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28/04/2022 | LUXEMBOURG | N°60/22

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 28 avril 2022, 60/22


N° 60 / 2022 pénal du 28.04.2022 Not. 21375/11/CD Numéro CAS-2021-00058 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, vingt-huit avril deux mille vingt-deux, sur le pourvoi de :

Z), prévenue, demanderesse en cassation, comparant par Maître Cédric BELLWALD, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, en présence du Ministère public, l’arrêt qui suit :

Vu l’arrêt attaqué, rendu le 4 mai 2021 sous le numéro 141/21 V. par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, cinquième chambre, sié

geant en matière correctionnelle ;

Vu le pourvoi en cassation formé par Maître Giulia...

N° 60 / 2022 pénal du 28.04.2022 Not. 21375/11/CD Numéro CAS-2021-00058 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, vingt-huit avril deux mille vingt-deux, sur le pourvoi de :

Z), prévenue, demanderesse en cassation, comparant par Maître Cédric BELLWALD, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, en présence du Ministère public, l’arrêt qui suit :

Vu l’arrêt attaqué, rendu le 4 mai 2021 sous le numéro 141/21 V. par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, cinquième chambre, siégeant en matière correctionnelle ;

Vu le pourvoi en cassation formé par Maître Giulia JAEGER, avocat à la Cour, en remplacement de Maître Cédric BELLWALD, avocat à la Cour, au nom de Z) suivant déclaration du 3 juin 2021 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en cassation déposé le 24 juin 2021 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions de l’avocat général Monique SCHMITZ.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait condamné Z) du chef de corruption, de faux, d’usage de faux et de blanchiment en relation avec l’acquisition de la parcelle cadastrale no 5308 à une peine d’emprisonnement de deux ans, assortie du sursis intégral et à une amende de 5.000 euros. La Cour d’appel a, par réformation partielle, ramené la peine d’emprisonnement à 18 mois et a confirmé le jugement pour le surplus.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales, En ce que les juges d’appel ont dit que les écrits [le compromis de vente du 16 novembre 2010 et l’acte notarié du 23 mars 2011] comportent donc la constatation d’une déclaration de volonté qui, de manière frauduleuse, est contraire à la vérité, Aux motifs que l’ensemble de ces éléments constitue un faisceau d’indices suffisamment précis et concordants pour retenir à suffisance de droit que le montant de 100.000 euros ne constituait pas un prêt, mais un complément de prix et que le prix réellement convenu et payé pour la parcelle 5308 est de 250.000 et non de 150.000 euros, Alors qu’il est admis que l’intime conviction ne saurait être considérée comme un moyen de preuve, mais doit résulter de preuves légalement admissibles (SPIELMAN Dean et Alphonse, , Editions Bruylant, 2014, p. 165 et 166), Que l’infraction de faux telle que libellée à l’article 196 du Code pénal est une infraction instantanée, qui en l’espèce a été prétendument commise et entièrement consommée en date du 16 novembre 2010, date de la signature du compromis de vente, Que pour apprécier les éléments constitutifs de l’infraction de faux intellectuel, il faut se placer au temps de l’action, c’est-à-dire au moment où le fait a été commis, Que pour apprécier si le compromis de vente du 16 novembre 2010 comporte une altération de la vérité ou une possibilité de préjudice, il faut se placer au 16 novembre 2010, Que la Cour d’appel fonde son intime conviction sur le virement de 100.000 € effectué par U) à Z) en date du 23 mars 2011, afin de retenir que le compromis de vente du 16 novembre 2010 constituait un faux intellectuel, Que pour apprécier l’existence de l’infraction et de la qualification pénale à retenir, il faut se placer au temps de l’action, c’est-à-dire au moment où le fait a été commis, 2 Que l’intervention ultérieure d’événements d’ordre matériel ou juridique modifiant la situation constitutive de l’infraction est sans incidence sur l’existence de l’infraction et sur sa qualification (RENOUD Harald, , Editions Paradigme, 2005-2006, page 107), Qu’en fondant leur intime conviction sur un virement fait 4 mois après le prétendu faux, l’appréciation des juges d’appel ne repose pas sur une preuve légalement admissible, de sorte que les droits de la défense de la partie demanderesse en cassation ont été violés, Que l’arrêt attaqué encourt la cassation. ».

