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06/05/2021 | LUXEMBOURG | N°74/21

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 06 mai 2021, 74/21


N° 74 / 2021 du 06.05.2021 Numéro CAS-2020-00090 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, six mai deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Théa HARLES-WALCH, président de chambre à la Cour d’appel, Marc SCHILTZ, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

la société anonyme M), demanderesse en

cassation, comparant par Maître Virginie BROUNS, avocat à la Cour, en l’étude de laquel...

N° 74 / 2021 du 06.05.2021 Numéro CAS-2020-00090 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, six mai deux mille vingt-et-un.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Théa HARLES-WALCH, président de chambre à la Cour d’appel, Marc SCHILTZ, avocat général, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre:

la société anonyme M), demanderesse en cassation, comparant par Maître Virginie BROUNS, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, et:

la société par actions simplifiée C), défenderesse en cassation, comparant par Maître Philippe-Fitzpatrick ONIMUS, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué, numéro 16/20, rendu le 12 février 2020 sous le numéro CAL-2018-00346 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 8 juillet 2020 par la société anonyme M) à la société par actions simplifiée C) (ci-après « la société C) »), déposé le 7 août 2020 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 4 septembre 2020 par la société C) à la société M), déposé le 7 septembre 2020 au greffe de la Cour ;

Sur le rapport du conseiller Eliane EICHER et les conclusions du procureur général d’Etat adjoint John PETRY ;

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, s’était déclaré territorialement incompétent pour connaître d’une demande dirigée par la société M) contre la société C), basée sur la responsabilité contractuelle, sinon sur l’enrichissement sans cause, sinon sur la responsabilité délictuelle pour résiliation fautive d’un contrat portant sur la mise à disposition d’une plateforme d’achat d’espace publicitaire par la société M) à la société C). La Cour d’appel a confirmé ce jugement.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de la loi, sinon d’une application erronée, sinon d’une fausse interprétation de la loi, in specie de l’article 7 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale dit ;

en ce que, dans l'arrêt attaqué du 12 février 2020, la Cour a déclaré (pages 9 et 10 de l'arrêt) ;

en ce que la Cour a relevé qu' (page 9 de l'arrêt).

alors que la Cour constate par ailleurs que ;

Que M) a été chargée d'un contrat d'entreprise, qui cependant n'a jamais été signé, consistant dans la création et le paramétrage d'une plateforme informatique d'achat ;

Que la prestation caractéristique de M) consiste en l'occurrence dans le travail informatique réalisé depuis le Luxembourg, par des informaticiens, pour la plateforme informatique. Il ne s'agit nullement de louage d'ingénieur qui développerait dans les locaux de la société C) sur cahier des charges de cette dernière ;

Que dès lors, en considérant qu'en matière de contrats de fournitures de services, la prestation caractéristique ne consiste pas dans la création du service, respectivement dans la fabrication de la plateforme et que les prestations relatives à la plateforme sont fournies et utilisées à partir du siège social de C), la Cour a violé l'article 7 du Règlement européen (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale dit ;

Que la Cour aurait dû déclarer les juridictions luxembourgeoises compétentes pour toiser le présent litige. ».

Réponse de la Cour En retenant, après avoir constaté que le jugement n’était pas entrepris en ce qui concerne la qualification des relations des parties de contrat de fourniture de services, que les services auraient dû être fournis au siège social de la société C) en France et que les juridictions luxembourgeoises étaient partant incompétentes pour connaître de la demande, les juges d’appel n’ont pas violé la disposition visée au moyen.

