N° 87 / 2021 du 20.05.2021 Numéro CAS-2020-00068 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt mai deux mille vingt-et-un.
Composition:
Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, président, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Serge THILL, conseiller à la Cour de cassation, Vincent FRANCK, conseiller à la Cour d’appel, Paul VOUEL, conseiller à la Cour d’appel, John PETRY, procureur général d’Etat adjoint, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.
Entre:
I. les personnes suivantes à titre de parents et/ou héritiers des victimes décédées lors des attentats du 11 septembre 2001 agissant en leur nom personnel :
1)-102) II. les mêmes parties que sub I en tant que représentants et/ou héritiers des successions (estates) des victimes décédées lors des prédits attentats du 11 septembre 2001, à savoir :
1)-50) demandeurs en cassation, comparant par la société à responsabilité limitée MOYSE BLESER, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, et:
1) la BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE A), 2) la REPUBLIQUE A), représentée par le Ministre des Affaires étrangères, 3) K), ancien Président de la République A), sans état connu, représenté par le Ministre des Affaires étrangères, 4) le sieur H), ancien Président de la A), sans état connu, représenté par le Ministre des Affaires étrangères, 5) le Ministère S), 6) l’Organisation G), 7) le Ministère P), 8) le Ministère A), 9) le Ministère C), 10) le Ministère D), 11) la Corporation X), 12) la Société Nationale Y), 13) la Société Nationale Z), 14) la Compagnie aérienne V), 15) la Compagnie Nationale I), défendeurs en cassation, comparant par la société en commandite simple BONN STEICHEN & PARTNERS, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître Fabio TREVISAN, avocat à la Cour, 16) la société anonyme CB), défenderesse en cassation, comparant par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître Philippe DUPONT, avocat à la Cour.
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LA COUR DE CASSATION :
Vu l’arrêt attaqué, numéro 49/20, rendu le 1er avril 2020 sous le numéro 44814 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière d’appel de référé ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 29 mai 2020 par les demandeurs en cassation aux défendeurs en cassation sub 1) à 16), déposé le 15 juin 2020 au greffe de la Cour ;
Vu le mémoire en réponse signifié les 24 et 27 juillet 2020 par la société anonyme CB) (ci-après « la société CB) ») aux demandeurs en cassation et aux défendeurs en cassation sub 1) à 15), déposé le 28 juillet 2020 au greffe de la Cour ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 27 juillet 2020 par les défendeurs en cassation sub 1) à 15) aux demandeurs en cassation et à la société CB), déposé le 28 juillet 2020 au greffe de la Cour ;
Sur le rapport du conseiller Lotty PRUSSEN et les conclusions du procureur général d’Etat adjoint John PETRY ;
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, la BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE A) (ci-après « la BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE A) ») avait demandé au juge des référés du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, principalement, sur base de l’article 933, alinéa 1, du Nouveau code de procédure civile et, subsidiairement, sur base de l’article 932, alinéa 1, du même code, d’ordonner la mainlevée d’une saisie-arrêt pratiquée entre les mains de la société CB) à son détriment par des parents et/ou héritiers de victimes décédées lors des attentats terroristes du 11 septembre 2001 perpétrés à New York, agissant soit en leur nom personnel, soit en tant que représentants et/ou héritiers des successions desdites victimes, pour avoir sûreté et paiement d’un certain montant dû sur base de jugements rendus par des juridictions des États-Unis d’Amérique ayant condamné la BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE A) ainsi que les défendeurs en cassation sub 2-15 à réparer les préjudices des victimes subis par suite desdits attentats. Le juge des référés avait déclaré la demande de la BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE A) irrecevable et la Cour d’appel avait confirmé l’ordonnance de référé.
La Cour de cassation avait cassé l’arrêt d’appel.
Sur renvoi, la Cour d’appel a déclaré la saisie-arrêt en partie nulle et en partie irrecevable et en a ordonné la mainlevée.
Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, in specie de la mauvaise application des dispositions de l'article 6, paragraphe premier de la prédite convention, à savoir le principe du procès équitable par le respect du droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, en ce que la Cour d'appel de et à Luxembourg, septième chambre, a jugé que et aux motifs qu', alors que toutes les parties, demanderesses en défenderesses en cassation, ont échangé avant l'audience des notes de plaidoiries contenant des développements détaillés par rapport aux moyens qu'elles ont soulevés, respectant entre elles le principe du contradictoire, de sorte que la Cour d'appel, en refusant aux avocats des demandeurs en cassation de pouvoir lire et exposer leur note de plaidoiries, contenant les détails fondamentaux relatifs à son argumentation par rapport aux questions complexes posées, a violé le droit des demandeurs en cassation à ce que leur cause soit entendue équitablement. ».
Réponse de la Cour Les demandeurs en cassation n’établissent pas qu’ils n’ont pas pu exposer, lors de la procédure orale devant la juridiction de référé, leurs moyens et arguments, de sorte qu’en n’ayant tenu compte que des développements des parties exposés lors de l’audience des plaidoiries, les juges d’appel n’ont pas violé les règles du procès équitable.
Il en suit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l'article 933, paragraphe premier, du Nouveau Code de procédure civile, en ce que, première branche, la Cour d'appel de et à Luxembourg, septième chambre, a déclaré , aux motifs qu', que et que , alors qu'il résulte d'une jurisprudence constante que la juridiction siégeant en matière de référés n'a pas compétence pour instituer des mesures irréversibles, telle que la nullité d'une saisie ;
en ce que, deuxième branche, la Cour d'appel de et à Luxembourg, septième chambre, a déclaré irrecevable et a ordonné aux motifs que , alors qu'il résulte d'une jurisprudence constante que la juridiction siégeant en matière de référés ne peut causer préjudice au principal. ».
Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen L’article 933, alinéa 1, première phrase, du Nouveau code de procédure civile dispose :
« Le président, ou le juge qui le remplace, peut toujours prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. ».
Le juge des référés a le pouvoir de constater qu’un acte est anéanti, lorsque cet anéantissement est acquis et n’implique aucune appréciation.
En déclarant nulle la saisie-arrêt dirigée contre la banque U) et la banque J) suite au constat du non-respect des formalités prévues aux articles 699 et 701 du Nouveau code de procédure civile, conditionnant la régularité de la saisie-arrêt, les juges d’appel n’ont pas violé la disposition visée au moyen.
Il en suit que le moyen, pris en sa première branche, n’est pas fondé.
Sur la seconde branche du moyen Le juge des référés est, à tout stade de la procédure de saisie-arrêt, compétent pour faire cesser un trouble manifestement illicite et il ne préjuge pas le fond du litige en exerçant cette compétence. En se déclarant compétents pour constater et faire cesser le trouble manifestement illicite et en ordonnant la mainlevée de la saisie-arrêt, les juges d’appel n’ont ni outrepassé les pouvoirs dévolus au juge des référés en matière de référé-sauvegarde, ni préjugé le fond du litige.
Il en suit que le moyen, pris en sa seconde branche, n’est pas fondé.
Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de la loi, in specie de la mauvaise application des dispositions de l'article 111, paragraphe 5, de la Loi du 10 novembre 2009 relative aux services de paiement, à l'activité d'établissement de monnaie électronique et au caractère définitif de règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres, telle que modifiée, en ce que la Cour d'appel de et à Luxembourg, septième chambre, a jugé que , aux motifs que et que , alors que les travaux préparatoires de la Loi du 10 novembre 2009 relative aux services de paiement, à l'activité d'établissement de monnaie électronique et au caractère définitif de règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres, telle que modifiée, ainsi que le droit de l'Union européenne, sur lequel est fondée la prédite loi, démontrent que l'insaisissabilité des comptes de règlement n'est pas absolue et que certains comptes détenus par un opérateur central de titres ne sont soumis à aucune insaisissabilité. ».
Réponse de la Cour Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, chaque moyen ou chaque branche doit préciser, sous peine d’irrecevabilité, la partie critiquée de la décision et ce en quoi celle-ci encourt le reproche allégué.
Le moyen ne précise pas en quoi les travaux préparatoires de la loi modifiée du 10 novembre 2009 relative aux services de paiement, à l'activité d'établissement de monnaie électronique et au caractère définitif de règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres (ci-après « la loi de 2009 ») et le droit de l’Union européenne démontreraient que l'insaisissabilité des comptes de règlement n'est pas absolue et en quoi les juges d’appel auraient violé la disposition visée au moyen.
Il en suit que le moyen est irrecevable.
Dans la discussion du moyen, les demandeurs en cassation formulent un second grief, tiré de ce que les comptes saisis ne relèvent pas de ceux qui sont susceptibles d’être frappés d’insaisissabilité sur base du droit de l’Union européenne et ils proposent, à cet égard, deux questions préjudicielles à soumettre à la Cour de justice de l’Union européenne.
Si l’énoncé du moyen peut être complété par des développements en droit, ces développements ne peuvent toutefois servir à introduire un nouveau cas d’ouverture à cassation.
Il en suit qu’il n’y a pas lieu à renvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne des questions préjudicielles proposées par les demandeurs en cassation dans la discussion du moyen.
Sur le quatrième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de la loi, in specie de la mauvaise application des dispositions de l'article 107, paragraphe 14, de la Loi modifiée du 10 novembre 2009 relative aux services de paiement, à l'activité d'établissement de monnaie électronique et au caractère définitif de règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres, telle que modifiée, en ce que la Cour d'appel de et à Luxembourg, septième chambre, a jugé que et que , aux motifs que , alors que la définition légale du compte de règlement fixe trois conditions afin qu'un compte puisse être considéré comme un compte de règlement et qu'il découle inévitablement de cette définition légale du compte de règlement qu'un compte doit être ou afin de pouvoir être considéré comme un compte de règlement au sens de la Loi modifiée du 10 novembre 2009 relative aux services de paiement, à l'activité d'établissement de monnaie électronique et au caractère définitif de règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres, telle que modifiée. ».
Réponse de la Cour L’article 111, paragraphe 5, de la loi de 2009 dispose :
« Tout compte de règlements auprès d’un opérateur de système ou d’un organe de règlement, de même que tout transfert, via un établissement de crédit de droit luxembourgeois ou étranger, à porter à un tel compte de règlement, ne peut être saisi, mis sous séquestre ou bloqué d’une manière quelconque par un participant (autre que l’opérateur du système ou l’organe de règlement), une contrepartie ou un tiers ».
