N° 149 / 2021 pénal du 09.12.2021 Not. 3549/20/XD Numéro CAS-2020-00161 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, neuf décembre deux mille vingt-et-un, sur le pourvoi de :
la société à responsabilité limitée E), demanderesse en cassation, comparant par la société en commandite simple KLEYR GRASSO, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître Henry DE RON, avocat à la Cour, en présence du Ministère public, l’arrêt qui suit :
Vu l’arrêt attaqué, rendu le 17 novembre 2020 sous le numéro 1018/20 Ch.c.C. par la chambre du conseil de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le pourvoi en cassation formé par Maître Olivier GOERES, avocat à la Cour, en remplacement de Maître Henry DE RON, avocat à la Cour, au nom de la société à responsabilité limitée E) (ci-après « la société E) »), suivant déclaration du 18 décembre 2020 au greffe de la Cour supérieure de justice ;
Vu le mémoire en cassation déposé le 18 janvier 2021 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint John PETRY ;
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le juge d’instruction du tribunal d’arrondissement de Diekirch avait, par ordonnance du 16 août 2020, déclaré irrecevable la plainte avec constitution de partie civile introduite par la société E) contre les gérants de la société F) du chef d’abus de biens sociaux, au motif que la plaignante ne pouvait, en sa qualité de créancière de cette société, faire valoir un préjudice propre découlant de l’infraction. La chambre du conseil de la Cour d’appel a confirmé cette ordonnance.
Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l'article 56 du Code de procédure pénale, lequel dispose que :
portant plainte se constituer partie civile devant le juge d'instruction compétent. ».
En ce que l'arrêt attaqué, pour justifier le rejet de la plainte avec constitution de partie civile, a retenu en substance que :
société F) s.à.r.l., déclarée en état de faillite le 18 septembre 2019, pour des faits dont elle affirme qu'ils sont susceptibles d'être qualifiés d'abus de biens sociaux, de banqueroute simple, de banqueroute frauduleuse ou d'organisation frauduleuse d'insolvabilité, la société à responsabilité limitée E) se plaint en réalité du dommage occasionné à un autre et non d'un préjudice propre. L'abus de biens sociaux est en effet une incrimination qui a pour but de protéger la société et ses actionnaires contre la tentation de son dirigeant de la considérer comme sa propre chose ce qui exclut qu'un créancier puisse être victime personnelle d'un abus de biens sociaux. » Alors qu'en limitant son analyse au préjudice direct subi par la victime, la Chambre du Conseil de la Cour d'appel a violé les dispositions de l'article 56 du Code de procédure pénale. ».
Réponse de la Cour Le moyen fait grief aux juges d’appel d’avoir retenu que le délit d’abus de biens sociaux ne cause un préjudice direct qu’à la société et à ses actionnaires, et non pas aux créanciers de la société.
L’action civile devant les tribunaux répressifs est un droit exceptionnel qui, en raison de sa nature, doit être strictement renfermé dans les limites fixées par l’article 56 du Code de procédure pénale.
La recevabilité d’une constitution de partie civile suppose la preuve d’une possibilité de préjudice personnel et direct subi par la partie civile du fait des infractions dénoncées.
Le préjudice allégué par la demanderesse en cassation n’est ni personnel, ni direct, les créanciers d’une société ne pouvant subir, à raison du délit d’abus de biens sociaux, qu’un préjudice qui, à le supposer établi, serait indirect.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur les deuxième et troisième moyens de cassation réunis Enoncé des moyens le deuxième, « tiré de la violation, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'union européenne, lequel dispose que :
ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. » En ce que l'arrêt attaqué n'indique pas les voies de recours à disposition de la personne à laquelle il fait grief. » et le troisième (subsidiaire au deuxième moyen de cassation), « tiré de la violation, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l'article 3-7 du Code pénal, lequel dispose que :
victime est informée sans délai dans une langue qu'elle comprend sauf les cas d'impossibilité matérielle dûment constatée et afin de lui permettre de faire valoir ses droits : (…) 2. des procédures de dépôt d'une plainte concernant une infraction pénale et le rôle de la victime dans ces procédures ; (…) 8. des procédures disponibles pour faire une réclamation au cas où ses droits ne seraient pas respectés ; » En ce que l'arrêt attaqué n'indique pas les voies de recours à disposition de la personne à laquelle il fait grief. ».