Il en suit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le second moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de la loi, sinon d'une application erronée, sinon d'une fausse interprétation de la loi, in specie de l'article 89 de la Constitution et de l'article 249 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile ;

en ce que les conseillers d'appel se sont contredits au sein même de la motivation de l'arrêt ;

en ce que en effet, dans l'arrêt attaqué du 12 février 2020, la Cour a considéré que c'est à bon droit que les premiers juges ont reconnu que les prestations de service effectuées par M) sont des prestations de travail de nature intellectuelle, comportant analyse, conception et programmation, lesquelles sont réalisées à partir du Luxembourg, mais a déclaré par ailleurs qu'en matière de contrats de fourniture de services, la prestation caractéristique ne consiste pas dans la du service (fabrication de la plateforme) étant donné que selon elle, ce fait et le lieu où il est accompli sont sans importance, ne jugeant ainsi pas concluant d'examiner si M) avait procédé ou non à la création sur mesure d'un logiciel informatique et a conclu que les prestations relatives à la plateforme sont donc fournies et utilisées à partir du siège social de C), soit depuis la France ;

alors cependant que la Cour aurait dû s'en tenir à ses considérations suivant lesquelles les prestations de service de M) consistent notamment en la conception et la programmation sur mesure d'une plateforme et déclarer les juridictions luxembourgeoises compétentes, d'autant qu'aucun logiciel n'a été livré ou encore installé sur des ordinateurs au siège de la société C) puisqu'il s'agit de technologies en cloud computing et dès lors et que la plateforme permet des connexions worldwide. ».

Réponse de la Cour Au regard de la qualification des relations des parties de contrat de fourniture de services, la considération des juges d’appel aux termes de laquelle « Le contrat de développement de logiciel (sur mesure) est qualifié par une doctrine unanime de louage d’ouvrage étant donné que son objet consiste fondamentalement en une prestation de travail, de nature intellectuelle, comportant une analyse, conception et programmation. », objet du grief, est surabondante et dépourvue d’incidence sur l’issue du litige.

Il en suit que le moyen est inopérant.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure La demanderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

Il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

rejette le pourvoi ;

rejette la demande de la demanderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la demanderesse en cassation à payer à la défenderesse en cassation une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

la condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Philippe-Fitzpatrick ONIMUS, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Jean-Claude WIWINIUS en présence de l’avocat général Marc SCHILTZ et du greffier Daniel SCHROEDER.

PARQUET GENERAL Luxembourg, 12 janvier 2021 DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG

________

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation société anonyme M) c/ société de droit français C) (affaire n° CAS-2020-00090 du registre) Le pourvoi de la partie demanderesse en cassation, par dépôt au greffe de la Cour en date du 7 août 2020 d’un mémoire en cassation, signifié le 8 juillet 2020 à la partie défenderesse en cassation, est dirigé contre un arrêt rendu contradictoirement en date du 12 février 2020 sous le numéro CAL-2018-00346 du rôle, n° 16/20 IV-COM, par la Cour d’appel, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale.

Sur la recevabilité du pourvoi Le pourvoi est recevable en ce qui concerne le délai1.

La demanderesse en cassation a déposé un mémoire signé par un avocat à la Cour signifié à la partie adverse antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que ces formalités, imposées par l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, ont été respectées.

Le pourvoi est dirigé contre une décision contradictoire, donc non susceptible d’opposition, rendue en dernier ressort qui tranche tout le principal, de sorte qu’il est également recevable au regard des articles 1er et 3 de la loi de 1885.

Il est, partant, recevable.

1 Il ne résulte pas des mémoires et des pièces déposées que l’arrêt attaqué a été signifié à la demanderesse en cassation. Il en suit que, en l’état de ces renseignements, le délai du recours en cassation, de deux mois, prévu par l’article 7, alinéa 1, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, n’a pas commencé à courir, partant, n’a pas pu être méconnu.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, saisie par la société anonyme M) d’une demande dirigée contre la société de droit français C) aux fins d’indemnisation, sur base de la responsabilité contractuelle, du préjudice résultant de la résiliation par la défenderesse d’un contrat conclu entre parties, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg se déclarait territorialement incompétent. Sur appel de la demanderesse, la Cour d’appel confirma le jugement entrepris.