Réponse de la Cour Sous le couvert du grief tiré de la violation de la disposition visée au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, de la valeur des éléments de preuve, dont notamment le virement litigieux, qui les ont amenés à retenir que le prix de vente de la parcelle stipulé dans le compromis de vente et dans l’acte notarié n’était pas le prix de vente effectivement payé pour l’acquisition de la parcelle, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il s’ensuit que le moyen ne saurait être accueilli.

Sur le second moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 196 du Code pénal, En ce que les juges d’appel ont dit que le compromis de vente du 16 novembre 2010, par lequel les parties se sont préalablement mis d’accord sur la chose et le prix, est susceptibles de causer préjudice, Alors que la condition tirée d’un préjudice ou d’une possibilité de préjudice est respectée si l’écrit peut induire en erreur les tiers auxquels il est présenté ou s’il est possible que les tiers mis en présence de cet écrit conforment leur attitude sur le contenu (TAL, 22 avril 1999, Pas. 31, p. 82), Qu’en l’espèce, le compromis de vente n’a pas été mis en présence d’un tiers, Qu’en l’espèce, le compromis de vente n’a pas été soumis à Maître Tom METZLER, Qu’en l’espèce, le compromis de vente n’a pas été soumis à l’Administration de l’enregistrement, 3 Que les parties n’avaient d’ailleurs aucune obligation de transmettre le compromis de vente à une tierce personne, Qu’un compromis de vente contenant une clause suspensive n’engendre en effet pas l’exigibilité de droits d’enregistrement, Que le compromis de vente n’était donc pas susceptible de causer un quelconque préjudice à des tiers, Qu’un des éléments constitutifs de l’infraction de faux faisant défaut c’est à tort que les juges d’appel ont retenu le demandeur en cassation dans les liens de l’infraction de faux telle que libellée à l’article 196 du Code pénal, Que l’arrêt entrepris encourt la cassation. ».

Réponse de la Cour L’infraction de faux en écritures existe pourvu que la pièce fausse ait pu, par l’usage qui en serait fait, léser un droit ou un bien juridique. La possibilité du préjudice s’apprécie au moment où le faux a été commis.

En retenant que le compromis de vente était susceptible de causer un préjudice et que ce préjudice pouvait affecter un intérêt public ou privé, les juges d’appel n’ont pas violé la disposition visée au moyen.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

rejette le pourvoi ;

condamne la demanderesse en cassation aux dépens de l’instance en cassation, ceux exposés par le Ministère public étant liquidés à 15,50 euros.

Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, vingt-huit avril deux mille vingt-deux, à la Cité Judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :

Roger LINDEN, président de la Cour, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Jean ENGELS, premier conseiller à la Cour d’appel, Nadine WALCH, conseiller à la Cour d’appel, 4 qui ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Roger LINDEN en présence du procureur général d’Etat adjoint Jeannot NIES et du greffier Daniel SCHROEDER.

5 Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation Z) /Ministère Public (affaire n° CAS-2021-00058 du registre) Par déclaration faite le 3 juin 2021 au greffe de la Cour Supérieure de Justice à Luxembourg, Maître Giulia JAEGER, avocat à la Cour, en remplacement de Maître Cédric BELLWALD, avocat à la Cour, les deux demeurant à Luxembourg, forma au nom et pour le compte de Z), un recours en cassation contre l’arrêt portant le numéro 141/21 V, rendu le 4 mai 2021 par la Cour d’appel, cinquième chambre, siégeant en instance d’appel en matière correctionnelle.

Cette déclaration de recours a été suivie en date du 24 juin 2021 du dépôt au greffe du la Cour supérieure de justice d’un mémoire en cassation, signé par Maître Cédric BELLWALD au nom et pour le compte de Z).

