La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/12/2020 | LUXEMBOURG | N°161/20

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 03 décembre 2020, 161/20


N° 161 / 2020 du 03.12.2020 Numéro CAS-2019-00141 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trois décembre deux mille vingt.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Elisabeth EWERT, avocat général, Viviane PROBST, greffier à la Cour.

Entre:

A), veuve E), demeurant à (…), demanderesse en

cassation, comparant par Maître Emmanuel HANNOTIN, avocat à la Cour, en l’étude duquel...

N° 161 / 2020 du 03.12.2020 Numéro CAS-2019-00141 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trois décembre deux mille vingt.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Lotty PRUSSEN, conseiller à la Cour de cassation, Elisabeth EWERT, avocat général, Viviane PROBST, greffier à la Cour.

Entre:

A), veuve E), demeurant à (…), demanderesse en cassation, comparant par Maître Emmanuel HANNOTIN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

1) B), demeurant à (…), 2) C), demeurant à (…), défendeurs en cassation, comparant par Maître Monique WATGEN, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, 3) la fondation de droit liechtensteinois « D) », établie et ayant son siège social à (…), représentée par son conseil (Stiftungsrat), défenderesse en cassation.

1Vu l’arrêt attaqué, numéro 127/19, rendu le 19 juin 2019 sous le numéro CAL-2018-00843 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, première chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 6 septembre 2019 par A), veuve E), à B), à C) et à la fondation de droit liechtensteinois « D) », déposé le 9 septembre 2019 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 29 octobre 2019 par B) et C) à A) et à la fondation de droit liechtensteinois « D) », déposé le 6 novembre 2019 au greffe de la Cour ;

Sur le rapport du président Jean-Claude WIWINIUS et les conclusions de l’avocat général Monique SCHMITZ ;

Sur la recevabilité du pourvoi qui est contestée La défenderesse en cassation conclut à l’irrecevabilité du pourvoi au motif que le moyen unique met en œuvre deux cas d’ouverture distincts.

Une éventuelle irrecevabilité des moyens n’entraîne pas l’irrecevabilité du pourvoi.

Il en suit que le moyen d’irrecevabilité du pourvoi n’est pas fondé.

Le pourvoi, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, saisi par B) et C), les deux fils de E) et héritiers réservataires de celui-ci, décédé ab intestat, marié en secondes noces avec A), d’une demande en partage dirigée contre A) et d’une demande reconventionnelle dirigée par celle-ci en condamnation de B) et C) au paiement d’une certaine somme du chef de recel successoral, avait, notamment, déclaré non fondée la demande reconventionnelle. La Cour d’appel a, par réformation, déclaré irrecevable la demande reconventionnelle pour défaut de qualité d’héritière dans le chef de A).

Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation sinon de la fausse sinon de la mauvaise application de l'article 767-1 du Code civil relatif aux rapports entre cohéritiers qui dispose que :

.

et tiré de la violation sinon de la fausse sinon de la mauvaise application de l'article 857 du Code civil relatif aux rapports entre cohéritiers qui dispose que :

.

en ce que la première chambre de la Cour d'appel de Luxembourg, siégeant en matière civile, a déclaré que :

.

pour déclarer l'appel limité formé par Madame A) non fondé ;

4alors que l'article 767-1 du Code civil institue le conjoint survivant héritier légal, alors que la sanction de recel s'applique à toutes les personnes appelées à recueillir une quote-part de la succession à un titre quelconque et que Madame A) est donc en droit, en sa qualité d'héritière, de solliciter la condamnation des parties défenderesses en cassation sub 1) et sub 2) du chef de recel, alors qu'en sa qualité de conjoint survivant héritier légal, Madame A) est fondée à agir en rapport successoral contre ses cohéritiers, en vue de reconstituer le patrimoine du défunt tel qu'il l'aurait été en l'absence de donations, et ainsi assurer l'égalité du partage entre héritiers, qu'en considérant le contraire, la première chambre de la Cour d'appel de Luxembourg, siégeant en matière civile, a violé et fait une fausse sinon une mauvaise application des dispositions des articles 767-1 et 857 du Code civil. ».

