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27/05/2021 | LUXEMBOURG | N°88/21

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 27 mai 2021, 88/21


N° 88 / 2021 du 27.05.2021 Numéro CAS-2020-00101 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-sept mai deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Serge THILL, conseiller à la Cour de cassation, Monique SCHMITZ, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

la société anonyme P), demanderesse en cassa

tion, comparant par Maître André HARPES, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicil...

N° 88 / 2021 du 27.05.2021 Numéro CAS-2020-00101 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-sept mai deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Serge THILL, conseiller à la Cour de cassation, Monique SCHMITZ, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

la société anonyme P), demanderesse en cassation, comparant par Maître André HARPES, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

1) F), et son épouse 2) N), défendeurs en cassation, comparant par Maître Gérard A. TURPEL, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 3) Maître Marie-Christine GAUTIER, avocat à la Cour, demeurant à L-2128 Luxembourg, 22, rue Marie-Adélaïde, prise en sa qualité de curateur de la faillite de la société à responsabilité limitée T), 4) la société à responsabilité limitée ENTREPRISE C) ET FILS, 5) la société à responsabilité limitée M), 6) Maître Marguerite RIES, avocat à la Cour, demeurant à L-1327 Luxembourg, 6, rue Charles VI, prise en sa qualité de curateur de la faillite de la société à responsabilité limitée I) défenderesses en cassation.

Vu l’arrêt attaqué, numéro 53/20, rendu le 22 avril 2020, sous le numéro CAL-2018-00525 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié les 13 et 14 août 2020 par la société anonyme P) à N), à F) (ci-après « les époux F)-N) »), à Maître Marie-Christine GAUTIER, à la société à responsabilité limitée ENTREPRISE C) ET FILS, à la société à responsabilité limitée M) et à Maître Marguerite RIES, déposé le 19 août 2020 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié les 23 et 24 septembre 2020 par les époux F)-N) à la société P), à Maître Marie-Christine GAUTIER, à la société à responsabilité limitée ENTREPRISE C) ET FILS, à la société à responsabilité limitée M) et à Maître Marguerite RIES, déposé le 7 octobre 2020 au greffe de la Cour ;

Sur le rapport du président Jean-Claude WIWINIUS et les conclusions de l’avocat général Isabelle JUNG ;

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, avait retenu que la société P) était responsable in solidum avec la société à responsabilité limitée T), en faillite, de différents désordres apparus à la maison unifamiliale appartenant aux époux F)-N), avait condamné la demanderesse en cassation à leur payer un certain montant et avait fixé leur créance à l’égard de la faillite au même montant. La Cour d’appel a confirmé cette décision.

Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l'article 1792 du Code civil, en ce que la Cour d'appel a considéré que lorsque le dommage est dû au concours des fautes de plusieurs professionnels liés au maître d'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage, ils sont tenus in solidum à son égard » ;

alors que la condamnation in solidum de deux parties suppose que chacun des coauteurs doit avoir par sa faute causé un même dommage qui dans son entièreté doit être la conséquence de leurs fautes respectives chacune des fautes ayant concouru à le causer tout entier.

La solidarité entre les constructeurs ne peut donc être prononcée sans que soit constatée l’existence de fautes communes ayant entraîné la réalisation de l’entier dommage.

Toute condamnation in solidum suppose donc dans le chef de chaque coauteur :

- L'existence d'un dommage unique - L'existence d'un lien causal entre la faute de chaque coauteurs avec le dommage unique.

Attendu que la Cour d'Appel s'est basée sur les conclusions de l'expert K) pour affirmer que la faute de P) est établie quant à la mise en œuvre des plinthes céramiques sur une remontée d'étanchéité pas assez haute sur la terrasse arrière surplombant le garage.

Que cependant, et ce, malgré les contestations de P), la Cour d'Appel a prononcé un condamnation in solidum (Arrêt entrepris page 7 paragraphe 3.).

Or, pour qu'il puisse y avoir condamnation in solidum la condition primaire est qu'il faut pour cela démontrer que chacun des défendeurs a concouru à l'entier préjudice subi par le maître d'ouvrage.

