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03/03/2022 | LUXEMBOURG | N°32/22

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 03 mars 2022, 32/22


N° 32 / 2022 du 03.03.2022 Numéro CAS-2021-00025 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trois mars deux mille vingt-deux.

Composition:

Roger LINDEN, président de la Cour, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Joëlle DIEDERICH, conseiller à la Cour d’appel, Elisabeth EWERT, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

G), demanderesse en cassation, comparant par Maîtr

e James JUNKER, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

1) la société...

N° 32 / 2022 du 03.03.2022 Numéro CAS-2021-00025 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trois mars deux mille vingt-deux.

Composition:

Roger LINDEN, président de la Cour, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Joëlle DIEDERICH, conseiller à la Cour d’appel, Elisabeth EWERT, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

G), demanderesse en cassation, comparant par Maître James JUNKER, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

1) la société anonyme P), défenderesse en cassation, comparant par Maître François TURK, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 2) la société à responsabilité limitée X), défenderesse en cassation, comparant par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué, numéro 143/20-VII-CIV, rendu le 4 novembre 2020 sous le numéro CAL-2019-00446 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 25 mars 2021 par G) à la société anonyme P) (ci-après « la société P) ») et à la société à responsabilité limitée X), déposé le 29 mars 2021 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 17 mai 2021 par la société P) à G) et à la société X), déposé le 18 mai 2021 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 21 mai 2021 par la société X) à G) et à la société P), déposé le 25 mai 2021 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Simone FLAMMANG.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, après avoir qualifié de marché à forfait le contrat liant la société P) à G), avait rejeté la demande de la société P) en paiement de travaux supplémentaires et déclaré sans objet la demande en intervention dirigée par G) contre son architecte, la société X), ainsi que les demandes reconventionnelles dirigées contre la société P).

La Cour d’appel a, par réformation, qualifié le contrat entre parties de marché sur devis, déclaré la demande principale fondée pour le montant réclamé, la demande en intervention partiellement fondée et les demandes reconventionnelles non fondées.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de la règle de droit et plus précisément du refus d'application, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application de l'article de l'article 1134 alinéa 1er du Code Civil et de l'article 61 alinéa 2 du Nouveau Code de Procédure Civile, - En ce que dans son arrêt du 4 novembre 2020 la Cour d'Appel a qualifié le contrat du 27 mars 2013 de marché sur devis, - Alors que les éléments caractéristiques d'un marché à forfait sont présents comme l'avaient retenu à bon droit les premiers juges, - de sorte que la Cour d'Appel, aurait dû faire application de l'article 1793 du Code Civil, constater que la défenderesse en cassation sub. 1 ne pouvait demander d'augmentation du prix convenu à défaut d'acceptation de la demanderesse et partant, la Cour d'Appel aurait dû débouter la défenderesse en cassation sub. 1 de l'intégralité de ses prétentions. ».

Réponse de la Cour La demanderesse en cassation reproche à la Cour d'appel d’avoir procédé à une fausse qualification du contrat conclu entre parties.

Une qualification erronée du contrat implique une fausse application de la loi qui définit le contrat en cause.

Le moyen doit être tiré de la violation de la disposition légale qui régit ce contrat, à savoir de la violation de l’article 1793 du Code civil, et non de celle de l’article 1134 du Code civil qui est étranger au grief.

Il s’ensuit que le moyen est irrecevable.

Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de la règle de droit et plus précisément du refus d'application, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application de la règle relative à la charge de la preuve de l'article 1315 du Code Civil et de l'article 58 du Nouveau Code de Procédure Civile, - en ce que la Cour d'Appel a retenu que la demande de la société P) SA qui n'était pas en lien avec la mise en place de panneaux Trespa et était relative à d' était fondée, - alors que, conformément à l'article 1315 alinéa 1er du Code Civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation, doit la prouver et que conformément à l'article 58 du Nouveau Code de Procédure Civile, chaque partie doit prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, - qu'il appartenait donc à la société P) SA d'apporter les preuves nécessaires quant à sa demande de paiement relative aux , - que la défenderesse en cassation n'a fourni aucune explication quant aux postes concernés par la prédite demande de paiement, - de sorte que la Cour d'Appel, aurait dû débouter la partie défenderesse en cassation de ses prétentions relatives aux . ».