L’article 107, paragraphe 14, de la loi de 2009 dispose :
« "compte de règlement" : un compte auprès d’une banque centrale, d’un organe de règlement ou d’une contrepartie centrale utilisé pour "le dépôt de fonds ou de titres" ainsi que pour le règlement de transactions entre participants d’un système. ».
L’article 107, paragraphe 1, de la loi de 2009 dispose :
« "système" : un accord formel régi :
- par le droit luxembourgeois, désigné par la Banque centrale du Luxembourg en tant que système de paiement ou système de règlement des opérations sur titres et notifié par les soins du Ministre ayant dans ses attributions la place financière à l’Autorité européenne des marchés financiers, - par le droit d’un autre Etat membre, désigné en tant que système et notifié par un Etat membre, avant l’entrée en vigueur de la directive 2010/78/UE, à la Commission européenne et, à partir de l’entrée en vigueur de la directive 2010/78/UE, à l’Autorité européenne des marchés financiers.
Sont en outre réputés constituer des systèmes les systèmes de paiement et les systèmes de règlement des opérations sur titres que la Banque centrale du Luxembourg a notifiés, avant l’entrée en vigueur de la présente loi, à la Commission européenne conformément à l’article 34-3 de la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier. ».
Le moyen fait grief aux juges d’appel d’avoir donné une définition inexacte du compte de règlement en retenant qu’un tel compte ne doit remplir que deux conditions, alors que la définition du compte de règlement au sens de l’article 107, paragraphe 14, de la loi de 2009 comporterait trois conditions en ce qu’il devrait s’agir d’un compte auprès d’une banque centrale, d’un organe de règlement ou d’une contrepartie centrale, que ce compte devrait être utilisé pour le dépôt de fonds ou de titres et qu’il devrait être cumulativement utilisé pour le règlement de transactions entre participants d’un système.
Le moyen procède d’une lecture erronée de l’arrêt. En retenant que « L’interdiction de saisie s’applique à la double condition que le compte soit tenu auprès d’un opérateur de système ou d’un organe de règlement, et que le compte soit un compte de règlement », après avoir dit que « (…) l’article 107, (14) de la loi de 2009 définit le compte de règlement comme étant "un compte auprès d’une banque centrale, d’un organe de règlement ou d’une contrepartie centrale utilisé pour le dépôt de fonds ou de titres ainsi que pour le règlement de transactions entre participants d’un système". Cette définition ne contient pas l’exigence, contrairement à l’affirmation des parties saisissantes, que le compte ne puisse être un compte de règlement que s’il est "dans le système " ou " en système " », les juges d’appel se sont limités à constater que la définition du compte de règlement prévue à l’article 107, paragraphe 14 de la loi de 2009 ne fait pas formellement référence à l’exigence que le compte, pour valoir compte de règlement, doit se trouver en système ou dans le système et à énumérer les conditions de la règle d’insaisissabilité de l’article 111, paragraphe 5, de la loi de 2009 et ils ne se sont pas prononcés sur la question de savoir si ledit compte, pour valoir compte de règlement, devait alternativement ou cumulativement remplir les deux dernières conditions visées par l’article 107, paragraphe 14, de la loi de 2009.
Il en suit que le moyen manque en fait.
Dans la discussion du moyen les demandeurs en cassation formulent un second grief tiré de la violation du droit de l’Union européenne par la loi de 2009 et ils proposent, à cet égard, une question préjudicielle à soumettre à la Cour de justice de l’Union européenne.
Si l’énoncé du moyen peut être complété par des développements en droit, ces développements ne peuvent toutefois servir à introduire un nouveau cas d’ouverture à cassation.
Il en suit qu’il n’y a pas lieu à renvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne de la question préjudicielle proposée par les demandeurs en cassation dans la discussion du moyen.
Sur le cinquième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation du droit de l'Union européenne, in specie de la mauvaise application des dispositions de l'article 54 du Règlement (UE) n° 909/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 concernant l'amélioration du règlement de titres dans l'Union européenne et les dépositaires centraux de titres, et modifiant les directives 98/26/CE et 2014/65/UE ainsi que le règlement (UE) n° 236/2012 en ce que la Cour d'appel de et à Luxembourg, septième chambre, a jugé que , aux motifs qu', que et que , alors que le droit de l'Union européenne, y compris le Règlement (UE) n° 909/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 concernant l'amélioration du règlement de titres dans l'Union européenne et les dépositaires centraux de titres, et modifiant les directives 98/26/CE et 2014/65/UE ainsi que le règlement (UE) n° 236/2012 autorise les dépositaires centraux de titres à exercer des activités bancaires classiques pour les besoins de l'application des articles 107, paragraphe 14, et 111, paragraphe 5, de la Loi modifiée du 10 novembre 2009, pour lesquelles CB) dispose d'ailleurs d'un agrément. ».
Réponse de la Cour La possibilité donnée aux opérateurs de système ou organes de règlement d’exercer, sur base de la disposition visée au moyen, une activité bancaire classique et, en conséquence, de tenir des comptes autres que des comptes de règlement, tel qu’allégué par les demandeurs en cassation, ne dispense pas ces derniers d’établir, en tant que contestation sérieuse quant au caractère manifestement illicite du trouble, que les comptes saisis relèvent d’une telle activité bancaire classique, preuve non rapportée selon les juges d’appel.
Il en suit que le moyen est inopérant.
Dans la discussion du moyen les demandeurs en cassation proposent une question préjudicielle à soumettre à la Cour de justice de l’Union européenne en rapport avec la disposition visée au moyen.
Au regard de la réponse donnée au moyen il n’y a pas lieu à renvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne de la question préjudicielle proposée par les demandeurs en cassation dans la discussion du moyen.
Sur le sixième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l'article 89 de la Constitution pour contradiction de motifs valant absence de motifs, en ce que la Cour d'appel de et à Luxembourg, septième chambre, a jugé qu' et que , aux motifs que et que , et , alors que la Cour d'appel avait constaté auparavant que suite à la cassation partielle intervenue, seule la BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE A) pouvait arguer de l'illicéité de la saisie-arrêt, la Cour précisant que , de sorte que la Cour d'appel ne pouvait plus juger l'affaire par rapport au trouble illicite invoqué - également - par CB). ».
Réponse de la Cour En retenant, d’une part, que la décision d’irrecevabilité de l’appel incident de la société CB), prononcée par la Cour d’appel dans l’arrêt du 10 janvier 2018, était passée en force de chose jugée et en répondant, d’autre part, aux moyens initialement soutenus par la société CB) dans le cadre dudit appel incident et repris pour son compte par la BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE A), tirés de l’illégalité de la saisie-arrêt en ce qu’elle vise des entités tierces au litige ayant abouti aux jugements américains, ainsi qu’aux moyens de la BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE A) tirés de l’illégalité de la saisie-arrêt en ce qu’elle vise des comptes de règlement insaisissables par nature, les juges d’appel ne se sont pas contredits.
Il en suit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le septième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de la loi, in specie de la mauvaise application des dispositions de l'article 58 du Nouveau Code de procédure civile sur le titulaire de la charge de la preuve, en ce que la Cour d'appel de et à Luxembourg, septième chambre, a jugé qu' et que , aux motifs que et que , alors que la partie défenderesse en cassation sub 1), avait l'obligation légale de prouver les faits qu'elles a invoqués afin de soutenir ses prétentions, ce qui vaut notamment pour celles relatives à la nature des comptes saisis, et alors que les parties demanderesses en cassation ne pouvaient se voir imposer de prouver que les comptes saisis étaient des comptes de règlement, au vu du fait c'est au demandeur à une action d'apporter les preuves sous-tendant celles-ci, sans que une juridiction puisse se baser sur de simples affirmations apportées par une partie non admise à titre d'appelant, de sorte que la charge de la preuve a été inversée. ».
Réponse de la Cour Dans le cadre du référé-sauvegarde, il appartient au demandeur d’établir l’existence d’un trouble manifestement illicite et au défendeur de prouver l’existence de contestations sérieuses de nature à contredire l’existence du trouble ou son caractère manifestement illicite.
En retenant, d’une part, que la BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE A) avait établi que la saisie-arrêt pratiquée constituait un trouble manifestement illicite en ce qu’elle portait sur des comptes de règlement et, d’autre part, que les arguments des demandeurs en cassation aux fins d’établir que les comptes saisis n’étaient pas des comptes de règlement étaient sans pertinence et ne constituaient pas une contestation sérieuse, les juges d’appel n’ont pas inversé la charge de la preuve.
Il en suit que le moyen n’est pas fondé.
Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge des défendeurs en cassation sub 1 à 15 l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de leur allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :
rejette le pourvoi ;
condamne les demandeurs en cassation à payer aux défendeurs en cassation sub 1 à 15 une indemnité de procédure de 2.500 euros ;
les condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de la société en commandite simple BONN STEICHEN & PARTNERS, sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Roger LINDEN, en présence du procureur général d’Etat adjoint John PETRY et du greffier Daniel SCHROEDER.
PARQUET GENERAL Luxembourg, 30 novembre 2020 DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG
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Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation Parents et/ou héritiers des victimes décédées lors des attentats du 11 septembre 2001 c/ BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE A), Compagnie nationale I), société anonyme CB) e.a.
(affaire n° CAS-2020-00068 du registre) Le pourvoi des parties demanderesses en cassation, par dépôt au greffe de la Cour en date du 15 juin 2020, d’un mémoire en cassation, signifié le 29 mai 2020 aux défendeurs en cassation, est dirigé contre un arrêt n° 49/20 rendu contradictoirement en date du 1er avril 2020 sous le numéro 44814 du rôle par la Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière de référé.
Sur la recevabilité du pourvoi Le pourvoi est recevable en ce qui concerne le délai1.
Les demandeurs en cassation ont déposé un mémoire signé par un avocat à la Cour signifié aux parties adverses au dépôt du pourvoi, de sorte que ces formalités imposées par l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, ont été respectées.
Le pourvoi est dirigé contre une décision contradictoire, donc non susceptible d’opposition, rendue en dernier ressort qui tranche tout le principal, de sorte qu’il est également recevable au regard des articles 1er et 3 de la loi de 1885.
Il est, partant, recevable.