Cependant, l'arrêt attaqué reprend pour ce qui est de la faute imputable à la partie demanderesse en cassation, les constations de l'expert que l'eau ruisselle à l'arrière du profilé pour se diriger soit sur l'étanchéité défectueuse des parties enterrées côté extérieur, soit s'infiltrer dans la chape de pente et apparaître directement sous forme d'auréoles sur le plafond du garage. » Il est donc établi par le rapport d'expertise cité par l'arrêt attaqué que la possible entrée d'eau au niveau des plinthes posées par C) est dirigée vers l'étanchéité défectueuse coté extérieur sinon réapparait sous forme d'auréoles sur le plafond du garage.

Il ne fait aucun doute que le dommage causé par les entrées d'eau dirigées depuis les plinthes vers l'extérieur, donc vers le bon côté pour s'écouler contre l'étanchéité défectueuse et là s'infiltrer dans le mur via cette étanchéité défectueuse, ne saurait être imputée à la partie P).

Il s'ensuit qu'en suivant les dires des experts quant aux infiltrations d'eaux le seul dommage imputable à la demanderesse en cassation sont les auréoles sur le plafond du garage.

Pour le surplus, tous les autres dégâts d'eau tels que dans les murs verticaux tant du garage que des caves ainsi que dans le logement au rez-de-jardin, situés du côté opposé à la terrasse arrière, restent définitivement étrangers à la partie P) pour être imputables à cent pour cent à la défectuosité des isolations verticales et horizontales respectivement du drainage périphérique exécutés par la société T).

Il est donc établi, tant par les experts que par la localisation des différents dommages d'eau, qui sont d'ailleurs tous bel et bien causés par des entrées d'eau, que chaque dommage identifié résulte de seule cause d'infiltration à savoir :

au niveau du garage et de la cave :

• dans le garage auréoles au plafond du garage sur deux emplacements et ce uniquement du côté jardin et partiellement sous la terrasse, dommage que les experts disent imputable à la faute de P) et réparable par la reprise de l'étanchéité de la terrasse arrière • dans le garage, auréoles en haut, au milieu sur les murs, dommage que les experts disent être causés tant par (1) l'étanchéité verticale extérieure défectueuse et (2) un drainage périphérique mal exécuté, donc pour ce qui est de ce dommage distinct, les deux causes retenues restent étrangères à P), • dans la cave auréoles situées directement sous la dalle, au milieu et en bas des murs arrières et latérales dommage que les experts disent être causés tant par (1) l'étanchéité verticale extérieure défectueuse, (2) un drainage périphérique mal exécuté et (3) l'absence d'étanchéité horizontale au niveau de la fondation, donc pour ce dommage il y a trois causes distinctes restant étrangères à P) et qui est réparable par une reprise (1) des parties enterrés (2) du drainage et remblaiement et (3) réfections des parois intérieures.

au niveau de la terrasse :

• une forte humidification du mortier de rejointement que les experts disent être causée par la faute de P), dommage que les experts dise imputable à la faute de P) et réparable par la reprise de l'étanchéité de la terrasse arrière, • plinthes qui se décollent que les experts disent être causés par la faute de P), dommage que les experts disent imputable à la faute de P) et réparable par la reprise de l'étanchéité de la terrasse arrière, au niveau du logement au rez-de-chaussée :

• la peinture ainsi que les différents revêtements n'adhèrent plus au support, dommage que les experts disent être causé tant par (1) l'étanchéité verticale extérieure défectueuse, (2) un drainage périphérique mal exécuté et (3) l'absence d'étanchéité horizontale au niveau de la fondation, ces trois causes restent étrangères dans le chef de P) et réparable par une reprise (1) des parties enterrés (2) du drainage et remblaiement, (3) réfections des parois intérieures et (4) la mise en place d'un système de ventilation.

Dès lors, le constat est que bien que ces divers dommages distincts ont tous été causés par des infiltrations d'eau, il n'en reste pas moins que chaque dommage d'eau a sa propre origine, donc sa cause imputable individuellement à un seul des corps de métier qui est intervenu et pour le surplus, réparable par des méthodes de réfaction chaque fois strictement distinctes.

La conclusion est qu'il y a non seulement absence d'unicité du dommage, mais aussi absence de toute contribution de P) dans l'entièreté des 17 dommages constatés par les experts (voir page 7-14 du rapport K)), dommages causés exclusivement par la faute des autres corps de métiers.

