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29/10/2020 | LUXEMBOURG | N°136/20

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 29 octobre 2020, 136/20


N° 136 / 2020 du 29.10.2020 Numéro CAS-2019-00133 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-neuf octobre deux mille vingt.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Stéphane PISANI, conseiller à la Cour d’appel, Serge WAGNER, premier avocat général, Viviane PROBST, greffier à la Cour.

Entre:

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N° 136 / 2020 du 29.10.2020 Numéro CAS-2019-00133 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-neuf octobre deux mille vingt.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Stéphane PISANI, conseiller à la Cour d’appel, Serge WAGNER, premier avocat général, Viviane PROBST, greffier à la Cour.

Entre:

la VILLE DE A), représentée par le collège des bourgmestre et échevins, dont les bureaux sont établis à (…), demanderesse en cassation, comparant par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître Christian POINT, avocat à la Cour, et:

la société anonyme SOC1), établie et ayant son siège social à (…), représentée par son conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), défenderesse en cassation, comparant par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué, numéro 57/19, rendu le 2 mai 2019 sous le numéro 44726 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, neuvième chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 21 août 2019 par la VILLE DE A) à la société anonyme SOC1) (ci- après « la société SOC1) »), déposé le 27 août 2019 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 18 octobre 2019 par la société SOC1) à la VILLE DE A), déposé le 21 octobre 2019 au greffe de la Cour ;

Sur le rapport du conseiller Roger LINDEN et les conclusions du procureur général d’Etat adjoint John PETRY ;

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le tribunal d’arrondissement de A) avait dit fondée, sur base de l’article 1, alinéa 1, de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l’Etat et des collectivités publiques, la demande de la société SOC1) dirigée contre la VILLE DE A) en réparation du préjudice lui accru en raison du refus de cette dernière de lui délivrer une autorisation de réaffectation d’une partie d’un immeuble lui appartenant, décision annulée par la suite par le tribunal administratif, et avait condamné la VILLE DE A) à payer à la société SOC1) des dommages-

intérêts du chef de la réparation du dommage subi. La Cour d’appel a confirmé le jugement, mais réduit le montant des dommages-intérêts alloués à la société SOC1).

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l'article 1er alinéa premier de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l'Etat et des collectivités publiques ;

en ce que la Cour d'appel a confirmé le jugement de première instance qui et a fait droit à la demande d'Immobilière Soc1) contre la demanderesse en cassation en la condamnant au paiement de la somme de 216.948 EUR du chef de perte de loyers du 1er janvier au 31 décembre 2013 avec les intérêts légaux, de la somme de 209.372,- EUR du chef du manque à gagner à partir du 1er janvier 2014 avec les intérêts légaux, du montant de 8.000,- EUR au titre des frais et honoraires d'avocat pour la procédure administrative contentieuse devant le Tribunal administratif avec les intérêts légaux, du montant de 2.500 EUR au titre de l'indemnité de procédure pour l'instance d'appel et de 2.500 EUR au titre de l'indemnité de procédure pour la première instance ainsi qu'aux frais et dépens de l'instance d'appel et de la première instance ;

aux motifs qu'il y avait lieu à confirmation du jugement dont appel par application du , auquel la Cour d'appel reconnaît valeur de principe général du droit dont elle n'entend pas déroger, impliquant que l’acte du 11 avril 2013 annulé par le Tribunal administratif dans son jugement du 25 juin 2014 de la Ville de A), justifiant la condamnation de cette dernière sur base de l'article 1er alinéa premier de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l'Etat et des collectivités publiques ;

alors que d'une part, première branche, en retenant la responsabilité de la Ville de A) recherchée par Immobilière Soc1) sur base de l'article 1er alinéa premier de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l'Etat et des collectivités publiques, sur base d'un principe d'unité des notions de faute et d'illégalité auquel elle reconnaît valeur de , la Cour d'appel a fondé sa décision sur un principe général du droit inexistant et donc sur une norme inexistante en droit positif, en violation des dispositions contraires de l'article 1er alinéa premier de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l'Etat et des collectivités publiques et encourt cassation pour violation de ce texte ;

alors que d'autre part, seconde branche (subsidiaire à la première branche), l'article 1er alinéa premier de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l'Etat et des collectivités publiques est basé sur le concept de la faute établie en tant que fonctionnement défectueux des services de la personne de droit public et requiert - pour que puisse être engagée la responsabilité délictuelle de celle-ci -

qu'un fonctionnement défectueux de ses services soit établi, et que si l'existence d'un principe général du droit peut être induit par les juges des applications particulières qu'en fait la loi dans des cas déterminés, un tel principe ne peut pas être reconnu par la Cour d'appel lorsque le texte dont elle prétend en tirer l'existence ne l'induit en aucune façon, qu'il n'est dès lors pas permis dans ces circonstances de créer ou de reconnaître un principe général de droit tenant à l'unité des notions de faute et d'illégalité, dérogatoire au régime de responsabilité prévu à l'article 1er alinéa premier de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l'Etat et des collectivités publiques, et que la Cour d'appel, en y procédant néanmoins pour décider que la Ville de A) était constituée en faute sur base du seul constat d'illégalité de la décision administrative du 11 avril 2013 résultant du jugement du Tribunal administratif du 25 juin 2014, sans avoir analysé si, au-delà de l'annulation de l'acte prononcée par le Tribunal administratif et du caractère illégal de l'acte résultant de cette annulation, la prise de la décision du 11 avril 2013 résultait d'une faute ou plus exactement d'un fonctionnement défectueux des services de la Ville de A), a violé l'article 1er alinéa premier de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l'Etat et des collectivités publiques et encourt cassation pour violation de ce texte ;

alors qu'en outre, troisième branche (encore plus subsidiaire aux deux premières branches), l'article 1er alinéa premier de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l'Etat et des collectivités publiques régit le domaine de la responsabilité délictuelle pour faute des personnes de droit public luxembourgeois, que ce régime de responsabilité est basé sur le concept de la faute établie en tant que fonctionnement défectueux des services de la personne de droit public sans par ailleurs qu'il y soit prévu un quelconque mécanisme de présomption de faute ou tout autre régime dérogatoire au droit commun de la responsabilité délictuelle, qu'il est reconnu qu'un principe général du droit - à supposer qu'il existe, - quod non, a une valeur supplétive en ce qu'il ne trouve à s'appliquer que dans l'hypothèse où le litige ne peut être réglé sur base d'aucun texte légal régissant le cas particulier auquel on l'entend l'appliquer, que dans le même ordre d'idées, il est encore reconnu qu'un principe général du droit ne saurait être appliqué dans une matière déterminée lorsque cette application est inconciliable avec la loi applicable à ce domaine, et qu'en faisant application d'un principe d'unité des notions de faute et d'illégalité en tant que principe général du droit pour retenir la responsabilité de la Ville de A), en faisant ainsi abstraction et en contradiction du régime de responsabilité prévu par l'article 1er alinéa premier de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l'Etat et des collectivités publiques, la Cour d'appel a méconnu la disposition légale en question et encourt partant cassation pour violation de cette loi. ».

Réponse de la Cour Sur les trois branches réunies du moyen En exposant que « S’il est vrai que le principe d’unité de faute et d’illégalité n’est pas consacré formellement dans la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité de l’Etat et des collectivités publiques, il n’en reste pas moins qu’en édictant l’article 1er de la loi de 1988 dans sa version préconisée par le ministère de la Justice et la commission juridique, le législateur a entendu consacrer la théorie de l’unité des notions d’illégalité et de faute afin de garantir une meilleure protection des administrés victimes d’un fonctionnement défectueux des services publics.», les juges d’appel ont retenu qu’il était établi, au regard de l’illégalité de l’acte administratif, constatée par le tribunal administratif, que les services de la demanderesse en cassation avaient fonctionné de manière défectueuse et n’ont partant pas violé la disposition visée au moyen.