Sur les faits 1 Il ne résulte pas des pièces auxquelles vous pouvez avoir égard que l’arrêt attaqué ait été signifié aux demandeurs en cassation, de sorte que le délai de recours, prévu par l’article 7, alinéas 1 et 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation ensemble avec l’article 167 Nouveau Code de procédure civile, a été respecté.
Selon l’arrêt attaqué, saisie par la BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE A) (ci-après « la BANQUE CENTRALE ») d’une demande en référé dirigée contre cent-deux personnes agissant en leur nom personnel à titre de PARENTS ET/OU HÉRITIERS DE VICTIMES DÉCÉDÉES LORS DES ATTENTATS DU 11 SEPTEMBRE 2001 AUX ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE et cinquante personnes agissant en tant que REPRÉSENTANTS ET/OU HÉRITIERS DE SUCCESSIONS VACANTES DE VICTIMES DÉCDÉES LORS DES PRÉDITS ATTENTATS, en présence de la société anonyme CB) (ci-après « CB) »), aux fins de voir, principalement sur base de l’article 933, alinéa 1, du Nouveau Code de procédure civile et subsidiairement sur base de l’article 932, alinéa 1, du même Code, constater l’illégalité d’une saisie-arrêt opérée par les défendeurs au détriment de la demanderesse auprès de la société précitée pour avoir sûreté et paiement d’un montant de 2.384.006.038.- euros qui serait dû sur base de quatre jugements rendus par des juridictions des États-Unis d’Amérique ayant condamné la demanderesse, ainsi que quatorze autres personnes physiques ou morales A), au paiement aux défendeurs d’un montant de 6.613.782.530,78.- euros en réparation du préjudice subi par suite des attentats terroristes perpétrés le 11 septembre 2001 aux États-Unis d’Amérique et de voir ordonner la mainlevée de la saisie, le magistrat remplaçant le président du tribunal d’arrondissement de Luxembourg se déclarait compétent pour connaître de la demande, mais rejetait celle-ci pour être irrecevable. Sur appel de la demanderesse, la Cour d’appel confirma l’ordonnance entreprise. Sur pourvoi en cassation de la demanderesse, la Cour de cassation cassa l’arrêt d’appel. Sur renvoi après cassation, la Cour d’appel déclara, par réformation, la saisie-arrêt en partie nulle et en partie irrecevable et en ordonna la mainlevée.
Sur le premier moyen de cassation Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en ce que la Cour d’appel a décidé que « Comme la procédure en matière de référé est orale, et afin de respecter le principe du contradictoire, la Cour ne prend position que par rapport aux développements des parties exposés à l’audience publique du 5 février 2020 »2, refusant d’admettre la lecture et la prise en considération des notes de plaidoiries échangées entre parties avant l’audience alors que ce refus a violé le droit des demandeurs en cassation de voir leur cause entendue équitablement.
Il résulte de l’arrêt attaqué que les demandeurs en cassation ont versé en instance d’appel une note de plaidoiries :
« [Les parties saisissantes] versent ensuite en cause une note de plaidoirie de 55 pages.
Elles demandent à l’audience à la Cour à titre principal de se déclarer incompétente pour connaître de la demande en mainlevée, sinon de la déclarer irrecevable, sinon mal fondée et partant de confirmer l’ordonnance entreprise du 22 mars 2017. A titre subsidiaire, elles demandent à voir déclarer l’acte d’appel, sinon la demande adverse, irrecevables sinon non fondés pour violation de l’adage « fraus omnia corrumpit ». »3.
Celle-ci n’a pas été prise en considération par la Cour d’appel aux motifs suivants :
2 Arrêt attaqué, page 16, avant-dernier alinéa.
3 Idem, page 16, troisième alinéa (c’est nous qui soulignons).
« Comme la procédure en matière de référé est orale, et afin de respecter le principe du contradictoire, la Cour ne prend position que par rapport aux développements des parties exposés à l’audience publique du 5 février 2020. »4.
Les demandeurs en cassation critiquent que ce refus de prise en considération constituerait une violation du principe du procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Dans votre arrêt n° 18/15, numéro 3424 du registre, du 12 mars 2015 vous avez eu à trancher un moyen similaire. Il était reproché à la Cour d’appel d’avoir, dans le cadre d’un appel en matière de référé, limité les débats à une durée jugée, par la demanderesse en cassation, dérisoire au regard de l’enjeu et de la complexité du litige et d’avoir interdit la production d’une note de plaidoiries. Vous avez rejeté le moyen, tiré de la violation des règles du procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention précitée, aux motifs suivants :
« Mais attendu que les juges du fond ont pu, sur base de leur pouvoir souverain d’appréciation et en application de l’article 52 du Nouveau Code de procédure civile leur accordant la police d’audience, limiter les débats dans le cadre d’une procédure de référé, qui est une procédure orale ; que le litige ayant été tranché conformément à la loi, non contraire à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il ne saurait être reproché au juge du fond d’avoir violé les règles du procès équitable »5.
Cette solution vaut à plus forte raison dans un cas comme celui de l’espèce, dans lequel il n’est pas reproché aux juges des référés d’avoir limité le temps des débats et dans lequel il n’est pas soutenu que les demandeurs en cassation aient été empêchés de faire valoir un moyen d’appel ou un développement déterminé qui auraient été indispensables au soutien de leurs moyens.
Il en suit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le deuxième moyen de cassation Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 933, alinéa 1, première phrase, du Nouveau Code de procédure civile, en ce que la Cour d’appel a déclaré, d’une part, « nulle la saisie-arrêt pratiquée le 14 janvier 2016 pour défaut de dénonciation à l’égard de la banque italienne U) et de la banque américaine J) »6 aux motifs que « Il est exact qu’aux termes de l’acte de dénonciation du 21 janvier 2016, valant assignation en validité, ce dernier n’a été signifié qu’à la BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE A) [de sorte que] La saisie n’a dès lors pas été dénoncée, tel que requis par l’article 699 du NCPC, dans un délai de huitaine à tous les débiteurs saisis [et que] L’omission de dénoncer la saisie dans le délai requis à l’un des débiteurs saisis est sanctionnée par la nullité de la saisie»7 et, d’autre part, « irrecevable la saisie-arrêt pratiquée le 14 janvier 2016 […] entre les mains de la société anonyme CB) S.A. »8 aux motifs que « les parties saisissantes restent en défaut de rapporter en cause l’existence 4 Idem, page 16, avant-dernier alinéa.
5 Cour de cassation, 12 mars 2015, n° 18/15, numéro 3424 du registre (réponse au deuxième moyen).
6 Arrêt attaqué, page 27, troisième alinéa.
7 Idem, page 18, dernier alinéa, et page 19 deuxième alinéa.
8 Idem, page 27, quatrième alinéa.
d’une contestation sérieuse par rapport au trouble illicite invoqué par la BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE A) et par CB), à défaut de preuve que les comptes saisis ne seraient pas visés par l’interdiction d’ordre public résultant de la disposition de l’article 111 (5) de la loi modifiée du 10 novembre 2009 relative aux services de paiement et à défaut de preuve de la fraude invoquée »9, alors que, première branche, s’agissant de la décision d’annuler la saisie-
arrêt pratiquée le 14 janvier 2016 pour défaut de dénonciation à l’égard de la banque italienne U) et de la banque américaine J), le juge des référés n’a pas compétence pour instituer des mesures irréversibles, telle que la nullité d’une saisie et que, seconde branche, s’agissant de la décision d’ordonner la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée le 14 janvier 2016 entre les mains de CB), le juge des référés ne peut causer préjudice au principal.
Le deuxième moyen est subdivisé en deux branches qui attaquent, au regard d’une violation de l’article 933 du Nouveau Code de procédure civile, deux chefs différents de l’arrêt, à savoir, d’une part, la décision de la Cour d’appel de déclarer nulle, pour défaut de dénonciation aux débiteurs saisis, et d’ordonner la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée par les demandeurs en cassation entre les mains de CB) sur les comptes de la banque italienne U) et de la banque du droit des Etats-Unis d’Amérique J) tenus au profit de certaines personnes physiques ou morales A) et, d’autre part, celle de déclarer irrecevable et d’ordonner la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée par les demandeurs en cassation entre les mains de la société CB) sur les avoir que celle-ci redevrait directement à ces personnes ou détiendrait à leur profit.
Sur la première branche du moyen Les demandeurs en cassation avaient fait pratiquer en date du 14 janvier 2016 saisie-arrêt entre les mains de CB) sur tout avoir que celle-ci redoit à différentes personnes physiques ou morales A) ou qu’elle détient pour celles-ci de façon directe ou de façon indirecte par l’intermédiaire d’une banque italienne, U), et d’une banque relevant du droit des Etats-Unis d’Amérique, J)10, pour avoir paiement de sommes redues à titre de dommages et intérêts par ces personnes aux demandeurs en cassation, familles des victimes des attentats terroristes perpétrés le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis d’Amérique, en indemnisation du préjudice causé par ces attentats, sur base de quatre jugements rendus par des juridictions de ce pays11.
L’une des personnes A), à savoir la BANQUE CENTRALE, saisissait le juge des référés sur base notamment de l’article de l’article 933, alinéa 1, première phrase, du Nouveau Code de procédure civile pour voir constater l’illégalité de cette saisie-arrêt12. Elle fit valoir en instance d’appel la nullité de cette saisie sur base des articles 699 et 701 du Nouveau Code de procédure civile au motif que celle-ci n’avait pas été dénoncée aux deux banques débitrices13.
L’article 699 de ce Code dispose que « dans les huit jours de la saisie-arrêt, le saisissant sera tenu de la dénoncer au débiteur saisi et de l’assigner en validité » tandis que l’article 701 de ce Code dispose que « faute de demande en validité, la saisie […] sera nulle […] ».
La Cour d’appel constata que :
9 Idem, page 25, antépénultième alinéa.
10 Idem, page 11, dernier alinéa.
11 Idem, page 12, deuxième alinéa.
12 Idem, même page, troisième alinéa.
13 Idem, page 18, avant-dernier alinéa.
« Il est exact qu’aux termes de l’acte de dénonciation du 21 janvier 2016, valant assignation en validité, ce dernier n’a été signifié qu’à la BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE A). La saisie n’a dès lors pas été dénoncée, tel que requis par l’article 699 du NCPC, dans un délai de huitaine à tous les débiteurs saisis.
L’omission de dénoncer la saisie dans le délai requis à l’un des débiteurs saisis est sanctionnée par la nullité de la saisie. Il en résulte en l’espèce que la saisie pratiquée le 14 janvier 2016 est nulle pour autant qu’elle est dirigée contre la banque italienne U) et la banque américaine J). »14.