Sur le premier moyen de cassation Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 7 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale2 (ci-après « le règlement Bruxelles 1bis »), en ce que la Cour d’appel s’est déclarée territorialement incompétente sur base de la disposition précitée, aux motifs que le contrat conclu entre parties est à qualifier de contrat de fourniture de services, sous forme de « contrat de développement de logiciel sur mesure », dont l’objet « consiste fondamentalement en une prestation de travail, de nature intellectuelle comportant analyse, conception et programmation »3, que « en matière de fournitures de services, l’article 7 du Règlement Bruxelles Ibis attribue une compétence spéciale aux juridictions de l’Etat membre du lieu où en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis »4, qu’il « ressort des éléments du dossier que la plateforme informatique devait servir à C) (i) d’optimiser son budget média et de gérer tout le workflow d’achat depuis les appels d’offres jusqu’au règlement de C) et (ii) de permettre à son département Achat de certifier ses procédures depuis les appels d’offres auprès des régies jusqu’à la certification de la facturation [de sorte que] les prestations relatives à la plateforme sont donc fournies et utilisées à partir du siège social de C) »5 et que « en matière de contrats de fournitures de services, la prestation caractéristique ne consiste pas, tel que l’affirme l’appelante, dans la « création » du service (i.e. elle se réfère au fait de « fabriquer » la plateforme) étant donné que ce fait et le lieu où il est accompli sont sans importance »6, alors que la prestation caractéristique consiste en l’espèce dans le travail informatique réalisé à Luxembourg pour « fabriquer » la plateforme informatique et non dans une mise à disposition d’ingénieurs appelés à développer cette plateforme dans les locaux de la défenderesse en cassation en France, de sorte que les juridictions luxembourgeoises sont compétentes sur base de la disposition visée.

La Cour d’appel s’est, en l’espèce, déclarée territorialement incompétente sur base de l’article 7 du règlement Bruxelles Ibis, qui dispose que :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :

1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande ;

2 Journal officiel de l’Union européenne, L 351, du 20.12.2012, page 1.

3 Arrêt attaqué, page 8, cinquième alinéa.

4 Idem, page 9, dernier alinéa.

5 Idem et loc.cit.

6 Idem, même page, cinquième alinéa.

b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est:

[…] - pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;

[…] ».

Elle constate que les parties ont été liées par un contrat7, qui est à qualifier de contrat de fourniture de services8.

La défenderesse en cassation, domiciliée en France, ayant été attraite par la demanderesse en cassation devant les juridictions luxembourgeoises, donc sur le territoire d’un Etat membre différent de celui de son domicile, il y avait lieu de vérifier si cette compétence, en soi exceptionnelle dans l’économie du règlement Bruxelles Ibis, pouvait se justifier sur base de l’article 7 précité.

Ce dernier autorise d’attraire une personne devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande, encore dite « obligation caractéristique », qui, en cas de contrat de fourniture de services est présumé être le lieu où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis.

La Cour d’appel constate qu’en l’espèce ces services ont dû être fournis au siège social de la défenderesse en cassation, en France :

« Or, il ressort des éléments du dossier que la plateforme informatique devait servir à C) (i) d’optimiser son budget média et de gérer tout le workflow d’achat depuis les appels d’offres jusqu’au règlement de C) et (ii) de permettre à son département Achat de certifier ses procédures depuis les appels d’offres auprès des régies jusqu’à la certification de la facturation. Les prestations relatives à la plateforme sont donc fournies et utilisées à partir du siège social de C). »9.

Elle rejette comme non pertinent un argument de la demanderesse en cassation tiré de ce que « la prestation caractéristique a[…] consisté dans le travail informatique effectué par des informaticiens basés à Luxembourg pour « fabriquer » sur mesure la plateforme commandée par C) »10 au motif que « en matière de contrats de fournitures de services, la prestation caractéristique ne consiste pas, tel que l’affirme l’appelante, dans la « création » du service (i.e. elle se réfère au fait de « fabriquer » la plateforme) étant donné que ce fait et le lieu où il est accompli sont sans importance »11.

Dans son moyen, la demanderesse en cassation critique cette décision au motif que la prestation caractéristique fournie par elle « consiste en l’occurrence dans le travail informatique réalisé 7 Idem, page 8, troisième alinéa.

8 Idem, même page, quatrième alinéa.

9 Idem, page 9, dernier alinéa.

10 Idem, page 4, antépénultième alinéa.

11 Idem, page 9, cinquième alinéa.

depuis le Luxembourg, par des informaticiens, pour « fabriquer » la plateforme informatique [et] qu’il ne s’agit nullement de louage d’ingénieur qui développerait dans les locaux de la [défenderesse en cassation en France] sur cahier des charges de cette dernière »12.

