros, augmentée des intérêts légaux à partir du jour du sinistre, sinon à partir du jour de chaque décaissement, sinon à partir de « la présente demande en justice. A l’appui de son appel, elle fait valoir que la déclaration du mandataire d’A1) lors d’une réunion d’expertise du 6 septembre 2007 aurait un effet interruptif, de sorte que son action directe ne serait pas prescrite.

Par arrêt du 1er décembre 2020, la Cour d’appel a confirmé le jugement de première instance en ce qu’il a retenu que la déclaration du mandataire d’A1) lors d’une réunion d’expertise du 6 septembre 2007 ne saurait interrompre la prescription de l’action directe, mais a retenu que c’est à tort que les juges de première instance ont estimé qu’un courrier du 16 mai 2008 ne valait pas interruption de la prescription. Elle a retenu que l’appel est fondé sur ce point.

ASSURANCES Y) avait encore fait état de deux courriers qu’elle avait adressés en date des 25 juin 2012 et 6 novembre 2014, donc postérieurement à la date de prescription, au mandataire d’ASSURANCES X) pour soutenir que la prescription avait été interrompue.

Au vu du fait que le contenu du courrier du 16 mai 2008 avait été qualifié d’interruptif de la prescription, il n’y avait plus lieu d’examiner les courriers des 25 juin 2012 et 6 novembre 2014.

Conformément à la demande des parties, l’affaire avait été renvoyée devant les premiers juges pour continuation des débats.

L’arrêt du 1er décembre 2020 fait l’objet du présent pourvoi.

Quant à l’unique moyen de cassation Il est fait grief à l’arrêt attaqué rendu en date du 1er décembre 2020 d’avoir, par réformation du jugement du 6 décembre 2018, dit que la lettre du 16 mai 2008 valait interruption de la prescription au sens de l’article 45 point 4 de la LCA, et déchargeait la compagnie ASSURANCES Y) de la condamnation prononcée à son encontre sur base de l’article 240 du Nouveau code de procédure civile.

« Au motif qu’au travers du courrier du 16 mai 2018 ASSURANCES Y) demande (ainsi) à ASSURANCES X) de supporter seule et intégralement les frais de démolition et de reconstruction de l’immeuble A1). L’assureur ASSURANCES X) est donc informé de la volonté de ASSURANCES Y), subrogée dans les droits et actions de la personne lésée, d’obtenir l’indemnisation de son préjudice. Contrairement à ce qu’ont retenu les juges de première instance, il ne s’agit pas d’une tentative d’arrangement alors que ASSURANCES Y) indique sans équivoque qu’elle veut obtenir l’indemnisation intégrale du dommage. Il convient encore de rappeler qu’ASSURANCES X) n’a pas contesté que ASSURANCES Y) avait seule avancé l’intégralité de ces frais. Il convient donc d’admettre que ASSURANCES Y) agit ici en tant que subrogée d’A1). Au vu de ce qui précède, l’indication de l’article 55 de la Loi de 1997 n’a pour conséquence que le courrier ne peut valoir interruption de la prescription au sens de l’article 45 point 4 de la Loi de 1997. »3 L’unique moyen de cassation est présenté en huit branches, qui critiquent toutes, sous différents aspects, le passage précité de la décision et s’articulent autour du grief que la Cour d’appel se serait prononcée d’office sur la subrogation de ASSURANCES Y) dans les droits et actions de son assurée, ainsi que sur l’effet interruptif d’un courrier du 16 mai 2008, adressé par ASSURANCES Y) à ASSURANCES X).

Quant à la première branche La partie demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé les articles 585, point 3) et 586, alinéa 1, du Nouveau code de procédure civile, en ce que la Cour d’appel a dépassé le périmètre des points jugés litigieux sur lesquels la compagnie ASSURANCES Y) lui demandait de statuer en élargissant le débat en appel à la question de l’effet interruptif, qu’il y aurait lieu de reconnaître au courrier du 16 mai 2008, alors que ni l’acte d’appel, ni les conclusions subséquentes de la compagnie ASSURANCES Y) ne remettaient en cause cette question tranchée en première instance.