Elle déclara par suite :
« nulle la saisie-arrêt pratiquée le 14 janvier 2016 pour défaut de dénonciation à l’égard de la banque italienne U) et de la banque américaine J) »15 et ordonna « la main-levée de la saisie-arrêt pratiquée le 14 janvier 2016 entre les mains de la société anonyme CB) S.A. »16.
Les demandeurs en cassation critiquent cette décision au motif que l’article 933, alinéa 1, première phrase, du Nouveau Code de procédure civile ne confère pas au juge des référés compétence pour décider une mesure irréversible, telle que la nullité d’une saisie.
L’article 933, alinéa 1, première phrase, précité dispose que :
« Le président, ou le juge qui le remplace, peut toujours prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».
Le juge des référés, même en présence d’un acte juridique manifestement entaché de nullité, donc de ce point de vue manifestement illicite, n’a pas le pouvoir d’en prononcer l’annulation17.
Il a, en revanche, le pouvoir de constater qu’un acte est anéanti, lorsque cet anéantissement est acquis et n’implique aucune appréciation18.
Le défaut de dénonciation dans le délai de huit jours prévu par l’article 699 du Nouveau Code de procédure civile, et, partant, de demande en validité, de la saisie-arrêt à l’égard du débiteur saisi19, rend la saisie-arrêt nulle, ainsi qu’il est prévu par l’article 701 du même Code. Cette nullité est une conséquence légale nécessaire du non-respect de ces formalités (« la saisie […] sera nulle […] »). Elle ne suppose donc aucune appréciation du juge, dont le rôle se limite à constater l’existence des prémisses légales dont elle découle nécessairement.
La Cour d’appel, qui s’est limitée à constater la nullité de la saisie-arrêt, qui était acquise et n’impliquait aucune appréciation, a respecté les pouvoirs que la loi lui confère au titre de l’article 933, alinéa 1, première phrase, du Nouveau Code de procédure civile.
14 Idem, même page, dernier alinéa, à page 19, deuxième alinéa.
15 Idem, page 27, troisième alinéa.
16 Idem, même page, dernier alinéa.
17 Répertoire Dalloz Procédure civile, V° Référé civil, par Nicolas CAYROL, mars 2018, n° 330 ; Jacques NORMAND, Le juge des référés a-t-il le pouvoir de prononcer l’annulation des actes qu’il tient pour manifestement illicites ?, Revue trimestriel de droit civil, 1982, page 192.
18 Répertoire Dalloz, précité, loc.cit.
19 Sur les rapports entre la dénonciation de la saisie-arrêt et de la demande en validité de celle-ci voir : Thierry HOSCHEIT, La saisie-arrêt de droit commun, Pasicrisie 29, Doctrine, pages 41 et suivantes, voir page 54, sous 2.
Cette constatation, d’ordre formel, de la nullité de la saisie par suite du non-respect des formalités de l’article 699 du Code précité est par ailleurs étrangère à toute décision relative à la propriété des fonds déposés sur les comptes saisis.
Il en suit que la première branche du moyen n’est pas fondée.
Sur la seconde branche du moyen La Cour d’appel fit droit à la demande de mainlevée de la saisie-arrêt en constatant que « au vu du libellé clair et précis de l’article 111 (5) de la loi modifiée du 10 novembre 2009 relative aux services de paiement, toute saisie pratiquée entre les mains de CB) constitue […] un trouble manifestement illicite au sens de l’article 933 alinéa premier du NCPC que le juge des référés est appelé à faire cesser [de sorte que] la demande de la BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE A) est à déclarer recevable et fondée sur base de l’article 933 alinéa premier du NCPC, de sorte que l’ordonnance entreprise est à réformer »20.
Elle fondit cette conclusion sur le fait :
- que l’article 111, paragraphe 5, de la loi du 10 novembre 2009 relative aux services de paiement, à l’activité d’établissement de monnaie électronique et au caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et les systèmes de règlement des opérations sur titre (ci-après « la loi de 2009 »)21 précitée interdit la saisie des comptes de règlement des opérateurs de système et organes de règlement22, - que CB) est un opérateur de système et un organe de règlement au sens de cet article23, - qu’un opérateur de système et un organe de règlement ne peut légalement tenir que des comptes de règlement24 et - que les parties demanderesses en cassation sont restées en défaut de rapporter la preuve que les comptes visés par la saisie-arrêt ne constituent pas des comptes de règlement, donc n’ont pas réussi à établir l’existence d’une contestation sérieuse par rapport au trouble illicite allégué, de la saisie, interdite par la loi, d’un compte de règlement d’un opérateur de système et d’un organe de règlement25.
Cette conclusion tirée de ce que les comptes saisis ne constituent pas des comptes de règlement, que les demandeurs en cassation n’ont pas réussi à remettre en cause par une contestation sérieuse, repose à son tour sur le rejet de trois arguments invoqués par ces derniers :
20 Arrêt attaqué, page 25, dernier alinéa, à page 26, deuxième alinéa.
21 Une version coordonnée à jour de cette loi est publiée sur le site internet de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) : https://www.cssf.lu/wp-content/uploads/L_101109_sp_upd_080419.pdf (consulté le 25 novembre 2020).
22 Arrêt attaqué, page 22, premier alinéa.
23 Idem, même page, troisième au cinquième alinéa.
24 Idem, page 23, sixième alinéa.
25 Idem, page 25, deuxième et cinquième alinéa.
- le défaut de pertinence de l’argument tiré de ce que CB) a le statut d’une banque, ce fait n’étant pas de nature à établir qu’elle tient des comptes autres que des comptes de règlement, le droit de l’Union européenne imposant aux dépositaires centraux de titres, dont CB), qui, dans le cadre de cette activité, tiennent des comptes-espèces pour leurs participants, de disposer d’une licence bancaire, tout en leur interdisant d’exercer toute autre activité, donc de tenir des comptes autres que des comptes de règlement26, - le défaut de pertinence de l’argument tiré de ce que les comptes saisis ne sauraient constituer des comptes de règlement parce qu’ils font l’objet d’un gel sur base d’un règlement de l’Union européenne, ce gel ayant été levé en 2015, donc avant la saisie, pratiquée en janvier 201627, - le défaut de pertinence de l’argument tiré de ce que le compte n° 13675, dit « sundry blocked account », parce qu’il fait l’objet d’une mesure de blocage interne n’est pas entré dans le système et ne peut dès lors constituer un compte de règlement, les demandeurs en cassation n’ayant pas réussi à établir que cette mesure de blocage interne est de nature à altérer la nature juridique du compte et que la qualification de compte de règlement ne suppose pas, au regard de l’article 107, paragraphe 14, de la loi de 2009, qu’il se trouve nécessairement « dans le système » ou « en système »28.
Dans la seconde branche, les demandeurs en cassation critiquent la Cour d’appel d’avoir par ces motifs préjugé le fond du litige, alors que le juge des référés serait incompétent pour ordonner la mainlevée d’une saisie-arrêt lorsque le juge du fond a été saisi, comme en l’espèce, de l’action en validation29. Ils admettent cependant que le juge des référés est compétent à tout stade de la procédure de saisie-arrêt lorsqu’il s’agit de faire cesser un trouble manifestement illicite30. Ils soutiennent cependant, dans le développement de leur moyen, que le juge des référés n’était pas, en l’espèce, saisi d’un trouble manifestement illicite, de sorte qu’il aurait dû se déclarer incompétent pour statuer31.
La Cour d’appel a rappelé, point non contesté par les demandeurs en cassation et ne constituant que l’application de la loi, qui a, dans l’article 933, alinéa 1, première phrase, du Nouveau Code de procédure civile, confié au juge des référés compétence pour « toujours prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent […] pour faire cesser un trouble manifestement illicite », que « le juge des référés est compétent à tout stade de la procédure de saisie-arrêt, même quand l’instance en validation est pendante, dès lors qu’il s’agit de faire cesser un trouble manifestement illicite ou une voie de fait résultant de la procédure de saisie-
arrêt »32.
Vous avez récemment décidé que le juge des référés n’outrepasse pas ses pouvoirs et compétences et ne tranche pas le fond du litige lorsqu’il retient qu’une saisie-arrêt revêt le 26 Idem, page 23, premier au sixième alinéa.
27 Idem, page 23, avant-dernier alinéa, à page 24, avant-dernier alinéa.
28 Idem, page 24, dernier alinéa, à page 25, deuxième alinéa.
29 Mémoire en cassation, page 26, troisième alinéa (développement de la seconde branche du deuxième moyen).
30 Idem, même page, deuxième alinéa, citant Thierry HOSCHEIT, précité, page 73.
31 Idem, pages 27 Ã 30.
32 Arrêt attaqué, page 18, deuxième alinéa, citant un arrêt de la Cour d’appel du 8 février 2006 publié à la Pasicrisie 33, page 134.
caractère d’un trouble manifestement illicite parce qu’il constate que la partie saisissante ne peut plus se prévaloir d’un titre ayant force exécutoire33. Vous confirmez ainsi que le juge des référés n’empiète pas sur les attributions du juge du fond en mettant fin à des troubles manifestement illicites trouvant leur source, non dans la procédure de saisie-arrêt, mais dans le fond du litige.
La Cour d’appel a, en l’espèce, constaté par les motifs résumés ci-avant l’existence d’un trouble manifestement illicite.
Le grief exposé dans l’énoncé du moyen est tiré de ce que la décision de la Cour d’appel de donner mainlevée de la saisie-arrêt préjuge le fond. Ainsi qu’il a été vu ci-avant, le juge des référés est à tout stade de la procédure de saisie-arrêt compétent pour faire cesser un trouble manifestement illicite, partant, ne préjuge pas le fond du litige en exerçant cette compétence, prévue par l’article 933, alinéa 1, première phrase, du Nouveau Code de procédure civile. Le grief n’est dès lors pas fondé.
Dans le développement du moyen, les demandeurs en cassation, tout en admettant que le juge des référés est compétent pour faire cesser un trouble manifestement illicite relatif à une saisie-
arrêt, donc ne préjuge pas le fond en adoptant une telle décision, critiquent la Cour d’appel d’avoir, dans les circonstances de l’espèce, retenu l’existence d’un trouble manifestement illicite.