Réponse de la Cour En retenant « En cas d’adoption d’une communauté universelle en présence d’enfants du premier lit, seul l’article 1094 du Code civil s’applique, de sorte qu’en tant que conjoint survivant ayant fait l’objet de libéralités, A) ne peut plus prétendre à sa part héréditaire, telle qu’elle lui est reconnue en principe par la loi » et « Il découle de ces développements qu’à défaut de revêtir la qualité d’héritière, l’appelante n’est ni débitrice ni créancière d’un rapport et elle n’est pas recevable à se prévaloir du recel. », les juges d’appel n’ont pas violé les dispositions visées au moyen.

Il en suit que le moyen n’est pas fondé.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge des défendeurs en cassation B) et C) l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de leur allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

déclare le pourvoi recevable ;

5le rejette ;

condamne la demanderesse en cassation à payer aux défendeurs en cassation B) et C) une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

la condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Monique WATGEN, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Jean-Claude WIWINIUS en présence de l’avocat général Elisabeth EWERT et du greffier Viviane PROBST.

6Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation A), veuve E), contre B), C) et la fondation de droit lichtensteinois D) affaire n° CAS-2019-00141 du registre Le pourvoi en cassation introduit par A), veuve E), par mémoire en cassation daté au 5 septembre 2019, signifié à B), C) et la fondation de droit liechtensteinois D) le 6 septembre 2020, et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice en date du 9 septembre 2019, est dirigé contre l’arrêt n° 127/19-I-CIV rendu le 19 juin 2019 par la Cour d’appel, 1ère chambre civile, siégeant en matière civile.

L’arrêt dont pourvoi a fait l’objet d’une signification à la demanderesse en cassation le 8 juillet 2019.

Le pourvoi en cassation a été interjeté dans les forme et délai prévus aux articles 7 et 10 de la loi modifiée du 18 février 1885.

Les parties défenderesses en cassation B) et C) ayant signifié un mémoire en réponse le 29 octobre 2019, déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 6 novembre 2019, ce mémoire en réponse est à considérer.

Quant aux antécédents factuels et procéduraux :

Le litige à la base porte sur le partage et la liquidation de la succession de feu E), décédé ab intestat, marié en deuxièmes noces avec A), deux héritiers réservataires du défunt étant issus de ses premières noces, à savoir ses deux fils B) et C). Ces derniers ont assigné en partage l’épouse en deuxièmes noces de feu leur père.

A rappeler qu’aux termes du contrat de mariage dressé le 12 octobre 2004, les époux E) et A) ont adopté le régime de la communauté des biens universelle de tous les biens présents et à venir. Il est stipulé qu’en cas de prédécès de l’un des époux, la communauté universelle reviendrait au survivant, conformément à l’article 1525 du code civil, le tout, sous réserve des droits des deux enfants du précédent mariage en vertu de l’article 1094 du Code civil. Le contrat prévoit encore que (…) les époux déclarent se faire donation, par le prémourant au survivant de la plus forte quotité disponible, tant en pleine propriété, qu’en usufruit (…).

7Inutile de relater l’ensemble des tenants et aboutissants de la cause, le pourvoi en cassation étant cantonné à la seule question du recel successoral invoqué reconventionnellement par A).

Plus précisément, A) a reproché aux consorts B)-C) d’avoir omis délibérément, depuis la date du décès de E), de faire état des donations perçues par eux de la part de leur père du vivant de ce dernier. Il s’agirait de fonds touchés suite à la vente de deux appartements sis à Cannes, soit du montant de 94.767,04.- euros chacun en date du 18 août 2001, ainsi que du montant de 50.719.- euros, produit de la vente du deuxième appartement. En outre, chacun des deux fils aurait reçu annuellement un montant de 1.000.- euros sur 13 ans, soit 26.000.- euros au total. Ainsi les consorts B)-C) auraient commis un recel successoral au sens de l’article 792 du Code civil et devraient rapporter à la succession de ce dernier la somme totale de 266.253,08 euros pour en faire partie intégrante de la masse à partager.