Elle donne à considérer que la Cour d’appel aurait admis ce point de vue en qualifiant le contrat de fourniture de services conclu en l’espèce de « contrat de développement de logiciel (sur mesure) »13, défini par elle comme un « louage d’ouvrage [dont l’objet] consiste fondamentalement en une prestation de travail, de nature intellectuelle comportant analyse, conception et programmation »14. La conclusion de l’arrêt se trouverait en contradiction avec cette prémisse, de sorte que le raisonnement serait contradictoire.

Dans le développement du moyen elle se réfère à trois arrêts de la même chambre de la Cour d’appel dans lesquels celle-ci s’est déclarée compétente pour connaître de litiges similaires engagés par la demanderesse en cassation contre des personnes établies dans d’autres Etats membres de l’Union européenne15. Elle en déduit que l’arrêt attaqué constitue un revirement de jurisprudence.

Elle fait en outre valoir que dans l’un de ces arrêts la Cour d’appel a retenu que « il n’est pas contestable […] que les logiciels sur lesquels s’appuyait le travail de [la demanderesse en cassation] ont été élaborés et mis en œuvre au Luxembourg [, que] les bureaux de cette société au Luxembourg étaient réels, de même que la prestation de service fournie à partir de ces bureaux [et que] le fait que [le client de la demanderesse en cassation, établi dans un autre Etat membre] a pu consulter à partir de son siège situé en France les bases de données fournies par la [demanderesse en cassation] à partir du Luxemburg, ne change rien à ces constations »16.

Le règlement Bruxelles Ibis confère, en principe, dans son article 4, compétence, aux juridictions de l’Etat membre sur le territoire duquel le défendeur est domicilié. Ce principe trouve notamment des exceptions en matière contractuelle, dans le cadre de laquelle le demandeur est autorisé à attraire le défendeur à « devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande ». Cette première exception, prévue par l’article 7, paragraphe 1, point a), du règlement, suppose donc la détermination du lieu d’exécution de l’obligation litigieuse. Cette dernière n’est pas nécessairement l’obligation caractéristique du contrat.

Cette première exception est complétée par une seconde, prévue par l’article 7, paragraphe 1, point b), du règlement, applicable à la vente de marchandises et à la fourniture de services. Dans le cas de ces contrats, le règlement confère compétence aux juridictions du lieu où, en vertu du contrat, « les marchandises ont été ou auraient dû être livrées » respectivement « les services ont été ou auraient dû être fournis ». Par rapport à ces contrats le règlement retient donc comme 12 Mémoire en cassation, page 8, avant-dernier alinéa.

13 Arrêt attaqué, page 8, cinquième alinéa.

14 Idem et loc.cit.

15 Cour d’appel, quatrième chambre, 2 mars 2016, n° 34/16 IV-COM, numéro 41514 du rôle ; idem, 28 février 2018, n° 28/18 IV-COM, numéro 42460 du rôle ; idem, 5 décembre 2018, n° 129/18 IV-COM, numéro 44512 et 44605 du rôle.

16 Arrêt précité n° 129/18 IV-COM, numéro 44512 et 44605 du rôle, du 5 décembre 2018, page 5, premier alinéa.

critère de rattachement le lieu d’exécution de l’obligation caractéristique du contrat17, qui n’est pas nécessairement l’obligation litigieuse18.

Aux fins de déterminer, dans le cadre de la première exception précitée, le « lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande », il y a lieu de se référer à la loi qui régit l’obligation selon les règles de conflit de la juridiction saisie19. Par contraste, dans le cadre de la seconde exception, relative aux ventes de marchandises et fournitures de services, « le lieu d’un Etat membre où […] les marchandises ont été ou auraient dû être livrées [respectivement] les services ont été ou auraient dû être fournis » est « consacré en tant que critère de rattachement autonome, qui a vocation à s’appliquer à toutes les demandes fondées sur un même contrat »20 et « vise à […] désigner directement le for compétent sans renvoyer aux règles internes des Etats membres »21, donc « sans se référer au droit matériel applicable au contrat »22. Ce lieu « doit [donc] être déterminé en fait et non plus en droit »23.