Face aux contestations de la partie demanderesse en cassation quant à l'unicité du dommage du fait que chaque dommage a été individualisé tant dans sa cause que sa situation sur les divers niveaux de la construction F)-N), ainsi que dans son moyen de réparation, la demande de P) de voir imputer les divers dommages d'eau à leur cause individuelle, a été balayée par la Cour d'Appel qui a tout simplement déclaré qu'il y a eu unicité de dommage, alors même que tous ces divers dommages d'eau ont différentes causes, en les regroupant sous un dénominateur commun à savoir les .

Or, il appartenait à la Cour d'appel de contrôler si oui ou non la faute de la demanderesse en cassation avait concouru aux 17 dommages différents qui ont été constatés par les experts, ceci étant donné que cette analyse est la condition primaire pour contrôler si oui/non une condamnation in solidum peut être prononcée.

À défaut de procéder à cette analyse, la cassation serait encourue (Cass. civ.

3e, 30 novembre 1971, Bull. Cass. 419-589 ; voir également : Cass. civ. 3e 29 avril 1974, Bull. Cass. 174-129). Sont ainsi censurés les arrêts qui ne recherchent pas si les fautes commises (ou les faits caractérisant l'imputabilité au regard de la présomption de responsabilité) n'ont pas concouru à réaliser l'entier dommage.

Ainsi, la Cour de Cassation sera amenée à constater que dans sa motivation la Cour d'appel n'entreprend aucune analyse de ce lien causal entre la faute de la partie demanderesse en cassation et chacun des 17 dommages constatés, donc l'entièreté des dommages constatés par les experts.

En conséquence, l'arrêt du 22 avril 2020 encourt la cassation. ».

Réponse de la Cour Le reproche fait aux juges d’appel d’avoir violé les règles de la responsabilité in solidum est étranger à la disposition visée au moyen.

Il en suit que le moyen est irrecevable.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge des époux F)-N) l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de leur allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

rejette le pourvoi ;

condamne la demanderesse en cassation à payer à F) et à N) une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

la condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Gérard A. TURPEL, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Jean-Claude WIWINIUS en présence de l’avocat général Monique SCHMITZ et du greffier Daniel SCHROEDER.

PARQUET GENERAL Luxembourg, le 31 mars 2021 DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG

________

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation P) S.A. c/ 1) N) 2) F) 3) Maître Marie-Christine GAUTIER, en sa qualité de curateur de la faillite de la société T) Sàrl 4) ENTREPRISE C) ET FILS Sàrl 5) M) Sàrl 6) Maître Marguerite RIES, en sa qualité de curateur de la faillite de la société I) Sàrl (affaire n° CAS 2020-00101 du registre) Par mémoires signifiés les 13 et 14 août 2020 par la société P) S.A. à la société M) Sàrl, respectivement à N), F) (ci-après : les époux F)-N)), Maître Marie-Christine GAUTIER, en sa qualité de curateur de la faillite de la société T) Sàrl, ENTREPRISE C) ET FILS Sàrl et à Maître Marguerite RIES, en sa qualité de curateur de la faillite de la société I) Sàrl, et déposés le 19 août 2020 au greffe de Votre Cour, Maître André HARPES a formé un pourvoi en cassation contre un arrêt contradictoirement rendu le 22 avril 2020 par la Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière civile et en instance d’appel, sous le numéro CAL-2018-00525.

Les pièces au dossier ne renseignent cependant pas d’une signification de l’arrêt entrepris. En l’absence d’éléments contraires, la soussignée part dès lors du principe que le pourvoi a été interjeté dans les délais prévus par la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation. Il répond encore aux conditions de forme prévues par cette loi.

Faits et rétroactes Le 24 février 2004, les époux F)-N) ont conclu un contrat d’entreprise avec la société T) Sàrl, en vue de la construction d’une maison unifamiliale sur un terrain sis à

______.

La société P) a réalisé la pose du carrelage et s’est chargée de l’étanchéité de la terrasse et du balcon sur base du système « ACQUAFIN ». La société ENTREPRISE C) ET FILS Sàrl s’est chargée de la réalisation des chapes de la maison et la société M) Sàrl a notamment dressé les plans de construction.