Les consorts B)-C), soutenant que A) n’intervient pas en tant qu’héritière à cette masse mais y est appelée en sa qualité de donataire à cause de mort, instituée comme telle par le contrat de mariage, ont fait valoir qu’elle n’est pas recevable à exiger un quelconque rapport des donations consenties à la masse, les seuls héritiers légaux ayant cette qualité.

Pour le surplus, ils ont contesté avoir été gratifiés de la part de leur père tant d’une somme de 1.000.- euros par an sur 13 ans, que de la somme de 50.719.- euros. Ils ont admis avoir eu cadeau de 94.767,04.- euros chacun, tout en soutenant ne plus se rappeler du contexte exact de ce transfert.

Aux termes du jugement n° 104/2018 rendu le 18 avril 2018 par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, les premiers juges ont dit non fondée la demande de A) du chef de recel successoral.1 Ils ont retenu qu’en l’espèce A) est appelée à la succession de feu E) en tant qu’héritière de son conjoint et que les peines du recel sont applicables au conjoint survivant dans le cas où les conditions de l’article 792 du Code civil sont données. Etant toutefois venus 1 Pour le surplus, ils ont dit que les opérations de partage et de liquidation de la succession de feu E) doivent s’étendre sur les avoirs de la fondation de droit liechtensteinois D) qui sont à prendre en considération à leur valeur au jour du décès de feu E), ils se sont déclarés incompétents pour connaître de la demande en partage de l’immeuble sis à Mougins (France) ainsi que des demandes en annulation des donations touchées prétendument par A) de la part du de cujus en rapport avec l’immeuble sis à (…) de même que de la demande en condamnation de A) pour recel successoral quant à ces donations. Quant à la demande en retranchement sur base de l’article 1527 alinéa 2 du Code civil, ils ont avant tout autre progrès en cause, ordonné une expertise et commis pour y procéder Madame le notaire F), demeurant à (…), avec la mission de concilier les parties si faire se peut sinon dans un rapport écrit et motivé d’évaluer l’avantage matrimonial reçu par A) en vertu du contrat de mariage conclu le 12 octobre 2004 par comparaison entre les droits que A) tirait de la liquidation de la communauté universelle ayant existé entre feu E) et A) avec attribution intégrale de la communauté au survivant et de la liquidation des droits que le conjoint survivant, A), aurait eu sous le régime de la communauté légale et en fonction de la valeur des biens au décès de E) conformément à l’article 922 du Code civil, de calculer le montant de la quotité disponible entre époux équivalant en l’espèce à 1/3 en propriété et 2/3 en usufruit et calculer la réserve en tenant compte de l’avantage matrimonial évalué ci-avant, de déterminer les réductions à effectuer en comparant la valeur de l’avantage matrimonial et de la quotité disponible entre époux.

8à la conclusion qu’en l’occurrence lesdites conditions ne sont pas réunies, ils ont débouté A) de sa demande.

Suite à l’appel interjeté par A), reprochant aux premiers juges de ne pas avoir déclaré fondé sa demande, et l’appel incident formulé par les consorts B)-C), leur reprochant de ne pas avoir déclaré irrecevable sa demande2, la Cour d’appel, aux termes de l’arrêt n° 127/19-I-CIV rendu le 19 juin 2019, a par réformation déclaré irrecevable la demande de A).

La motivation des magistrats d’appel se lit comme suit :

« En instance d’appel, A) ne conteste pas le principe même invoqué par les consorts B)-C) disant que seul un héritier appelé à la succession et au partage a qualité à se prévaloir du recel, notamment que seul un héritier redevable du rapport est recevable à exiger un rapport à la masse successorale.