Réponse de la Cour Sous le couvert du grief tiré de la violation des dispositions légales visées au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, de la pertinence des éléments de preuve produits par la défenderesse en cassation qui les ont amenés à déclarer fondée la demande en paiement relative aux autres positions du bordereau, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il s’ensuit que le moyen ne saurait être accueilli.

Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application de l'article 249 du Nouveau Code de Procédure Civile, de l'article 89 de la Constitution ainsi que de l'article 6§1 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales telle qu'amendée par le Protocole n° 11, pour défaut de motifs, - en ce que la Cour d'Appel s'est contentée, dans son arrêt du 4 novembre 2020, de retenir sommairement qu' Il résulte de la comparaison entre la commande et les factures que sur une panoplie de positions, des quantités légèrement plus importantes ont été mises en œuvre par la société P) (…) » pour justifier la demande de la défenderesse en cassation de voir condamnée la requérante à lui payer le montant de 29.930,23.-euros supplémentaires du chef de quantités supplémentaires pour les , (Farde de procédure, pièce n°29, page 13) - alors qu'en vertu des articles précités, la Cour d'Appel avait l'obligation de fonder sa décision sur des motifs suffisants et d'expliquer clairement les raisons qui l'ont conduit à se déterminer, - de sorte qu'en l'absence d'informations claires de la société P) SA, la Cour d'Appel aurait donc dû débouter cette dernière de ses demandes relatives aux . ».

Réponse de la Cour En retenant que « G) fait valoir que la surfacturation des bordereau » à hauteur de 29.930,23 euros TTC ne se trouve pas détaillée par l’appelante.

Il résulte de la comparaison entre la commande et les factures que sur une panoplie de positions, des quantités légèrement plus importantes ont été mises en œuvre par la société P). Si la société P) invoque à juste titre qu’un dépassement de 10% se trouve admis par la jurisprudence en matière de marché sur devis, l’ensemble des dépassements représente cependant une augmentation d’environ 20% en ce qui concerne ces .

Le dépassement de 10% du prix initial se chiffrant à 15.698,50 euros [139.500 – 5.328,62 (représentant le prix des panneaux Multiplex) = 134.171,38 euros fois 10% = 13.417,14 euros HTVA, augmenté de 17% TVA], la demande en paiement de la société P) à l’égard de G) est partant fondée à concurrence du montant de (13.417,14 x 17% =) 15.698,50 euros.

A l’instar de son argumentation relative au métré des panneaux Multiplex/Trespa mis en œuvre, la société P) soutient que le dépassement du devis concernant les résulte essentiellement du fait que les métrés fournis par le maître de l’ouvrage, sinon par son architecte, étaient erronés et que G) est tenue de cette appréciation incorrecte de son architecte. Elle soutient dès lors que sa demande en paiement du supplément de la surfacturation, à concurrence de (29.930,23 -15.698,50 =) 14.231,73 euros serait néanmoins aussi à déclarer fondée.

Il résulte des développements précédents que, dans la mesure où il n’est pas contesté que la société P) avait comme seul interlocuteur la société X), l’appelante n’a manqué à aucun devoir d’information par rapport à G).

La demande en paiement de la société P) à son encontre est partant encore fondée du chef de l’augmentation du prix concernant les dépassant la tolérance normale de dépassement d’un devis, soit pour le montant restant de (29.930,23 - 15.698,50 =) 14.231,73 euros. », les juges d’appel ont dûment motivé leur décision sur le point considéré.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure La demanderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

Il serait inéquitable de laisser à charge de la société X) l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer l’indemnité de procédure sollicitée de 2.000 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

rejette le pourvoi ;

rejette la demande de la demanderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la demanderesse en cassation à payer à la société à responsabilité limitée X) une indemnité de procédure de 2.000 euros ;

la condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître François TURK et de Maître Marc THEWES, sur leurs affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Roger LINDEN en présence de l’avocat général Elisabeth EWERT et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation G) contre 1. la société anonyme P) 2. la société à responsabilité limitée X) N°CAS-2021-00025 du registre Le pourvoi en cassation, introduit à la requête de G), par un mémoire en cassation signifié en date du 25 mars 2021 à la société anonyme P) ainsi qu’à la société à responsabilité limitée X) et déposé le 29 mars 2021 au greffe de la Cour, est dirigé contre un arrêt n°143/20-VII-CIV rendu le 4 novembre 2020 par la Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière civile, sous le numéro CAL-2019-00446 du rôle.