Le pourvoi est recevable pour avoir été déposé dans les forme et délai de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Quant aux faits et rétroactes :

La toile de fond de l’affaire se résume comme suit : Z), employée auprès de la commune de X) et propriétaire de terrains sis à X), dont les parcelles cadastrales dénommées 5307 et 5308, a négocié en octobre 2010 avec U), à cette époque bourgmestre de la commune de X), la vente de la parcelle 5307, d’une contenance de 3 ares, pour un prix de 215.000 euros, soit 70.000 euros l’are. Le 16 novembre 2010 elle signa avec les époux U) un compromis de vente portant sur la parcelle contigüe 5308 d’une contenance de 9 ares pour un prix indiqué de 150.000, parcelle qu’elle était disposée à vendre au préalable pour 460.000 euros et quant à laquelle elle signa avec une agence immobilière un mandat de vente (25 mai 2010). Le compromis de vente signé par l’acquéreur B) pour ledit prix (24 septembre 2010) fut résilié par Z). Au moment de la passation de l’acte notarié de vente du 23 mars 2011, indiquant le prix de vente de 150.000 euros, Z) toucha un montant de 100.000 euros, lui viré par U) avec la mention « indemnité ».

De façon concomitante l’horaire de travail de Z) a été augmenté à concurrence de 20 heures (12 janvier 20211) et T), proche de Z), fut engagée par la Commune de X) (9 mars 2011). U) intervint à plusieurs reprises au sujet des parcelles en cause : il était présent lors de l’acquisition des terrains par Z) sur A) (3 juin 2009), partenaire pacsé de Z), et avança le prix d’acquisition de 18.000 euros ; en 2008, il conseilla A) lors des démarches entreprises par la Commune en vue de l’échange des parcelles 5037 et 5038 ; suite au décès d’A) (25 avril 2010), il informa le notaire METZLER de son intérêt d’acquérir la parcelle 5308 pour la somme de 100.000 euros (30 avril 2010) ; son étude d’avocat conseilla Z) dans le cadre de la résiliation du compromis de vente (21 septembre 2010) signé par les consorts B)1.

Suivant jugement n°1206/19 rendu contradictoirement le 8 mai 2019 par le tribunal d'arrondissement de Luxembourg, U) et Z) furent retenus comme coauteurs dans les liens des 1 pour le détail de la chronologie des faits cf. p. 5-9 et 39-43 de l’arrêt dont pourvoi ;

6 infractions de corruption (articles 246 et 247 du Code pénal), de faux et usage de faux en relation avec l’acte notarié de vente, de faux en relation avec le compromis de vente et de blanchiment (article 506-1 du Code pénal). Ils furent acquittés de la prévention d’usage de faux en relation avec le compromis de vente. U) fut encore convaincu d’avoir commis l’infraction de prise illégale d’intérêt (article 245 du Code pénal).

U) fut condamné à une peine d’emprisonnement de 3 ans, assortie du sursis à exécution à concurrence de 2 ans, à une amende de 50.000 euros, ainsi qu’à l’interdiction de remplir des fonctions, des emplois ou des offices publics pendant une durée de 5 ans. Z) fut condamnée à une peine d’emprisonnement de 2 ans, assortie de l’intégral sursis à exécution, à une amende de 5.000 euros.2 Les premiers juges ont encore ordonné la confiscation de la parcelle 5308 acquise par les époux U).

Par arrêt n° 141/21 V la Cour d’appel, ayant confirmé les premiers juges quant aux infractions retenues à l’encontre des prévenus3, a, par réformation, quant à U), ramené la peine d’emprisonnement prononcée à son encontre à 30 mois et dit qu’il sera sursis à l’intégralité de la peine. Le montant de l’amende fut ramené à 25.000 euros et le prévenu fut relevé de l’interdiction du droit de remplir des fonctions, des emplois ou des offices publics. Quant à Z), elle a ramené la peine d’emprisonnement prononcée à son encontre à 18 mois et dit qu’il sera sursis à l’intégralité de la peine. Pour le surplus, le jugement dont appel fut confirmé, y compris le volet relatif à la confiscation de la parcelle 5038.