Suite à des soupçons de vices, malfaçons, inexécutions et non conformités affectant leur maison unifamiliale, les époux F)-N) ont, par ordonnance de référé du 1er août 2011, obtenu la nomination de l’expert K) qui a déposé le 22 novembre 2012 un rapport d’expertise dont il résulte que la maison est affectée de graves désordres.

En conséquence dudit rapport d’expertise, les époux F)-N) ont assigné les 13 et 14 mars 2013 à la société T) Sàrl, à la société P) S.A., à la société ENTREPRISE C) ET FILS Sàrl et à la société M) Sàrl à comparaître devant le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière civile, pour voir constater que la responsabilité des parties assignées était engagée et les assignés s’entendre condamner solidairement, sinon in solidum, sinon chacune pour sa part, les parties assignées à leur payer, sur base du rapport d’expertise K), le montant de 159.910 euros + p.m. avec les intérêts légaux à partir de jour de l’assignation en justice, jusqu’à solde.

La 10ème chambre du Tribunal d’arrondissement a, dans un jugement du 12 janvier 2018, retenu la responsabilité in solidum de la société P) S.A. avec la société T) Sàrl à hauteur d’un montant total de 74.705 euros et les a condamné au paiement du même montant aux époux F)-N), de même qu’au paiement d’une indemnité de procédure de 2.000 euros.

Le 16 avril 2018, la société P) S.A. a régulièrement relevé appel du jugement lui signifié en date du 4 mars 2018.

Par arrêt rendu le 22 avril 2020, la VIIème chambre de la Cour d’appel a dit les appels principal et incident recevables, les a déclaré non fondés, a confirmé le jugement entrepris, sauf à préciser que les frais d’expertise et les frais de l’instance de référé introduite les époux F)-N) sont inclus dans les frais à supporter par la société P) S.A. et par les autres entreprises dont la responsabilité a été retenue par le jugement du 12 janvier 2018, a condamné la société P) S.A à payer aux époux F)-N) une indemnité de procédure de 2.000 euros pour l’instance d’appel, a condamné la société P) S.A. à payer à la société I) Sàrl une indemnité de procédure de 1.000 euros, a condamné la société P) S.A. à payer à la M) Sàrl une indemnité de procédure de 1.000 euros et a finalement condamné la société P) S.A. aux frais et dépens de l’instance avec distraction au profit de Maître Vic GILLEN.

Le pourvoi en cassation est dirigé contre cet arrêt.

Quant au premier et unique moyen de cassation Le premier moyen de cassation est tiré de « de la violation, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 1792 du Code civil, en ce que la Cour d’appel a considéré que « lorsque le dommage est dû au concours des fautes de plusieurs professionnels liés au maître d’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage, ils sont tenus in solidum à son égard » ;

alors que la condamnation in solidum de deux parties suppose que chacun des coauteurs doit avoir par sa faute causé un même dommage qui dans son entièreté doit être la conséquence de leurs fautes respectives chacune des fautes ayant concouru à la causer tout entier. »

______________________________

L’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois en cassation dispose que : « Pour introduire son pourvoi, la partie demanderesse en cassation devra, sous peine d’irrecevabilité, dans les délais déterminés ci-avant, déposer au greffe de la Cour supérieure de justice un mémoire signé par un avocat à la Cour et signifié à la partie adverse, lequel précisera les dispositions attaquées de l’arrêt ou du jugement, les moyens de cassation et contiendra les conclusions dont l’adjudication sera demandée.

La désignation des dispositions attaquées sera considérée comme faite à suffisance de droit lorsqu’elle résulte nécessairement de l’exposé de moyens ou des conclusions.

Sous peine d’irrecevabilité, un moyen ou un élément de moyen ne doit mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture.

Chaque moyen ou chaque branche doit préciser, sous la même sanction :

– le cas d’ouverture invoqué ;

– la partie critiquée de la décision ;

– ce en quoi celle-ci encourt le reproche allégué.

