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10/12/2020 | LUXEMBOURG | N°168/20

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 10 décembre 2020, 168/20


N° 168 / 2020 du 10.12.2020.

Numéro CAS-2019-00168 du registre.

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix décembre deux mille vingt.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Stéphane PISANI, conseiller à la Cour d’appel, Monique SCHMITZ, avocat général, Viviane PROBST, greffier à la Cour.

Entre:

1) l’ADMINISTRATION DE L’ENREGIS

TREMENT, DES DOMAINES ET DE LA TVA, représentée par son directeur, établie à L-1651 Luxembourg, 1-3, a...

N° 168 / 2020 du 10.12.2020.

Numéro CAS-2019-00168 du registre.

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix décembre deux mille vingt.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Stéphane PISANI, conseiller à la Cour d’appel, Monique SCHMITZ, avocat général, Viviane PROBST, greffier à la Cour.

Entre:

1) l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT, DES DOMAINES ET DE LA TVA, représentée par son directeur, établie à L-1651 Luxembourg, 1-3, avenue Guillaume, 2) l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, représenté par le Ministre d’Etat, ayant ses bureaux à L-1341 Luxembourg, 2, place de Clairefontaine, demandeurs en cassation, comparant par la société en commandite simple CLIFFORD CHANCE, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître Albert MORO, avocat à la Cour, et:

1) P), et son épouse 2) V), défendeurs en cassation, comparant par Maître Brice OLINGER, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.

Vu l’arrêt attaqué, numéro 92/19, rendu le 19 juin 2019 sous le numéro CAL-

2018-00586 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 25 novembre 2019 par l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT, DES DOMAINES ET DE LA TVA et l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG à P) et à V), déposé le 29 novembre 2019 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 21 janvier 2020 par P) et V) à l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT, DES DOMAINES ET DE LA TVA et à l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, déposé le 23 janvier 2020 au greffe de la Cour ;

Sur le rapport du président Jean-Claude WIWINIUS et les conclusions du premier avocat général Marie-Jeanne KAPPWEILER ;

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait annulé une décision du directeur de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines portant rejet de la demande des époux P) et V) de bénéficier du taux de TVA super-réduit de 3 % applicable aux travaux de création et de rénovation d’un logement acquis par eux et affecté à des fins d’habitation principale et de se voir rembourser la TVA y relative. La Cour d’appel a confirmé ce jugement.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l'article 13 de la loi modifiée du 12 février 1979 sur la taxe sur la valeur ajoutée (la ), tel que précisé par les articles ler et 3 du règlement grand-ducal modifié du 30 juillet 2002 concernant l'application de la taxe sur la valeur ajoutée à l'affectation d'un logement à des fins d'habitation principale et aux travaux de création et de rénovation effectués dans l'intérêt de logements affectes à des fins d'habitation principale (le ).

En ce que la Cour d'appel a jugé en l'espèce que :

Pour ce faire la Cour d'appel a retenu que :

et cela en réponse aux arguments invoqués par les parties demanderesses en cassation dans leurs actes de procédures, et notamment dans l'acte d'appel du 15 mai 2018 (pièce 9) suivant lesquels :

(pages 9 et 10 de l'acte d'appel du 15 mai 2018).

Les parties demanderesses avaient ensuite insisté dans leurs conclusions ultérieures sur le fait que seule la réalisation de l'affectation doit être prise en compte pour apprécier l'existence d'une livraison à soi-même (cf. les conclusions des parties demanderesses notifiées le 12 novembre 2018, page 6, pièce 10, ainsi que les conclusions des parties demanderesses notifiées le 26 février 2019, page 4, pièce 11).

Alors que la notion suppose, comme le rappellent les parties demanderesses en cassation dans leur acte d'appel, que le logement soit effectivement mis au service d'une habitation principale.