Observation préliminaire :

La demanderesse en cassation attaque l’arrêt n° 141/21 V en ses seules dispositions ayant trait à l’infraction de faux en relation avec le compromis de vente et les moyens de cassation sont également limités au seul volet de l’arrêt portant sur l’infraction de faux en relation avec le compromis de vente4. Ainsi et en tout état de cause les autres infractions desquelles les 2 les deux prévenus furent encore condamnés solidairement aux frais de sa poursuite pénale liquidés à 3.456,32 euros ;

3 avec la précision que le faux commis en relation avec l’acte notarié est également un faux intellectuel ;

4 plus précisément, quant aux infractions de faux et d’usage de faux, les prévenus furent renvoyés pour - avoir dans une intention frauduleuse commis un faux en écritures en énonçant dans un compromis de vente signé le 16 novembre 2010 relatif à la vente de la parcelle de terrain n°923/5308 un prix de vente de 150.000 euros alors que le prix réellement convenu entre parties et payé par la suite par l’acheteur était de 250.000 euros et d’avoir fait usage de ce faux en le présentant le 23 mars 2011 par devant Maître TOM METZLER en vue la conclusion de l’acte notarié relatif à ladite vente, - et avoir dans une intention frauduleuse commis un faux en écritures authentiques en déclarant faussement dans l’acte notarié de vente conclu le 23 mars 2011 pardevant Maître Tom METZLER que le prix de vente de la parcelle prémentionnée serait de 150.000 euros alors que le prix réellement convenu entre parties et payé par la suite par l’acheteur était de 250.000 euros et d’avoir fait usage de cet acte notarié falsifié en le faisant transcrire le 7 prévenus furent convaincus5 leur restent acquises pour ne pas être embrassées par le pourvoi en cassation.

Quant au 1ier moyen de cassation :

Le 1er moyen de cassation est tiré de la violation, sinon du refus d'application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales, en ce que les juges d'appel ont dit que « les écrits [le compromis de vente du 16 novembre 2010 et l'acte notarié du 23 mars 2011] comporteraient la constatation d'une déclaration de volonté qui, de manière frauduleuse, serait contraire à la vérité, aux motifs que l'ensemble de ces éléments constitueraient un faisceau d'indices suffisamment précis et concordants pour retenir à suffisance de droit que le montant de 100.000 euros ne constituait pas un prêt, mais un complément de prix et que le prix réellement convenu et payé pour la parcelle cadastrale no 5308 serait de 250.000 et non de 150.000 euros », alors qu'il « est admis que l'intime conviction ne saurait être considérée comme un moyen de preuve, mais doit résulter de preuves légalement admissibles ».

Il est fait grief aux juges d’appel d’avoir violé les droits de la défense de la partie par le fait d’avoir fait reposer leur intime conviction sur un élément de preuve légalement inadmissible, en d’autres termes, une preuve illégale.

Plus précisément la demanderesse en cassation, soutenant que l’infraction de faux est une infraction instantanée, fait valoir que les juges du fond auraient dû cantonner l’examen de la question de l’altération de la vérité dans le compromis de vente aux seuls éléments de preuve existant au 16 novembre 2016, jour de la signature du compromis de vente, et qu’en puisant leur intime conviction dans un élément factuel postérieur, soit le virement de 100.000 euros exécuté le jour où l’acte notarié de vente en date du 23 mars 2011, ils auraient violé la disposition légale visée au moyen.

Pour rappel, après avoir retenu que le faux intellectuel vise tant des écritures privées qu’authentiques et qu’un compromis de vente, en tant qu’acte translatif de propriété, est à considérer comme écriture privée visée par l’article 196 du Code pénal pour conférer une valeur intrinsèque de présomption de sincérité quant aux déclarations qu’il contient et qu’il est susceptible de faire preuve dans une certaine mesure les juges d’appel, dans le cadre de l’examen de l’élément constitutif de l’altération de la vérité et de l’intention frauduleuse, ont retenu ce qui suit6 :

