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17/03/2022 | LUXEMBOURG | N°41/22

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 17 mars 2022, 41/22


N° 41 / 2022 du 17.03.2022 Numéro CAS-2021-00029 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-sept mars deux mille vingt-deux.

Composition:

Roger LINDEN, président de la Cour, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Michèle HORNICK, conseiller à la Cour d’appel, Joëlle DIEDERICH, conseiller à la Cour d’appel, Isabelle JUNG, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

1) M), 2) X), demandeurs en cassation, comparant par Ma

ître Marisa ROBERTO, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, et:

le F...

N° 41 / 2022 du 17.03.2022 Numéro CAS-2021-00029 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-sept mars deux mille vingt-deux.

Composition:

Roger LINDEN, président de la Cour, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Michèle HORNICK, conseiller à la Cour d’appel, Joëlle DIEDERICH, conseiller à la Cour d’appel, Isabelle JUNG, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

1) M), 2) X), demandeurs en cassation, comparant par Maître Marisa ROBERTO, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, et:

le FONDS NATIONAL DE SOLIDARITE, établissement public, établi à L-1531 Luxembourg, 8-10, rue de la Fonderie, représenté par le président du conseil d’administration, inscrit au registre de commerce et des sociétés sous le numéro J15, défendeur en cassation.

Vu l’arrêt attaqué, rendu le 25 février 2021 sous le numéro 2021/0063 (No. du reg.: FNS 2020/0148) par le Conseil supérieur de la sécurité sociale ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 7 avril 2021 par M) et X) au FONDS NATIONAL DE SOLIDARITE (ci-après « le FNS »), déposé le 8 avril 2021 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint John PETRY.

Sur les faits Selon le jugement attaqué, le comité directeur du FNS avait, par deux décisions du 29 avril 2019, informé les demandeurs en cassation du retrait de l’allocation d’inclusion perçue par eux à partir au 1er mai 2019 et du recalcul rétroactif de cette allocation au 1er janvier 2015. Par courrier du 1er juillet 2019, les demandeurs en cassation ont été informés du retrait pur et simple de l’allocation d’inclusion à partir du 1er janvier 2015 et du montant indûment touché. Par lettre recommandée du 31 juillet 2019, le remboursement de ce montant leur a été réclamé.

Le Conseil arbitral de la sécurité sociale avait déclaré les recours formés par M) et X) contre les quatre décisions irrecevables.

Le Conseil supérieur de la sécurité sociale a, par réformation partielle, annulé la décision du comité directeur du FNS du 31 juillet 2019, renvoyé l’affaire devant le FNS en prosécution de cause et confirmé le jugement pour le surplus.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l'article 571 du Nouveau Code de Procédure civile, en ce que la juridiction d'appel a confirmé le jugement de première instance en ce qu'il a déclaré tardif le recours introduit contre les décisions du 29 avril 2019 en relevant que les appelants n'auraient pas critiqué le jugement entrepris sur ce point, alors que l'appel visait l'intégralité de dispositions de la décision de première instance entreprise (1er branche) et qu'en sollicitant la réformation du jugement de première instance en ce qu'il a dit régulières lesdites décisions du 29 avril 2019, les appelants ont implicitement mais nécessairement critiqué le premier jugement qui avait déclaré leur recours irrecevable pour être tardif (2e branche). ».

Réponse de la Cour Sur les deux branches réunies du moyen Le moyen procède d’une lecture incomplète de l’arrêt en ce que les juges d’appel ont analysé la recevabilité du recours introduit devant le Conseil arbitral de la sécurité sociale contre les décisions du 29 avril 2019 et confirmé le jugement ayant dit ce recours irrecevable.

Il s’ensuit que le moyen, pris en ses deux branches, manque en fait.

Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l'article 89 de la constitution et de l'article 249 alinéa 1er du Nouveau Code de Procédure civile en ce que la juridiction d'appel a relevé que c'était à bon droit que le juge de première instance a retenu que le recours introduit contre les décisions du 29 avril 2019 était tarif partant irrecevable, alors que pour en arriver à cette conclusions, les juges d'appel n'ont pas analysé les moyens des appelants tirés de l'irrégularité de ces (1ère branche), que d'autre part en n'analysant pas ce moyen, la juridiction d'appel a encore manqué de cohérences dans la motivation de sa décision (2e branche), et que finalement en analysant par ailleurs ce moyen au regard des décisions du 31 juillet 2019 et en retenant l'argumentation développé par les appelants pour conclure à la nullité de ces décisions du 31 juillet 2019, la juridiction d'appel s'est contredite et n'a pas déduit de ses propres constats les conséquences légales qui s'imposaient (3e branche). ».

Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen Le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs, qui est un vice de forme.

Une décision est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.

En retenant « C’est à bon droit que le juge de première instance a retenu que le recours introduit contre ces décisions est tardif, partant irrecevable. C’est encore à bon droit que le juge de première instance en a déduit que les décisions du 29 avril 2019 ont acquis autorité de chose décidée. L’autorité de chose décidée attachée à ces décisions affecte tant leur forme que le fond. Le recours introduit par les appelants contre les décisions du 29 avril 2019 étant irrecevable, les appelants ne sauraient plus remettre en cause la régularité formelle de ces décisions », les juges d’appel ont répondu aux conclusions visées au moyen.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa première branche, n’est pas fondé.

Sur la deuxième branche du moyen Le moyen, qui fait grief aux juges d’appel de s’être limités à constater l’irrecevabilité du recours dirigé contre les décisions du 29 avril 2019 au lieu de contrôler préalablement la régularité formelle de ces mêmes décisions, tend à remettre en cause le bien-fondé du motif d’irrecevabilité du recours déduit de l’autorité de la chose décidée et non un vice de forme tiré du défaut de réponse à conclusions.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa deuxième branche, est irrecevable.

Sur la troisième branche du moyen Le moyen qui fait grief aux juges d’appel de s’être contredits en refusant de contrôler la régularité formelle des décisions du 29 avril 2019 tout en acceptant de contrôler celle de la décision du 31 juillet 2019 procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué dès lors que les juges d’appel n’ont pas contrôlé la régularité des décisions du 29 avril 2019 au regard du caractère tardif du recours formé contre ces décisions, mais ont vérifié la régularité de la décision du 31 juillet 2019 en raison de la recevabilité du recours formé contre celle-ci de sorte qu’ils ne se sont pas déterminés par des motifs contradictoires.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa troisième branche, n’est pas fondé.

Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l'article 95 de la constitution, en ce que la juridiction d'appel a confirmé le jugement de première instance qui a déclaré irrecevable le recours contre les décisions du 29 avril 2019 pour être tardif retenant que ces décisions avaient autorité de chose décidée, alors qu'une telle force impérative ne peut être retenue qu'à l'égard de décisions régulières et conformes à la loi, ce que le Conseil Supérieur de la Sécurité Sociale était tenu de vérifier. ».

Réponse de la Cour En confirmant le jugement de première instance au motif que les décisions du 29 avril 2019 avaient acquis autorité de chose décidée de sorte que leur régularité formelle ne pouvait plus être remise en cause, le Conseil supérieur de la sécurité sociale n’a pas violé l’article 95 de la Constitution.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

rejette le pourvoi ;

condamne les demandeurs en cassation aux dépens de l’instance en cassation.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Roger LINDEN en présence de l’avocat général Isabelle JUNG et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation M) et X) c/ FONDS NATIONAL DE SOLIDARITÉ (affaire n° CAS-2021-00029 du registre) Le pourvoi des demandeurs en cassation, par dépôt au greffe de la Cour en date du 8 avril 2021, d’un mémoire en cassation, signifié le 7 avril 2021 au défendeur en cassation, est dirigé contre un arrêt numéro 2021/0063 rendu contradictoirement le 25 février 2021 par le Conseil supérieur de la sécurité sociale dans la cause inscrite sous le numéro FNS 2020/0148 du registre.