L’arrêt du 4 novembre 2020 a été signifié à G) le 29 janvier 2021.

Le pourvoi a été déposé dans les forme et délai de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Le mémoire en réponse de la société P), signifié le 17 mai 2021 à G) en son domicile élu ainsi qu’à la société X) et déposé au greffe de la Cour le 18 mai 2021, peut être pris en considération pour avoir été signifié dans le délai et déposé conformément aux prescriptions de la loi.

Le mémoire en réponse de la société X), signifié le 21 mai 2021 à G) ainsi qu’à la société P) en leurs domiciles élus et déposé au greffe de la Cour le 25 mai 2021 peut également être pris en considération pour avoir été signifié dans le délai et déposé conformément aux prescriptions de la loi.

Faits et rétroactes :

Saisi d’une demande de la société P) (ci-après la société P)) tendant à faire condamner G) à lui payer un montant de 84.213,88 euros, ramené par la suite à 52.128,88 euros, du chef de factures impayées relatives à des travaux de charpente, ferblanterie, couverture et bardage dans le cadre de la construction d’une maison unifamiliale, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, par jugement du 27 février 2019, a rejeté ladite demande comme étant non fondée.

Pour statuer ainsi, le tribunal a qualifié le contrat liant la société P) et G) de marché à forfait, soumis à l’application de l’article 1793 du Code civil, de sorte que faute d’accord écrit de la part de cette dernière, la société P) n’était pas en droit de réclamer une augmentation de prix pour des travaux supplémentaires.

En raison du rejet de la demande principale, la demande en intervention dirigée par G) contre son architecte, la société X), a été déclarée comme étant sans objet.

Sur appel de la société P), la Cour d’appel, septième chambre, par arrêt du 4 novembre 2020, a décidé, par réformation du jugement entrepris, que le contrat litigieux doit s’analyser en un marché sur devis. Après examen du bienfondé des différents chefs de la demande en paiement de la société P), les magistrats d’appel ont condamné G) à payer à celle-ci la somme de 52.188,88 euros, avec les intérêts légaux à partir de la mise en demeure. La demande en intervention de G) à l’encontre de la société X) a été déclarée fondée, en raison de différents manquements de l’architecte à ses obligations, à hauteur de 34.210,52 euros, avec les intérêts légaux à partir de la demande en justice.

Le pourvoi est dirigé contre cet arrêt.

Quant aux moyens de cassation :

Quant au premier moyen de cassation:

« tiré de la violation de la règle de droit et plus précisément du refus d’application, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application de l’article 1134 alinéa 1er du Code civil et de l’article 61 alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que dans son arrêt du 4 novembre 2020 la Cour d’appel a qualifié le contrat du 27 mars 2013 de marché sur devis, alors que les éléments caractéristiques d’un marché à forfait sont présents comme l’avaient retenu à bon droit les premiers juges, de sorte que la Cour d’appel aurait dû faire application de l’article 1793 du Code civil, constater que la défenderesse en cassation sub. 1 ne pouvait demander d’augmentation du prix convenu à défaut d’acceptation de la demanderesse et partant, la Cour d’appel aurait dû débouter la défenderesse en cassation sub 1. de l’intégralité de ses prétentions » Aux termes de son premier moyen, la demanderesse en cassation reproche à la Cour d’appel d’avoir à tort qualifié le contrat la liant à la partie défenderesse en cassation sub 1., la société P), de marché sur devis, alors que la convention présentait les éléments caractéristiques d’un marché à forfait, régi par l’article 1793 du Code civil.

A titre principal, le moyen pose problème au niveau de sa recevabilité.