« (…) La défense de U) et de Z) conteste ensuite toute altération de la vérité et reproche à cet égard au tribunal de première instance de ne pas avoir basé son 1er avril 2011 par l’intermédiaire de Maître Tom METZLER à l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines ;

ils ont été acquittés de l’infraction de l’usage de faux en relation avec le compromis de vente ;

5 soit l’infraction de prise illégale d’intérêt (article 245 du Code pénal), de corruption (article 247 et 249 du Code pénal) et de blanchiment-détention (article 506-1du Code pénal), de faux et d’usage de faux en relation avec l’acte notarié de vente (article 196 et 197 du Code pénal) ;

6 cf. p. 46-48 de l’arrêt dont pourvoi ;

8 raisonnement sur des moyens de preuve légalement admis, mais sur des supputations.

La Cour d’appel rappelle d’abord qu’en matière pénale, en cas de contestations émises par les prévenus, il incombe au ministère public de rapporter la preuve de la matérialité de l’infraction leur reprochée, tant en fait qu’en droit.

Il est encore rappelé que le principe qui domine la procédure pénale en matière de preuve est celui de la liberté du juge et des parties.

Ainsi en matière répressive, lorsque la loi n'établit pas un mode spécial de preuve, le juge du fond apprécie souverainement en fait, la valeur probante des éléments sur lesquels il fonde sa conviction, qui lui sont régulièrement soumis et que les parties ont pu librement contredire, ce pouvoir d'appréciation du juge n'étant pas incompatible avec les garanties données au justiciable par l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme (Velu et Ergec, La Convention européenne des Droits de l'Homme, éd. 1990, n°489).

Les parties sont donc libres d’invoquer les preuves les plus diverses et les juges peuvent puiser la source de leur conviction dans tous les éléments de la cause, pourvu qu’ils aient été soumis aux débats et à la libre discussion des parties.

Le principe de la libre appréciation des preuves admet que la preuve peut résulter de présomptions simples, c’est-à-dire de présomptions de l’homme, tirées des circonstances de l’espèce, voire de simples indices (Dean et Alphonse SPIELMANN, droit pénal général luxembourgeois, p 165 ).

Le juge apprécie souverainement si les éléments produits constituent des présomptions graves, précises et concordantes prouvant l’existence de l’infraction et de la culpabilité du prévenu et cela même si ces éléments pris isolément ne fournissent pas une certitude suffisante (Franchimont, Manuel de Procédure pénale, p.765 et réf. citées).

En l’espèce, U) et Z) affirment que le prix de vente de 150.000 euros contenu tant dans le compromis de vente que dans l’acte authentique est le prix de vente réel qui a été payé pour l’acquisition de la parcelle 5308. Ils se réfèrent à cet égard plus particulièrement à la reconnaissance de dette signée par Z) en date du 6 mars 2012 et au fait que cette dernière rembourse depuis le mois d’avril 2012 mensuellement le montant de 500 euros à U). La défense ajoute que les deux prévenus, entendus séparément en même temps, ont parlé d’un prêt. Une concertation entre les deux serait donc exclue.

C’est cependant à juste titre que le représentant du ministère public relève que ces affirmations ne sont pas crédibles.

Ainsi, le virement du 23 mars 2011, fait le même jour que l’acte notarié pour la parcelle 5308, ne fait pas allusion à un contrat de prêt, mais il indique comme motif du transfert d’argent la mention « indemnité ».

L’explication suivant laquelle l’employée du guichet s’était trompée n’est pas crédible.

9 En effet, U) avait, peu de temps avant ledit virement, fait signer à Z) une reconnaissance de dette pour le montant de 18.000 euros qu’il lui avait avancé pour assurer le paiement des terrains achetés à A) et il ne donne aucune explication quant à la raison qui l’aurait amenée à ne pas faire signer à Z) une telle reconnaissance pour un montant autrement plus important.

Par contre, c’est seulement le 6 mars 2012, c’est-à-dire après le début de l’instruction judiciaire et plus précisément après les perquisitions effectuées sur ordre du juge d’instruction et une année après la réception du virement de 100.000 euros, que Z) a signé une reconnaissance de dette portant sur ce montant. C’est également seulement à partir du mois d’avril 2012 qu’elle a commencé par rembourser le montant qui lui a été viré par des paiements mensuels de 500 euros.