La Cour d’appel a respecté ces principes en déduisant de ses constatations souveraines tirées de ce que « […] il ressort des éléments du dossier que la plateforme informatique devait servir à C) (i) d’optimiser son budget média et de gérer tout le workflow d’achat depuis les appels d’offres jusqu’au règlement de C) et (ii) de permettre à son département Achat de certifier ses procédures depuis les appels d’offres auprès des régies jusqu’à la certification de la facturation [de sorte que] les prestations relatives à la plateforme sont donc fournies et utilisées à partir du siège social de C). »24 que « le lieu […] où en vertu du contrat [de fourniture de services en cause], les services ont été ou auraient dû être fournis », prévu par l’article 7, paragraphe 1, point b), second tiret, du règlement Bruxelles Ibis, est la France, de sorte que les juridictions luxembourgeoises sont dépourvues de compétence au regard de cette disposition.

S’agissant du grief tiré de ce que dans trois précédents arrêts de la même chambre la Cour d’appel a dans des cas similaires accepté la compétence des juridictions luxembourgeoises sur base de cette disposition, il est à relever qu’aucun de ces trois arrêts ne renseigne l’existence d’une contestation élevée par les défendeurs respectifs, domiciliés à l’étranger, contre leur assignation en justice à Luxembourg, ni ne comporte des développements au sujet de la compétence territoriale. Il peut donc tout au plus être déduit de ces arrêts que la Cour d’appel n’a pas d’office soulevé la question et qu’elle a implicitement accepté sa compétence, non contestée. A défaut de développements relatifs à la question de la compétence il est par ailleurs 17 Voir, à titre d’il ustration : Cour de justice de l’Union européenne, 25 février 2010, C-381/08, Car Trim, ECLI:EU:C2010-90, point 31.

18 Répertoire Dal oz Droit européen, V° Compétence judiciaire européenne : reconnaissance et exécution des décisions en matières civile et commerciale, par Danièle ALEXANDRE et André HUET, octobre 2019, n° 168. Les auteurs soulignent à juste titre que « c’est très maladroitement que le point b [de l’article 7, paragraphe 1, du règlement] commence par les mots « aux fins de l’application de la présente disposition, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est [en cas de vente de marchandises et de fourniture de services le lieu où les marchandises ont été ou auraient dû être livrées respectivement le lieu où les services ont été ou auraient dû être fournis].

19 Voir, à titre d’il ustration : Cour de justice de l’Union européenne, 23 avril 2009, C-533/07, Falko, ECLI:EU:C:2009:257, points 47 et 57.

20 Voir, à titre d’il ustration, en ce qui concerne la vente de marchandises : arrêt C-381/08, Car Trim, précité, n° 50, et en ce qui concerne la fourniture de services : Cour de justice de l’Union européenne, 9 juil et 2009, C-

204/08, Rehder, ECLI:EU:C:2009:439, points 33 et 36.

21 Cour de justice de l’Union européenne, 3 mai 2007, C-386/05, Color Drack, ECLI:EU:C:2007:262, point 30.

22 Idem, 9 juin 2011, C-87/10, Electrosteel Europe, ECLI:EU:C:2011:375, point 16.

23 Répertoire Dal oz, précité, n° 178.

24 Arrêt attaqué, page 9, dernier alinéa.

difficile de se faire une idée sur le degré de similitude des circonstances de fait de ces trois espèces par rapport à celles de la présente espèce. La défenderesse en cassation fait dans cet ordre d’idées valoir que dans l’une de ces espèces le contrat conclu entre parties comportait une clause attributive de juridiction en faveur des juridictions luxembourgeoises25. Il n’est dès lors pas établi que l’arrêt attaqué constitue un revirement par rapport à ces trois arrêts. Les motifs des arrêts respectifs ne révèlent en tout état de cause pas l’existence d’un tel revirement.