Sur la recevabilité du pourvoi Le pourvoi est dirigé contre un arrêt du Conseil supérieur de la sécurité sociale, contre lequel, en matière de décisions rendues par le Fonds national de solidarité, un pourvoi en cassation peut être formé sur base de l’article 23, paragraphe 5, de la loi modifiée du 30 juillet 1960 concernant la création d’un Fonds national de solidarité.

Il est recevable au regard du délai1 et de la forme2.

Le pourvoi est dirigé contre une décision contradictoire, donc non susceptible d’opposition, rendue en dernier ressort qui tranche tout le principal, de sorte qu’il est également recevable au regard des articles 1er et 3 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, rendus applicables par l’article 23, paragraphe 5, de la loi précitée du 30 juillet 1960.

Il est, partant, recevable.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, saisi par les époux M) et X) d’un recours contre deux décisions du 29 avril 2019 par lesquelles le FONDS NATIONAL DE SOLIDARITÉ (ci-après « FNS ») a décidé le retrait du bénéfice de l’allocation d’inclusion perçue par les requérants et le recalcul rétroactif 1 Le délai de cassation, de quarante jours, prévu par l’article 23, paragraphe 5, de la loi modifiée du 30 juillet 1960 concernant la création d’un Fonds national de solidarité (applicable, par dérogation au droit commun, ainsi qu’il a été décidé par votre arrêt n° 24/2018, numéro 3934 du registre du 22 mars 2018), a été respecté, le délai ayant commencé à courir à partir de la notification, en date du 1er mars 2021, de l’arrêt attaqué aux demandeurs en cassation, faite conformément à l’article 25 de la loi précitée du 30 juillet 1960, le pourvoi ayant été formé le 8 avril 2021, donc le 39ième jour suivant celui de la notification, partant l’avant-dernier jour utile.

2 Les demandeurs en cassation ont déposé un mémoire signé par un avocat à la Cour signifié à la partie adverse antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que ces formalités imposées par l’article 10 de la loi de 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, rendues applicables par l’article 23, paragraphe 5, de la loi précitée du 30 juillet 1960, ont été respectées.

de celle-ci au 1er mai 2015, contre un courrier du 1er juillet 2019 les informant de ce qu’ils ont à ce titre touché indument un montant de 109.925,55.- euros de prestations et contre une décision du 31 juillet 2019 réclamant le remboursement de cette somme, le Conseil arbitral de la sécurité sociale a déclaré le recours irrecevable au motif que, pour autant qu’il était formé contre les décisions du 29 avril 2019, il était tardif, que, pour autant qu’il était dirigé contre le courrier du 1er juillet 2019, il ne viserait pas une décision attaquable et que, pour autant qu’il était dirigé contre la décision du 31 juillet 2019, il viserait un acte qui se limiterait à exécuter les décisions du 29 avril 2019 qui, à défaut d’avoir été attaquées dans le délai, auraient acquis autorité de chose décidée, de sorte qu’elles ne pourraient pas être indirectement attaquées par un recours dirigé contre les actes les exécutant. Sur appel des requérants, le Conseil supérieur de la sécurité sociale annula la décision du 31 juillet 2019, motif tiré de ce que celle-ci ne comporte pas signature, et confirma le jugement entrepris pour le surplus.