Il en suit que le moyen, pris en ses trois branches, n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation du principe général du droit de la séparation des pouvoirs et de l'article 5 du Code civil ;

en ce que la Cour d'appel a confirmé le jugement de première instance qui et a fait droit à la demande d'Immobilière Soc1) contre la demanderesse en cassation en la condamnant au paiement de la somme de 216.948 EUR du chef de perte de loyers du 1er janvier au 31 décembre 2013 avec les intérêts légaux, de la somme de 209.372,- EUR du chef du manque à gagner à partir du 1er janvier 2014 avec les intérêts légaux, du montant de 8.000,- EUR au titre des frais et honoraires d'avocat pour la procédure administrative contentieuse devant le Tribunal administratif avec les intérêts légaux, du montant de 2.500 EUR au titre de l'indemnité de procédure pour l'instance d'appel et de 2.500 EUR au titre de l'indemnité de procédure pour la première instance ainsi qu'aux frais et dépens de l'instance d'appel et de la première instance ;

aux motifs qu'en application du principe d'unité des notions de faute et d'illégalité , principe dont la Cour , la Ville de A) est constituée en faute du seul fait de l'annulation de sa décision du 11 avril 2013 par le Tribunal administratif dans son jugement du 25 juin 2014 et que ;

alors que le principe général du droit de la séparation des pouvoirs exclut que le pouvoir judiciaire crée le droit, œuvre réservée au pouvoir législatif, que ce principe ayant valeur constitutionnelle est à l'origine de l'article 5 du Code civil qui prohibe les arrêts de règlement en défendant ;

qu'en retenant ainsi la responsabilité de la Ville de A) en édictant et appliquant une règle de portée générale selon laquelle une illégalité de la décision administrative emporte nécessairement une faute de l'administration par application d'un principe d'unité des notions de faute et d'illégalité en ce qu'il aurait été consacré par la jurisprudence et donc, sans avoir égard aux circonstances particulières de l’espèce et sans qualifier spécialement la faute respectivement le fonctionnement défectueux des services reproché à la Ville de A), la Cour d’appel a retenu un en méconnaissance du principe général du droit de la séparation des pouvoirs et de la prohibition prévue à l’article 5 du Code civil et encourt partant cassation pour violation de la loi. ».

Réponse de la Cour En déduisant le fonctionnement défectueux des services de la demanderesse en cassation de l’illégalité de l’acte administratif, constatée par un jugement définitif du tribunal administratif, les juges d’appel ne se sont pas prononcés par voie de disposition générale et réglementaire et n’ont partant pas violé la disposition visée au moyen.

Il en suit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré du manque de base légale au regard de l'article 1er alinéa premier de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l'Etat et des collectivités publiques et à titre subsidiaire du défaut de réponse à conclusions valant violation de l'article 89 de la Constitution et de l'article 249 (alinéa 1er) en combinaison avec l'article 587 du Nouveau Code de procédure civile ;

en ce que la Cour d'appel a confirmé le jugement de première instance qui et a fait droit à la demande d'Immobilière Soc1) contre la demanderesse en cassation en la condamnant au paiement de la somme de 216.948 EUR du chef de perte de loyers du 1er janvier au 31 décembre 2013 avec les intérêts légaux, de la somme de 209.372,- EUR du chef du manque à gagner à partir du 1er janvier 2014 avec les intérêts légaux, du montant de 8.000,- EUR au titre des frais et honoraires d'avocat pour la procédure administrative contentieuse devant le Tribunal administratif avec les intérêts légaux, du montant de 2.500 EUR au titre de l'indemnité de procédure pour l'instance d'appel et de 2.500 EUR au titre de l'indemnité de procédure pour la première instance ainsi qu'aux frais et dépens de l'instance d'appel et de la première instance ;

aux motifs qu'il y avait lieu à confirmation du jugement dont appel par application du , qui implique que l'acte du 11 avril 2013 annulé par le Tribunal administratif dans son jugement du 25 juin 2014 de la Ville de A), justifiant ainsi sa condamnation sur base de l'article 1er alinéa premier de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l'Etat et des collectivités publiques ;

alors que d'une part, première branche, il est de principe que sur base du régime de responsabilité délictuelle de la personne de droit public prévu à l'article 1er alinéa premier de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l'Etat et des collectivités publiques, la responsabilité ne peut être engagée que si la faute ou le fonctionnement défectueux des services de la personne de droit public mise en cause est établie et que l'appréciation de cette faute ou de ce fonctionnement défectueux doit se faire in abstracto par comparaison à une personne de droit public normalement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances, l'arrêt de la Cour d'appel qui, pour retenir la responsabilité de la Ville de A), se fonde sur le seul constat de l'illégalité de la décision administrative du 11 avril 2013 consécutive à l'annulation prononcée par le Tribunal administratif dans son jugement du 25 juin 2014, sans rechercher si, par rapport à une administration normalement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances que celles lui soumises en l'espèce, une faute respectivement un fonctionnement défectueux de ses services pouvait être reproché à la Ville de A) dans le processus décisionnel en cause, manque de base légale au regard de l'article 1er alinéa premier de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l'Etat et des collectivités publiques ;

alors que d'autre part, deuxième branche (subsidiaire par rapport à la première branche), l'article 1er alinéa premier de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l'Etat et des collectivités publiques qui fonde la condamnation de la Ville de A) n'institue pas un régime de présomption de faute de la personne de droit public dont la décision a été annulée pour illégalité mais qu'il est de principe que, sur base de ce régime de responsabilité délictuelle de la personne de droit public, l'appréciation de la faute doit se faire in abstracto par comparaison à une personne de droit public normalement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances, qu'en se fondant pour retenir la faute de la Ville de A) sur le seul constat de l'illégalité de la décision administrative du 11 avril 2013 prononcée par le Tribunal administratif dans son jugement du 25 juin 2014, sans analyser et apprécier l'argumentation et les éléments lui soumis par la demanderesse en cassation permettant d'établir qu'elle n'avait pas commis de faute respectivement qu'un fonctionnement défectueux de ses services ne pouvait lui être reproché par rapport à une administration normalement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances, que ces éléments et argumentation étaient notamment exposés de la page 10 à la page 15 des conclusions récapitulatives du 31 octobre 2018, la Cour d'appel a manqué de répondre aux conclusions de la partie demanderesse en cassation entachant ainsi sa décision d'un défaut de motifs en violation de l'article 89 de la Constitution et l'article 249 (alinéa 1er) en combinaison avec l'article 587 du Nouveau Code de procédure civile. ».

Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen Le défaut de base légale se définit comme l’insuffisance des constatations de fait nécessaires pour statuer sur le droit.

En déduisant le fonctionnement défectueux des services de la demanderesse en cassation du constat, fait par le tribunal administratif, de l’illégalité de l’acte administratif, les juges d’appel se sont déterminés par des motifs exempts d’insuffisance.

Il en suit que le moyen, pris en sa première branche, n’est pas fondé.

Sur la seconde branche du moyen En tant que tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution et de l’article 249 lu en combinaison avec l’article 587 du Nouveau code de procédure civile, le moyen vise le défaut de réponse à conclusions, constituant un défaut de motifs, qui est un vice de forme.