C'est donc par des motifs erronés en droit que la Cour d'appel a jugé dans l'Arrêt que la situation juridique de l'affectation à des fins d'habitation principale dans le chef d'un tiers de l'immeuble acquis par les époux P)-V) est intervenue en date du 17 juillet 2014, pour en déduire que la règlementation applicable à leur demande en remboursement était celle résultant du Règlement 2002. ».

Réponse de la Cour L’article 13 de la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée, dans sa teneur antérieure au 1er mars 2018, dispose :

« Sans préjudice des dispositions prévues à l´article 9, paragraphe 2, sont assimilés à une livraison effectuée à titre onéreux:

a) le prélèvement par un assujetti, dans le cadre de son entreprise, d´un bien qu´il affecte à son usage privé ou à celui de son personnel ou qu´il transmet à titre gratuit ou, plus généralement, qu´il utilise à des fins étrangères à son entreprise, à l´exclusion toutefois du prélèvement effectué à des fins de son entreprise pour donner des cadeaux de faible valeur et des échantillons commerciaux. Cette disposition n´est pas applicable, lorsque la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé le bien prélevé ou les éléments le composant n´a pas fait l´objet d´une déduction complète ou partielle dans le chef de l´assujetti.

b) l’affectation par un assujetti aux besoins de son entreprise d’un bien extrait, produit, construit, assemblé ou transformé par lui dans le cadre de son entreprise, sauf dans les cas où l’acquisition d’un tel bien auprès d’un autre assujetti ouvrirait droit dans son chef à la déduction complète de la taxe sur la valeur ajoutée.

Il en est de même lorsque le bien affecté a été extrait, produit, construit, assemblé ou transformé par un tiers au moyen de matières et d’objets que l’assujetti lui a confiés à cette fin, que le tiers ait fourni ou non une partie des matériaux.

Un règlement grand-ducal déterminera les limites et les conditions d’application des dispositions prévues à l’alinéa qui précède. Ce règlement, en vue d’éviter des distorsions de concurrence ou une non-taxation de la consommation finale, pourra également prévoir que certains faits économiques non expressément visés audit alinéa sont assimilés à une livraison effectuée à titre onéreux par un assujetti. ».

L’article 1 du règlement grand-ducal modifié du 30 juillet 2002 dispose :

« En exécution de l’article 13, alinéa 2, de la loi du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée, est assimilée à une livraison effectuée à titre onéreux l'affectation d'un logement à des fins d'habitation principale. ».

L’article 3 du même règlement grand-ducal dispose :

« Est considérée comme affectation d’un logement à des fins d’habitation principale le fait de mettre un logement au service d’une habitation principale, soit directement dans son propre chef soit indirectement dans le chef d’un tiers. ».

Le règlement grand-ducal du 19 décembre 2014, entré en vigueur le 1er janvier 2015, invoqué par les demandeurs en cassation, a modifié le règlement grand-

ducal du 30 juillet 2002 en ce qu’il ne prévoit plus l’octroi du taux de TVA super-

réduit lorsque l’habitation est donnée en location à un tiers aux fins d’habitation principale.

En décidant, aux fins de déterminer la réglementation applicable à la demande des défendeurs en cassation, que le fait générateur de la TVA est constitué par l’acte de vente notarié conférant à l’acquéreur la qualité d’assujetti par une livraison à soi-

même d’une maison d’habitation dont la quantité des travaux de construction réalisés, qui forment la base d’imposition, a été certifiée dans l’acte notarié et en en déduisant, au vu du respect de la condition de l’affectation du logement à une habitation principale après l’achèvement intégral des travaux, que les défendeurs en cassation étaient en droit de bénéficier du taux de TVA super-réduit, les juges d’appel n’ont pas violé les dispositions visées au moyen.

Il en suit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le second moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l'article 13 alinéa 2 de la loi modifiée du 12 février 1979 sur la taxe sur la valeur ajoutée (la ), tel que précisé par les articles 1er et 3 du Règlement 2002.