Sur le premier moyen de cassation Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 571 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale a confirmé le jugement de première instance frappé d’appel par les demandeurs en cassation pour autant qu’il y a été décidé que le recours dirigé contre les décisions du 29 avril 2019, relatives au retrait du bénéfice de allocation d’inclusion perçue par les requérants et au recalcul rétroactif de celle-ci au 1er mai 2015, qui ont, faute d’avoir été attaquées dans le délai, acquis autorité de chose décidée, de sorte que le retrait du bénéfice de l’allocation ne saurait pas être remis en cause par un recours dirigé contre la décision du 31 juillet 2019, réclamant le remboursement des sommes indûment payées, au motif notamment que « les appelants n’ont pas critiqué le jugement […] en ce qu’il a déclaré tardif le recours introduit contre ces décisions »3, alors que, première branche, l’appel des demandeurs en cassation visait le jugement de première instance en ce que ce dernier avait déclaré tardif le recours précité, dirigé contre les décisions du 29 avril 2019, et que, seconde branche, l’appel des demandeurs en cassation aux fins de voir réformer le jugement de première instance en ce que ce dernier avait dit régulières les décisions du 29 avril 2019 impliquait nécessairement la critique du constat du caractère tardif du recours dirigé contre ces décisions, de sorte que l’effet dévolutif de l’appel a été méconnu.

Dans son premier moyen, les demandeurs en cassation critiquent les juges d’appel d’avoir méconnu l’effet dévolutif de l’appel en décidant que « les appelants n’ont pas critiqué le jugement […] en ce qu’il a déclaré tardif le recours introduit contre [les] décisions [du 29 avril 2019] »4. Ce motif serait doublement erroné parce que, d’une part, les appelants auraient critiqué le jugement de première instance pour avoir déclaré irrecevable pour être tardif leur recours formé contre les décisions du 29 avril 2019 et que, d’autre part, l’appel impliquerait en tout état de cause la critique de ce motif d’irrecevabilité.

Les juges d’appel ont certes constaté que « les appelants n’ont pas critiqué le jugement […] en ce qu’il a déclaré tardif le recours introduit contre ces décisions »5. Ce constat, visé par le moyen, ne les a toutefois pas empêchés d’analyser le bien-fondé du motif d’irrecevabilité du recours relevé par le premier juge.

3 Arrêt attaqué, page 3, avant-dernier alinéa, première phrase.

4 Idem et loc.cit.

5 Idem et loc.cit.

Ils ajoutent, en effet, à la suite du passage critiqué, que :

« A cet égard, il faut constater, à l’instar du juge de première instance, qu’il est établi et non contesté que ces décisions ont été notifiées aux requérants en date du 3 mai 2019.

Partant le recours interjeté le 8 août 2019 ne respecte pas le délai de quarante jours endéans duquel ces décision pouvaient faire l’objet d’un recours devant le Conseil arbitral de la sécurité sociale, par application des dispositions de l’article 1er, alinéa 1er, du règlement grand-ducal modifié du 24 décembre 1993 déterminant en application de l’article 455 du Code de la sécurité sociale la procédure à suivre devant le Conseil arbitral et le Conseil supérieur de la sécurité sociale. C’est partant à bon droit que le juge de première instance a retenu que le recours introduit contre ces décisions était tardif, partant irrecevable. […] »6.

Ils se sont, partant, prononcés sur le bien-fondé de la décision du premier juge de déclarer le recours des demandeurs en cassation partiellement tardif.

Le motif critiqué est donc surabondant, de sorte que le moyen est inopérant.

Dans un ordre subsidiaire, il est relevé que le moyen critique le refus du Conseil supérieur de la sécurité sociale de se prononcer sur le bien-fondé de la décision du juge de première instance de déclarer le recours des demandeurs en cassation partiellement tardif. Or, par les motifs cités ci-avant les juges d’appel ont analysé le bien-fondé de cette décision.

Il en suit, à titre subsidiaire, que le moyen, qui repose sur une lecture incomplète de l’arrêt attaqué, manque en fait.