L’énoncé du moyen peut être complété par des développements en droit qui sont pris en considération. » En premier lieu, la soussignée fait valoir que le moyen de cassation est irrecevable alors qu’il pêche par manque de précision. En effet, à la seule lecture du moyen, il est difficile de cerner en quoi les juges de première instance auraient violé l’article 1752 du Code civil dans l’application du principe du paiement in solidum. Le demandeur en cassation n’explique pas les raisons pour lesquelles la décision de première instance est erronée et ce qui aurait été plus correcte en droit et surtout quelle influence cela aurait eu sur la décision. Or, les griefs invoqués par la partie demanderesse en cassation à l’encontre de la décision attaquée doivent être articulés clairement dans l’énoncé du moyen, à l’exclusion de la partie du mémoire consacrée à la discussion du moyen.

La discussion du moyen n’est pas davantage cohérente puisque la partie demanderesse en cassation discute principalement des dommages, des fautes et du lien causal, donc les éléments de fait, retenus par les juges de première instance. Des développements juridiques cohérents démontrant que les juges d’appel n’ont pas respecté les conditions d’application de l’obligation in solidum font défaut.

Le moyen est encore irrecevable alors qu’il s’agit d’un moyen nouveau, mélangé de fait et de droit. En effet, il ne résulte ni de l’arrêt rendu le 22 avril 2020 par la 7ème chambre de la Cour d’appel, ni des pièces versées par la partie demanderesse en cassation, que cette dernière a remis en cause le principe de l’obligation de paiement in solidum avec d’autres parties en cause, ne serait-ce qu’à titre subsidiaire. En effet, tout au long de la procédure, la partie demanderesse en cassation s’est bornée à placer le débat sur terrain de la responsabilité de l’article 1752 en réfutant toute faute quelconque, ce qu’elle continue d’ailleurs d’écrire dans la discussion du moyen.

En troisième lieu, le moyen est encore irrecevable en ce que l’article 1792 du Code civil est étranger au grief.

En effet, l’article 1792 du Code civil indique que « si l'édifice périt en tout ou en partie par le vice de la construction, même par le vice du sol, les architectes, entrepreneurs et autres personnes liées au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage en sont responsables pendant dix ans. ».

Cet article entérine la présomption de responsabilité à charge des personnes y visées ainsi que le principe de la garantie décennale des constructeurs qui constitue un préalable nécessaire mais différent de l’actionnement de l’obligation in solidum. Cet article ne concerne donc pas directement ladite obligation de paiement qui procède d’une autre analyse juridique1.

A la lecture de la discussion du moyen, la confusion devient d’ailleurs évidente puisque la partie demanderesse en cassation prend surtout position quant aux fautes qui lui ont été imputées et sa prétendue absence de responsabilité dans la genèse des dommages occasionnés, affirmant que la Cour d’appel n’aurait entrepris aucune analyse du lien causal entre la faute de la partie demanderesse en cassation et les nombreux dommages constatés, ce qui ne rentre pas dans le débat de l’obligation in solidum puisqu’arriver à ce stade, la responsabilité édictée par l’article 1752 du Code civil a normalement déjà été établie par les juges.

En dernier lieu, la partie demanderesse en cassation reproche aux juges d’appel de ne pas avoir analysé sa responsabilité et celles des autres parties au litige dans l’établissement de 17 dommages pris isolément, la Cour d’appel ayant simplement déclaré qu’il y a unicité de dommage, sans rechercher si les fautes de l’une ou l’autre partie avait contribué entièrement aux différents dommages.

Cette analyse procède d’une lecture très lacunaire et erronée de l’arrêt attaqué, alors que les juges d’appels se sont exprimés sur les nombreux dommages causés par l’intervention de la partie demanderesse au niveau de la cave, du garage, de la terrasse du premier étage et de la terrasse du rez-de-jardin, comme suit :

1 Cette différence se lit d’ailleurs bien dans la décision suivante : « Chacun des responsables d’un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité, sans qu’il y ait de tenir compte du partage des responsabilités, auquel les juges du fond ont procédé entre les divers responsables qui n’affecte que les rapports réciproques de ces derniers et non l’étendue de leurs obligations envers la partie lésée.