En ce que la Cour d'appel a précisé dans l'Arrêt que :

.

Pour en conclure que :

.

Ou encore que :

La Cour a fondé sa décision sur des motifs imprécis et non pertinents, ne permettant pas aux parties demanderesses de percevoir clairement le raisonnement qui a fondé la décision prise par la Cour dans l'Arrêt, ni à la Cour de cassation d'exercer son contrôle faute d'énonciations suffisantes quant aux éléments dont dépend la règle de droit qu'elle applique, et partant l'Arrêt doit être censuré pour défaut de base légale. ».

Réponse de la Cour Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, un moyen ou un élément de moyen ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture.

Le moyen articule, d’une part, la violation de l'article 13, alinéa 2, de la loi modifiée du 12 février 1979 sur la taxe sur la valeur ajoutée et des articles 1 et 3 du règlement grand-ducal du 30 juillet 2002 et, d’autre part, le grief tiré du défaut de base légale, partant deux cas d’ouverture distincts.

Il en suit que le moyen est irrecevable.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge des défendeurs en cassation l’intégralité des frais non compris dans les dépens. Il convient de leur allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

rejette le pourvoi, condamne les demandeurs en cassation à payer aux défendeurs en cassation une indemnité de procédure de 2.500 euros, les condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Brice OLINGER, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Jean-Claude WIWINIUS en présence de l’avocat général Monique SCHMITZ et du greffier Viviane PROBST.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation Administration de l’Enregistrement et des Domaines et Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre P) et V) Le pourvoi en cassation introduit par l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines et l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg par un mémoire en cassation signifié le 25 novembre 2019 aux défendeurs en cassation et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 29 novembre 2019 est dirigé contre un arrêt n°92/19 rendu en date du 19 juin 2019 par la Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière civile, statuant contradictoirement (n° CAL-2018-00586 du rôle). Cet arrêt ne semble pas avoir été signifié aux demandeurs en cassation.

Le pourvoi en cassation est recevable pour avoir été interjeté dans la forme et le délai prévus à l’article 7 de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Les défendeurs en cassation ont signifié un mémoire en réponse en date du 21 janvier 2020 et l’ont déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice en date du 23 janvier 2020.

Ce mémoire peut être pris en considération pour avoir été signifié et déposé dans la forme et le délai prévus à l’article 16 de la loi précitée du 18 février 1885.

Les faits et rétroactes En date du 17 juillet 2014, P) et V) ont acquis par acte notarié un immeuble d’habitation entièrement achevé qu’ils ont donné en location à un tiers à partir du 1er septembre 2015 sur base d’un contrat de bail daté du 17 juillet 2015.

En date du 7 janvier 2016, ils ont demandé un remboursement de TVA auprès de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines afin de bénéficier du taux super-

réduit de 3 % applicable, sous certaines conditions, aux travaux de création et de rénovation d’un logement affecté à des fins d’habitation principale.

Cette demande de remboursement a été refusée par le Bureau d’imposition-Service Remboursement- dans un courrier du 6 janvier 2017. Ce refus était basé sur les dispositions du règlement grand-ducal du 19 décembre 2014 entré en vigueur le 1er janvier 2015 et modifiant le règlement grand-ducal du 30 juillet 2002 concernant l’application de la taxe sur la valeur ajoutée à l’affectation d’un logement à des fins d’habitation principale et aux travaux de création et de rénovation effectués dans l’intérêt de logements affectés à des fins d’habitation principale et fixant les modalités d’exécution y relatives, au motif que le logement pour lequel la demande en remboursement était formulée ne faisait pas l’objet d’une affectation à titre d’habitation principale dans le chef du propriétaire.