Les déclarations de Z) ne sont pas non plus crédibles.

Ainsi, son affirmation suivant laquelle U) lui avait fait un prêt sur 100.000 euros étant donné qu’elle avait d’importantes dettes bancaires, est contredite par les éléments du dossier.

Tel que l’a relevé à juste titre le représentant du ministère public, Z) avait, en effet, reçu préalablement le paiement de différents montants : 100.000 euros qui lui ont été virés par A) après l’achat de son appartement en date du 19 septembre 2008, 215.000 euros lui provenant de la vente du terrain 5307 à l’administration communale de X) en novembre 2010 et elle était sur le point de toucher le montant de 150.000 euros que U) devait lui verser suite à la signature de l’acte notarié, de sorte qu’elle n’avait nullement besoin d’un prêt de U) pour rembourser ses dettes auprès de la banque, le prix de son appartement s’élevant à 350.000 euros. Il lui restait, au contraire, encore un solde créditeur non négligeable.

La deuxième explication suivant laquelle elle aurait demandé le prêt de 100.000 euros à U) en raison « d’importantes dettes fiscales » sans autres précisons quant au montant qu’elle devait forcément connaître et sans verser la moindre pièce de nature à confirmer ses dires, est tout aussi peu crédible, d’autant plus qu’il lui restait un solde créditeur après le remboursement de ses dettes bancaires.

Ce n’est, par ailleurs, qu’un an après le virement que Z) a signé une reconnaissance de dette portant sur le montant de 100.000 euros, à un moment où l’instruction judiciaire était en cours et où des perquisitions avaient déjà été exécutées sur l’ordre du juge d’instruction tant auprès de U) qu’auprès de Z).

Les remboursements mensuels effectués depuis avril 2012 ne sont donc pas de nature à contredire l’existence d’une altération de la vérité dans le compromis de vente et dans l’acte notarié.

Au contraire, l’ensemble de ces éléments constitue un faisceau d’indices suffisamment précis et concordants pour retenir à suffisance de droit que le montant de 100.000 euros ne constituait pas un prêt, mais un complément de prix et que le prix réellement convenu et payé pour la parcelle 5308 est de 250.000 et non de 150.000 euros.

10 Les écrits comportent donc la constatation d’une déclaration de volonté qui, de manière frauduleuse, est contraire à la vérité.

C’est encore à juste titre que la juridiction de première instance a retenu que les faux ont été commis avec une intention frauduleuse alors que par le fait d’indiquer un prix inférieur au prix réel convenu et payé, les prévenus ont agi dans le dessein de se procurer à soi-même ou à autrui un profit ou un avantage illicite, alors que U) n’a pas dû payer les droits d’enregistrement sur le complément de 100.000 euros et Z) n’a pas dû imposer cette somme comme plus-value.

Devant les contestations des prévenus d’avoir remis le compromis de vente au notaire Tom METZLER afin de préparer l’acte notarié, la Cour d’appel retient qu’en l’absence de preuve que les prévenus ont effectivement remis ce compromis au notaire Tom METZLER pour préparer l’acte de vente, la juridiction de première instance est à confirmer en ce qu’elle a acquitté les prévenus de l’infraction d’usage de faux en relation avec le compromis de vente.

Le tribunal de première instance est également à confirmer par adoption de ses motifs en ce qu’il a retenu l’usage de faux en relation avec l’acte notarié, qui a été remis par le notaire au nom des deux prévenus à l’administration de l’enregistrement. » Le moyen sous examen relève du domaine de l’administration et de l’appréciation de la preuve en matière pénale.

La question du sort des preuves irrégulières est une question d’appréciation souveraine par le juge du fond7.