Ce grief, tiré de la qualification des faits de l’espèce comme trouble manifestement illicite, est différent de celui exposé dans l’énoncé du moyen, tiré de ce que la Cour d’appel a préjugé le fond du litige en se déclarant compétente pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Si l’énoncé du moyen peut être complété par des développements en droit, ces développements ne peuvent toutefois servir à introduire un nouveau cas d’ouverture à cassation, que vous refusez de prendre en considération34.
Il en suit que la seconde branche du moyen, pour autant qu’elle peut être prise en considération, n’est pas fondée.
Sur le troisième moyen de cassation Le troisième moyen est tiré de la violation de l’article 111, paragraphe 5, de la loi du 10 novembre 2009 relative aux services de paiement, en ce que la Cour d’appel a décidé que « Au vu du libellé clair et précis de l’article 111 (5) de la loi modifiée du 10 novembre 2009 relative aux services de paiement, toute saisie pratiquée entre les mains de CB) constitue donc un trouble manifestement illicite au sens de l’article 933 alinéa premier du NCPC que le juge des référés est appelé à faire cesser »35, que « telle que formulée par la loi, cette insaisissabilité est d’un caractère absolu et général, aucune exception n’étant prévue (Cour d’appel 10 juillet 33 Cour de cassation, 21 novembre 2019, n° 157/2018, numéros CAS-2018-00113 et CAS-2019-00033 du registre (réponse au premier moyen).
34 Cour de cassation, 26 mai 2016, n° 52/16, numéro 3648 du registre (réponse à l’unique moyen de cassation) ;
idem, 14 décembre 2017, n° 91/2017, numéro 3892 du registre (deuxième branche du moyen unique).
35 Arrêt attaqué, page 25, dernier alinéa.
2019 n°CAL-2019-00207 ; Cour d’appel 21 novembre 2018 n°CAL2018-00296) »36 et que « Les termes de la loi de 2009 étant clairs et précis, il n’y a pas lieu à interprétation de celle-
ci »37, alors que au regard des travaux préparatoires de la loi de 2009 et du droit de l’Union européenne sur lequel elle est fondée l’insaisissabilité des comptes de règlement n’est pas absolue et que certains comptes détenus par un opérateur central de titres ou un organe de règlement ne sont soumis à aucune insaisissabilité.
L’article 111, paragraphe 5, de la loi de 2009 dispose que :
« Tout compte de règlements auprès d’un opérateur de système ou d’un organe de règlement, de même que tout transfert, via un établissement de crédit de droit luxembourgeois ou étranger, à porter à un tel compte de règlement, ne peut être saisi, mis sous séquestre ou bloqué d’une manière quelconque par un participant (autre que l’opérateur du système ou l’organe de règlement), une contrepartie ou un tiers ».
Il a été vu ci-avant, dans le cadre de la discussion du deuxième moyen, que la Cour d’appel a considéré que la saisie-arrêt pratiquée par les demandeurs en cassation entre les mains de la CB) était contraire à cet article parce qu’elle avait pour objet de saisir un compte de règlement auprès d’un opérateur de système et d’un organe de règlement.
Elle considéra à cette fin, la qualification de CB) comme opérateur de système et organe de règlement n’ayant pas été contestée, que les comptes visés par la saisie-arrêt étaient des comptes de règlement, qui, sur base de l’article 111, paragraphe 5, de la loi de 2009, ne peuvent faire l’objet d’une saisie de la part de tiers.
Cette conclusion reposa à son tour sur le constat que les demandeurs en cassation n’avaient pas réussi à élever une contestation sérieuse de nature à remettre en cause cette conclusion en invoquant trois arguments :
- celui tiré de ce que CB) a le statut d’une banque38, - celui tiré de ce que les comptes saisis ne sauraient constituer des comptes de règlement parce qu’ils font l’objet d’un gel sur base d’un règlement de l’Union européenne, de sorte qu’ils ne figureraient plus dans le système39 et - celui tiré de ce que plus particulièrement le compte saisi n° 13675, dit « sundry blocked account », du fait qu’il fait l’objet d’une mesure de blocage interne, porte sur des fonds qui n’ont jamais pu entrer dans le système40.
La Cour d’appel jugea ces arguments non pertinents pour les motifs rappelés ci-avant dans le cadre de la discussion du deuxième moyen.
Dans leur troisième moyen, à le considérer ensemble avec la discussion du moyen, les demandeurs en cassation remettent en cause que les comptes saisis, plus particulièrement le 36 Idem, page 21, dernier alinéa.
37 Idem, page 25, troisième alinéa.
38 Idem, page 22, quatrième au dernier alinéa.
39 Idem, page 23, dernier alinéa, à page 24, premier alinéa.
40 Idem, page 23, avant-dernier alinéa.
compte n° 13675, dit « sundry blocked account », sont visés par une insaisissabilité en raison de leurs caractéristiques, qui empêcheraient de les considérer comme des comptes de règlement au sens de l’article 111, paragraphe 5, de la loi de 2009 ou, à défaut, comme des comptes de règlement pouvant, au regard du droit de l’Union européenne, être légalement frappés d’une insaisissabilité. Dans le cadre de cette dernière position subsidiaire les demandeurs en cassation concèdent que le droit de l’Union européenne, avec lequel l’article 111, paragraphe 5, de la loi de 2009 se trouverait en conflit, est compatible avec une insaisissabilité de tels comptes dans certains cas, voire impose une telle insaisissabilité41, mais considèrent que celle-ci ne saurait viser que des saisies de comptes comportant un risque réel pour le bon fonctionnement du système géré par l’opérateur de service ou l’organe de règlement42. Ils n’exposent cependant pas davantage en quoi la saisie des comptes en cause en l’espèce ne serait pas de nature à comporter un tel risque43.
Dans la mesure où le moyen critique la qualification des comptes saisis comme comptes de règlement au sens de l’article 111, paragraphe 5, de la loi de 2009, il ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation par la Cour d’appel de la question de savoir si les demandeurs en cassation ont été en mesure d’élever contre cette qualification une contestation sérieuse, cette appréciation relevant du pouvoir souverain des juges du fond, de sorte que le moyen ne peut dans cette mesure pas être accueilli.
Dans la mesure où le moyen soutient que les comptes saisis ne relèvent pas de ceux qui sont susceptibles d’être frappés d’insaisissabilité sur base du droit de l’Union européenne, qui serait de ce point de vue moins exigeant que l’article 111, paragraphe 5, de la loi de 2009, qui méconnaîtrait à cet égard le droit de l’Union européenne, il est tiré d’une violation de ce droit.
Or, le moyen est tiré d’une violation du seul droit interne, donc de l’article 111, paragraphe 5, de la loi de 2009, à l’exclusion de celle du droit de l’Union européenne. Il en suit que le grief, d’une violation du droit de l’Union européenne, est étranger au cas d’ouverture du moyen, tiré d’une violation de l’article 111, paragraphe 5. Le moyen est dès lors, dans cette mesure, irrecevable.
Dans un ordre subsidiaire, ce grief, tiré d’une violation du droit de l’Union européenne, est nouveau et supposant l’appréciation du point de savoir si et dans quelle mesure les comptes saisis en l’espèce échappent à l’insaisissabilité imposée par le droit de l’Union européenne44 (dont le domaine serait moins étendu que celui de l’insaisissabilité imposée par le droit interne), il est mélangé de fait et de droit et, partant, irrecevable.
Cette conclusion n’est pas remise en cause par le caractère d’ordre public du droit de l’Union européenne. La prohibition des moyens nouveaux en instance de cassation s’applique aussi aux moyens d’ordre public. Elle est cependant appréciée d’une façon moins sévère à leur égard. Un 41 Voir, à titre d’illustration : Mémoire en cassation, page 33, avant-dernier alinéa.
42 Voir, à titre d’illustration : Idem, page 35, avant-dernier alinéa.
43 Dans la première partie du développement du moyen, les demandeurs en cassation exposent que le droit de l’Union européenne imposerait de limiter l’insaisissabilité des comptes des opérateurs de système et organes de règlement aux seules saisies susceptibles d’engendrer des risques réels pour le bon fonctionnement du système, sans toutefois appliquer ces principes au cas d’espèce. Dans la seconde partie du développement du moyen, ils font valoir que le paragraphe 5 de l’article 111 de la loi de 2009, lu dans le contexte des autres paragraphes de cet article est à interpréter comme excluant de la qualification de compte de règlement les comptes qui, du fait d’une mesure de blocage interne, ne se trouvent pas dans le système. Cette seconde partie du développement du moyen a donc exclusivement pour objet le droit interne, à l’exclusion du droit de l’Union européenne.
44 Question que les demandeurs en cassation n’abordent d’ailleurs pas dans leur moyen, y compris le développement de ce dernier.
moyen d’ordre public peut être soutenu pour la première fois devant la Cour de cassation s’il a été de pur droit et apparent en instance d’appel45. Un moyen d’ordre public est apparent par lui-
même lorsqu’il découle de la nature de l’action, de l’objet de la demande ou de la qualité des parties et qu’il repose sur des circonstances de fait ou sur des documents soumis aux juges du fond46, donc repose sur des faits que ces derniers ont été mis à même de connaître47. Dans leur moyen nouveau, les demandeurs en cassation font valoir que le droit de l’Union européenne imposerait certes une insaisissabilité des comptes des opérateurs de système et organes de règlement, mais dont le domaine serait plus restreint que celui de l’article 111, paragraphe 5, de la loi de 2009. Ils soutiennent que l’insaisissabilité des comptes des opérateurs de système et organes de règlement, imposée par le droit de l’Union européenne, se limiterait aux comptes comportant un risque réel pour le bon fonctionnement du système. Cette question n’a pas été discutée en tant que telle devant les juges du fond. Il pourrait tout au plus être soutenu qu’elle a été indirectement évoquée dans le cadre de l’argument tiré de ce que le compte n° 13675, dit « sundry blocked account », n’est, du fait de son blocage interne, pas entré dans le système. La Cour d’appel a, comme rappelé ci-avant dans le cadre de la discussion du deuxième moyen, rejeté cet argument au motif que les parties saisissantes sont restés en défaut de rapporter la preuve qu’un tel blocage interne est de nature à altérer la nature juridique du compte et que le compte de règlement au sens de la loi, donc de l’article 107, paragraphe 14, de la loi de 2009, transposant sur ce point le droit de l’Union européenne, ne subordonne pas la qualification de compte de règlement au fait que ce compte se trouve dans le système48. La Cour d’appel a par ailleurs justifié son rejet de cet argument par un motif tiré de ses pouvoirs de juge des référés, qui ne lui permettent pas de se livrer à une analyse détaillée du fonctionnement du système CB)49. Il en suit qu’il n’était pas apparent que la saisie des comptes pouvait mettre en cause le bon fonctionnement du système, cette question n’ayant pas été discutée et ce constat n’ayant pas été susceptible d’être déduit du seul fait que le compte n° 13675, dit « sundry blocked », a fait l’objet d’une mesure de blocage interne.