3 Réponse de la Cour La demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel de ne pas l’avoir informée, à l’occasion de la notification de l’arrêt attaqué, des voies de recours ouvertes contre ce dernier, omission qui aurait violé ses garanties procédurales au regard de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, subsidiairement de l’article 3-7 du Code de procédure pénale.
La demanderesse en cassation a formé contre l’arrêt attaqué un pourvoi en cassation recevable. L’omission qu’elle critique ne lui a, par conséquent, pas causé grief.
Il s’ensuit que les deux moyens ne sont pas fondés.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :
rejette le pourvoi ;
condamne la demanderesse en cassation aux frais de l’instance en cassation, ceux exposés par le Ministère public étant liquidés à 2,25 euros.
Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, neuf décembre deux mille vingt-et-un, à la Cité Judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :
Roger LINDEN, président de la Cour, Serge THILL, conseiller à la Cour de cassation, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Nadine WALCH, conseiller à la Cour d’appel, qui ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Roger LINDEN en présence de l’avocat général Elisabeth EWERT et du greffier Daniel SCHROEDER.
PARQUET GENERAL Luxembourg, le 25 mars 2021 DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG
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Conclusions du Parquet Général sur le pourvoi en cassation de la société à responsabilité limitée E), en présence du Ministère public (Affaire numéro CAS-2020-00161) Par déclaration faite le 18 décembre 2020 au greffe de la Cour supérieure de justice, Maître Olivier GOERES, avocat à la Cour, en remplacement de Maître Henry DE RON, avocat à la Cour, les deux demeurant à Luxembourg, représentant la société en commandite simple KLEYR GRASSO, forma au nom et pour le compte de la société à responsabilité limitée E) un recours en cassation contre un arrêt rendu le 17 novembre 2020 par la Chambre du conseil de la Cour d’appel sous le numéro 1018/20.
Cette déclaration de recours a été suivie en date du 18 janvier 2021 du dépôt d’un mémoire en cassation, signé par Maître Henry DE RON.
Sur la recevabilité du pourvoi Le pourvoi respecte les conditions de recevabilité définies par les articles 41 et 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation1.
Il attaque un arrêt d’instruction qui, en confirmant une ordonnance d’irrecevabilité d’une plainte avec constitution de partie civile, statue définitivement sur l’action publique, de sorte qu’il est recevable au regard de l’article 416 du Code d’instruction criminelle2.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, un juge d’instruction près le tribunal d’arrondissement de Diekirch a déclaré irrecevable la plainte avec constitution de partie civile de la société à responsabilité 1 Le délai du pourvoi, d’un mois, prévu par l’article 41 de la loi précitée de 1885 a été respecté, la déclaration du pourvoi, le 18 décembre 2020, contre un arrêt rendu le 17 novembre 2020 et donc notifié au plus tôt à cette date, événement faisant courir le délai du pourvoi contre les arrêts de la Chambre du conseil de la Cour d’appel, qui ne sont pas prononcés à date fixe pré-annoncée, ayant eu lieu moins d’un mois après cette notification. Le délai du dépôt du mémoire, d’un mois, prévu par l’article 43 de la même loi a de même été respecté, le délai ayant commencé à courir à partir de la date de la déclaration du pourvoi, le 18 décembre 2020, le mémoire ayant été déposé le 18 janvier 2021. Le mémoire a été, conformément à l’article 43 précité, signé par un avocat à la Cour et précise les dispositions attaquées et contient les moyens de cassation.
2 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation, 20 octobre 2011, n° 105/2011 pénal, numéro 2937 du registre ;
idem, 20 décembre 2018, n° 131/2018, numéro CAS-2018-00074 du registre ; idem, 25 février 2021, n° 34/2021 pénal, numéro CAS-2020-00064 du registre.limitée E). Sur appel de celle-ci, la Chambre du conseil de la Cour d’appel confirma l’ordonnance entreprise.
Sur le premier moyen de cassation Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 56 du Code de procédure pénale, en ce que la Chambre du conseil de la Cour d’appel confirma l’ordonnance d’irrecevabilité de la plainte avec constitution de partie civile de la demanderesse en cassation aux motifs que « en portant plainte contre les gérants administratif et technique de la société [visée par la plainte], déclarée en état de faillite le 18 septembre 2019, pour des faits dont elle affirme qu’ils sont susceptibles d’être qualifiés d’abus de biens sociaux, de banqueroute simple, de banqueroute frauduleuse ou d’organisation frauduleuse d’insolvabilité, la [demanderesse en cassation] se plaint en réalité du dommage occasionné à un autre et non d’un préjudice propre. L’abus de biens sociaux est en effet une incrimination qui a pour but de protéger la société et ses actionnaires contre la tentation de son dirigeant de la considérer comme sa propre chose ce qui exclut qu’un créancier puisse être victime personnelle d’un abus de biens sociaux », alors que le préjudice indemnisable de la victime d’une infraction n’est pas circonscrit au préjudice direct, mais s’étend au préjudice indirect causé de façon certaine par l’infraction.