Si l’article 3 du règlement grand-ducal modifié du 30 juillet 2002 dispose qu’ « est considérée comme affectation d’un logement à des fins d’habitation principale le fait de mettre un logement au service d’une habitation principale, soit directement dans son propre chef soit indirectement dans le chef d’un tiers », le règlement grand-ducal du 19 décembre 2014 précité a remplacé l’article 5, alinéa 1er, dudit règlement en apportant une restriction importante. Ledit article 5, alinéa 1er, a pris la teneur suivante : « par création d’un logement on entend, au sens du présent règlement, les opérations suivantes effectuées dans l’intérêt d’une affectation à des fins d’habitation principale au sens de l’article 3 dans le chef du propriétaire du logement : … »1.

A partir du 1er janvier 2015, date d’entrée en vigueur du règlement précité du 19 décembre 2014, le taux super-réduit de 3 % s’appliquait donc aux seuls logements affectés à des fins d’habitation principale dans le chef du propriétaire.

Suite à une réclamation de P) et V), le Directeur de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines confirma le refus opposé par le Bureau d’imposition -Service Remboursement- dans une décision du 12 avril 2017 au motif que le fait générateur emportant taxation à la TVA est la date de l’affectation réelle du logement à des fins d’habitation principale, soit le 1er septembre 2015, date à laquelle l’immeuble acheté a été donné en location à un tiers, et qu’à cette date les logements d’habitation qui ne sont pas occupés à des fins d’habitation principale par le propriétaire sont exclus du bénéfice du taux super-réduit.

Par exploit d’huissier du 5 juillet 2017, P) et V) ont fait assigner l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines et l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg pour les voir condamner à leur payer la somme de 31.225,63 euros au titre du différentiel de TVA entre le montant acquitté par eux lors de l’acquisition de l’immeuble complètement achevé au taux de 15% et le taux super-réduit de 3 % avec les intérêts légaux.

Par jugement du 7 février 2018, le tribunal d’arrondissement a dit la demande fondée contre l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines et a annulé la décision du Directeur de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines du 12 avril 2017. La demande dirigée contre l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg a été jugée prématurée, et le dossier a été renvoyé devant l’Administration de l’Enregistrement aux fins d’examen de la demande de remboursement sur base de la législation applicable au cours de l’année 2014.

1 Nous soulignons Contre ce jugement, l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines et l’Etat ont relevé appel par exploit d’huissier du 15 mai 2018.

En date du 19 juin 2019, la Cour d’appel a rendu un arrêt, par lequel elle ¨ « reçoit l’appel, le dit non fondé, confirme le jugement entrepris, bien que pour d’autres motifs, dit non fondé la demande de l’AED et de l’ETAT en obtention d’une indemnité de procédure sur base de l’article 240 du Nouveau code de procédure civile, condamne l’AED et l’ETAT à payer aux époux P)-V) une indemnité de procédure de 1.500 euros pour l’instance d’appel, condamne l’AED et l’ETAT aux frais et dépens de l’instance d’appel ».

Cet arrêt fait l’objet du présent pourvoi.

Sur le deuxième moyen de cassation, qui est préalable :

Le deuxième moyen de cassation est « tiré de la violation de l’article 13 alinéa 2 de la loi modifiée du 12 février 1979 sur la taxe sur la valeur ajoutée (la « Loi TVA »), tel que précisé par les articles 1et 3 du Règlement 2002 »2 pour défaut de base légale.

Le défaut de base légale se définit comme « l’insuffisance des constatations de fait pour statuer sur le droit ».3 Il convient dès lors d’examiner les dispositions légales visées au moyen :