S’agissant du grief tiré de ce que dans l’un de ces arrêts la Cour d’appel a retenu que « il n’est pas contestable […] que les logiciels sur lesquels s’appuyait le travail de [la demanderesse en cassation] ont été élaborés et mis en œuvre au Luxembourg [, que] les bureaux de cette société au Luxembourg étaient réels, de même que la prestation de service fournie à partir de ces bureaux [et que] le fait que [le client de la demanderesse en cassation, établi dans un autre Etat membre] a pu consulter à partir de son siège situé en France les bases de données fournies par la [demanderesse en cassation] à partir du Luxemburg, ne change rien à ces constations »26, il est à constater que ces motifs sont étrangers à la question de la compétence territoriale en général et de l’application de l’article 7 du règlement Bruxelles Ibis en particulier. Ces développements ont, en effet, eu pour objet la question de la détermination de la loi applicable au contrat, plus particulièrement l’application des règles de conflit de lois prévues par l’article 4 du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (ci-après « le règlement Rome I »)27. Cet article dispose que, en cas de défaut de choix de loi, le contrat de prestation de services « est régi par la loi du pays dans lequel le prestataire de services a sa résidence habituelle »28 et que, de façon générale, à défaut pour un contrat de relever de catégories spécifiques définies par l’article 4, paragraphe 1, du règlement, il « est régi par la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle »29. Ces principes trouvent cependant exception « lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec un pays [différent] »30. Les motifs cités ont eu pour objet la question de savoir si le contrat de prestation de service conclu dans le cadre de cette espèce, qui était, en principe régi par la loi du pays dans lequel le prestataire de service a sa résidence habituelle, donc en l’occurrence par la loi luxembourgeoise, ne devait pas néanmoins être régi par le droit français dès lors que, selon le défendeur, il présenterait des liens manifestement plus étroits avec la France.

Les motifs invoqués ont donc eu pour objet la question de la loi applicable au contrat au regard de l’article 4 du règlement Rome I et non de la juridiction compétente au regard de l’article 7 du règlement Bruxelles Ibis, donc ont eu un objet différent de celui qui est pertinent en l’espèce.

Ensuite, la règle de conflit de lois de l’article 4 du règlement Rome I se distingue profondément de la règle de conflit de juridictions de l’article 7 du règlement Bruxelles Ibis en ce que la loi applicable sur base du premier de ces articles est, en principe, celle du lieu où le prestataire de service a sa résidence habituelle tandis que la juridiction compétente sur base du second de ces articles est, en principe, celle du lieu où ce prestataire de service doit fournir les services.

Finalement, si la Cour d’appel constate dans l’arrêt évoqué que le contrat en cause dans cette espèce ne présentait pas, au sens de l’article 4, paragraphe 3, du règlement Rome I, des liens 25 Mémoire en défense, point 2.1.1., sous b), pages 8 et 9, au sujet de l’arrêt précité n° 28/18 IV-COM, numéro 42460 du rôle, du 28 février 2018.

26 Arrêt précité n° 129/18 IV-COM, numéro 44512 et 44605 du rôle, du 5 décembre 2018, page 5, premier alinéa.

27 Journal officiel de l’Union européenne, L 177 du 4.7.2008, page 6.

28 Article 4, paragraphe 1, point b), du règlement Rome I.

29 Article 4, paragraphe 2, du prédit règlement.

30 Article 4, paragraphe 3, du prédit règlement.

manifestement plus étroits avec la France qu’avec le Luxembourg, pays de la résidence habituelle du prestataire de service, elle constate également que « la prestation de service [a été] fournie à partir [des] bureaux [de la demanderesse en cassation] [et que le client français de celle-ci] a pu consulter à partir de son siège situé en France les bases de données fournies par la [demanderesse en cassation] à partir du Luxemburg »31. Ces constatations ne sont pas manifestement en contradiction avec celles faites, sur base du contrat y en cause, dans le présent cas d’espèce, tirées de ce que les services prestés par la demanderesse en cassation ont été fournies au siège social français de la défenderesse en cassation.