Sur le quatrième moyen de cassation Le quatrième moyen est tiré de la violation de l’article 107, paragraphe 14, de la loi de 2009, en ce que la Cour d’appel a décidé que « L’interdiction de saisie s’applique à la double condition que le compte soit tenu auprès d’un opérateur de système ou d’un organe de règlement, et que le compte soit un compte de règlement »50 et que la définition légale du compte de règlement, par l’article précité, comme « un compte auprès d’une banque centrale, d’un organe de règlement ou d’une contrepartie centrale utilisé pour le dépôt de fonds ou de titres ainsi que pour le règlement de transactions entre participants d’un système », « ne contient pas l’exigence, contrairement à l’affirmation des parties saisissantes, que le compte ne puisse être un compte de règlement que s’il est « dans le système » ou « en système » »51, alors que le compte de règlement tel qu’il est défini par la loi suppose la réunion cumulative de trois conditions, à savoir que le compte soit détenu par une banque centrale, un organe de 45 Jacques et Louis BORÉ, La cassation en matière civile, Paris, Dalloz, 5e édition, 2015, n° 82.321 à 82.324, pages 498 à 499.
46 Idem, n° 82.321, page 498.
47 Idem, n° 82.322, page 498.
48 Arrêt attaqué, page 25, deuxième alinéa.
49 Idem, même page, troisième alinéa.
50 Arrêt attaqué, page 22, premier alinéa.
51 Idem, page 25, deuxième alinéa.
règlement ou une contrepartie centrale, qu’il soit utilisé pour le dépôt de fonds ou de titres et qu’il soit utilisé pour le règlement de transactions entre participants d’un système, ce dont il découle qu’il soit « « dans le système » ou « en système » »52.
L’article 107, paragraphe 14, de la loi de 2009 définit le « compte de règlement » comme suit :
« « compte de règlement » : un compte auprès d’une banque centrale, d’un organe de règlement ou d’une contrepartie centrale utilisé pour le dépôt de fonds ou de titres ainsi que pour le règlement de transactions entre participants d’un système ».
L’article 107, paragraphe 1, de cette loi définit le « système » comme suit :
« « système » : un accord formel régi :
- par le droit luxembourgeois, désigné par la Banque centrale du Luxembourg en tant que système de paiement ou système de règlement des opérations sur titres et notifié par les soins du Ministre ayant dans ses attributions la place financière à l’Autorité européenne des marchés financiers, ou - par le droit d’un autre Etat membre, désigné en tant que système et notifié par un Etat membre, avant l’entrée en vigueur de la directive 2010/78/UE, à la Commission européenne et, à partir de l’entrée en vigueur de la directive 2010/78/UE, à l’Autorité européenne des marchés financiers ».
Sont en outre réputés constituer des systèmes les systèmes de paiement et les systèmes de règlement des opérations sur titres que la Banque centrale du Luxembourg a notifiés, avant l’entrée en vigueur de la présente loi, à la Commission européenne conformément à l’article 34-3 de la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier ».
Dans leur quatrième moyen, les demandeurs en cassation critiquent les motifs suivants de la Cour d’appel :
« Dans la mesure où il résulte des développements précédents que CB), de par son statut, ne peut tenir que des comptes de règlement, les parties saisissantes restent en défaut de rapporter la preuve que la mesure interne de blocage du compte aurait pour effet d’altérer la nature juridique de ce compte. A cet égard, il y a encore lieu de relever que l’article 107 (14) de la loi de 2009 définit le compte de règlement comme étant « un compte auprès d’une banque centrale, d’un organe de règlement ou d’une contrepartie centrale utilisé pour le dépôt de fonds ou de titres ainsi que pour le règlement de transactions entre participants d’un système ». Cette définition ne contient pas l’exigence, contrairement à l’affirmation des parties saisissantes, que le compte ne puisse être un compte de règlement que s’il est « dans le système » ou « en système ». »53.
Celle-ci y a donc retenu que la définition légale du « compte de règlement » de l’article 107, paragraphe 14, de la loi de 2009 ne subordonne pas cette qualification à la condition que le compte, par hypothèse tenu auprès d’un opérateur de système ou d’un organe de règlement54, 52 Idem et loc.cit.
53 Idem et loc.cit.
54 Voir l’article 111, paragraphe 5, de la loi de 2009. L’opérateur de système est défini par l’article 107, paragraphe 8, de la loi de 2009 comme « l’entité ou les entités juridiquement responsables de l’exploitation d’un système. Un se trouve à tout moment dans un système de paiement ou dans un système de règlement des opérations sur titres tel que défini par l’article 107, paragraphe 1, de cette loi.
L’insaisissabilité des comptes de règlement auprès des opérateurs de système ou organes de règlement, prévue par l’article 111, paragraphe 5, de la loi de 2009, n’est donc, par voie de conséquence, pas non plus subordonnée à une telle condition.
Elle se distingue de ce point de vue, comme il a été relevé par CB) dans son mémoire en réponse55, de celle instituée par l’article 20 de la loi du 1er août 2001 concernant la circulation de titres56, qui dispose que :
« Aucune saisie-arrêt ni aucune autre mesure d’exécution ou conservatoire n’est admise sur les comptes de titres et d’autres instruments financiers en système, à l’exception de mesures d’exécution de gages ou autres sûretés ou garanties similaires accordés par un titulaire de compte au teneur de comptes opérant à titre principal un système de règlement des opérations sur titres ou à un tiers. Pareilles mesures ne sont pas non plus admises sur les titres (…) donnés en dépôt par un tel teneur de comptes auprès d’un autre teneur de comptes »57.
Dans leur quatrième moyen les demandeurs en cassation critiquent la Cour d’appel d’avoir appliqué une définition inappropriée du « compte de règlement » au sens de l’article 107, paragraphe 14, de la loi de 2009. Au regard de cette définition trois conditions devraient être cumulativement respectées pour qu’un compte pourrait être qualifié de « compte de règlement » : (1) il devrait s’agir d’un compte auprès d’une banque centrale, d’un organe de règlement ou d’une contrepartie centrale, (2) ce compte devrait être utilisé pour le dépôt de fonds ou de titres et (3) il devrait de surcroît et cumulativement être utilisé pour le règlement de transactions entre participants d’un système. Or, la Cour d’appel aurait considéré à tort que les conditions (2) et (3) seraient alternatives et non cumulatives. Elle aurait donc retenu à tort qu’un compte auprès d’un organe de règlement utilisé pour le dépôt de fonds ou de titres est un « compte de règlement » tant bien même qu’il n’est pas utilisé (à tout moment) pour le règlement de transactions entre participants d’un système.
Cette critique procède d’une mauvaise lecture de l’arrêt attaqué.
Dans le motif critiqué, la Cour d’appel s’est limitée, après avoir énoncé la définition de l’article 107, paragraphe 14, de la loi de 2019, à constater que cette définition « ne contient pas l’exigence, contrairement à l’affirmation des parties saisissantes, que le compte ne puisse être opérateur de système peut aussi intervenir en tant qu’organe de règlement, contrepartie centrale ou chambre de compensation. ». L’organe de règlement est défini par l’article 107, paragraphe 4, de cette loi comme « une entité qui met à la disposition des participants aux systèmes des comptes de règlement par lesquels les ordres de transfert dans ces systèmes sont liquidés et qui, le cas échéant, octroie des crédits à ces participants à des fins de règlement ». Il est constant en cause que CB) est un opérateur de système et un organe de règlement (Arrêt attaqué, page 22, troisième au cinquième alinéa).
55 Mémoire en réponse de CB), n° 72, pages 40 à 41.
56 Une version coordonnée de cette loi est publiée sur le site interne de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) :
https://www.cssf.lu/wp-
content/uploads/files/Lois_reglements/Legislation/Lois/L_010801_CircTitres_upd010319.pdf (consulté le 26 novembre 2020).
57 C’est nous qui soulignons.
un compte de règlement que s’il est « dans le système » ou « en système » »58. Elle se limite donc à observer que la définition ne fait, contrairement par exemple à l’article 20 de la loi du 1er août 2001 concernant la circulation de titres, pas formellement référence à une exigence tirée de ce que le compte doit se trouver en système. En revanche, elle ne prend pas position sur la question de savoir si les conditions (2) et (3) de l’article 107, paragraphe 14, sont cumulatives ou alternatives.
Le moyen cite à titre de motif critiqué le passage dans lequel la Cour d’appel constate que « L’interdiction de saisie s’applique à la double condition que le compte soit tenu auprès d’un opérateur de système ou d’un organe de règlement, et que le compte soit un compte de règlement »59. Cette référence à une « double condition », qui s’oppose à première vue à la triple condition revendiquée par les demandeurs en cassation dans le cadre de l’interprétation de l’article 107, paragraphe 14, de la loi de 2009, pourrait suggérer que la Cour d’appel a refusé cette interprétation. Or, le motif cité se limite à énumérer les conditions de la règle d’insaisissabilité énoncée par l’article 111, paragraphe 5, de la loi de 2009. En revanche, l’exigence de la triple condition défendue par les demandeurs en cassation concerne la définition du compte de règlement de l’article 107, paragraphe 14, de la loi de 2009. La constatation par la Cour d’appel que l’insaisissabilité prévue par le premier de ces articles est subordonnée à deux conditions ne constitue donc pas un rejet de la thèse des demandeurs en cassation de subordonner la qualification du compte de règlement au sens du second de ces articles à trois conditions.
Il en suit que le moyen manque en fait.