Il met en œuvre le grief de la violation de la loi et plus précisément des articles 1134 du Code civil et 61 du Nouveau Code de procédure civile.

Si la première de ces dispositions concerne la force obligatoire des contrats, la seconde a trait à l’obligation du juge de donner leur exacte qualification aux faits et actes litigieux dans le cadre des litiges qui lui sont soumis.

Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, un moyen ou un élément de moyen ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture.

Il en suit que le moyen, en ce qu’il met en œuvre deux cas d’ouverture différents, est irrecevable.

A titre subsidiaire, il faut constater que le moyen tend à soumettre à l’examen de Votre Cour la qualification juridique d’un contrat. A noter que ce n’est pas le vice de la dénaturation d’un écrit clair qui est avancé, se fondant en général sur l’article 1134 du Code civil et que Votre Cour refuse en principe d’analyser1, mais bien celui d’une qualification juridique erronée du contrat 1 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation, 26 novembre 2020, n°CAS-2019-00147 du registre ; idem, 22 février 2018, n° 16/2018, numéro 3863 du registre (réponse au sixième moyen), idem, 7 juin 2018, n° 57/2018, numéro 3977 du registre (réponse au troisième moyen), idem, 18 octobre 2018, n° 88/2018, numéro 4004 du registre (réponse à la première branche du second moyen), idem, 22 novembre 2018, n° 113/2018, numéro 4023 du registre (réponse au deuxième moyen), idem, 31 janvier 2019, n° 23/2019, numéro 4085 du registre (réponse au deuxième moyen), idem, 28 mars 2019, n° 51/2019 pénal, numéro CAS-2018-00039 du registre (réponse au deuxième moyen), idem, 28 mars 2019, n° 52/2019 pénal, numéro CAS-2018-00012 du registre (réponse au cinquième moyen), idem, 4 avril 2019, n° 62/2019, numéro CAS-2018-00024 du registre (réponse à l’unique moyen), idem, 6 juin 2019, n° 99/2019, numéro CAS-2018-00069 du registre (réponse à la première branche du ayant lié les parties au litige.

En effet, la dénaturation de l’acte juridique diffère de la fausse qualification du contrat, qui, selon la jurisprudence de la Cour de cassation française, n’est qu’une fausse application de la loi ayant défini le contrat, car elle n’est qu’une erreur dans la détermination du sens d’une clause du contrat2. Il y a dénaturation lorsque l’erreur porte sur le contenu ou le sens de l’instrumentum.

Par contre il y a erreur quant à la qualification, lorsque l’erreur porte sur la nature du negotium. Le contrôle de la dénaturation ne tend qu’à déterminer le contenu de l’obligation, tandis que le contrôle de la qualification porte sur la nature du contrat3.

Or, puisqu’une qualification erronée du contrat implique une fausse application de la loi qui définit le contrat en cause, le moyen qui met en œuvre un tel grief doit être tiré non pas de la violation de l’article 1134 du Code civil, mais de celle de la disposition légale qui régit ledit contrat, en l’occurrence de l’article 1793 du Code civil, étant donné que l’actuelle défenderesse en cassation affirme que la convention doit s’analyser en un marché à forfait.

Dès lors que la disposition invoquée à l’appui du moyen est étrangère au grief mis en œuvre, le moyen est inopérant, sinon irrecevable.

A titre plus subsidiaire, le moyen ne saurait être accueilli, en ce qu’il imposerait à Votre Cour, dans le cadre de l’analyse de son bien-fondé, de se pencher sur l’interprétation des clauses contractuelles liant les parties au litige.

Pour ce faire, il ne suffirait pas que Votre Cour se limite à l’examen des constatations de fait contenues dans l’arrêt attaqué, mais Vous devriez examiner, tel que l’ont fait les magistrats d’appel, non seulement le contrat en lui-même, mais également « l’offre dans sa conception et son chiffrage »4. En d’autres mots, Vous devriez analyser les pièces versées en cause par les parties à l’appui de leurs prétentions.

Toutefois, selon la jurisprudence constante de Votre Cour, un tel examen relève exclusivement du pouvoir souverain des juges du fond et échappe à Votre Cour.