L’alinéa 2 de l’article 13 de la loi modifiée du 12 février 1979 sur la taxe sur la valeur ajoutée prévoit qu’« un règlement grand-ducal déterminera les limites et les conditions d'application des dispositions prévues à l'alinéa qui précède4. Ce règlement, en vue d'éviter des distorsions de concurrence ou une non-taxation de la consommation finale, pourra également prévoir que certains faits économiques non expressément visés audit alinéa sont assimilés à une livraison effectuée à titre onéreux par un assujetti. » 2 Règlement grand-ducal modifié du 30 juillet 2002 concernant l’application de la taxe sur la valeur ajoutée à l’affectation d’un logement à des fins d’habitation principale et aux travaux de création et de rénovation effectués dans l’intérêt de logements affectés à des fins d’habitation principale 3 J. et L. Boré, La cassation en matière civile, Ed. Dalloz, 5e éd. 2015/2016, n°78.21 4 L’article 13 de la loi modifiée du 12 février 1979 sur la taxe sur la valeur ajoutée dispose que, sans préjudice des dispositions prévues à l'article 9, paragraphe 2, certains prélèvements de biens et certaines affectations de biens sont assimilés à une livraison effectuée à titre onéreux (alinéa1er, points a et b).

C’est le règlement grand-ducal du 30 juillet 2002 concernant l’application de la taxe sur la valeur ajoutée à l’affectation d’un logement à des fins d’habitation principale et aux travaux de création et de rénovation effectués dans l’intérêt de logements affectés à des fins d’habitation principale et fixant les modalités d’exécution y relatives, qui régit l’application du taux super-réduit de 3 % en matière de logement :

Les articles 1 et 3 du règlement visés au moyen sont libellés comme suit:

Article 1er : « En exécution de l'article 13, alinéa 2 de la loi du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée, est assimilée à une livraison effectuée à titre onéreux l'affectation d'un logement à des fins d'habitation principale. »5 Article 3 : « Est considérée comme affectation d'un logement à des fins d'habitation principale le fait de mettre un logement au service d'une habitation principale, soit directement dans son propre chef soit indirectement dans le chef d'un tiers. » Le champ d’application de cet article 3 a été restreint à partir du 1er janvier 2015 suite à l’entrée en vigueur du règlement grand-ducal du 19 décembre 2014, qui a modifié l’article 5, alinéa 1er, lequel a pris la teneur suivante : « par création d’un logement on entend, au sens du présent règlement, les opérations suivantes effectuées dans l’intérêt d’une affectation à des fins d’habitation principale au sens de l’article 3 dans le chef du propriétaire du logement : … » 67 L‘arrêt dont pourvoi a retenu comme faits établis :

« En date du 7 janvier 2016, les époux P)-V) ont introduit auprès de l’AED une demande en remboursement du différentiel de TVA entre le montant acquitté par eux au taux de 15% et le taux super-réduit de 3% pour un immeuble nouvellement construit, complètement achevé, sis à

____, acquis par eux suivant acte notarié du 17 juillet 2014. L’acte notarié précise en son article 5 que le prix de vente des constructions s’élève à la somme de 299.245,63 euros et que le vendeur, la société T), n’a pas encore demandé le remboursement de TVA, de sorte que cette dernière cède le bénéfice de remboursement de TVA aux acquéreurs. » 5 L’article 21 de la loi modifiée du 12 février 1979 sur la taxe sur la valeur ajoutée (la « Loi TVA ») dispose que « Sous réserve des dispositions prévues à l’article 22, le fait générateur de la taxe a lieu : a) pour la livraison de biens ou les prestations de services : au moment où la livraison ou la prestation est effectuée. » 6 Nous citons cette disposition pour une énumération complète, tout en sachant que l’applicabilité de ce texte fait l’objet de contestations 7 Aux termes de l’article 24 de la loi modifiée du 12 février 1979 sur la taxe sur la valeur ajoutée (la « Loi TVA »), « La taxe devient exigible au moment où, conformément aux articles 21 et 22, le fait générateur de la taxe a lieu ou est réputé avoir lieu. » Pour conclure à l’applicabilité du règlement grand-ducal du 30 juillet 2002 dans sa version antérieure à la modification par le règlement grand-ducal du 19 décembre 2014, l’arrêt dont pourvoi a retenu :

« Dans l’hypothèse d’une procédure de remboursement, le fournisseur a livré le bien immeuble à son client en exonération de la taxe, conformément à l’article 44 § 1., f, de la loi sur la TVA qui prévoit que « sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens immeubles ainsi que les cessions de droits réels immobiliers ».