Ainsi et de prime abord, sous le couvert de la violation de la disposition visée au moyen, la demanderesse en cassation en ce qu’elle reproche aux juges d’appel d’avoir fait reposer leur intime conviction sur une preuve légalement inadmissible, ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation par les juges d’appel de la pertinence des éléments de preuve qui les ont amenés à retenir que les prévenus ont alterné la vérité aux termes du compromis de vente et que le prix réellement convenu était supérieur à celui indiqué dans le compromis. Ladite appréciation relevant du pouvoir souverain du juge du fond et échappant au contrôle de la Cour de cassation, il s’ensuit que le moyen ne saurait être accueilli.

Pour le surplus, le moyen n’est pas fondé pour les considérations suivantes.

En matière pénale l’administration de la preuve est libre et le juge répressif est guidé par son intime conviction. Le juge forme sa conviction librement sans être tenu par telle preuve plutôt que par telle autre8. « Toutefois, la conviction du juge n’est pas une preuve. Pour être juridiquement suffisante, cette conviction doit être l’effet d’une preuve »9.

Le fondement rationnel du principe de la liberté dans l’administration de la preuve résulte du souci de rechercher la vérité en ne limitant pas les moyens qui peuvent la manifester. Tout 7 M. FRANCHIMONT, Manuel de procédure pénale, 3e édition, p. 1051 ;

8 op. cit. p. 1047 ;

9 op. cit. p. 1049 ;

11 moyen de produire la certitude est un moyen de preuve10. Le juge peut asseoir sa conviction sur tous les éléments que les parties ont pu librement contredire. « Le système de la liberté dans l’appréciation de la preuve est un corollaire de la liberté des moyens de preuve. »11 Le principe est celui de la liberté dans l’administration de la preuve, qui constitue un contrepoids au principe de la charge de la preuve qui incombe à la partie poursuivante.

Ce principe n’est toutefois pas absolu en ce que d’une part la recherche et l’utilisation des preuves sont soumises au principe du contradictoire et doivent être librement discutées, d’autre part, « les moyens de preuve doivent être compatibles avec les principes généraux du droit, le respect de la personne humaine et les droits de la défense, ce qui amène à l’exclusion des éléments de preuve obtenus par des procédés déloyaux. C’est dans ce sens que l’on parle du principe de la preuve légale en droit pénal (…)»12.

Force est de constater que le principe visé par la demanderesse en cassation que tout élément de preuve doit résulter de preuves légalement admissibles n’est pas compatible avec les développements subséquents au moyen en ce que, conformément à l’enseignement qui précède, l’exigence du caractère légal de la preuve se comprend dans le sens que l’élément servant de preuve doit avoir été récolté de façon légale et loyale.

Ainsi le juge pénal est libre de puiser dans tout élément de preuve pour autant que l’élément de preuve est recueilli de façon régulière et légale et lorsque l’obtention de la preuve s’est faite de manière irrégulière, illégale ou suspecte, ou est entachée d’un vice de nature à lui ôter sa fiabilité, elle ne peut servir d’élément de preuve et ne peut pas constituer l’assise de l’intime conviction du juge répressif.

Comme en l’occurrence l’élément de preuve visé par la demanderesse en cassation, tiré du fait du virement opéré le jour de l’établissement de l’acte notarié, n’a pas été querellé par rapport à son obtention, voire un quelconque caractère illégal ou déloyal quant à son obtention, qu’il a été soumis à la libre discussion et contradiction des parties, les juges d’appel étaient habilités à tirer des conséquences du virement en question, ensemble les déclarations et explications des parties y relativement, pour conclure à l’existence d’une altération de la vérité au moment de la signature du compromis de vente.

Dès lors, en retenant que le montant de 100.000 euros viré ne constituait pas un prêt, mais un complément de prix et que le prix réellement convenu et payé pour la parcelle 5308 est de 250.000 et non de 150.000 euros, les juges d’appel n’encourent pas le grief allégué et ont fait une exacte application de la disposition visée au moyen.