Sur le cinquième moyen de cassation Le cinquième moyen est tiré de la violation de l’article 54 du règlement (UE) n° 909/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 concernant l’amélioration du règlement de titres dans l’Union européenne et les dépositaires centraux de titres, et modifiant les directives 98/26/CE et 2014/65/UE ainsi que le règlement (UE) n° 236/2012, en ce que la Cour d’appel a décidé que « Bien qu’ayant le statut d’une banque, CB) ne peut donc tenir que des comptes de règlement en raison des exigences du prédit Règlement »60 parce que « L’article 54 (3) (a) du Règlement (UE) du Parlement Européen et du Conseil du 23 juillet 2014 concernant l’amélioration du règlement de titres dans l’Union Européenne et les dépositaires centraux de titres, et modifiant la directive 98/26/CE, exige en effet que tout dépositaire central de titres qui offre à ses participants la tenue d’un compte-espèces ait une licence bancaire »61, que « Ceci n’implique cependant pas automatiquement que CB) détienne des comptes autres que des comptes de règlement »62 et que « L’article 18.1 du Règlement précité dispose que : « Les activités d’un DCT (dépositaire central de titres) agréé sont limitées à la prestation des services couverts par son agrément (…) » interdit en effet à CB) d’exercer une quelconque autre activité que celle de dépositaire central de titres »63, alors que le droit de l’Union européenne, y compris 58 Arrêt attaqué, page 25, deuxième alinéa.
59 Idem, page 22, premier alinéa.
60 Arrêt attaqué, page 23, sixième alinéa.
61 Idem, page 23, troisième alinéa.
62 Idem, même page, quatrième alinéa.
63 Idem, même page, cinquième alinéa.
le règlement 909/2014, autorise les dépositaires centraux de titres à exercer des activités bancaires classiques pour les besoins de l’application des articles 107, paragraphe 14, et 111, paragraphe 5, de la loi du 10 novembre 2009 relative aux services de paiement, pour lesquelles CB) dispose d’ailleurs d’un agrément.
Aux fins d’élever une contestation sérieuse contre l’allégation des parties défenderesses en cassation tirée de ce que la saisie des comptes constituait un trouble manifestement illicite, puisque violant l’insaisissabilité prévue par l’article 111, paragraphe 5, de la loi de 2009, les demandeurs en cassation faisaient valoir que CB), bien que constituant un opérateur de système et un organe de règlement, détenait, outre des comptes de règlement, également d’autres comptes ne pouvant recevoir cette qualification. Dans cet ordre idées, ils tirèrent argument du fait que CB) a le statut d’une banque, ce dont ils déduisirent qu’elle serait légalement en mesure de tenir des comptes autres que des comptes de règlement.
La Cour d’appel rejeta cet argument aux motifs suivants :
« Il est exact que CB) a le statut de banque.
Elle a ce statut parce qu’elle tient des comptes-espèces pour ses participants.
L’article 54 (3) (a) du Règlement (UE) du Parlement Européen et du Conseil du 23 juillet 2014 concernant l’amélioration du règlement de titres dans l’Union Européenne et les dépositaires centraux de titres, et modifiant la directive 98/26/CE, exige en effet que tout dépositaire central de titres qui offre à ses participants la tenue d’un compte-
espèces ait une licence bancaire.
Ceci n’implique cependant pas automatiquement que CB) détienne des comptes autres que des comptes de règlement.
L’article 18.1 du Règlement précité dispose que :
« Les activités d’un DCT (dépositaire central de titres) agréé sont limitées à la prestation des services couverts par son agrément (…) » interdit en effet à CB) d’exercer une quelconque autre activité que celle de dépositaire central de titres.
Bien qu’ayant le statut d’une banque, CB) ne peut donc tenir que des comptes de règlement en raison des exigences du prédit Règlement.
Afin de justifier une contestation sérieuse par rapport au trouble illicite invoqué par CB), les parties saisissantes devraient rapporter la preuve que CB) détiendrait d’autres comptes, qui ne seraient pas des comptes de règlement, et notamment que les comptes saisis ne soient pas des « comptes de règlement », seuls visés par l’interdiction.
[…] En conséquence, les parties saisissantes restent en défaut de rapporter en cause l’existence d’une contestation sérieuse par rapport au trouble illicite invoqué par la BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE A) et par CB), à défaut de preuve que les comptes saisis ne seraient pas visés par l’interdiction d’ordre public résultant de la disposition de l’article 111 (5) de la loi modifiée du 10 novembre 2009 relative aux services de paiement et à défaut de preuve de la fraude invoquée. »64.
Dans leur cinquième moyen, les demandeurs en cassation critiquent la Cour d’appel d’avoir retenu que CB) ne peut tenir que des comptes de règlement en raison des exigences du règlement précité, alors qu’ils soutiennent que ce dernier autoriserait les opérateurs de système ou organes de règlement d’exercer des activités bancaires classiques.
La Cour d’appel a par les motifs précités constaté :
- que CB) a le statut de banque parce qu’elle tient, conformément aux exigences du règlement précité, des comptes-espèces pour ses participants65, - qu’il n’en résulte pas automatiquement qu’elle détient des comptes autres que des comptes de règlement66, - qu’il appartient aux demandeurs en cassation de rapporter la preuve que les comptes saisis sont des comptes autres que des comptes de règlement67 et - après avoir rejeté les arguments invoqués à ce titre, tirés de ce que les comptes saisis ont fait l’objet d’un gel sur base d’un règlement de l’Union européenne68 et que le compte n° 13675, dit « sundry blocked account » ne pourrait, parce que faisant l’objet d’une mesure de blocage interne, pas être qualifié de compte de règlement69, que les demandeurs en cassation restent en défaut de prouver que les comptes saisis ne sont pas des comptes de règlement, donc échappent à l’insaisissabilité imposée par l’article 111, paragraphe 5, de la loi de 2009, de sorte qu’ils restent en défaut d’établir l’existence d’une contestation sérieuse par rapport au trouble illicite invoqué par les défenderesses en cassation70.
Par rapport à ces motifs, ceux attaqués par le moyen, relatifs à la possibilité théorique éventuellement offerte par le règlement précité de permettre à des opérateurs de système ou organes de règlement de tenir une activité bancaire classique, donc des comptes autres que des comptes de règlement, sont surabondants. En effet, cette possibilité théorique, même à la supposer exister, contrairement à ce qui a été décidé par la Cour d’appel, ne dispense pas les demandeurs en cassation de l’obligation d’établir, à titre de contestation sérieuse, que les comptes saisis en l’espèce relèvent d’une telle activité bancaire classique, donc ne constituent pas des comptes de règlement. Or, la Cour d’appel a, par les motifs cités, constaté que cette preuve n’a pas été rapportée.
64 Idem, même page, premier à l’antépénultième alinéa, et page 25, antépénultième alinéa.
65 Idem, même page, premier au troisième alinéa.
66 Idem, même page, quatrième alinéa.
67 Idem, même page, antépénultième alinéa.
68 Idem, page 24, cinquième au septième alinéas.
69 Idem, page 25, deuxième alinéa.
70 Idem, même page, antépénultième alinéa.
Il en suit que le moyen est inopérant.
Sur le sixième moyen de cassation Le sixième moyen est tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution pour contradiction de motifs, en ce que la Cour d’appel a décidé, d’une part, que « les parties saisissantes restent en défaut de rapporter en cause l’existence d’une contestation sérieuse par rapport au trouble illicite invoqué par la BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE A) et par CB), à défaut de preuve que les comptes saisis ne seraient pas visés par l’interdiction d’ordre public résultant de la disposition de l’article 111 (5) de la loi modifiée du 10 novembre 2009 relative aux services de paiement et à défaut de preuve de la fraude invoquée »71 aux motifs que « Afin de justifier une contestation sérieuse par rapport au trouble illicite invoqué par CB), les parties saisissantes devraient rapporter la preuve que CB) détiendrait d’autres comptes, qui ne seraient pas des comptes de règlement, et notamment que les comptes saisis ne soient pas des « comptes de règlement », seuls visés par l’interdiction »72, que « les parties saisissantes restent en défaut de rapporter la preuve que la mesure interne de blocage du compte aurait pour effet d’altérer la nature juridique de ce compte »73 et que « Bien qu’ayant le statut d’une banque, CB) ne peut donc tenir que des comptes de règlement en raison des exigences du prédit Règlement »74 et, d’autre part, que « la Cour précise que les dispositions de l’arrêt d’appel du 10 janvier 2018 ayant déclaré irrecevable l’appel incident de CB) pour constituer un appel d’intimé à intimé contesté par les parties saisissantes, ainsi que les dispositions ayant déclaré recevable mais non fondé l’appel incident des parties saisissantes ayant soulevé le défaut de qualité et d’intérêt à agir dans le chef de la BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE A), sont passées en force de chose jugée »75, ce dont il découle que la Cour d’appel ne pouvait plus juger l’affaire par rapport au trouble illicite invoqué par la société CB), alors que ces deux séries de motifs sont contradictoires, ce qui équivaut à une absence de motifs.
Suite à la saisie-arrêt pratiquée par les demandeurs en cassation entre les mains de la CB), la BANQUE CENTRALE avait saisi le juge des référés aux fins de voir cesser le trouble manifestement illicite que cette saisie, qu’elle considérait comme illégale, présentait de son point de vue76. Elle exposait que la saisie était illégale, partant, constituait un trouble manifestement illicite, parce que la loi, en l’occurrence l’article 111, paragraphe 5, de la loi de 2009, interdit une telle mesure77. Elle avait assigné outre les demandeurs en cassation, également CB)78. Après avoir vu refuser sa demande par le juge de première instance79, elle forma appel80. La partie intimée CB) partagea les moyens de l’appelante81. Elle forma en outre appel incident « en ce que la juge des référés a refusé de faire droit à ses propres moyens 71 Idem et loc.cit.
72 Idem, page 23, antépénultième alinéa.
73 Idem, page 25, deuxième alinéa.
74 Idem, page 23, septième alinéa.
75 Idem, page 17, deuxième alinéa.
76 Idem, page 12, avant-dernier alinéa.
77 Idem et loc.cit.
78 Idem et loc.cit.
79 Idem, page 13, deuxième alinéa.
80 Idem, même page, avant-dernier alinéa.
81 Idem, page 14, sixième alinéa.
tendant à voir ordonner la nullité de la saisie-arrêt en raison de sa teneur incompréhensible, sinon d’en ordonner la mainlevée partielle motif pris que les parties saisissantes ont pratiqué saisie-arrêt sur les avoirs de tiers non débiteurs directs des parties saisissantes voire pour violation de l’interdiction de pratiquer une saisie-arrêt à « l’échelon supérieur » »82. La Cour d’appel déclara cet appel incident de CB) irrecevable83. Son arrêt a été cassé par votre Cour sur pourvoi de la BANQUE CENTRALE, pour ne pas avoir apprécié la réalité du trouble allégué à la date où il a été rendu84.