En effet, la question pertinente soulevée par l’article 7, paragraphe 1, point b), second tiret, du règlement Bruxelles Ibis n’est pas de savoir où réside le prestataire de service et où ce dernier a « fabriqué » ou « créé » ses prestations de services, mais où il les a fournies.

Il n’existe dès lors pas non plus de contradiction entre la qualification, par la Cour d’appel, du contrat en cause de « contrat de développement de logiciel (sur mesure) »32, défini par elle comme un « louage d’ouvrage [dont l’objet] consiste fondamentalement en une prestation de travail, de nature intellectuelle comportant analyse, conception et programmation »33 et la décision d’incompétence territoriale déduite du constat que ce service a, en l’espèce, été fourni au siège social français de la défenderesse en cassation. La circonstance que la prestation de service a été « fabriquée » ou « créée » à Luxembourg ne préjuge, en effet, pas la question de savoir où elle a été fournie.

La Cour d’appel a, par les motifs précités, souverainement constaté que ce lieu de fourniture du service était la France. Ces constatations sont conformes aux critères de l’article 7, paragraphe 1, du règlement Bruxelles Ibis.

Le moyen n’est dès lors pas fondé.

Il pourrait, le cas échéant, être compris comme vous invitant à remettre en discussion l’appréciation souveraine par les juges du fond de la détermination du lieu où les prestations de service ont été fournies. S’il devait être compris en ce sens, il ne saurait être accueilli.

Sur le second moyen de cassation Le second moyen est tiré d’une violation, par contradiction de motifs, des articles 89 de la Constitution et 249, alinéa 1, du Nouveau Code de procédure civile, en ce que la Cour d’appel a constaté, d’une part, que l’objet du contrat de fourniture de services conclu en l’espèce entre parties, sous forme de « contrat de développement de logiciel sur mesure », « consiste fondamentalement en une prestation de travail, de nature intellectuelle comportant analyse, conception et programmation »34, à réaliser à Luxembourg au siège de la demanderesse en cassation, tout en constatant, d’autre part, que « en matière de contrats de fournitures de services, la prestation caractéristique ne consiste pas, tel que l’affirme l’appelante, dans la « création » du service (i.e. elle se réfère au fait de « fabriquer » la plateforme) étant donné 31 Arrêt précité n° 129/18 IV-COM, numéro 44512 et 44605 du rôle, du 5 décembre 2018, page 5, premier alinéa.

32 Arrêt attaqué, page 8, cinquième alinéa.

33 Idem et loc.cit.

34 Idem et loc.cit.

que ce fait et le lieu où il est accompli sont sans importance »35, mais dans la fourniture du service, qui a eu lieu, en l’espèce, en France parce qu’il « ressort des éléments du dossier que la plateforme informatique devait servir à C) (i) d’optimiser son budget média et de gérer tout le workflow d’achat depuis les appels d’offres jusqu’au règlement de C) et (ii) de permettre à son département Achat de certifier ses procédures depuis les appels d’offres auprès des régies jusqu’à la certification de la facturation [de sorte que] les prestations relatives à la plateforme sont donc fournies et utilisées à partir du siège social de C) »36, alors que ces motifs se contredisent.

Ainsi qu’il a été vu ci-avant, dans le cadre de la discussion du premier moyen, la qualification du contrat en cause comme « contrat de développement de logiciel sur mesure », défini comme consistant « fondamentalement en une prestation de travail, de nature intellectuelle comportant analyse, conception et programmation »37 n’est pas en contradiction avec le constat tiré de ce que les prestations de services « fabriquées » ou « créées » sur base de ce contrat au Luxembourg ont été, au sens de l’article 7, paragraphe 1, point b), second tiret, du règlement Bruxelles Ibis, « fournies » au siège social de la défenderesse en cassation en France.

Le moyen n’est dès lors pas fondé.

Conclusion :

Le pourvoi est recevable, mais il est à rejeter.

Pour le Procureur général d’Etat Le Procureur général d’Etat adjoint John PETRY 35 Idem, page 9, cinquième alinéa.

36 Idem, même page, dernier alinéa.

37 Idem, page 8, cinquième alinéa.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 74/21
Date de la décision : 06/05/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2021-05-06;74.21 ?

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