Sur le deuxième moyen de cassation Le deuxième moyen est tiré de la violation des articles 89 de la Constitution et 249, alinéa 1, du Nouveau Code de procédure civile, en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale, saisi par les demandeurs en cassation du moyen tiré de ce que les décisions du 29 avril 2019, relatives au retrait du bénéfice de allocation d’inclusion et au recalcul rétroactif de celle-ci au 1er mai 2015, sont irrégulières du point de vue de leur forme pour ne pas être signées, s’est limité à constater que le recours dirigé contre ces décisions est tardif, partant irrecevable, de sorte que les décisions ont acquis autorité de chose jugée, empêchant d’en remettre en cause la régularité formelle, tout en acceptant de contrôler la régularité formelle de la décision du 31 juillet 2019, réclamant le remboursement des sommes indûment payées, et d’annuler celle-ci pour ne pas avoir été signée, alors que, première branche, il a ainsi refusé de répondre au moyen tiré de l’irrégularité formelle des décisions du 29 avril 2019, entachant l’arrêt attaqué d’un défaut de réponse à conclusions, que, deuxième branche, en se limitant à constater la tardiveté du recours formé contre les décisions du 29 avril 2019, sans examiner le moyen tiré de l’irrégularité formelle de celles-ci, il a motivé son arrêt de façon incohérente et que, troisième branche, il s’est contredit en refusant de répondre au moyen tiré de l’irrégularité formelle des décisions du 29 avril 2019 tout en acceptant d’analyser l’irrégularité formelle de la décision du 31 juillet 2019.

6 Idem, page 3, avant-dernier alinéa, deuxième et troisième phrase.

Sur la première branche Dans la première branche du moyen, les demandeurs en cassation critiquent le Conseil supérieur de la sécurité sociale d’avoir omis de répondre à leur moyen d’appel, tiré de l’irrégularité formelle des décisions du 29 avril 2019.

Cette critique méconnaît que le Conseil supérieur a constaté que le recours dirigé par les demandeurs en cassation contre ces décisions était tardif, donc irrecevable, et que, par voie de conséquence, les décisions ont acquis autorité de chose décidée. Il en déduit que « [l]’autorité de chose décidée attachée à ces décisions affect[ant] tant leur forme que le fond [, l]e recours introduit par les appelants contre les décisions du 29 avril 2019 [est] irrecevable [et] les appelants ne sauraient plus remettre en cause la régularité formelle de ces décisions »7.

Par ces motifs elle a répondu au moyen d’appel.

Il est à rappeler que le défaut de motifs constitue un vice de forme et qu’une décision judiciaire est régulière en la forme, dès qu’elle comporte une motivation sur le point considéré8. Le vice du défaut de motif n’est pas pertinent pour critiquer le bien-fondé du motif.

Il en suit que la première branche du moyen n’est pas fondée.

Sur la deuxième branche Dans la deuxième branche du moyen, les demandeurs en cassation critiquent que le Conseil supérieur, s’il avait été cohérent, n’aurait pas dû se limiter à constater l’irrecevabilité du recours dirigé contre les décisions du 29 avril 2019, mais aurait dû également vérifier la régularité formelle de celles-ci. Ils critiquent donc le bien-fondé du motif par lequel le Conseil supérieur a refusé de procéder à cette vérification, à savoir que le caractère tardif, et partant l’irrecevabilité du recours confère aux décisions autorité de chose décidée qui empêche de remettre en cause leur régularité formelle.

La branche du moyen attaque donc le bien-fondé d’un motif. Or, le défaut de motivation est, comme rappelé ci-avant, un vice de forme, ce sorte que ce grief n’est pas pertinent pour critiquer le bien-fondé d’un motif.

Il en suit que la deuxième branche du moyen est irrecevable.

Sur la troisième branche Dans sa troisième branche, les demandeurs en cassation soutiennent que l’arrêt est entaché d’une contradiction de motifs en ce que le Conseil supérieur refuse de contrôler la régularité formelle des décisions du 29 avril 2019 tout en acceptant de contrôler la régularité formelle de la décision du 31 juillet 2019.