La Chambre du conseil de la Cour d’appel a confirmé l’ordonnance d’irrecevabilité de la plainte avec constitution de partie civile au motif critiqué que la demanderesse en cassation « se plaint en réalité du dommage occasionné à un autre et non d’un préjudice propre » parce que « l’abus de biens sociaux est […] une incrimination qui a pour but de protéger la société et ses actionnaires contre la tentation de son dirigeant de la considérer comme sa propre chose ce qui exclut qu’un créancier puisse être victime personnelle d’un abus de biens sociaux ».
La décision se fonde donc sur le défaut de caractère personnel du dommage.
La recevabilité d’une constitution de partie civile suppose, selon votre jurisprudence, la « preuve d’une possibilité de préjudice personnel et direct subi par les parties civiles […] du fait des infractions en question »3. Le préjudice doit donc, conformément aux principes applicables en matière de responsabilité civile4, présenter la double qualité d’être personnel et d’être direct. Le préjudice est personnel lorsqu’il a été subi par le plaignant et non par autrui5.
Il est direct lorsque l’infraction en est la cause directe6.
La demanderesse en cassation critique les juges d’appel d’avoir confirmé l’ordonnance d’irrecevabilité au motif que le préjudice allégué ne présente pas un caractère direct. Or, le motif critiqué est en réalité tiré de ce que le préjudice allégué ne présente pas un caractère personnel.
3 Cour de cassation, 15 octobre 2015, n° 45/2015 pénal, numéro 3533 du registre (réponse aux deuxième et troisième moyens réunis). Voir dans le même sens, sur l’exigence de ce que le préjudice à indemniser doit être personnel et direct : idem, 24 juin 2011, n° 69/2011 pénal, numéro 2824 du registre (réponse au quatorzième moyen).
4 Georges RAVARANI, La responsabilité civile des personnes privées et publiques, Pasicrisie, 3ième édition, 2014, n° 1119, pages 1104-1105, au sujet du caractère direct du préjudice et n° 1120 à 1130, pages 1105 à 1114, au sujet du caractère personnel du préjudice.
5 Michel FRANCHIMONT, Ann JACOBS et Adrien MASSET, Manuel de procédure pénale, Bruxelles, Larcier, 4ième édition, 2012, page 180, dernier alinéa.
6 Idem, page 180, deuxième alinéa.
Il en suit que le moyen manque en fait.
Dans un ordre subsidiaire, « l’abus de biens sociaux est une incrimination qui a pour but de protéger la société [commerciale qui en est la victime] contre la tentation de son dirigeant de la considérer comme sa propre chose »7. Il « tend à protéger le patrimoine social donc le patrimoine commun des associés »8. Or, « un créancier n’a pas de droit de regard sur le patrimoine de son débiteur »9. Il en résulte que « les créanciers ne sont pas des victimes personnelles de l’abus des biens »10.
C’est donc à juste titre que les juges d’appel ont constaté l’absence de caractère personnel du préjudice allégué.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation française dénie de façon constante depuis 1971 au créancier la qualité de partie civile de l’abus de biens sociaux commis par le dirigeant social de son débiteur au motif « que les créanciers de la société ne peuvent souffrir, à raison du délit d’abus des biens et du crédit, que d’un préjudice qui, à le supposer établi, serait indirect et dont la réparation, dès lors, ne pourrait être demandée qu’aux juridictions civiles, l’action civile devant les tribunaux répressifs étant un droit exceptionnel qui, en raison de sa nature, doit être strictement renfermé dans les limites fixées par les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale »11. Cette motivation, tirée de l’absence de caractère direct du préjudice, n’a pas été adoptée par les juges d’appel, qui se sont fondés sur la condition tirée du caractère personnel du préjudice. Il reste qu’elle constitue une justification supplémentaire de la solution retenue.
Le préjudice allégué subi par le créancier du chef de l’abus de biens sociaux du dirigeant social de son débiteur n’est ni personnel, comme retenu par les juges d’appel, ni direct, comme rappelé par la Cour de cassation française. Or, la partie civile doit être en mesure de se prévaloir d’un préjudice tant personnel que direct.