En l’espèce le contrat de mariage du 12 octobre 2004 par lequel les époux A)-

E) ont adopté la communauté universelle prévoit aux articles 3 et 4 que : « conformément à l’article 1525 du Code civil, les époux stipulent que la totalité de la communauté appartiendra au survivant d’entre eux, cette stipulation n’étant pas à considérer comme une donation entre époux mais comme une convention de mariage et entre associés.

Pour autant que de besoin, les époux déclarent se faire donation entre vifs, par le prémourant au survivant, ce qu’ils acceptent respectivement de la plus forte quotité disponible, tant en pleine propriété qu’en usufruit » .

Le conjoint survivant ayant fait l’objet de libéralités de la part du de cujus ne peut plus prétendre à sa part héréditaire, étant donné que l’article 767-1 du Code civil instituant le conjoint survivant héritier légal, ne règle les droits du conjoint survivant qu’à défaut de dispositions testamentaires et à défaut de libéralités lui consenties.

En cas d’adoption d’une communauté universelle en présence d’enfants d’un premier lit, seul l’article 1094 du Code civil s’applique, de sorte qu’ en tant que conjoint survivant ayant fait l’objet de libéralités, A) ne peut plus prétendre à sa part héréditaire, telle qu’elle lui est reconnue en principe par la loi (cf. Cass.20 mai 2010, Pas.35, p.213).

Conformément à l’article 857 du Code civil le rapport n’est dû par l’héritier qu’à ses co-héritiers. L’article 921 du Code civil précise encore que la 2 Les consorts B)-C) ont encore soulevé l’irrecevabilité de l’appel pour n’avoir été signifié qu’au seul mandataire judiciaire de la Fondation de droit liechtensteinois « D) », appelée à l’instance pour se faire déclarer commun l’arrêt à intervenir. La cour d’appel ayant retenu que la Fondation de droit liechtensteinois « D) », appelée à l’instance pour se faire déclarer commun le présent arrêt, a déclaré accepter la signification de l’acte d’appel au domicile élu de son mandataire judiciaire, elle a rejeté le moyen d’irrecevabilité et a déclaré recevable l’appel principal pour avoir été relevé dans les forme et délai de la loi.

9réduction des dispositions entre vifs ne pourra être demandée que par ceux au profit desquels la loi fait la réserve.

L'article 857 du Code civil place le rapport successoral sous le signe de la réciprocité. N'étant dû que par les héritiers ab intestat du disposant, il ne profite qu'à ces derniers. Le rapport destiné à faire régner l'égalité entre les héritiers n'est dû que par un cohéritier à son cohéritier et donc seulement si cet héritier est appelé lui-même à en bénéficier.

En l’espèce, A), en sa qualité de conjoint survivant, commune en biens avec clause d’attribution intégrale de la communauté au survivant, donataire et bénéficiaire légale, n’est pas à qualifier d’héritière ab intestat, étant donné que la succession de E) est au premier regard vide et ce n’est que par l’effet de l’action en retranchement que les héritiers réservataires sont remplis dans leurs droits.

L'avantage matrimonial est un bénéfice que se consentent les époux dans leur contrat de mariage, à l’occasion d’un changement ou au jour de la liquidation de leur pacte matrimonial. C’est un enrichissement résultant au profit d’un époux à l’encontre de l’autre du seul fonctionnement du régime matrimonial.

Un tel avantage n’est pas à considérer d’une manière générale comme une libéralité, sauf à deux égards : du point de vue de la protection des enfants d'un premier lit et du point de vue de la révocation en cas de divorce.

Il a donc sa source dans le fonctionnement du régime matrimonial dans lequel il se fond, alors qu’une libéralité réalisée par contrat de mariage n’est qu’une adjonction faite au régime matrimonial.

L'action en retranchement de l'article 1527 du Code civil n'est rien d'autre qu'une forme particulière d'action en réduction, spécifiquement destinée aux avantages matrimoniaux.

En l’espèce, les époux A)-E) se sont fait pour autant que de besoin donation entre vifs, par le prémourant au survivant de la plus forte quotité disponible, tant en pleine propriété, qu’en usufruit des biens meubles et immeubles qui composeront la succession du prémourant au jour de son décès, pour l’époux donataire en disposer dès lors en pleine propriété.