Les dispositions légales visées au moyen se lisent comme suit :

Article 585 (3) du Nouveau code de procédure civile :

« Outre les mentions prescrites à l’article 153 et à l’article 154 l’appel contient à peine de nullité (…) 3) l’indication du jugement ainsi que, le cas échéant, les chefs du jugement auxquels l’appel est limité. » Article 586 du Nouveau code de procédure civile :

« Les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions de la partie et les moyens sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée. » Il ressort de la lecture même de l’extrait critiqué de la décision dont pourvoi, que les textes de loi dont la violation est alléguée, n’ont pas été appliqués par la juridiction d’appel. Les articles visés au moyen étant étrangers au grief formulé, cette branche du moyen est à déclarer irrecevable sous ce rapport.

3 Extrait qui reprend le dernier alinéa de la page 9 de l’arrêt dont pourvoi Quant à la deuxième branche La partie demanderesse en cassation critique ensuite les juges d’appel d’avoir violé l’article 54 du Nouveau code de procédure civile, qui dispose que « le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et uniquement sur ce qui est demandé", ce qui est instance d’appel, signifie qu’il doit se limiter à trancher les termes du litige lui ayant été dévolus. ».

Selon la lecture de la décision entreprise, faite par la partie demanderesse4 « pour en arriver à la conclusion que le courrier de la compagnie ASSURANCES Y) du 16 mai 2008 aurait eu pour effet d’interrompre le délai de prescription de l’action directe dont le titulaire originaire était Madame A1), il fallut à la Cour d’appel préalablement constater l’existence d’une subrogation de la compagnie ASSURANCES Y) dans les droits et actions de Madame A1) puisque, même si la Cour d’appel ne le dit pas expressément, la compagnie ASSURANCES Y) ne pouvait, par l’envoi de son courrier, espérer interrompre la prescription de l’action directe que si, par voie de subrogation, elle était déjà titulaire de l’action directe soumise à prescription quinquennale au moment de l’envoi de son courrier. » La Cour d’appel aurait donc statué sur un moyen, celui de la subrogation, dont l’examen ne lui avait pas été dévolu, outrepassant ainsi les termes du litige pendant en appel, et violant ainsi l’article 54 du Nouveau code de procédure civile.

L’arrêt dont pourvoi précise expressément que « Le jugement n’est pas entrepris en ce qu’il a retenu que le moyen relatif à l’absence de subrogation de ASSURANCES Y) dans les droits et actions d’A1) touche à sa qualité à agir et que celle-ci n’est pas une condition de recevabilité de l’action exercée par celui même qui se prétend titulaire du droit.

La Cour n’est donc pas saisie de ce moyen.

Comme il ressort des dernières conclusions que les parties se sont mises d’accord à voir limiter les débats à la prescription, la Cour n’est saisie que de l’examen de ce moyen. » Les premiers juges ont retenu sur ce point 5:

« ASSURANCES X) soulève en premier lieu l’absence de subrogation dans le chef de ASSURANCES Y) dans les droits et actions d’A1) pour conclure au rejet de la demande.

En second lieu, dans l’hypothèse où une subrogation dans le chef de ASSURANCES Y) 4 Page 5 infra « Appréciation » de l’arrêt entrepris 5 Jugement commercial n°2018TALCH06/01127, du 6 décembre 2018, numéro 174672 du rôle, figurant comme pièce 2.8 de la farde de pièces, communiquée par Maitre Michel SCHWARTZ devait être constatée, elle conclut à la prescription de l’action que ASSURANCES Y) entend exercer à son encontre.

Le moyen relatif à l’absence de subrogation dans le chef de ASSURANCES Y) dans les droits et actions d’A1) touche à la qualité à agir de ASSURANCES Y) qui n'est pas une condition particulière de recevabilité lorsque l'action est exercée par celui même qui se prétend titulaire du droit.