Par suite, encourt la cassation l’arrêt qui, après avoir admis que deux personnes avaient commis des fautes ayant concouru à la production d’un dommage, condamne chacun des responsables à ne le réparer que dans la proportion de leurs responsabilités respectivement encourues » (Cass. Civ. 22, 12 janvier 1984, Bull. Cass., No. 13, p.5) « La Cour relève d’emblée que l’appelante ne conteste pas sa responsabilité quant aux postes relatifs au carrelage du premier étage et aux désordres affectant les plinthes des toilettes (750 et 380 euros), de sorte que le jugement est d’ores et déjà à confirmer en ce qu’il a condamné la société P) à payer lesdits montants aux époux F)-N).

En ce qui concerne les désordres constatés au niveau des parties enterrées de la maison, à savoir la cave et le garage, et les désordres constatés au niveau de la terrasse, la société P) soutient que les travaux par elle réalisés seraient dépourvus de relation causale avec les dommages constatés et en rejette la faute sur les autres entreprises intervenues sur le chantier.

Il en serait de même en ce qui concerne les désordres constatés sur la terrasse du rez-

de-jardin.

Il est constant en cause que la société P) a notamment effectué la pose de carrelage et réalisé l’étanchéité de la terrasse et du balcon sur base du système « ACQUAFIN ».

Après examen des différents rapports d’expertise dressés en cause, la Cour fait sienne la motivation des premiers juges, qui, se basant sur les conclusions détaillées des experts Y) et K), ont à juste titre constaté que les causes des infiltrations en rez-de-jardin et au plafond du garage et de la cave étaient en partie liés au fait que les raccords entre l’étanchéité horizontale de la terrasse réalisée par la société P) et les différents éléments verticaux (mur, façades et encadrements de fenêtres) n’ont pas été exécutés selon les règles de l’art, cette cause se conjuguant avec les défaillances des travaux exécutés par d’autres intervenants au niveau du drainage périphérique et de la réalisation de l’étanchéité des parties enterrées.

L’expert K) précise à la page 19 de son rapport « qu’une entrée d’eau est possible au niveau du relevé d’étanchéité avec la façade, ainsi qu’au niveau du raccord entre l’encadrement des portes fenêtres et le gros œuvre. Force est de constater que la chape armée s’est humidifiée peu à peu en fonction des intempéries pour engorger la natte de drainage TROBA avant de diriger l’eau en extrémité suivant la pente. Une fois en bord de dalle, l’eau ruisselle à l’arrière du profilé pour se diriger soit sur l’étanchéité défectueuse des parties enterrées côté extérieur, soit s’infiltrer dans la chape de pente et apparaître directement sous forme d’auréoles sur le plafond du garage et des caves et encore imbiber la maçonnerie des voies périphériques.

Le point critique des raccords de l’étanchéité horizontale de la terrasse avec les divers éléments verticaux laisse croire l’expert en une troisième et dernière origine des infiltrations. Les plinthes n’ayant pas été intégrées dans l’enduit mural comme le préconisent les règles de l’art, mais simplement collées par-dessus ne résistent pas à l’influence des conditions climatiques et plus précisément des cycles de gel/dégel ».

Dans la mesure où les vices affectant les travaux réalisés par la société P) ont été l’une des causes des infiltrations relevées, c’est encore par une exacte application du droit que les juges de première instance ont rappelé que lorsque le dommage est dû au concours des fautes de plusieurs professionnels liés au maître d’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage, ils sont tenus in solidum à son égard et ce, peu importe la gravité respective des fautes ayant contribué à causer le dommage (Cour d’appel 14 juillet 1992, no 12.712, 12800 et 1917 du rôle et responsabilité civile G. RAVARANI 3 édition p 1003 et ss.) Le rapport d’expertise versé par l’appelante n’est pas de nature à infirmer l’analyse de l’expert K) dans la mesure où il se contente de confirmer que l’étanchéité horizontale de la terrasse est conforme aux règles, ce qui n’a pas été contesté par ce dernier, mais sans se prononcer sur le problème des raccords verticaux défectueux.

Les raccords revêtement de sol/enduit mural défaillants ont également été constatés par l’expert Y) qui a relevé que la remonté d’étanchéité était strictement insuffisante, voire inexistante (pages 3 et 4 du rapport du 7 juin 2016) et que la pose des plinthes n’était pas conforme aux exigences techniques puisqu’au lieu d’être intégrées dans l’enduit mural, elles ont été collées dessus, ce qui rend la construction vulnérable.