Une décision judiciaire est régulière en la forme, dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.

En déduisant le fonctionnement défectueux des services de la demanderesse en cassation du seul constat, fait par le tribunal administratif, de l’illégalité de l’acte administratif, les juges d’appel n’étaient pas tenus d’examiner les développements de la demanderesse en cassation tendant à faire apprécier le fonctionnement défectueux de ses services par comparaison à ceux d’une personne de droit public normalement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances.

Il en suit que le moyen, pris en sa seconde branche, n’est pas fondé.

Sur le quatrième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l'article 84 de la Constitution ;

en ce que la Cour d'appel a confirmé le jugement de première instance qui et a fait droit à la demande d'Immobilière Soc1) contre la demanderesse en cassation en la condamnant au paiement de la somme de 216.948 EUR du chef de perte de loyers du 1er janvier au 31 décembre 2013 avec les intérêts légaux, de la somme de 209.372,- EUR du chef du manque à gagner à partir du 1' janvier 2014 avec les intérêts légaux, du montant de 8.000,- EUR au titre des frais et honoraires d'avocat pour la procédure administrative contentieuse devant le Tribunal administratif avec les intérêts légaux, du montant de 2.500 EUR au titre de l'indemnité de procédure pour l'instance d'appel et de 2.500 EUR au titre de l'indemnité de procédure pour la première instance ainsi qu'aux frais et dépens de l'instance d'appel et de la première instance ;

aux motifs que la décision de refus de délivrer l'autorisation de réaffectation d'une partie de l'immeuble appartenant à Immobilière Soc1) du 11 avril 2013 a été ;

alors qu'aux termes de l'article 84 de la Constitution, il est de principe que les contestations qui ont pour objet des droit civils sont exclusivement du ressort des tribunaux, la Cour d'appel, attachant à la décision d'annulation prononcée par le jugement du Tribunal administratif la valeur d’une décision ayant décidé de la faute civile de la Ville de A), a méconnu cette disposition constitutionnelle lui conférant compétence exclusive pour les contestations ayant pour objet des droits civils, son arrêt du 2 mai 2019 encourant partant cassation pour violation de l’article 84 de la Constitution. ».

Réponse de la Cour En déduisant le fonctionnement défectueux des services de la demanderesse en cassation de l’illégalité de l’acte administratif, constatée par le tribunal administratif, les juges d’appel ont statué sur une des conditions de la responsabilité civile délictuelle de la demanderesse en cassation, partant dans le cadre de leur compétence, et n’ont, dès lors, pas violé la disposition visée au moyen.

Il en suit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le cinquième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l'article 58 du Nouveau Code de Procédure Civile et de l'article 1315 du Code civil ;

en ce que la Cour d'appel a confirmé le jugement de première instance qui et a fait droit à la demande d'Immobilière Soc1) contre la demanderesse en cassation en la condamnant au paiement de la somme de 216.948 EUR du chef de perte de loyers du 1er janvier au 31 décembre 2013 avec les intérêts légaux, de la somme de 209.372,- EUR du chef du manque à gagner à partir du 1er janvier 2014 avec les intérêts légaux, du montant de 8.000,- EUR au titre des frais et honoraires d'avocat pour la procédure administrative contentieuse devant le Tribunal administratif avec les intérêts légaux, du montant de 2.500 EUR au titre de l'indemnité de procédure pour l'instance d'appel et de 2.500 EUR au titre de l'indemnité de procédure pour la première instance ainsi qu'aux frais et dépens de l'instance d'appel et de la première instance ;

aux motifs que le préjudice invoqué par Immobilière Soc1) était suffisamment établi sur base de trois courriels des 22 août, 24 août et 27 septembre 2012 de la SOC2) envoyés par son directeur du service qui permettraient de prouver à suffisance que et qu' que la personne physique, auteur de ces courriels, ;

alors qu'il est de principe que celui qui prétend subir un préjudice et en demande réparation a la charge de le prouver tant dans son principe que dans son quantum, qu'en considérant qu' que la personne physique, auteur des courriels des 22 août, 24 août et 27 septembre 2012, , la Cour d'appel a fait peser la charge de la preuve de l'absence du dommage sur la Ville de A) en ce qu'il lui aurait appartenu d'établir que la personne physique ayant manifesté l'intention de la SOC2) de conclure le contrat de bail n'avait pas la qualité pour engager la SOC2), et a ainsi procédé à un renversement de la charge de la preuve du dommage en violation de l’article 58 du Nouveau Code de Procédure Civile et de l’article 1315 du Code civil et encourt partant cassation de ce chef. ».

Réponse de la Cour Sous le couvert du grief tiré de la violation des dispositions légales visées au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, de la pertinence des éléments de preuve produits par la défenderesse en cassation, qui ne se limitaient pas aux seuls courriels dont question au moyen, attestant du caractère certain du dommage subi par celle-ci, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il en suit que le moyen ne saurait être accueilli.

Sur le sixième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l'article 1er alinéa premier de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l'Etat et des collectivités publiques sinon du manque de base légale au regard de la même disposition ;

en ce que la Cour d'appel a confirmé le jugement de première instance qui et a fait droit à la demande d'Immobilière Soc1) contre la demanderesse en cassation en la condamnant au paiement de la somme de 216.948 EUR du chef de perte de loyers du 1er janvier au 31 décembre 2013 avec les intérêts légaux, de la somme de 209.372,- EUR du chef du manque à gagner à partir du 1er janvier 2014 avec les intérêts légaux, du montant de 8.000,- EUR au titre des frais et honoraires d'avocat pour la procédure administrative contentieuse devant le Tribunal administratif avec les intérêts légaux, du montant de 2.500 EUR au titre de l'indemnité de procédure pour l'instance d'appel et de 2.500 EUR au titre de l'indemnité de procédure pour la première instance ainsi qu'aux frais et dépens de l'instance d'appel et de la première instance ;

aux motifs que le préjudice invoqué par Immobilière Soc1) était suffisamment certain en son principe pour être indemnisable alors que le projet de contrat invoqué par Immobilière Soc1) et que ;

alors qu'il est de principe qu'un préjudice dont la réalisation est affectée d'un certain degré d'incertitude ne peut pas donner lieu à indemnisation intégrale du dommage invoqué, mais qu'il doit être indemnisé au titre d'une perte de chance ouvrant droit à indemnisation à hauteur de la chance perdue, la Cour d'appel en admettant le droit à indemnisation de la défenderesse en cassation pour l'intégralité du préjudice invoqué au titre de la perte de loyers du 1er janvier au 31 décembre 2013 et du manque à gagner locatif à partir du 1er janvier 2014 sur base d'un projet de contrat de bail non conclu par les parties intéressés, a ainsi accordé une indemnisation intégrale pour un préjudice tiré de la non conclusion d'un contrat de bail alors qu'il n'est pas établi avec la certitude requise que ce contrat aurait été conclu dans les conditions - y compris financières - prévues dans le projet de contrat de bail et a partant violé l'article 1er alinéa premier de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l'Etat et des collectivités publiques sinon a manqué de justifier sa décision au regard de cette disposition et encourt partant cassation de ce chef. ».

Réponse de la Cour Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, un moyen ou un élément de moyen ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture.

Le moyen articule, d’une part, la violation de l'article 1, alinéa 1, de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l'Etat et des collectivités publiques et, d’autre part, un manque de base légale au regard de la même disposition, partant deux cas d’ouverture distincts.