En dernier ordre de subsidiarité, si Votre Cour devait retenir le moyen comme recevable et comme relevant de Votre pouvoir de contrôle, celui-ci ne pourra se faire que sur base des constatations de l’arrêt relatives au contenu des premier moyen), idem, 19 décembre 2019, n° 173/2019, numéro CAS-2019-00013 du registre (réponse aux premier, deuxième et quatrième moyens réunis).

2 J. et L. Boré, La cassation en matière civile, Edition 2015/2016, n°79.32, p.443 3 Idem 4 Arrêt attaqué, page 8, avant-dernier alinéa obligations en cause5.

En l’espèce, la Cour d’appel a d’abord rappelé les principes régissant le marché à forfait sur base de l’article 1793 du Code civil, dans les termes suivants :

« C’est par une exacte énonciation des principes juridiques applicables que les juges de première instance ont rappelé que dans le cadre d’un marché à forfait, l’entrepreneur s’engage à effectuer des travaux dont la nature et la consistance sont nettement définies, pour un prix global et invariable fixé d’avance, tandis que dans le cadre d’un marché sur devis ou sur bordereau, les parties fixent invariablement les prix de la série, mais laissent les quantités à exécuter indéterminées. En contractant, elles ignorent le prix total des travaux à exécuter, lequel ne sera connu qu’après exécution et mesurage des ouvrages.

Etant donné que le marché sur devis constitue la règle et le marché à forfait l’exception, il appartient au maître de l’ouvrage alléguant un marché à forfait d’en rapporter la preuve (Cour d’appel 7 mai 1996, n°17310 du rôle ; Cour d’appel 10 octobre 2018, n°44988 du rôle). »6 Ensuite, sur base des documents versés en cause, les magistrats d’appel ont constaté ce qui suit :

« En l’espèce, G) se réfère au courrier de commande du 27 mars 2013 précisant que « tous les travaux non prévus dans votre offre de prix sont à signaler à la maîtrise d’ouvrage avant leur exécution » et « aucune régie ne pourra être acceptée sans commande écrite du maître d’ouvrage » pour conclure au caractère forfaitaire du contrat, tandis que l’appelante se réfère à son offre du 26 mars 2013 intitulée « Dossier de soumission – devis quantitatif » et indiquant que « la facturation se fera suivant l’avancement des travaux sur base de métrés et prix unitaire du bordereau des prix » pour conclure au caractère de marché sur devis du contrat liant les parties.

Pour déterminer s’il s’agit d’un marché à forfait ou sur devis, il y a lieu d’examiner l’offre dans sa conception et son chiffrage.

La commande du 27 mars 2013 porte sur les travaux, tels que déterminés dans l’offre du 26 mars 2013, pour un prix total de 139.500,00 euros HTVA. Cette offre reprend les différents postes des travaux à exécuter, le prix unitaire de ces travaux et leurs quantités, dont il n’est pas stipulé qu’elles soient arrêtées de manière définitive. Le prix porté au total de l’offre n’est pas un prix rond (139.500,40 euros), mais constitue le résultat de l’addition des différents 5 J. et L. Boré, La cassation en matière civile, Edition 2015/2016, n°62.103, p. 269 6 Arrêt attaqué, page 8, alinéas 2 et 3 postes prévus pour une série de travaux à réaliser. »7 La Cour d’appel en a conclu:

« Ce document ne contient dès lors aucune référence à un caractère forfaitaire.

Par réformation du jugement entrepris, la Cour retient partant que le contrat liant les parties constitue un marché sur devis. »8 En déduisant de leur analyse souveraine des pièces versées par les parties, à savoir de l’offre de la société P) du 26 mars 2013 ainsi que du courrier de commande du 27 mars 2013, que le prix y figurant ne revêt pas de caractère forfaitaire, en ce que les quantités y listées n’ont pas été indiquées de manière définitive, et que le prix total n’est pas un prix rond, mais le résultat de l’addition des différents postes énumérés, les magistrats d’appel ont donné au contrat litigieux sa qualification exacte, à savoir celle de marché sur devis, étant donné que les conditions posées par l’article 1793 du Code civil ne se trouvaient pas remplies.