7 Idem, page 3, dernier alinéa.

8 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation, 10 juin 2021, n° 94/2021, numéro CAS-2020-00102 du registre (réponse au premier moyen).

Cette critique méconnaît que le Conseil supérieur a refusé de contrôler la régularité formelle des décisions du 29 avril 2019 au motif que celles-ci ont, du fait du caractère tardif du recours formé contre eux, acquis autorité de chose décidée, qui empêcherait de les remettre en cause, tandis qu’il ne constate ni le caractère tardif du recours formé contre la décision du 31 juillet 2019, ni, par voie de conséquence, que celle-ci aurait acquis l’autorité de chose décidée, qui empêcherait d’en remettre en cause la régularité formelle. Il n’existe donc, dans la logique de ce raisonnement, aucune contradiction entre le refus de contrôler la régularité formelle des premières décisions et l’acceptation de ce contrôle pour la seconde décision.

Il en suit que la troisième branche n’est pas fondée.

Conclusion sur le deuxième moyen Le deuxième moyen est à rejeter.

Sur le troisième moyen de cassation Le troisième moyen est tiré de la violation de l’article 95 de la Constitution, en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale, saisi par les demandeurs en cassation du moyen tiré de ce que les décisions du 29 avril 2019, relatives au retrait du bénéfice de allocation d’inclusion et au recalcul rétroactif de celle-ci au 1er mai 2015, sont irrégulières du point de vue de leur forme pour ne pas être signées, a refusé de statuer sur cette irrégularité alléguée aux motifs que le recours dirigé contre ces décisions est tardif, partant irrecevable, de sorte que les décisions ont acquis autorité de chose jugée, empêchant d’en remettre en cause la régularité formelle, alors qu’il aurait dû, sur base de la disposition invoquée, statuer sur cette exception d’illégalité.

Dans leur troisième moyen les demandeurs en cassation critiquent le Conseil supérieur d’avoir violé l’article 95 de la Constitution en refusant de statuer sur leur moyen tiré de l’irrégularité formelle des décisions du 29 avril 2019. Ce refus a été motivé, comme évoqué ci-avant dans le cadre de la discussion du deuxième moyen, par la considération que les décisions attaquées ont, du fait que les demandeurs en cassation ont omis de les attaquer dans le délai devant les juridictions de la sécurité sociale, acquis autorité de chose décidée.

Les décisions du 29 avril 2019 constituent des actes administratifs à caractère individuel qui, par dérogation au droit commun9, ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours devant les juridictions administratives, mais devant celles de la sécurité sociale.

Selon le moyen, l’article 95, première phrase, de la Constitution, qui dispose que « [l]es cours et tribunaux n’appliquent les arrêtés et règlements généraux et locaux qu’autant qu’ils sont conformes aux lois », imposerait au juge judiciaire d’écarter les actes administratifs individuels.

9 Voir l’article 2, paragraphe 1, de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif : « Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés […] contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements ».

Cette thèse se réfère au droit belge10. L’article 159 de la Constitution belge est libellé de façon similaire à l’article 95, première phrase, de la Constitution luxembourgeoise11. Il est décidé à son sujet par la jurisprudence belge que « [c]ette disposition est générale et ne fait aucune distinction entre les actes qu’elle vise ; elle s’applique aux décisions même non réglementaires de l’administration et aux actes administratifs individuels ; elle impose aux cours et tribunaux d’exercer un contrôle de légalité tant interne qu’externe sur lesdits actes »12. Il en est déduit que « [l]es juridictions contentieuses ont, en vertu de cette disposition, le pouvoir et le devoir de vérifier la légalité interne et la légalité externe de tout acte administratif sur lequel est fondée une demande, une défense ou une exception »13.