C’est en vain que l’appelante fait plaider qu’elle n’aurait pas eu la possibilité d’incorporer les plinthes dans la façade, dès lors que l’enduit de façade était déjà posé quand elle est intervenue.

Son devoir de conseil l’obligeait à vérifier les existants, sans distinction et à avertir le maître de l’ouvrage de leur exécution non conforme. S’il ne le fait pas et s’il accepte les supports sans formuler de réserves, il engage sa responsabilité.

Suivant la jurisprudence, l’architecte, l’entrepreneur ou l’ouvrier qui entreprend la construction d’un édifice quelconque, prend en effet l’engagement de le faire exécuter conformément aux règles de l’art et en garantit la solidité. Il ne peut dès lors exciper ni du vice du sol, ni de celui des matériaux qui lui ont été fournis et encore moins de ceux qu’il a fourni lui-même, ni de l’insuffisance de la lumière, ni de l’ignorance de ses ouvriers, ni enfin de la mauvaise composition des plans et devis qui lui seraient soumis.

La société P) ne peut dès lors se retrancher derrière les fautes des autres entreprises intervenues sur le chantier. Il lui aurait appartenu à défaut de s’être concertée au préalable avec le façadier pour coordonner leurs interventions, de refuser l’exécution de travaux dont elle ne pouvait ignorer qu’ils étaient contraires aux règles de l’art.

Les mêmes observations quant aux raccords revêtement de sol/enduit mural défaillants aux et aux plinthes non intégrées dans l’enduit mural ont été formulées en ce qui concerne les dégradations au niveau du balcon en façade principale par l’expert K) qui retient « au vu de l’état des plinthes du revêtement du sol du balcon dont notamment le raccord au niveau de l’enduit, il y a lieu de conclure qu’il est de nature à favoriser les infiltrations ».

Selon une jurisprudence constante, les conclusions des experts s’imposent avec une force et une pertinence particulière, alors que les tribunaux ne doivent s’écarter des conclusions de l’expert qu’avec la plus grande circonspection et uniquement dans les cas où il existe des éléments sérieux permettant de conclure qu’il n’a pas correctement analysé les données lui soumises (Cour d’appel 8 avril 1998 P31 p 28).

La Cour ne saurait dès lors suivre les allégations de l’appelante suivant lesquelles les infiltrations au niveau du balcon seraient dues à l’intervention du serrurier ayant posé les garde-corps, affirmations qui n’ont pas été avancées dans le cadre de l’expertise.

Comme les écaillements de la peinture sur la façade sont une cause directe des infiltrations affectant le balcon, c’est à bon droit que les juges de première instance ont mis à la charge de la société P) le coût de la remise en état de ce désordre.

En ce qui concerne les façades latérales le tribunal a encore à bon droit relevé que, là non plus, les plinthes extérieures n’ont pas été intégrées par l’appelante dans l’enduit mural mais simplement collées par-dessus, de sorte que le coût de leur enlèvement et leur application sur le soubassement à l’aide d’un enduit de ciment doit lui incomber.

Au vu des développements qui précèdent, le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a condamné la société P) aux montants de 62.500 +2.025 +1.250 +4.800 euros correspondant respectivement aux dommages liés aux infiltrations des locaux enterrés, aux écaillements de peinture en façade principale, aux désordres au niveau des plinthes et aux désordres affectant le balcon au premier étage. ».

En conséquence, les juges d’appel ont bien procédé à une recherche des fautes communes ou exclusives, préalable nécessaire avant de pouvoir actionner l’obligation in solidum2. Ils se sont prononcés sur toutes les contestations émises par la partie demanderesse en cassation non seulement en confirmant les juges de première instance sur leur analyse complète de tous les dommages causés à différents niveaux de maison des époux F)-N) mais également en procédant, en partie, à une analyse complémentaire des différents dommages.

Que vu sous cet angle, le moyen manque en fait.

Conclusion :

Le pourvoi est recevable mais il est à rejeter.

Pour le Procureur général d’État L’avocat général Isabelle JUNG 2 Cf. jurisprudence citée à la page 4 (Cass. Civ. 22, 12 janvier 1984, Bull. Cass., No. 13, p.5) 13


Synthèse
Numéro d'arrêt : 88/21
Date de la décision : 27/05/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2021-05-27;88.21 ?

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