Il en suit, à titre subsidiaire, que le moyen n’est pas fondé.
Sur les deuxième et troisième moyens de cassation réunis Le deuxième moyen est tiré de la violation de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et le troisième, subsidiaire au deuxième, est tiré de la violation de 7 Jurisclasseur Sociétés Traité, Fasc. 132-20: Administration – Abus des biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix, par Wilfrid JEANDIDIER, février 2017, n° 112.
8 Bernard BOULOC, L’exercice de l’action civile pour infractions aux lois sur les sociétés par un créancier, Revue des sociétés, 2006, page 880, n° 4.
9 Idem, Le créancier et l’abus de biens sociaux, Revue des sociétés, 1993, page 433, sous I, premier alinéa.
10 Jurisclasseur, précité, n° 112.
11 Cour de cassation française, chambre criminelle, 24 avril 1971, Bull. crim., n° 117. Cette jurisprudence est constante depuis lors (Jurisclasseur, précité, n° 114 et les références y citées ; Répertoire Dalloz des Sociétés, V° Abus de biens sociaux, par Bernard BOULOC, juin 2019, n° 198). L’article 2, alinéa 1, du Code de procédure pénale français dispose que « l’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction ». Cet article souligne donc l’exigence du caractère direct du préjudice. Si le Code de procédure pénale luxembourgeois ne comporte pas une telle précision il est cependant admis que l’exigence du caractère direct du préjudice, exprimé en matière de responsabilité contractuelle par l’article 1151 du Code civil, « est aujourd’hui considéré comme l’expression d’un principe applicable au domaine entier de la responsabilité civile » (RAVARANI, précité, n° 1119, page 1104, dernier alinéa).l’article 3-7 du Code de procédure pénale, en ce que la Chambre du conseil de la Cour d’appel n’a pas indiqué à l’occasion de la notification de l’arrêt attaqué les voies de recours ouvertes contre ce dernier, à savoir le pourvoi en cassation, alors que cette omission a violé les garanties procédurales de la demanderesse en cassation.
Dans ses deuxième et troisième moyens la demanderesse en cassation critique qu’elle n’a pas été informée, à l’occasion de la notification de l’arrêt attaqué, des voies de recours ouvertes contre ce dernier, à savoir le droit de former un pourvoi en cassation.
Elle se fonde à cet effet, dans son deuxième moyen, sur l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux. Celle-ci s’applique, conformément à son article 51, paragraphe 1, aux États-
membres « uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union »12. Il n’est pas précisé dans le moyen ou dans la discussion de ce dernier de la mise en œuvre de quelle disposition du droit de l’Union européenne la demanderesse en cassation entend déduire l’applicabilité de la Charte. Ce n’est que dans la discussion du troisième moyen que la demanderesse en cassation fait état de la directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité (ci-après « la directive »)13, qui a été transposée par la loi du 8 mars 2017 renforçant les garanties procédurales en matière pénale14, notamment par l’introduction au Code de procédure pénale d’un article 3-7, énumérant certaines informations devant être portées à la connaissance des victimes d’infractions. A comprendre le deuxième moyen à la lumière de ces explications résultant du troisième moyen, la demanderesse en cassation soutient donc que l’article 47 de la Charte s’applique à l’occasion de la mise en œuvre de la directive par l’article 3-7 du Code de procédure pénale.
L’article 52, paragraphe 3, de la Charte dispose que « dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention ». L’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, pertinent en cause15, qui dispose que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi », correspond à l’article 6, paragraphe 1, de la Convention précitée16. Or, « l’article 6, précité, n’impose pas que l’acte de signification de la décision judiciaire informe le destinataire des voies de recours disponibles et de leurs modalités »17.
12 Voir également en ce sens : Cour de justice de l’Union européenne, Grande chambre, 6 octobre 2020, C-245/19 et C-246/19, État luxembourgeois c. B et État luxembourgeois c. B. e.a., ECLI:EU:C:2020:795, point 45 ; Cour de cassation 30 janvier 2013, n° 7/2013 pénal, numéro 3108 du registre (réponse à l’unique moyen de cassation) ;
idem, 16 janvier 2020, n° 15/2020, numéro CAS-2019-00010 du registre (réponse aux quatorzième et quinzième moyens de cassation réunis) (à titre d’illustration d’une jurisprudence constante).