Suivant votre jurisprudence, en revanche, « l’exception d’illégalité des décisions administratives individuelles ne [peut] être accueillie au motif qu’elle aurait pour effet de contourner les règles régissant les recours de droit administratif »14. Connaître de tels griefs constituerait une méconnaissance des « règles légales régissant [la] compétence [du juge judiciaire] »15.

« Ce sont des considérations de sécurité juridique et de respect dû aux droits acquis du bénéficiaire de l’acte individuel (nomination à un poste ; octroi d’un subside, etc.) qui militent pour cette solution. A cela s’ajoute un argument de texte : l’article 95 de la Constitution ne vise pas les actes à caractère individuel. Enfin, refuser d’appliquer un acte individuel équivaut à une annulation tandis que le règlement continuera à s’appliquer à d’autres cas analogues ou identiques. Le juge judiciaire luxembourgeois refuse d’assumer ce rôle d’annulation de facto par respect des attributions des juridictions de l’ordre administratif. »16. En effet, admettre l’exception d’illégalité des actes administratifs individuels devant le juge judiciaire sur base de l’article 95 de la Constitution « n’entraîne pas seulement un risque de confusion entre le pouvoir du juge administratif et le juge judiciaire, mais, de surcroît, reviendrait à soumettre devant le juge judiciaire une problématique en rapport avec un acte administratif individuel qu’on a négligé d’attaquer dans le délai légal devant la juridiction administrative »17.

Cette solution se justifie également dans le contexte des décisions individuelles adoptées par les organismes de sécurité sociale et relevant de la compétence des juridictions de la sécurité sociale. D’abord, l’article 95 de la Constitution, au regard de son libellé, ne vise pas les actes à caractère individuel. Ensuite, le souci de cohérence impose d’interpréter cet article de façon similaire dans les contextes comparables des actes administratifs individuels de droit commun, susceptibles de faire l’objet d’un recours devant les juridictions administratives, et ceux rendus en matière de sécurité sociale, susceptibles de faire l’objet d’un recours devant les juridictions de la sécurité sociale. Enfin, admettre devant les juridictions de la sécurité sociale l’exception d’illégalité contre les décisions individuelles revient à permettre de remettre en cause des 10 Voir le mémoire en cassation, page 10, cinquième alinéa.

11 Article 159 de la Constitution belge : « Les cours et tribunaux n’appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu’autant qu’ils seront conformes aux lois ».

12 Cour de cassation de Belgique, 23 octobre 2006, Revue critique de jurisprudence belge, 2009, page 14, voir page 18, premier alinéa.

13 Idem, 2 mai 2016, Pasicrisie belge, n° 294, page 1013.

14 Cour de cassation, 4 juin 2020, n° 77/2020, numéro CAS-2019-00063 du registre (réponse au septième moyen, motif approuvé des juges d’appel).

15 Idem, 13 novembre 1986, Pasicrisie 27, page 34 (au sujet d’une décision par laquelle le juge judiciaire s’était déclaré compétent pour connaître de la légalité d’une taxe communale directe réclamée auprès d’un contribuable).

16 Rusen ERGEC et Francis DELAPORTE, Le contentieux administratif en droit luxembourgeois, Pasicrisie, Bulletin de jurisprudence administrative, 2020, n° 46, page 33, cinquième alinéa.

17 Cour d’appel, quatrième chambre, 23 mai 2012, n° 36670 du rôle.

décisions que le destinataire était en droit d’attaquer devant ces mêmes juridictions, mais qu’il a négligé d’attaquer dans le délai, de sorte qu’elles ont acquis autorité de chose décidée.

Le moyen se fonde donc sur une thèse qui n’est pas admise en droit luxembourgeois.

Il en suit qu’il n’est pas fondé.

Conclusion :

Le pourvoi est recevable, mais il est à rejeter.

Pour le Procureur général d’État Le Procureur général d’État adjoint John PETRY 12


Synthèse
Numéro d'arrêt : 41/22
Date de la décision : 17/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 19/03/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2022-03-17;41.22 ?

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