Quant au 2ème moyen de cassation :

Le 2ème moyen de cassation est tiré de la violation, sinon du refus d'application, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l'article 196 du Code pénal, en ce que les juges d'appel ont dit que le compromis de vente du 16 novembre 2010, par lequel les parties se sont préalablement mis d'accord sur la chose et le prix, est susceptible de causer préjudice, alors que « la condition tirée d'un préjudice ou d'une possibilité de préjudice est 10 op. cit. p. 1033 ;

11 op. cit. p. 1053 ;

12 op. cit. p. 1035 ;

12 respectée si l'écrit peut induire en erreur les tiers auxquels il est présenté ou s'il est possible que les tiers mis en présence de cet écrit conforment leur attitude sur le contenu (TAL, 22 avril 1999, Pas. 31, p. 82) ».

Selon la demanderesse en cassation, comme en l’occurrence le compromis de vente n'aurait pas été présenté à un tiers et comme un compromis de vente contenant une clause suspensive n'engendrerait pas l'exigibilité de droits d'enregistrement, le compromis de vente n'aurait pas été susceptible de causer un quelconque préjudice à des tiers. Partant un des éléments constitutifs de l'infraction de faux ferait défaut, si bien que les juges du fond auraient à tort retenu la demanderesse en cassation dans les liens de l'infraction de faux telle que libellée à l'article 196 du Code pénal.

La motivation des juges d’appel portant sur l’élément constitutif tenant à la possibilité de préjudice engendrée par le faux, est la suivante :

« Finalement, le tribunal de première instance a correctement retenu que tant l’acte notarié du 23 mars 2011 que le compromis de vente du 16 novembre 2010, par lequel les parties se sont préalablement mis d’accord sur la chose et le prix, sont susceptibles de causer préjudice. Il suffit en effet, que le préjudice qui peut affecter un intérêt collectif ou public, individuel ou privé, soit possible et les deux prévenus savaient que par l’inscription d’un prix inférieur au prix réel, ils pouvaient porter préjudice à un intérêt public, en l’espèce, à l’Etat tant au niveau des droits d’enregistrement qu’au niveau des impôts directs sur la plus-value à percevoir.

C’est dès lors à juste titre que le tribunal de première instance a retenu tant U) que Z) dans les liens de l’infraction de faux en relation avec le compromis de vente du 16 novembre 2010 et l’acte notarié du 23 mars 2011, sauf à préciser que le faux commis en relation avec l’acte notarié est également un faux intellectuel. (…). »13 Les juges du fond se sont basés sur les éléments factuels au dossier pour retenir la possibilité de préjudice au sens de l’article 196 du Code pénal et ont dit en quoi l’altération de la vérité, en l’occurrence le prix indiqué dans le compromis de vente, est susceptible de causer le préjudice, soit la possibilité de soustraction aux administrations de l’enregistrement et des contributions une partie de l’assiette de calcul de leurs droits respectifs, partant la possibilité de la privation d’une partie de leurs droits.

Etant donné qu’une éventualité de préjudice est suffisante pour constituer l’infraction de faux, elle est punissable indépendamment de l’usage qui aura ou n’aura pas été fait du document falsifié.

« (…) si les juges du fond sont tenus d’apprécier l’existence ou non d’un préjudice, leur énonciation de ce chef sont souveraines (cass. Crim., 13 mars 1968 : Bull.crim. 1986, n°87) »14. La même solution s’applique par analogie à l’existence de la possibilité de préjudice.

Force est dès lors de retenir que sous le couvert d’une prétendue violation de la disposition visée au moyen, la demanderesse en cassation ne tend qu’à remettre en 13 cf. p. 48 de l’arrêt dont pourvoi ; passage mis en exergue par la soussignée ;

14 cf. Jurisclasseur pénal, verbo faux intellectuel, possibilité de préjudice, n° 44 ;

13 discussion les circonstances de faits et de preuve desquels les juges d’appel ont déduit l’existence de l’éventualité de préjudice engendrée par le faux commis en l’occurrence.

Comme elle relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond et échappe au contrôle de Votre Cour, le moyen sous examen ne saurait être accueilli.

Conclusion :

Le pourvoi est recevable, mais il est non fondé.

Pour le Procureur Général d’Etat, Monique SCHMITZ avocat général 14


Synthèse
Numéro d'arrêt : 60/22
Date de la décision : 28/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 03/05/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2022-04-28;60.22 ?

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