Il en suit que le moyen est irrecevable.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il y a lieu de lui allouer l’indemnité de procédure sollicitée de 2.000 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

rejette le pourvoi ;

condamne la demanderesse en cassation à payer à la défenderesse en cassation une indemnité de procédure de 2.000 euros ;

la condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Marc THEWES, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Jean-Claude WIWINIUS, en présence du premier avocat général Serge WAGNER et du greffier Viviane PROBST.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation Administration communale de la Ville de A) c/ société anonyme SOC1) (affaire n° CAS 2019-00133 du registre) Sur la recevabilité du pourvoi 12 Sur les faits 13 Sur le premier, deuxième, troisième et quatrième moyen de cassation 13 Sur le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute 17 Le rejet du principe par votre arrêt du 24 novembre 1977 18 La consécration du principe de l’unité de l’illégalité et de la faute par la jurisprudence française et belge 19 La volonté du législateur luxembourgeoise de 1988 de consacrer ce principe 27 La consécration du principe par la jurisprudence luxembourgeoise 30 La justification du principe de l’unité de l’illégalité et de faute 31 Sur l’analyse des quatre premiers moyens 32 Sur le premier moyen 33 Sur le deuxième moyen 42 Sur le troisième moyen 44 Sur le quatrième moyen 45 Sur le cinquième et le sixième moyen de cassation 46 Sur le cinquième moyen 51 Sur le sixième moyen 52 Sur le grief d’une violation de la loi de 1988 52 Sur le grief d’un défaut de base légale 53 Conclusion 53 Le pourvoi de la demanderesse en cassation, par dépôt au greffe de la Cour en date du 27 août 2019, d’un mémoire en cassation, est dirigé contre un arrêt rendu en date du 2 mai 2019 sous le numéro 44726 du rôle par la Cour d’appel, neuvième chambre, siégeant en matière civile, signifié en date du 28 juin 2019.

Sur la recevabilité du pourvoi Le pourvoi est recevable en ce qui concerne le délai1 et la forme2.

Le demandeur en cassation a déposé un mémoire signé par un avocat à la Cour signifié aux parties adverses antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que ces formalités imposées par l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, ont été respectées.

Le pourvoi est dirigé contre une décision contradictoire, donc non susceptible d’opposition, rendue en dernier ressort qui tranche tout le principal, de sorte qu’il est également recevable au regard des articles 1er et 3 de la loi de 1885.

Le pourvoi est, partant, recevable.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, saisi par la société anonyme SOC1) d’une demande en responsabilité civile dirigée contre l’ADMINISTRATION COMMUNALE DE LA VILLE DE A) (ci-après « la Ville ») aux fins de réparation du dommage découlant du refus d’une demande de réaffectation de locaux dont elle est propriétaire à une activité d’agence bancaire, cette décision, qui a été annulée par les juridictions administratives, l’ayant obligée à renoncer à un projet de bail lucratif, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg déclarait la demande fondée. Sur appel de la défenderesse, la Cour d’appel confirma le jugement entrepris.

Sur le premier, deuxième, troisième et quatrième moyen de cassation Suivant les constatations souveraines de la Cour d’appel :

- la défenderesse en cassation est propriétaire d’un immeuble situé sur le territoire de la Ville3, - elle disposait d’une autorisation d’affecter le rez-de-chaussée et le sous-sol de cet immeuble à une activité de restauration4, - ayant souhaité donner ces locaux en location à une banque, elle demandait leur réaffectation à un activité d’agence bancaire5, - cette demande était rejetée par décision de la Ville6, 1 L’arrêt attaqué a été signifié en date du 28 juin 2018 par la défenderesse en cassation à la demanderesse en cassation (Pièce n° 4 annexée au mémoire en cassation). Le pourvoi ayant été formé le 27 août 2019, le délai de deux mois prévu par l’article 7 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation applicable en cause, la demanderesse en cassation demeurant au Grand-Duché, a été respecté.

2 La demanderesse en cassation a déposé un mémoire signé par un avocat à la Cour signifié à la défenderesse en cassation antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que ces formalités imposées par l’article 10 de la loi précitée de 1885 ont été respectées.

3 Arrêt attaqué, page 2, premier alinéa.

4 Idem et loc.cit.

5 Idem et loc.cit.

6 Idem et loc.cit.

- la défenderesse en cassation renonçait par voie de conséquence à son projet de bail, et donnait les locaux à bail à une entreprise commerciale pour un loyer moindre7, - elle attaquait toutefois la décision de la Ville devant le tribunal administratif, qui l’annulait par jugement passé en force de chose jugée8, - elle introduisit une action en responsabilité civile contre la Ville, fondée sur l’article 1er, alinéa 1, de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l’Etat et des collectivités publiques (ci-après « la loi de 1988 »), à l’appui de laquelle elle soutint que l’annulation de la décision de la Ville par le tribunal administratif serait de nature à établir la faute de la Ville à refuser la réaffectation de l’immeuble et que cette faute lui aurait causé un préjudice constitué par des pertes de loyers et de charges, de manque à gagner, de frais d’avocat et de perte de réputation9, - le tribunal d’arrondissement de Luxembourg fit droit à cette demande10, - sur appel de la Ville, la Cour d’appel confirma le jugement entrepris en ce qui concerne le principe de la responsabilité civile encourue par l’appelante, tout en réduisant les indemnités allouées11.

Aux fins de retenir que la Ville avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile au sens de l’article 1er, alinéa 1, de la loi de 1988, la Cour d’appel retint :

« La faute de la VILLE invoquée par SOC1) résiderait, selon elle, dans le fait par la VILLE d’avoir refusé de délivrer l’autorisation de réaffectation d’une partie de l’immeuble appartenant à SOC1), décision déclarée illégale par le tribunal administratif.

Dans l’appréciation des éléments constitutifs du droit à réparation du dommage, qui sont la faute, le dommage et le lien causal entre les deux, le juge judiciaire est, concernant la question de l’existence d’une faute, lié par la décision du juge administratif.

La VILLE fait valoir que la décision du juge administratif est fondée sur des motifs tirés de l’illégalité objective de l’acte administratif et non de considérations de droit civil et qu’il n’appartient pas au juge administratif d’apprécier l’existence ou l’absence d’une faute dans le chef de la VILLE. Elle estime que nonobstant la décision du tribunal administratif, le juge civil peut, pour l’appréciation de la faute éventuelle commise par la Ville, analyser l’argumentation présentée à l’appui de son appel.

Par ces conclusions, la VILLE remet en cause le principe de l’unité des notions d’illégalité et de faute consacré par la jurisprudence luxembourgeoise, même 7 Idem et loc.cit.

8 Idem, même page, deuxième alinéa.

9 Idem, même page, deuxième et troisième alinéas.

10 Idem, même page, troisième alinéa.

11 Idem, pages 12 et 13, dispositif de l’arrêt.

récente, qui retient qu’un acte administratif annulé par les juridictions administratives constitue un acte illicite, même s’il est imputable à une simple erreur d’appréciation ou d’interprétation, et constitue une faute engageant la responsabilité de l’auteur de l’acte (cf. G. Ravarani, La responsabilité civile des personnes privées et publiques, 3e éd. N° 199).

La Cour n’entend pas se départir de ce principe.

S’il est vrai que le principe d’unité de faute et d’illégalité n’est pas consacré formellement dans la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité de l’Etat et des collectivités publiques, il n’en reste pas moins qu’en édictant l’article 1er de la loi de 1988 dans sa version préconisée par le ministère de la Justice et la commission juridique, le législateur a entendu consacrer la théorie de l’unité des notions d’illégalité et de faute afin de garantir une meilleure protection des administrés victimes d’un fonctionnement défectueux des services publics.