Sous cet aspect, le moyen n’est pas fondé.

Quant au deuxième moyen de cassation :

« tiré de la violation de la règle de droit et plus précisément du refus d’application, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application de la règle relative à la charge de la preuve de l’article 1315 du Code civil et de l’article 58 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que la Cour d’appel a retenu que la demande de la société P) SA qui n’était pas en lien avec la mise en place des panneaux Trespa et était relative à d’« autres positions du bordereau » était fondée, alors que, conformément à l’article 1315 alinéa 1er du Code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et que conformément à l’article 58 du Nouveau Code de procédure civile, chaque partie doit prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, qu’il appartenait donc à la société P) SA d’apporter les preuves nécessaires quant à sa demande de paiement relative aux « autres positions du bordereau », 7 Arrêt attaqué, pages 8 et 9 8 Arrêt attaqué, page 9, alinéas 2 et 3 que la défenderesse en cassation n’a fourni aucune explication quant aux postes concernés par la prédite demande de paiement, de sorte que la Cour d’appel aurait dû débouter la partie défenderesse en cassation de ses prétentions relatives aux « autres postes du bordereau ».

Par son deuxième moyen, la demanderesse en cassation fait grief à la Cour d’appel d’avoir déclaré fondée la partie de la demande en paiement de la société P) en relation avec certaines positions du bordereau de commande qui, selon la société demanderesse, avaient été sous-estimées par l’architecte, alors que celle-ci n’en aurait pas rapporté la preuve. Ce faisant, les magistrats d’appel auraient violé les règles de preuve édictées par les articles 1315 du Code civil et 58 du Nouveau Code de procédure civile.

Il est vrai que ce volet de la demande de la société P) avait été critiqué par l’actuelle demanderesse en cassation en ce qu’il n’aurait pas été suffisamment détaillé.

La Cour d’appel a bien tenu compte de cet argument :

« G) fait valoir que la surfacturation des « autres positions du bordereau » à hauteur de 29.930,23 euros TTC ne se trouve pas détaillée par l’appelante. »9 Par conséquent, elle a examiné les pièces versées en cause par les parties pour en déduire :

« Il résulte de la comparaison entre la commande et les factures que sur une panoplie de positions, des quantités légèrement plus importantes ont été mises en œuvre par la société P). » Contrairement aux affirmations de la demanderesse en cassation, les magistrats d’appel ont fondé leur décision de déclarer ce chef de la demande justifié sur des éléments de preuve versés en cause par la partie qui en réclamait le paiement, en estimant que les documents leur soumis étaient suffisamment détaillés pour en apprécier le bien-fondé.

Le moyen manque donc en fait.

En réalité, le deuxième moyen de cassation ne tend qu’à Vous inviter à remettre en discussion l’appréciation par la Cour d’appel des éléments de preuve – lettre de commande, offre et factures – dont elle a déduit que le volet de la demande en relation avec « les autres positions du bordereau » était fondé. Cette appréciation est toutefois souveraine et échappe ainsi à Votre contrôle, de sorte qu’à cet égard, le moyen ne saurait être accueilli.

9 Arrêt attaqué, page 14, alinéa 3 Quant au troisième moyen de cassation :

« tiré de la violation, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application de l’article 249 du Nouveau Code de procédure civile, de l’article 89 de la Constitution ainsi que de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales telle qu’amendée par le Protocole n°11, pour défaut de motifs, en ce que la Cour d’appel s’est contentée, dans son arrêt du 4 novembre 2020, de retenir sommairement qu’ »Il résulte de la comparaison entre la commande et les factures que sur une panoplie de positions, des quantités légèrement plus importantes ont été mises en œuvre par la société P) (…) » pour justifier la demande de la défenderesse en cassation de voir condamner la requérante à lui payer le montant de 29.930,23.- euros supplémentaires su chef de quantités supplémentaires pour les « autres positions du bordereau », alors qu’en vertu des articles précités, la Cour d’appel avait l’obligation de fonder sa décision sur des motifs suffisants et d’expliquer clairement les raisons qui l’ont conduit à se déterminer, de sorte qu’en l’absence d’informations claires de la société P) SA, la Cour d’appel aurait donc dû débouter cette dernière des demandes relatives aux « autres positions du bordereau ». » La critique formulée par le troisième moyen de cassation rejoint celle mise en œuvre par le deuxième moyen en ce qu’elle concerne la décision de la Cour d’appel de déclarer fondé le volet de la demande de la société P) en relation avec les « autres positions du bordereau ». Il est fait grief à l’arrêt attaqué de ne pas être motivé de manière suffisante sur ce point.

Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, un moyen ou un élément de moyen ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture.

Or, en tant que tiré de la violation des articles 89 de la Constitution, 249 du Nouveau Code de procédure civile et 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le moyen vise le défaut de motifs, qui est un vice de forme. En ce que le moyen articule, en plus, le grief d’une motivation imprécise et incomplète, puisque le moyen reproche à la Cour d’appel d’avoir failli à son obligation de « fonder sa décision sur des motifs suffisants et d’expliquer clairement les raisons qui l’ont conduit à se déterminer »10, il vise d’autre part le défaut de base légale, qui est un vice de fond.

Il s’ensuit que le moyen est irrecevable, dès lors qu’il met en œuvre deux cas d’ouverture distincts.

A titre subsidiaire, pour autant que le moyen ne devrait s’analyser comme étant tiré du seul défaut de motifs, vice de forme de l’arrêt attaqué, il échet de rappeler que selon la jurisprudence constante de Votre Cour, une décision est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.

Les développements de l’arrêt attaqué par rapport au chef de la demande en cause se lisent comme suit :

« G) fait valoir que la surfacturation des « autres positions du bordereau » à hauteur de 29.930,23 euros TTC ne se trouve pas détaillée par l’appelante.

Il résulte de la comparaison entre la commande et les factures que sur une panoplie de positions, des quantités légèrement plus importantes ont été mises en œuvre par la société P). Si la société P) invoque à juste titre qu’un dépassement de 10% se trouve admis par la jurisprudence en matière de marché sur devis, l’ensemble des dépassements représente cependant une augmentation d’environ 20% en ce qui concerne ces « autres positions ».

Le dépassement de 10% du prix initial se chiffrant à 15.698,50 euros [139.500 – 5.328,62 (représentant le prix des panneaux Multiplex) = 134.171,38 euros fois 10% = 13.417,14 euros HTVA, augmenté de 17% TVA], la demande en paiement de la société P) à l’égard de G) est partant fondée à concurrence du montant de (13.417,14 x 17% =) 15.698,50 euros.

A l’instar de son argumentation relative au métré des panneaux Multiplex/Trespa mis en œuvre, la société P) soutient que le dépassement du devis concernant les « autres positions du bordereau » résulte essentiellement du fait que les métrés fournis par le maître de l’ouvrage, sinon par son architecte, étaient erronés et que G) est tenue de cette appréciation incorrecte de son architecte. Elle soutient dès lors que sa demande en paiement du supplément de la surfacturation, à concurrence de (29.930,23 -15.698,50 =) 14.231,73 euros serait néanmoins aussi à déclarer fondée.

Il résulte des développements précédents que, dans la mesure où il n’est pas contesté que la société P) avait comme seul interlocuteur la société X), l’appelante n’a manqué à aucun devoir d’information par rapport à G).

10 Mémoire en cassation, 3ème moyen de cassation, page 13, alinéa 5 La demande en paiement de la société P) à son encontre est partant encore fondée du chef de l’augmentation du prix concernant les « autres positions du bordereau » dépassant la tolérance normale de dépassement d’un devis, soit pour le montant restant de (29.930,23 - 15.698,50 =) 14.231,73 euros. »11 Les magistrats d’appel ont donc dûment motivé leur décision sur le point considéré, de sorte que le moyen n’est pas fondé.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais non fondé.

Pour le Procureur général d’Etat, le premier avocat général, Simone FLAMMANG 11 Arrêt attaqué, pages 14 et 15 16


Synthèse
Numéro d'arrêt : 32/22
Date de la décision : 03/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 04/03/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2022-03-03;32.22 ?

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