Saisie sur renvoi après cassation, la Cour d’appel, appréciant la portée de votre arrêt, constata « que les dispositions de l’arrêt d’appel du 10 janvier 2018 ayant déclaré irrecevable l’appel incident de CB) pour constituer un appel d’intimé à intimé contesté par les parties saisissantes […] sont passées en force de chose jugée [de sorte que] les moyens afférents des parties n’ont pas à être examinés »85.
Dans le cadre de cette instance après cassation, la BANQUE CENTRALE « développe pour son propre compte les arguments soutenus antérieurement par CB), tirés de l’illégalité de la saisie-arrêt visant des entités tierces au litige ayant abouti aux jugements américains de condamnation (la banque italienne U), la banque américaine J) et « tout autre établissement financier »), ainsi que tirés de l’interdiction de saisir à l’échelon supérieur, arguments non autrement analysés par la Cour dans son arrêt du 10 janvier 2018 en raison du rejet de l’appel incident de CB) pour constituer un appel d’intimé à intimé »86. Par ailleurs, elle « réitère sa demande tendant à voir constater l’illégalité de la saisie opérée par les parties intimées auprès de CB) »87.
La Cour d’appel répond, d’une part, aux moyens d’appel, initialement soutenus par CB) dans le cadre de son appel incident déclaré irrecevable, repris dans le cadre de l’instance de renvoi après cassation pour son propre compte par la BANQUE CENTRALE, tirés de « l’illégalité de la saisie-arrêt en ce qu’elle vise des entités tierces au litige ayant abouti aux jugements américains »88 et, d’autre part, aux moyens d’appel de la BANQUE CENTRALE tirés de « l’illégalité de la saisie-arrêt en ce qu’elle vise des comptes de règlement insaisissables par nature »89.
Elle statue donc exclusivement sur les moyens d’appel de la BANQUE CENTRALE même si une partie de ces moyens avait été développé initialement par CB), mais a été reprise pour son compte par l’appelante pré-désignée.
Dans le cadre de l’instance sur renvoi après cassation, CB), qui est partie intimée, a comparu et a conclu en rejoignant « la BANQUE CENTRALE DE LA REPUBLIQUE A) dans son affirmation que les comptes de règlement seraient insaisissables en vertu de règles d’ordre public et qu’il y aurait lieu à titre principal d’ordonner la mainlevée de la saisie-arrêt »90. La Cour d’appel a, dans les motifs de son arrêt, pris en considération les arguments de celle-ci.
Elle y fait donc référence dans le cadre de la discussion des moyens d’appel de la BANQUE 82 Idem, même page, septième (ou antépénultième) alinéa.
83 Idem, page 15, premier alinéa.
84 Idem, même page, deuxième alinéa.
85 Idem, page 17, deuxième alinéa.
86 Idem, page 15, avant-dernier alinéa.
87 Idem, même page, dernier alinéa.
88 Idem, page 18, titre précédant l’avant-dernier alinéa.
89 Idem, page 19, titre précédant l’antépénultième alinéa.
90 Idem, page 16, quatrième alinéa.
CENTRALE relatifs à « l’illégalité de la saisie-arrêt en ce qu’elle vise des comptes de règlement insaisissables par nature »91.
Dans leur sixième moyen, les demandeurs en cassation reprochent à la Cour d’appel d’avoir statué sur des moyens d’appel de CB) après avoir constaté qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur ces moyens.
Ce reproche manque en fait.
Ainsi qu’il a été exposé ci-avant, les moyens d’appel de CB) dont la Cour d’appel était dispensée de statuer, à savoir ceux relatifs à « l’illégalité de la saisie-arrêt en ce qu’elle vise des entités tierces au litige ayant abouti aux jugements américains »92, ont été repris par la BANQUE CENTRALE, de sorte que la Cour d’appel y a répondu à ce titre. Par ailleurs, la prise en considération par la Cour d’appel d’arguments de CB) invoqués, en sa qualité de partie intimée, à l’appui des moyens d’appel de la BANQUE CENTRALE tirés de « l’illégalité de la saisie-arrêt en ce qu’elle vise des comptes de règlement insaisissables par nature »93 n’est pas contradictoire avec le constat de la dispense de répondre aux moyens d’appel incident de CB), puisque ces moyens ont un objet différent puisqu’ils concernent « l’illégalité de la saisie-arrêt en ce qu’elle vise des entités tierces au litige ayant abouti aux jugements américains »94.
A titre subsidiaire, la contradiction de motifs suppose une contradiction de motifs de fait95.
La contradiction alléguée en l’espèce concerne des motifs de fait, à savoir la discussion d’arguments invoqués par CB) en sa qualité de partie intimée en faveur de la partie appelante BANQUE CENTRALE, confrontés à un motif de droit, à savoir le constat que la Cour d’appel n’est par suite de l’effet limité de l’arrêt de cassation plus saisie par l’appel incident de CB), dont le rejet est passé en force de chose jugée.
La critique de la contradiction alléguée entre ces deux groupes de motifs exprime un grief tiré de la violation de l’autorité de la chose jugée de l’arrêt d’appel, qui est étranger à celui d’une contradiction de motifs.
Il en suit, Ã titre subsidiaire, que le moyen est irrecevable.
Sur le septième moyen de cassation Le septième moyen est tiré de la violation de l’article 58 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que la Cour d’appel a décidé que « Afin de justifier une contestation sérieuse par rapport au trouble illicite invoqué par CB), les parties saisissantes devraient rapporter la preuve que CB) détiendrait d’autres comptes, qui ne seraient pas des comptes de règlement, et notamment que les comptes saisis ne soient pas des « comptes de règlement », seuls visés par l’interdiction »96 que « les parties saisissantes restent en défaut de rapporter la preuve que la mesure interne de blocage du compte aurait pour effet d’altérer la nature juridique de ce 91 Idem, page 19, titre précédant l’antépénultième alinéa.
92 Idem, page 18, titre précédant l’avant-dernier alinéa.
93 Idem, page 19, titre précédant l’antépénultième alinéa.
94 Idem, page 18, titre précédant l’avant-dernier alinéa.
95 BORÉ, précité, n° 77.111 à n° 77.114, pages 412 à 414.
96 Arrêt attaqué, page 23, antépénultième alinéa.
compte »97 et que « Bien qu’ayant le statut d’une banque, CB) ne peut donc tenir que des comptes de règlement en raison des exigences du prédit Règlement »98, alors que il appartenait à la partie demanderesse, en l’occurrence à la BANQUE CENTRALE, de prouver les faits qu’elle invoque au soutien de ses prétentions, en l’occurrence le fait que les comptes saisis étaient des comptes de règlement, donc pour ce motif insusceptibles de saisie, de sorte que la charge de la preuve a été inversée.
Dans leur septième moyen, les demandeurs en cassation reprochent à la Cour d’appel d’avoir renversé la charge de la preuve en les obligeant d’établir que les comptes saisis tenus par CB) n’étaient pas des comptes de règlement, au lieu d’obliger la BANQUE CENTRALE et CB) d’établir que les comptes avaient cette qualité.
Dans le cadre du référé-sauvegarde de l’article 933, alinéa 1, première phrase, du Nouveau Code de procédure civile, il appartient au demandeur d’établir l’existence d’un trouble manifestement illicite et au défendeur de prouver l’existence de contestations sérieuses de nature à contredire l’existence du trouble ou son caractère manifestement illicite.
La Cour d’appel constate en l’espèce que la saisie-arrêt pratiquée par les demandeurs en cassation porte sur des comptes tenus par un opérateur de système et un organe de règlement au sens de la loi de 200999, que les dispositions du droit de l’Union européenne interdisent à ce dernier de détenir des comptes autres que des comptes de règlement100, de sorte que la saisie viole l’interdiction de saisie de l’article 111, paragraphe 5, de la loi de 2009, donc constitue un trouble manifestement illicite au sens de l’article 933, alinéa 1, première phrase.
Elle constate par ailleurs que les arguments invoqués par les demandeurs en cassation aux fins d’établir que les comptes saisis ne sont pas à considérer comme des comptes de règlement, donc échappent à l’interdiction de saisie précitée, sont dépourvus de pertinence :
- la circonstance que CB) a le statut d’une banque n’implique pas qu’elle détient des comptes autres que des comptes de règlement, cette tenue lui étant interdite et le statut de banque ayant uniquement pour but de lui permettre d’exercer, par la tenue de compte-
espèces pour ses participants, sa mission d’opérateur de système et d’organe de règlement101, - la circonstance que les comptes saisis avaient fait l’objet d’un gel sur base d’un règlement de l’Union européenne est dépourvue de pertinence, vu que ce gel a été levé antérieurement à la saisie102 et - la circonstance que le compte saisi n° 13675 dit « sundry blocked account » a fait l’objet d’une mesure de blocage interne est dépourvue de pertinence puisque même à supposer que ce blocage ait pour effet de faire sortir les avoirs du « système », la qualification de compte de règlement ne suppose pas que le compte doive à tout moment se trouver en 97 Idem, page 25, deuxième alinéa.
98 Idem, page 23, septième alinéa.
99 Idem, page 22, troisième au cinquième alinéa.
100 Idem, page 23, sixième alinéa.
101 Idem, page 23, premier au sixième alinéa.
102 Idem, page 23, dernier alinéa, à page 24, avant-dernier alinéa.
système, les demandeurs en cassation n’ayant par ailleurs pas établi qu’une telle mesure aurait pour effet d’altérer la nature juridique du compte103.
Au regard de ces constatations, la Cour d’appel a, sans inverser la charge de la preuve, constaté à suffisance que la BANQUE CENTRALE avait établi l’existence d’un trouble manifestement illicite et que les demandeurs en cassation n’ont pas réussi à établir l’existence de contestations sérieuses de nature à mettre en cause l’existence du trouble ou son caractère illicite.
Il en suit que le moyen n’est pas fondé.
Conclusion :
Le pourvoi est recevable, mais il est à rejeter.
Pour le Procureur général d’Etat Le Procureur général d’Etat adjoint John PETRY 103 Idem, page 25, deuxième alinéa.