Quant à l’argumentation de la VILLE consistant à dire que ce principe n’a pas de base légale et est contraire à la Constitution, la Cour relève que le système juridique luxembourgeois ne trouve pas ses sources uniquement dans des règles de droit issues d’une loi, mais aussi dans des principes généraux de droit ainsi que des coutumes et usages. Un principe directeur traduit des convictions juridiques, politiques ou philosophiques qui servent d’orientation à l’activité des juristes et permettent d’assurer l’unité systématique du droit au milieu du désordre des règles positives. Il ne s’appuie dès lors pas sur une base légale, mais sert à coordonner les règles de droit en fonction de certaines idées directrices (cf. Pierre Pescatore, 1960, Introduction à la science du droit, réédition 1978, p. 119-121). Le moyen tiré de l’absence de base légale est partant à rejeter.

Il n’y a, par ailleurs, pas de contrariété du principe d’unité au regard des articles 84 et 95 de la Constitution étant donné que la compétence des juridictions administratives reste cantonnée à la vérification de la légalité des actes administratifs, tandis que celle des juridictions judiciaires reste limitée à la vérification de la responsabilité des autorités administratives. En effet, aucun empiètement de compétences ne saurait résulter du fait que, pour apprécier la faute, élément de droit civil, les juridictions judiciaires s’appuient sur ce qui a été jugé par les juridictions administratives en termes d’illégalité.

En outre, contrairement à ce que soutient la VILLE, l’application du principe d’unité des notions de faute et d’illégalité par les juges ne revient pas à rendre des arrêts de règlement, pratique prohibée par l’article 5 du Code civil, mais à appliquer, au cas par cas, un principe général de droit, réaffirmé et consacré par la jurisprudence.

Il s’ensuit que le jugement de première instance est à confirmer en ce qu’il a retenu que la VILLE est constituée en faute par le fait d’avoir refusé de délivrer l’autorisation de réaffectation d’une partie de l’immeuble appartenant à SOC1). »12.

Dans ses quatre premiers moyens, la Ville attaque ce raisonnement.

12 Idem, page 4, antépénultième alinéa, à page 6, deuxième alinéa.

Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 1, alinéa 1, de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l’Etat et des collectivités publiques, en ce que la Cour d’appel a retenu par confirmation que la demanderesse en cassation a commis une faute engageant sa responsabilité civile en ayant refusé de délivrer une autorisation de réaffectation de l’immeuble de la défenderesse en cassation, aux motifs que cette faute découle de ce que le refus de réaffectation a été annulé par les juridictions administratives, cette illégalité du refus impliquant, sur base du principe de l’unité des notions d’illégalité et de faute, son caractère fautif, même si le refus est imputable à une simple erreur d’appréciation ou d’interprétation, alors que, première branche, le principe d’unité des notions d’illégalité et de faute ne constitue pas un principe général du droit, de sorte que la Cour d’appel a violé les dispositions contraires de l’article visé par le moyen ; que, deuxième branche, à titre subsidiaire, l’article visé implique la preuve d’un fonctionnement défectueux des services de la personne de droit public, de sorte que la Cour d’appel, en se limitant à déduire la faute de l’illégalité du refus de réaffectation découlant de l’annulation de ce dernier par les juridictions administratives sans analyser si, au-delà de cette illégalité, le refus résulte d’un fonctionnement défectueux des services de la demanderesse en cassation, a violé l’article visé ; et que, troisième branche, à titre encore plus subsidiaire, un principe général de droit ne saurait avoir qu’une valeur supplétive et ne saurait donner lieu à une application inconciliable avec la loi, de sorte que la Cour d’appel, en appliquant le principe d’unité des notions d’illégalité et de faute pour faire abstraction du régime de la responsabilité prévu par l’article visé, qui suppose la preuve d’un fonctionnement défectueux des services, et le contredire, a violé cet article.

Le deuxième moyen est tiré de la violation du principe général du droit de la séparation des pouvoirs et de l’article 5 du Code civil, en ce que la Cour d’appel a retenu par confirmation que la demanderesse en cassation a commis une faute engageant sa responsabilité civile en ayant refusé de délivrer une autorisation de réaffectation de l’immeuble de la défenderesse en cassation, aux motifs que cette faute découle de ce que le refus de réaffectation a été annulé par les juridictions administratives, cette illégalité du refus impliquant, sur base du principe de l’unité des notions d’illégalité et de faute, son caractère fautif, même si le refus est imputable à une simple erreur d’appréciation ou d’interprétation et que l’application de ce principe ne revient pas à rendre, en violation de l’article 5 du Code civil, des arrêts de règlement, mais à appliquer, au cas par cas, un principe général de droit, alors que le principe général du droit de la séparation des pouvoirs exclut que le pouvoir judiciaire crée le droit, œuvre réservée au pouvoir législatif, que ce principe ayant valeur constitutionnelle est à l’origine de l’article 5 du Code civil qui prohibe les arrêts de règlement et que le fait de retenir la responsabilité civile de la demanderesse en cassation sur base d’un principe d’unité des notions de faute et d’illégalité, sans avoir égard aux circonstances particulières de l’espèce et sans qualifier spécialement la faute ou le fonctionnement défectueux des services, la Cour d’appel a rendu un arrêt de règlement.

Le troisième moyen est tiré d’un défaut de base légale au regard de l’article 1er, alinéa 1, de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l’Etat et des collectivités publiques et, à titre subsidiaire, du défaut de réponse à conclusions constitutif d’une violation des articles 89 de la Constitution et 249, ainsi que 587 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que la Cour d’appel a retenu par confirmation que la demanderesse en cassation a commis une faute engageant sa responsabilité civile en ayant refusé de délivrer une autorisation de réaffectation de l’immeuble de la défenderesse en cassation, aux motifs que cette faute découle de ce que le refus de réaffectation a été annulé par les juridictions administratives, cette illégalité du refus impliquant, sur base du principe de l’unité des notions d’illégalité et de faute, son caractère fautif, même si le refus est imputable à une simple erreur d’appréciation ou d’interprétation, alors que, première branche, la mise en œuvre de la responsabilité de l’Etat et des collectivités publiques sur base de l’article 1er, alinéa 1, de la loi précitée de 1988 suppose la preuve d’une faute ou d’un fonctionnement défectueux des services de la personne morale de droit public mise en cause découlant d’une appréciation in abstracto par comparaison à une personne de droit public normalement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances, de sorte que la Cour d’appel en se limitant à déduire la responsabilité de la demanderesse en cassation du seul constat de l’illégalité de la décision consécutive à son annulation par les juridictions administratives, sans rechercher si, par rapport à une personne morale de droit public normalement prudente et diligence placée dans les mêmes circonstances que celles lui soumises en l’espèce, une faute ou un fonctionnement défectueux des services pouvait être retenu, a privé sa décision de base légale au regard de la disposition précitée et que, seconde branche, à titre subsidiaire, en omettant de répondre aux conclusions d’appel exposant la thèse défendue dans la première branche, développée dans les conclusions récapitulatives de la demanderesse en cassation du 31 octobre 2018, aux pages 10 à 15, la Cour d’appel a, par un défaut de réponse à conclusions, violé les articles 89 de la Constitution et 249, ainsi que 587 du Nouveau Code de procédure civile.