13 Journal official de l’Union européenne, L 315 du 14.11.2012, page 57.
14 Mémorial, A, 2017, n° 346.
15 L’article 47 de la Charte comporte en outre un alinéa 1, consacrant un droit à un recours effectif, et un alinéa 3, relatif au droit à une aide juridictionnelle en cas d’insuffisance de ressources. Ces deux alinéas paraissent être dépourvus de pertinence pour la thèse de la demanderesse en cassation, d’avoir été privée de garanties procédurales.
16 Cour de justice de l’Union européenne, 22 décembre 2010, C-279/09, DEB, ECLI:EU:C:2010:811, point 32.
17 Cour de cassation, 12 mars 2020, n° 44/2020, numéro CAS-2019-00053 du registre (réponse à l’unique moyen de cassation).La base légale invoquée par la demanderesse en cassation dans son troisième moyen, à savoir l’article 3-7, alinéa 1, points 2 et 8, du Code de procédure pénale n’impose pas non plus une telle obligation à l’égard de celle-ci.
Elle vise comme destinataire la « victime », terme qui est défini par l’article 4-1, paragraphe 1, du Code précité comme étant « la personne identifiée qui a subi un dommage découlant d’une infraction ». La directive définit ce terme de façon plus restrictive comme visant « toute personne physique ayant subi un préjudice […] qui a été directement causé par une infraction pénale »18.
Il résulte des constatations des juges d’appel, qui sont justifiées eu égard à ce qui a été exposé ci-avant dans le cadre de la discussion du premier moyen, que la demanderesse en cassation n’a pas subi un dommage découlant de l’infraction dénoncée par elle, motif pour lequel sa plainte avec constitution de partie civile a été déclarée irrecevable. Elle est donc dépourvue de qualité pour se prévaloir de l’article 3-7 du Code précité. Comme elle ne constitue pas une personne physique, elle n’est pas à considérer comme victime au sens de la directive.
Il s’ajoute que les points 2 et 8 de l’alinéa 1 de l’article 3-7 du Code précité, transposant l’article 4, paragraphe 1, b) et h), de la directive, n’imposent pas une obligation d’informer la victime des voies de recours disponibles et de leurs modalités lorsqu’elle est destinataire d’une décision judiciaire. Le point 2 de l’alinéa 1 de l’article en question se limite à obliger d’informer la victime « des procédures de dépôt d’une plainte concernant une infraction pénale et le rôle de la victime dans ces procédures ». L’information sur les voies de recours ouvertes contre l’arrêt de la Chambre du conseil de la Cour d’appel confirmant l’irrecevabilité de la plainte avec constitution de partie civile déposée par la victime est étrangère au dépôt de la plainte et au rôle de la victime dans le cadre d’un tel dépôt de plainte. Le point 8 de l’alinéa 1 de l’article visé est relatif à l’information de la victime sur les « procédures disponibles pour faire une réclamation au cas où ses droits ne seraient pas respectés ». Cette « réclamation », terme qui dans la terminologie du Code de procédure pénale ne désigne pas une voie de recours juridictionnelle, tel le pourvoi en cassation, vise la possibilité, prévue par l’article 23, paragraphe 5, du Code de procédure pénale, de s’adresser en cas de classement sans suites d’une plainte déposée auprès des services de police ou du Procureur d’État, au Procureur général d’État pour l’inviter d’enjoindre le Procureur d’État d’engager des poursuites.
Les dispositions invoquées au titre du deuxième et du troisième moyens n’ont donc pas imposé à l’État une obligation d’informer la demanderesse en cassation à l’occasion de la notification de l’arrêt attaqué de ce que ce dernier était susceptible de faire l’objet d’un pourvoi en cassation.
A plus forte raison elles n’ont pas imposé une obligation constitutive d’une formalité substantielle dont l’inobservation devrait entraîner la cassation19.
La demanderesse en cassation n’a, par ailleurs, subi aucun grief, l’omission d’information critiquée ne l’ayant pas empêchée de former contre l’arrêt attaqué un pourvoi en cassation recevable20.
Il en suit que les deuxième et troisième moyens ne sont pas fondés.
18 Article 2, paragraphe 1, sous a), i), de la directive.
19 Cour de cassation, 12 juillet 2012, n° 31/2012 pénal, numéro 3057 du registre (réponse au troisième moyen).
20 Idem et loc.cit.
Conclusion :
Le pourvoi est recevable, mais il est à rejeter.
Pour le Procureur général d’Etat Le Procureur général d’Etat adjoint John PETRY 10