Ainsi A) recueille tout le patrimoine du de cujus par le biais des avantages matrimoniaux et pour autant que de besoin par une donation, de sorte qu’elle n’est pas à considérer comme héritière.

Il découle de ces développements qu’à défaut de revêtir la qualité d’héritière, l’appelante n’est ni débitrice ni créancière d’un rapport et elle n’est pas recevable à se prévaloir du recel. Le jugement entrepris est à réformer pour avoir dit que la demande afférente de l’appelante est recevable. ».

C’est contre cet arrêt qu’est dirigé le pourvoi.

10Quant à l’unique moyen de cassation :

Même si l’intitulé « MOYENS3 DE CASSATION » est formulé au pluriel, l’architecture subséquente est telle que la demanderesse en cassation n’a formulé qu’un seul et unique moyen tiré de la violation, sinon de la fausse application de l’article 767-

1 du Code civil, ainsi que de la violation, sinon de la fausse application de l’article 857 du même code, en ce que la Cour d’appel « a déclaré l’appel limité formé par Madame A) non fondé », alors que l’article 767-1 du Code civil « institue le conjoint héritier légal » et qu’ « en cette qualité A) est fondée à agir en rapport successoral contres ses cohéritiers en vue de reconstituer le patrimoine du défunt tel qu’il l’aurait été en l’absence de donations et ainsi d’assurer l’égalité du partage entre héritiers ». En considérant le contraire, la Cour d’appel a violé et fait une mauvaise application des articles 767-1 et 857 du Code civil.

Aux termes du développement du moyen, la demanderesse en cassation fait un amalgame entre diverses notions juridiques en matière de succession, dont la délivrance de legs, la réduction des libéralités et des legs, etc., non liées au contexte factuel et juridique de la cause sous examen, pour parvenir à la conclusion que « nier à A) la possibilité d’agir en rapport successoral contre ses cohéritiers c’est lui nier sa qualité d’héritier légalement reconnu par les dispositions de l’article 767-1 du Code civil » et « absoudre (les cohéritiers) des biens qu’ils auraient détournés au détriment d’autres héritiers alors que le rapport successoral est censé permettre de reconstituer la patrimoine du défunt tel qu’il l’aurait été en l’absence de donations et par ce biais assurer l’égalité entre tous les héritiers »4.

L’unique moyen de cassation est à déclarer irrecevable.

Non subdivisé en branches, il se heurte aux exigences de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation prescrivant qu’un moyen ou un élément de moyen ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture. Dans la mesure où le moyen sous examen articule la violation de plusieurs articles du Code civil constituant des cas d’ouverture différents5, il doit principalement encourir l’irrecevabilité de ce chef.

Si par impossible le moyen devait passer le cap de la recevabilité nonobstant le fait d’invoquer à la fois plusieurs vices de fond, il est toujours à déclarer irrecevable en vertu de ce qui suit.

En ce qu’il est de la violation alléguée de l’article 857 du Code civil, disposition légale traitant du rapport entre cohéritiers et régie par le principe que le rapport n’est dû et ne peut être réclamé que par les héritiers légaux, soit les héritiers ayant la vocation légale d’hériter en ce qu’ils sont appelés à intervenir à la succession en dehors de toute 3 souligné par la soussignée 4 cf. p du pourvoi 5 Cass 16.10.2017, n° 74, n° 3850 du registre.

11disposition testamentaire ou donation, le moyen est entaché du défaut de précision faute de répondre aux exigences minimales de formulation instaurées par l’article 10 de la loi de 1885 précitée. En effet, la demanderesse en cassation ne dit ni aux termes du libellé, ni au corps du développement en quoi les juges d’appel, en ce qu’ils ont retenu que A) ne revêt pas la qualité d’héritière, auraient violé l’article 857 du Code civil, voire l’auraient appliqué de façon erronée.