L'existence effective du droit invoqué par le demandeur à l'encontre du défendeur n'est pas une condition de recevabilité de la demande, mais uniquement la condition de son succès au fond, ou, en d'autres termes, de son bien-fondé (Trib. Arr, 12 mars 2003, rôle n° 51114).

Comme ASSURANCES Y) allègue dans son chef un droit de se retourner contre ASSURANCES X), assureur des prétendus responsables du sinistre causé à l’immeuble appartenant à A1), suite à la prise en charge du sinistre indemnisé au titre du contrat d’assurance, elle justifie sa qualité à agir, les éventuelles contestations d’ASSURANCES X) s’analysant ultérieurement dans le cadre du bien-fondé de la demande de ASSURANCES Y) au principal.

Le moyen d’ASSURANCES X) tiré de la prescription de l’action directe exercée par ASSURANCES Y) est dès lors à analyser en premier lieu. » La lecture conjointe des décisions de première et de deuxième instance montre que la question de la subrogation n’a pas (encore) été analysée par les juridictions du fond, mais elle le sera dans la cadre de l’analyse du bien-fondé de la demande de ASSURANCES Y). En effet la juridiction de première instance n’a pas suivi l’ordre de présentation des moyens de ASSURANCES X) et a décidé d’analyser à titre préalable le moyen de prescription et de se pencher seulement dans le cadre de l’examen du bien-

fondé de la demande sur la question de la subrogation de la compagnie ASSURANCES Y) dans les droits et actions de Madame A1). Or la partie demanderesse en cassation persiste dans son raisonnement juridique initial, pourtant réfuté par les premiers juges, et affirme que la question de l’existence ou de l’absence d’une subrogation dans le chef de ASSURANCES Y) est préalable à l’analyse de la prescription, voire que l’analyse de la prescription présuppose l’existence de la subrogation dans le chef de ASSURANCES Y).

La deuxième branche du moyen résulte dès lors d’une lecture erronée de l’arrêt entrepris, de sorte qu’elle manque en fait.

A titre subsidiaire :

Le grief est en outre irrecevable, étant donné que suivant Votre jurisprudence constante6, la violation de l’article 54 précité, ne donne pas ouverture à cassation, mais à requête civile suivant l’article 617, alinéa 3, du Nouveau code de procédure civile.

Quant à la troisième branche Dans le cadre de la troisième branche du moyen la partie demanderesse en cassation fait état d’une violation du principe du contradictoire au regard de l’article 65 du Nouveau code de procédure civile qui dispose que "le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire. Il ne peut retenir dans sa décision les moyens les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été en mesure d’en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations".

« En se saisissant de la question de l’effet interruptif de prescription qu’il y aurait lieu de reconnaître au courrier du 16 mai 2008, et en traitant dans ce contexte de la question de l’existence d’une subrogation de la compagnie ASSURANCES Y) dans les droits et actions de Madame A1) sans que ces deux questions n’aient à aucun moment été discutées en instance d’appel, précisément parce que la compagnie ASSURANCES Y) avait imprimé au débat une direction entièrement focalisée sur l’effet interruptif de prescription qu’il y aurait lieu de reconnaître aux déclarations du mandataire de Madame A1) lors de la réunion du 5 juillet 2006 où cette problématique de la subrogation ne se posait pas tout, la Cour d’appel aurait au minimum dû rouvrir les débats afin de permettre aux parties de prendre utilement position sur les points non débattus, et en particulier sur la problématique liée à l’existence d’une subrogation en faveur de la compagnie ASSURANCES Y) et la date de sa prise d’effet (avant ou après envoi du courrier du 16 mai 2018) 7» Cette branche du moyen comporte deux aspects différents, à savoir d’une part celui de la subrogation et d’autre part celui de l’effet interruptif de la prescription à attribuer au courrier du 16 mai 2008, qui suscitent des remarques différentes :

Comme d’ores et déjà précisé dans le cadre de la deuxième branche du moyen, la question de la subrogation n’ayant pas été déférée et n’ayant pas été tranchée par la juridiction d’appel, la troisième branche du moyen résulte, sous cet aspect, d’une lecture erronée de l’arrêt entrepris, de sorte qu’elle manque en fait.