Le quatrième moyen est tiré de la violation de l’article 84 de la Constitution, en ce que la Cour d’appel a retenu par confirmation que la demanderesse en cassation a commis une faute engageant sa responsabilité civile en ayant refusé de délivrer une autorisation de réaffectation de l’immeuble de la défenderesse en cassation, aux motifs que cette faute découle de ce que le refus de réaffectation a été annulé par les juridictions administratives et que « le juge judiciaire est, concernant la question de l’existence d’une faute, lié par la décision du juge administratif »13, alors que, en attachant à la décision d’annulation prononcée par les juridictions administratives la valeur d’une décision sur la faute civile de la demanderesse en cassation, la Cour d’appel a violé l’article 84 de la Constitution, qui réserve exclusivement aux juridictions judiciaires le pouvoir de connaître des contestations relatives aux droits civils.

Avant d’analyser ces moyens, il importe de s’interroger sur le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute.

Sur le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute La question posée dans le cas d’espèce est celle de savoir si et dans quelle mesure l’annulation d’une décision administrative par les juridictions administratives 13 Arrêt attaqué, page 4, avant-dernier alinéa.

imprime à celle-ci le caractère d’une faute susceptible d’engager la responsabilité civile de son auteur.

Vous avez pris position sur cette question il y plus de quarante ans par un arrêt du 24 novembre 1977. Votre réponse de l’époque est à confronter à l’évolution de la jurisprudence française et belge, l’intention du législateur à l’occasion de la loi de 1988, l’application de celle-ci par la jurisprudence luxembourgeoise et les motifs qui plaident pour cette unité.

Le rejet du principe par votre arrêt du 24 novembre 1977 En 1977 vous étiez saisis d’un pourvoi dirigé contre un arrêt de la Cour d’appel qui, dans le cadre d’une action en responsabilité civile, avait refusé de considérer comme étant fautive une décision communale de refus d’une autorisation de construire qui avait été annulée par le Conseil d’Etat, donc par la juridiction administrative compétente à l’époque des faits. La Cour d’appel considéra qu’« une illégalité censurée par le Conseil d’Etat au moyen de l’annulation pour excès de pouvoir ne constitue pas nécessairement une faute mettant en jeu la responsabilité de l’Administration »14. En effet, « la violation d’une disposition légale ou réglementaire par suite d’une erreur d’interprétation ou d’application de la loi commise par l’Administration ou son organe ne constitue pas une faute, lorsque l’erreur n’a pas été à ce point évidente et certaine que l’on puisse assurer qu’une personne avisée placée dans les mêmes circonstances que le pouvoir administratif ne l’aurait point également commise et que rien ne conduit à penser que l’interprétation ou l’application inexactes procèdent d’un examen de la question fait à la légère ou d’un manquement de conscience professionnelle ; que l’interprétation des lois est un art que la complexité sans cesse croissante de la législation rend de plus en plus malaisé à maîtriser pleinement et qu’il n’est guère raisonnable d’affirmer qu’une Administration prudente et diligente interprète nécessairement la loi d’une manière correcte »15.

Par votre arrêt du 24 novembre 1977 vous avez rejeté le pourvoi. Statuant sur un moyen tiré notamment de la violation des articles 1382 et 1383 du Code civil, qui à l’époque des faits, antérieure à la loi de 1988, constituait la seule base légale de la responsabilité civile de la puissance publique, vous avez décidé :

« que loin de violer les textes de loi visés par le pourvoi, la Cour d’appel en a fait, au contraire, une juste application, alors que, d’une part, l’annulation par le Conseil d’Etat d’une décision administrative n’exprime pas nécessairement un caractère fautif à cette décision, et que, d’autre part, il serait excessif de rendre responsable l’Administration de toutes les erreurs de droit qu’elle commet »16.

La pertinence de cet arrêt à titre de précédent jurisprudentiel n’est, comme le soulève à juste titre la Ville17, pas remise en cause par la circonstance que la responsabilité civile de la puissance publique n’est actuellement plus exclusivement 14 Cour d’appel 24 mars 1976, Pas. 23, page 360.

15 Idem et loc.cit.

16 Cour de cassation, 24 novembre 1977, Pas. 24, page 3.

17 Mémoire en cassation, point 102, pages 27-28.

régie par les articles 1382 et 1383 du Code civil, mais en outre par la loi de 1988. En effet, l’article 1er, alinéa 1, de cette loi, sur laquelle se fonde la prétention de la défenderesse en cassation, « sans instaurer un régime spécifique, ne fait qu’appliquer aux personnes morales de droit public, dans une terminologie adaptée à celles-ci, le principe de la responsabilité civile délictuelle de droit commun qui se fonde sur le concept de la faute »18.

Votre arrêt implique qu’une illégalité de l’administration sanctionnée par la juridiction administrative ne constitue pas nécessairement une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. La qualification de faute suppose une appréciation de l’erreur de droit commise. Cette appréciation s’effectue sur base de la prémisse qu’il serait excessif d’exiger de l’administration de respecter le droit dans toutes ses décisions et qu’il serait acceptable de faire supporter par la victime les conséquences de ce défaut suffisant de maîtrise du droit par les pouvoirs publics.

Ce constat appelle d’ores-et-déjà l’observation « que les tribunaux n’éprouvent par contre aucune difficulté à rendre les particuliers responsables de « toutes les erreurs de droit » qu’ils commettent »19.

La consécration du principe de l’unité de l’illégalité et de la faute par la jurisprudence française et belge Votre arrêt de 1977 s’inscrit dans le cadre d’un courant jurisprudentiel émanant des juridictions administratives françaises, qui était cependant déjà dépassé à l’époque. La jurisprudence du Conseil d’Etat français a, en effet, abandonné cette solution et consacré le principe inverse, de l’unité de l’illégalité et de la faute, dès 1973, tandis que la Cour de cassation de Belgique s’y est alignée dès 1982.

La consécration du principe par la jurisprudence administrative française La Ville relève à juste titre que le principe d’unité de l’illégalité et de la faute trouve son origine dans la jurisprudence administrative française20.

Celle-ci a considéré au début du XXe siècle que certains types d’illégalité, notamment des erreurs d’appréciation, ne constituaient pas des fautes21, mais des erreurs non fautives22. Votre arrêt de 1977 s’inspire de ce courant jurisprudentiel.

18 Cour de cassation, 24 avril 2003, n° 26/03, numéro 1971 du registre (réponse au second moyen). Voir, dans le même sens : idem, 8 décembre 2016, n° 93/16, numéro 3716 du registre (réponse au premier moyen) : « que le fondement de la responsabilité de l’ETAT pour fonctionnement défectueux de ses services est le concept de faute ».

19 Georges RAVARANI, La responsabilité civile des personnes privées et publiques, Pasiscrisie luxembourgeoise, 3e édition, 2014, n° 200, page 223, premier alinéa.

20 Mémoire en cassation, n° 115, page 30. En droit français, contrairement au droit belge et luxembourgeois, la responsabilité de la puissance publique ne peut pas être engagée devant les juridictions judiciaires, de sorte que cette question relève en France du droit administratif et de la compétence des juridictions administratives.

21 Répertoire Dalloz de la responsabilité de la puissance publique, V° Responsabilité pour faute, par Jean-Pierre DUBOIS, n° 68.

22 JurisClasseur Administratif, Fasc. 820, Faute de service, Preuve et qualification, par Michel PAILLET et Emmanuel BREEN, septembre 2009, n° 46.