Le client doit dès lors, afin d’obtenir le remboursement de la TVA existante dans le prix de l’immeuble qu’il a acquis, créer un différentiel de TVA (TVA en aval – TVA en amont) et il doit, pour créer la TVA en aval, procéder à une livraison à soi-même au sens de l’article 13 de la loi sur la TVA. A cette fin, il doit affecter l’immeuble à des fins d’habitation principale, conformément à l’article 1er du Règlement 2002 disposant qu’« en exécution de l’article 13, alinéa 2 de la loi du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée, est assimilée à une livraison effectuée à titre onéreux l’affectation d’un logement à des fins d’habitation principale ».

Contrairement à ce qui a été retenu par les juges de première instance, qui ont dit que le droit au remboursement de la TVA doit être apprécié au regard de la réglementation telle qu’applicable au jour de la prestation des travaux faisant l’objet de la demande de remboursement, c’est donc au moment où est réalisée l’affectation des appartements litigieux à des fins d’habitation principale qu’il convient de se placer pour apprécier les conséquences fiscales de cette opération et donc le taux de TVA applicable à la demande de remboursement présentée, conformément à l’article 39 de la loi TVA disposant que « le taux applicable aux livraisons de biens et aux prestations de services est celui en vigueur au moment de la réalisation du fait générateur de la taxe ».

(…) La Cour constate cependant que, ce faisant, les juges de première instance ont omis de prendre en considération le fait que dans le cadre d’une demande de remboursement, le mécanisme fiscal de la création de la TVA ne se réalise qu’au moment de la livraison à soi-même. Il résulte en effet des articles prémentionnés que le droit au remboursement concernant les travaux antérieurs à la demande de remboursement est conditionné par la présentation de factures permettant à l’administration fiscale de déterminer concrètement le montant à rembourser au jour de la demande. C’est à ce moment que se produit « la livraison à soi-même » au sens de l’article 13 de la Loi sur la TVA des travaux visés par la demande, étant relevé qu’une telle livraison ne saurait se faire à l’avance au moyen d’une simple déclaration d’intention, l’administration fiscale n’étant dans ce cas pas en mesure de quantifier le montant redû.

Les époux P)-V) ont présenté une demande de remboursement à l’administration fiscale en date du 7 janvier 2016, déclarant que l’immeuble par eux acquis en date du 17 juillet 2014 est affecté à des fins « d’habitation principale, moyennant location, dans le chef d’un tiers ».

En application des textes sus indiqués, l’affectation à des fins d’habitation principale dans le chef des époux P)-V) s’est partant réalisée au moment de l’acte notarié d’acquisition des travaux visés par la demande de remboursement, soit au 17 juillet 2014, lequel acte certifiant la quantité des travaux réalisés jusqu’à cette date.

En considération de ce mécanisme fiscal de création de la TVA, la Cour arrive à la conclusion que le fait générateur du droit au remboursement ne peut pas résider dans une simple déclaration d’intention d’affectation à des fins d’habitation principale et que cette affectation se réaliserait à la date d’exécution des travaux, mais que l’affectation d’un immeuble à des fins d’habitation principale en tant que fait générateur de la taxe se produit concrètement à la date à laquelle l’assujetti souhaitant bénéficier de la faveur du droit du remboursement se déclare (et/ou devient) propriétaire des biens immeubles jusqu’à cette date non spécialement affectés à une fin déterminée, soit en l’espèce à la date de l’acte notarié de vente invoqué à l’appui de la demande de remboursement, à savoir par acte notarié du 17 juillet 2014.

Depuis l’entrée en vigueur du Règlement grand-ducal du 19 décembre 2014, soit à partir du 1er janvier 2015, sont soustraits du bénéfice du taux de TVA super-réduit les travaux de construction de logements destinés à des fins d’habitation principale dans le chef d’une personne autre que le propriétaire.