Concernant la question de l’effet interruptif de prescription à attribuer au courrier du 16 mai 2008 :

6 A titre exemplatif: Cour de cassation, arrêt du 25 avril 2002, numéro 1880 du registre.

7 Page 10 sous troisième branche du mémoire en cassation L’article 65 du Nouveau code de procédure civile se lit comme suit :

« Le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir dans sa décision les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.

Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. » L’article 65 a été repris de l’article 16 du Code de procédure civile français. Si la disposition française a fait l’objet de remaniements successifs, dont l’analyse dépasse le cadre du moyen sous examen, elle se lit depuis le décret du 12 mai 1981 comme suit :

« Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. » Malgré les controverses qui ont affecté la rédaction de l’article en question, la Cour de cassation française a fait preuve de constance quant aux exigences pesant sur les juges du fond. Depuis trois arrêts de la Chambre mixte du 10 juillet 19818, bien que statuant sous l’empire de la rédaction antérieure de l’article 16, la Cour de cassation a imposé aux juges du fond dans de nombreux arrêts l’observation du principe de contradiction lorsqu’ils relèvent d’office un moyen, y compris d’ailleurs pour les moyens d’ordre public.

Si le principe de contradiction est une règle d’ordre public, le domaine de la règle, donc la notion de « moyens de droit que [le juge] a relevés d’office », est interprétée d’une façon restrictive. « Relever d’office un moyen de droit, c’est faire spontanément application au litige de règles de droit autres que celles dont le demandeur ou le défendeur sollicitait le profit »9.

8 Cass. Ch. mixte, 10 juillet 1981, n°77-10.745, n°78-10.425, Bull. ch. mixte, n° 6; D. 1981. 637, conclusions Cabanes 9 JCL, Procédure civile, Fasc. 500-35 Principes directeurs du procès, no 45 Cet article constitue en effet la contrepartie nécessaire à l’article 12 du même code.

Selon l’article 12 alinéa 1er, du Code de procédure civile français, repris à l’article 61 alinéa 1er du Nouveau code de procédure civile : « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ». Dès lors que le juge élargit le débat à des points de droit sur lesquels les parties étaient restées silencieuses, à défaut d’une contestation, il y a lieu d’ouvrir un nouveau dialogue10.

Malgré la généralité de l'article 16, alinéa 3, certaines initiatives du juge continuent d'échapper, de façon plus ou moins légitime, à la contradiction.

Une série d'exceptions à l'obligation du juge de se soumettre au principe du contradictoire résulte d'une construction jurisprudentielle visant à soustraire à la contradiction les moyens dits « dans la cause », qui seraient ceux qui, bien que non invoqués par les parties, auraient néanmoins pu être débattus par elles, ces dernières ayant été au moins fictivement à même d'en débattre contradictoirement, car ils ne résultent pas de l'introduction d'éléments nouveaux dans le débat. La notion de moyen dans la cause a été utilisée par la jurisprudence dans deux séries d'hypothèses, dont la vérification des conditions d'application de la loi11.

Lorsque le juge vérifie si les conditions d'application de la règle de droit invoquée par les parties sont réunies, la jurisprudence considère que le juge peut dans ce cas échapper à la contradiction, parce qu'il ne relève pas un nouveau moyen de droit. Cette exclusion du contradictoire a pu être justifiée par la doctrine par le fait qu'aucun effet de surprise n'était susceptible de préjudicier aux parties dès lors que le moyen étant dans la cause, il était censé être connu des parties à qui il revenait d'en débattre spontanément. Si certains auteurs critiquent cette exclusion, il n’en reste pas moins qu’elle fait preuve de pragmatisme et permet au juge de mettre un terme à des discussions sans fin.12 Dans le cas d’espèce, ASSURANCES X) a, en première instance, soulevé le moyen de prescription de l’action directe de ASSURANCES Y), contesté par ASSURANCES Y).