Si certes, dans le cas où l’énoncé du moyen n’est pas suffisamment précis, les juges de cassation peuvent prendre en considération, pour le compléter dans ses imperfections, les considérations en droit figurant au développement du moyen, tel ne saura manifestement être le cas en l’occurrence, le développement, en ce qu’il se rapporte au seul article 767-1 du Code civil et est muet quant à la prétendue violation de l’article 857 du même code, ne pouvant manifestement pas suppléer la carence du moyen au regard des éléments dont la précision est requise sous peine d’irrecevabilité.

En ce qu’il est de la violation alléguée de l’article 767-1 du Code civil, la demanderesse en cassation se fait comprendre dans le sens qu’en vertu des droits d’héritier légal conféré au conjoint survivant en application de l’article 767-1 du Code civil, il intervient au partage de la succession du défunt ès-qualité et qu’à l’instar de ses copartageants il est en droit d’exiger le rapport à la succession des biens recelés par eux.

Or, en l’occurrence les magistrats d’appel n’ont pas statué en application de l’article 767-1 du Code civil. Au contraire, ils ont dit que le conjoint survivant qui, tel qu’en l’occurrence, a fait l’objet de libéralités de la part du de cujus ne peut plus prétendre à sa part héréditaire lui conférée par l’article 767-1 du Code civil, disposition l’instituant comme héritier légal et réglant ses droits qu’à défaut de dispositions testamentaires et à défaut de libéralités lui consenties. Par contre, « en cas d’adoption d’une communauté universelle en présence d’enfants d’un premier lit, seul l’article 1094 du Code civil s’applique, de sorte qu’en tant que conjoint survivant ayant fait l’objet de libéralités, A) ne peut plus prétendre à sa part héréditaire, telle qu’elle lui est reconnue en principe par la loi (cf. Cass.20 mai 2010, Pas.35, p.213). » La question du non-cumul du droit de succession légal du conjoint survivant et des libéralités entre époux fut tranchée par Votre Cour aux termes de la jurisprudence citée par les magistrats d’appel6.

La ratio étant celle que l’article 767-1 du Code civil règle les droits du conjoint survivant à défaut de dispositions testamentaires tandis que l’article 1094 du même code a trait aux dispositions d’un époux en faveur de son conjoint. Ces deux textes légaux s’appliquent à des situations juridiques différentes, si bien qu’en cas d’adoption d’une communauté universelle en présence d’enfants d’un premier lit, seul l’article 1094 du Code civil s’applique7. En conséquence le conjoint survivant ne peut plus prétendre à sa part héréditaire telle qu’elle lui est reconnue par la loi8.

6 cf. Cass.20 mai 2010, 2e moyen (Pas.35, p.213), ainsi que les conclusions exhaustives de Monsieur le Procureur d’Etat Jean-Pierre KLOPP en relation avec le 2e moyen de cassation, tirée de la violation des articles 1094 et 767-

1 du Code civil et traitant de la question du cumul ou non-cumul des libéralités et droits successoraux en faveur du conjoint survivant ;

7 CA, 20.02.2002, Pas.32, p.213 ;

8 voir également CA, 02.04.2009, Pas. 34, p. 573 12 C’est le seul article 1094 du Code civil que les magistrats d’appel ont appliqué et qui constitue la prémisse de leur raisonnement subséquent en relation avec l’article 857 du Code civil.

Ainsi la disposition visée au moyen, soit l’article 767-1 du Code civil, est étrangère à la décision attaquée.

A supposer recevable le moyen, il n’est pas fondé, les magistrats d’appel n’ayant pas violé l’article 767-1 du Code civil en vertu des développements qui précèdent.

Conclusion :

Le pourvoi est recevable, mais à rejeter pour le surplus.

Pour le Procureur Général d’Etat, l’avocat général, Monique SCHMITZ 13


Synthèse
Numéro d'arrêt : 161/20
Date de la décision : 03/12/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 05/12/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2020-12-03;161.20 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award