Dès lors qu’en l’espèce, la situation juridique de l’affectation à des fins d’habitation principale dans le chef d’un tiers de l’immeuble acquis par les époux P)-V) est intervenue en date du 17 juillet 2014, la réglementation applicable à leur demande en remboursement est partant celle résultant du Règlement du 30 juillet 2002.

Au vu des développements précédents, la décision du directeur de l’AED du 12 avril 2017 n’est pas justifiée et l’appel est partant non fondé.

Il y a dès lors lieu de confirmer le jugement entrepris, bien que pour d’autres motifs et de renvoyer le dossier devant les services de l’AED aux fins d’examen de la demande de remboursement sur base de la législation applicable au cours des années 2013 et 2014. »8 La Cour d’appel a retenu à juste titre que c’était l’affectation de l’immeuble à des fins d’habitation principale qui était le fait générateur de la taxe et qui était assimilée à une livraison à soi-même. Au vu de la modification du règlement de 2002 par le règlement grand-ducal du 19 décembre 2014, la détermination de la date de l’affectation prémentionnée avait une incidence sur les dispositions applicables à la demande de remboursement des défendeurs en cassation.

Les juges du fond ont constaté que l’immeuble litigieux constitue une construction nouvellement érigée n’ayant encore fait l’objet d’aucune affectation de quelque nature que ce soit. De même, il est constant en cause que cet immeuble a été donné en location à un tiers seulement à partir du 1er septembre 2015.9 La question cruciale à trancher et sur laquelle divergeaient les conclusions des parties, était celle de déterminer la date de l’affectation de l’immeuble à des fins d’habitation principale.10 L’existence d’une contestation, qui constitue une condition même de recevabilité du grief de défaut de base légale, est manifeste.

A la lecture des motifs de l’arrêt dont pourvoi cités in extenso ci-dessus, il est impossible de déterminer sur quels faits la Cour d’appel s’est basée pour conclure à une affectation à des fins d’habitation principale au moment de l’acte notarié d’acquisition.

Le grief de défaut de base légale est partant fondé.

Sur le premier moyen de cassation :

Le premier moyen de cassation est « tiré de la violation de l’article 13 de la loi modifiée du 12 février 1979 sur la taxe sur la valeur ajoutée (la « Loi TVA »), tel que précisé par les articles 1et 3 du Règlement grand-ducal modifié du 30 juillet 2002 concernant l’application de la taxe sur la valeur ajoutée à l’affectation d’un logement à des fins d’habitation principale et aux travaux de création et de rénovation effectués dans l’intérêt de logements affectés à des fins d’habitation principale» 8 Nous qui soulignons 9 Il s’agit d’un fait non contesté, ni en première instance ni en instance d’appel. Un contrat de bail daté du 17 juillet 2015 entre les époux P)-V) et un tiers prévoit une prise d’effet au 1er septembre 2015 (pièce 2 de la farde de pièces des demandeurs en cassation).

10 J. et L. Boré, La cassation en matière civile, Ed. Dalloz, 5e éd. 2015/2016, n°78.82 : « La prise en considération des conclusions d’appel du demandeur au pourvoi intervient pour apprécier l’étendue de l’obligation de motiver du juge du fond. » La soussignée renvoie à ses conclusions concernant le deuxième moyen et est d’avis que sur base des constatations de fait retenues par l’arrêt dont pourvoi, votre Cour se trouve dans l’impossibilité de contrôler la correcte application des dispositions visées au moyen.

Conclusion Le pourvoi est recevable.

Il est également fondé.

Pour le Procureur Général d’Etat, Le 1er avocat général, Marie-Jeanne Kappweiler 18


Synthèse
Numéro d'arrêt : 168/20
Date de la décision : 10/12/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 15/12/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2020-12-10;168.20 ?

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