Cette distinction a toutefois été abandonnée23 dès 1973 par l’arrêt Driancourt du Conseil d’Etat français, qui a retenu que :

« Considérant que l’illégalité de la décision du préfet de police du 7 décembre 1962 a été constatée par un jugement passé en force de chose jugée ; que cette illégalité, à supposer même qu’elle soit imputable à une simple erreur d’appréciation, a constitué une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique »24, Depuis lors il est admis que « toute illégalité est fautive »25, de sorte que, en droit administratif français, « toute illégalité est aujourd’hui constitutive d’une faute »26. Il en suit que « la preuve de l’illégalité de l’acte emporte automatiquement celle de l’existence d’une faute de nature à engager la responsabilité administrative »27.

Il importe peu de savoir quelle est la nature de l’illégalité, alors que tous les vices entachant une décision d’illégalité sont susceptibles de constituer une faute de service, qu’il s’agisse de l’incompétence, d’un vice de forme ou de procédure, d’un détournement de pouvoir, d’une violation de la loi, d’une violation d’un principe général du droit ou d’une violation de la chose jugée28.

Le Conseil d’Etat français a pu résumer la solution par la formule suivante :

« Considérant que toute illégalité fautive est, comme telle, et quelle qu’en soit la nature, susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat dès lors qu’elle est à l’origine des préjudices subis »29.

Il résulte de cette formule que si toute illégalité constitue en droit administratif français une faute, « cela ne signifie pas que la faute constituée par une illégalité entraîne automatiquement la reconnaissance de la responsabilité de l’administration »30. En effet, « encore faut-il, comme dans toute hypothèse de responsabilité, qu’il y ait un préjudice et un lien entre le fait générateur et le préjudice : ainsi toute illégalité n’entraîne pas nécessairement une responsabilité alors même que toute illégalité est une faute »31.

Si toute illégalité implique une faute, elle n’implique donc pas forcément une responsabilité, qui suppose en outre le préjudice et l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice. Pour être source de responsabilité, l’illégalité fautive 23 Idem et loc.cit.

24 Conseil d’Etat français, 26 janvier 1973, Ville de Paris c/ Driancourt, requête n° 84768, Lebon, page 78.

25 Caroline LANTERO, Indemnisation de l’illégalité : le vade-mecum, AJDA, 2016, page 800, sous I, premier alinéa.

26 Répertoire, précité, n° 68, et la jurisprudence y citée.

27 Idem, n° 69.

28 JurisClasseur Administratif, Fasc. 818, Faute de service, Notion, par Michel PAILLET et Emmanuel BREEN, février 2008, n° 87.

29 Conseil d’Etat français, 25 juillet 2008, requête n° 260428.

30 Pierre DELVOLVÉ, La responsabilité extracontractuelle du fait d’administrer, vue de l’étranger, in : La responsabilité des pouvoirs publics, Bruxelles, Bruylant, 2016, pages 93 à 126, voir page 109.

31 Idem, pages 109-110.

doit être une cause directe du dommage32. Elle « sera considérée comme telle si l’illégalité (externe ou interne) affecte le fond de la réglementation dont le requérant se présente victime »33. Le Conseil d’Etat français a synthétisé cette solution avec la formule suivante :

« Considérant […] que si l’intervention d’une décision illégale peut constituer une faute susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat, elle ne saurait donner lieu à réparation si, dans le cas d’une procédure régulière, la même décision aurait pu légalement être prise »34.

Il en suit que le juge administratif français a « tendance à atténuer les effets de l’équivalence entre illégalité et faute par une appréciation sévère du lien de causalité avec les préjudices allégués »35.

Cette atténuation en matière de causalité ne met cependant pas cause le constat que la jurisprudence administrative française présume que toute illégalité de l’administration constitue une faute susceptible d’engager la responsabilité.

La consécration du principe par la jurisprudence de la Cour de cassation de Belgique L’unité de l’illégalité et de la faute est admise en droit belge depuis un arrêt de la Cour de cassation du 13 mai 198236, dans lequel celle-ci affirmait que :

« […] sous réserve de l’existence d’une erreur invincible ou d’une autre cause d’exonération de responsabilité, l’autorité administrative commet une faute lorsqu’elle prend ou approuve un règlement qui méconnaît des règles constitutionnelles ou légales lui imposant de s’abstenir ou d’agir de manière déterminée, de sorte qu’elle engage sa responsabilité civile si cette faute est cause d’un dommage […]. [L]orsqu’une juridiction judiciaire est valablement saisie d’une demande en responsabilité fondée sur l’excès de pouvoir résultant de la méconnaissance de telles règles constitutionnelles ou légales ayant entraîné l’annulation d’un acte administratif par le Conseil d’Etat, la constatation par ce dernier de l’excès de pouvoir s’impose à elle […], dès lors, sous la réserve indiquée ci-avant, cette juridiction doit nécessairement décider que l’autorité administrative a commis une faute et, pour autant que le lien causal entre l’excès de pouvoir et le dommage soit établi, ordonner la réparation de celui-ci. »37.

32 JurisClasseur Administratif, Synthèse – Responsabilité, par Camille BROYELLE, octobre 2019, n° 18.

33 Idem et loc.cit.

34 Conseil d’Etat français, 7 juin 2010, requête n° 312909 (arrêt Buissière).

35 JurisClasseur Administratif, Fasc. 830, Causalité et imputabilité, par Maryse DEGUERGUE, mai 2013, n° 41.

36 RAVARANI, précité, n° 199, page 218 ; J. FAGNART, Vers la faute objective, R.C.J.B., 2018, pages 42 à 64, voir n° 9, page 45 ; C. DELFORGE e.a., Chronique de jurisprudence (2015 à 2016) – La responsabilité aquilienne (articles 1382 et 1383 du Code civil), R.C.J.B., 2019, pages 455 à 814, voir n° 11, page 470.

37 Cour de cassation de Belgique, 13 mai 1982, Pas. belge, 1982, I, page 1056, avec les conclusions de l’avocat général J. VELU (la citation de l’arrêt est reprise de DELFORGE e.a., précité, n° 11, page 470).

Cette solution a été rappelée entre 1982 et 2004 par plusieurs arrêts de la Cour38.