Les premiers juges se sont livrés à une analyse de tous les faits soumis par les parties en vue de corroborer leur position respective, y compris un courrier du 16 mai 2008, et ont retenu sur ce point13:

« ASSURANCES Y) se prévaut encore de son courrier du 16 mai 2008 adressé à ASSURANCES X) comme acte interruptif du délai de prescription.

Par ce courrier, qui intervient suite au dépôt du rapport d’expertise, ASSURANCES Y) exprime sa position en s’appuyant sur l’article 55 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 et demande à ASSURANCES X) de lui faire part de ses intentions. L’article 55 de la loi 10 BORE, La cassation en matière civile, 5ème édition, Dalloz action, No 74.152 11 Répertoire de procédure civile, Principes directeurs du procès, Le principe du contradictoire, Anaïs DANET, no 302 12Idem, no 303 13, Jugement commercial n°2018TALCH06/01127, du 6 décembre 2018, numéro 174672 du rôle, page 7, deux derniers alinéas figurant comme pièce 2.8 de la farde de pièces, communiquée par Maitre Michel SCHWARTZ modifiée du 27 juillet 1997 est relatif à la répartition de la charge du sinistre en cas de pluralité de contrats d’assurance qui couvrent un même risque. Ce courrier se situe dès lors dans le cadre d’une tentative d’arrangement de ASSURANCES Y) avec ASSURANCES X) en application de l’article 55 de la loi du 27 juillet 1997. Il ne s’agit pas d’une demande qui se situe dans le cadre d’une action sur base de l’article 89 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 et ne saurait consister en une manifestation de la volonté d’A1) d’être indemnisée par ASSURANCES X) de sorte à valoir interruption du délai de prescription. » Dans son acte d’appel, ASSURANCES Y) conclut à l’existence d’une interruption de la prescription, au vu des déclarations faites par le mandataire de la partie lésée lors d’une réunion de chantier du 5 juillet 2006.

Dans les motifs critiqués de la décision, les juges d’appel se livrent à l’analyse du moyen de la prescription et reprennent les éléments factuels leurs déférés en vue de rechercher si un éventuel caractère interruptif de la prescription peut être attribué à un de ces éléments, sans pour autant procéder à une quelconque modification du fondement juridique de la prétention.

Etant donné que les juges d’appel n’ont donc pas relevé d’office un moyen de droit, ils n’étaient pas tenus d’inviter les parties à un débat contradictoire.

Le grief n’est donc pas fondé, de sorte que la branche du moyen, sous cet aspect, doit être rejetée.

Quant à la quatrième, cinquième, sixième, septième et huitième branche, réunies Les cinq branches susvisées du moyen touchent toutes, à la question de la subrogation de la compagnie ASSURANCES Y) dans les droits et actions de Madame A1). La problématique est envisagée sous l’aspect d’un défaut de base légale (quatrième branche), d’une insuffisance de motifs, constitutive d’une violation de l’article 89 de la Constitution et l’article 249, combiné à l’article 587 du Nouveau code de procédure civile (cinquième branche), d’une violation de la loi et plus particulièrement de l’article 52 de la LCA (sixième branche), de l’article 1250, alinéa 1 du Code civil (septième branche) et de l’article 45 point 4 de la LCA (huitième branche).

Or comme exposé dans le cadre de la deuxième branche du moyen, la juridiction d’appel a non seulement expressément précisé qu’elle limiterait son analyse au moyen de la prescription de l’action directe intentée par ASSURANCES Y), mais ne s’est également pas prononcée sur la question de l’existence ou de l’absence d’une subrogation de ASSURANCES Y) dans les droits et actions de son assurée, et a renvoyé l’affaire pour continuation à la juridiction de première instance.

Au vu de ce qui précède les branches susvisées du moyen résultent d’une lecture erronée de l’arrêt entrepris, de sorte qu’elles manquent en fait.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais non fondé.

Pour le Procureur général d’Etat, l’avocat général, Sandra KERSCH 14



Références :

Origine de la décision
Date de la décision : 30/06/2022
Date de l'import : 02/07/2022

Numérotation
Numéro d'arrêt : 94/22
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2022-06-30;94.22 ?

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