En date du 25 octobre 2004 elle prononce un arrêt, également cité par la Ville39, qui a été vu par certains comme amorçant un revirement40. Dans cette espèce, un organisme de sécurité sociale avait annulé l’assujettissement d’une personne au régime de la sécurité sociale en considérant que celle-ci n’avait, pendant la période litigieuse, pas été liée par un contrat de travail. A la suite d’un recours de la personne concernée, une juridiction de sécurité sociale avait apprécié différemment la nature des relations contractuelles en cause, considérant que l’existence d’un contrat de travail était démontrée (de sorte qu’il n’y avait pas lieu à annulation de l’assujettissement), et elle avait considéré que son analyse, différente de celle de l’organisme de sécurité sociale du point de savoir s’il y avait ou non contrat de travail, était de nature à constituer une faute de l’organisme de nature à engager la responsabilité civile de ce dernier. La Cour de cassation retient « que la seule circonstance que la cour du travail [donc la juridiction de sécurité sociale] ne s’est pas ralliée sur ce point à l’analyse du demandeur [donc de l’organisme de sécurité sociale] n’implique pas que celui-ci a commis une faute »41. En effet, selon la Cour, « aucune norme de droit n’impose au demandeur, dans la qualification d’une relation de travail, de s’abstenir ou d’agir de manière déterminée »42. Cette précision est à rapprocher du rappel, par la Cour, du principe, déjà évoqué en partie ci-avant dans le cadre de l’arrêt de 1982, que « la faute de l’autorité administrative, pouvant sur la base des articles 1382 et 1383 du code civil engager sa responsabilité, consiste en un comportement qui, ou bien s’analyse en une erreur de conduite devant être appréciée suivant le critère de l’autorité normalement soigneuse et prudente, placée dans les mêmes conditions, ou bien, sous réserve d’une erreur invincible ou d’une autre cause de justification, viole une norme de droit national ou d’un traité international ayant des effets dans l’ordre juridique interne, imposant à cette autorité de s’abstenir ou d’agir de manière déterminée »43. Il y a donc lieu de distinguer deux catégories de fautes, à savoir les illégalités et les erreurs de conduite. Dans le cadre de la première catégorie, l’illégalité établit la faute, sauf preuve d’une erreur invincible ou d’une autre cause de justification. Dans le cadre de la seconde catégorie, la faute, constituée par une erreur de conduite, suppose une appréciation du comportement de l’administration par rapport au standard d’une administration « normalement soigneuse et prudente, placée dans les mêmes conditions ». Le premier cas de figure, d’une faute commise par suite d’une illégalité, suppose que la norme violée « impos[e] à [l’]autorité de s’abstenir ou d’agir de manière déterminée ». Cette condition faisait, suivant l’appréciation de la Cour de cassation, défaut dans le cas d’espèce considéré, de sorte que la faute pertinente à prendre en considération était, non une illégalité, mais une erreur de conduite. L’arrêt ne met donc pas en cause le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute, mais se limite à 38 FAGNART, précité, n° 9, pages 45 et 46, note de bas de page n° 20, cite des arrêts du 22 septembre 1988, Pas.

belge, 1989, page 83, du 3 octobre 1994, Pas. belge, 1994, page 788 et du 26 mars 2004, Pas. belge, 2004, page 518.

39 Mémoire en cassation, n° 123, pages 31 à 32.

40 FAGNART, précité, n° 15, pages 48 à 49. Voir également, à titre d’illustration : David DE ROY, La jurisprudence de la Cour de cassation en matière de responsabilité civile des autorités administratives : revirement ou affinement ?, JLMB, 2005, pages 642 à 650.

41 Cour de cassation de Belgique, 25 octobre 2004, JLMB, 2005, pages 638 à 642, voir page 641, deuxième alinéa.

42 Idem, page 642, troisième alinéa.

43 Idem, page 641, sixième alinéa.

appliquer la précision déjà faite par la Cour en 1982 tirée de ce que le principe suppose que l’illégalité soit relative à une norme qui impose à l’administration de s’abstenir ou d’agir de manière déterminée. L’arrêt a donc pu être décrit du point de vue du principe de l’unité de l’illégalité et de la faute comme « une hésitation passagère mais oubliée »44.

L’hésitation a seulement été passagère étant donné que la Cour a confirmé ultérieurement par plusieurs arrêts que l’illégalité d’un acte, de surcroît lorsque cette illégalité a été constatée par la juridiction administrative, constitue une faute45.

Si toute illégalité constitue donc une faute susceptible d’engager la responsabilité civile, celle-ci suppose évidemment un préjudice et un lien de cause à effet entre la faute et le préjudice.

De ce point de vue l’arrêt précité de la Cour de cassation de Belgique du 13 mai 1982 avait déjà réservé le cas de l’illégalité commise par l’administration à la suite « d’une erreur invincible ou d’une autre cause d’exonération de responsabilité ». Cette situation est, au regard de la jurisprudence belge, susceptible de se présenter « lorsque l’irrégularité qui entache l’acte dont l’administration est l’auteur trouve son fondement dans un fait postérieur à l’adoption de cet acte, dont l’administration n’aurait en aucun cas pu tenir compte »46. Les cas de figure ainsi visés sont notamment ceux d’une « loi rétroactive ou interprétative qui modifie rétrospectivement le sens de la disposition sur le fondement de laquelle l’acte administratif a été adopté »47 ou d’un « revirement de jurisprudence [qui] intervient postérieurement à l’adoption de l’acte administratif et modifie les exigences de régularité dont l’administration pensait devoir tenir compte »48. S’agissant des faits antérieurs à l’adoption de l’acte, « la Cour de cassation va jusqu’à considérer que, même en cas de controverse jurisprudentielle au sujet de la disposition qui a conduit à l’erreur de droit, le caractère invincible de celle-ci ne peut être reconnu »49. Elle a toutefois admis, par un arrêt du 8 février 200850, « que des éléments d’appréciation antérieurs à l’adoption de l’acte – que l’administration aurait, dans l’absolu, pu connaître et dont elle aurait, dans l’absolu, pu tenir compte – pouvaient être pris en considération dans l’évaluation du caractère invincible de l’erreur commise »51.

Cette décision a été critiquée en doctrine pour être trop extensive, alors que « l’erreur invincible reconnue par la Cour était déduite d’éléments d’appréciation que l’autorité administrative n’avait pas seulement, in abstracto, le pouvoir de connaître, mais d’éléments de légalité qu’elle avait, in concreto, le devoir de connaître, en vertu 44 FAGNART, précité, page 48, titre du § 3.

45 Idem, points 16 à 18, pages 49 à 50, qui cite : Cour de cassation de Belgique, 26 juin 2008, Pas. belge, 2008, page 1658 ; idem, 10 avril 2014, Pas. belge 2014, page 949 (dans cet arrêt, la Cour, tout en rappelant le principe, précise que la méconnaissance par les juges du fond d’un délai indicatif ne constitue pas une illégalité) ; idem, 14 décembre 2015, R.C.J.B., 2018, pages 277 à 283, avec note D. DELVAX, Quelle autorité de chose jugée convient-

il de reconnaître aux arrêts rendus par le Conseil d’Etat au contentieux de l’annulation ?, pages 283 à 306. Voir également : Cour de cassation de Belgique, 9 février 2017, Pas. belge, 2017, page 337.

46 David DE ROY et David RENDERS, La responsabilité extracontractuelle du fait d’administrer, vue d’ensemble, in : La responsabilité des pouvoirs publics, Bruxelles, Bruylant, 2016, pages 31 à 91, voir n° 55, pages 73 et 74.

47 Idem et loc.cit.

48 Idem et loc.cit.

49 Idem, n° 55, page 74.

50 Cour de cassation de Belgique, 8 février 2008, Journal de tribunaux, 2008, page 559.

51 DE ROY et RENDERS, précité, n° 56, page 75.

de l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » »52. Certains pensent pouvoir déduire de cet arrêt qu’« un état de droit [qui] est raisonnablement susceptible de plusieurs interprétations »53 pourrait être considéré comme étant susceptible de constituer une erreur invincible, exonérant l’administration de sa faute. Le caractère invincible de l’erreur est subordonné à la condition que des circonstances invoquées à l’appui de cette allégation « il puisse se déduire que l’autorité administrative a agi comme l’aurait fait toute personne raisonnable et prudente »54. « Le juge du fond constate souverainement les circonstances sur lesquelles il fonde sa décision, la Cour [de cassation] vérifiant toutefois s’il a pu légalement déduire de celles-ci l’existence d’une cause de justification »55.

La Cour de cassation de Belgique considère, contrairement au Conseil d’Etat français, que l’illégalité constitutive de la faute reste la cause du dommage même si elle ne constitue qu’un vice de forme et que le même dommage aurait pu être causé si l’administration avait respecté les formes. La causalité n’est rompu que s’il est établi « que, sans la faute, le dommage n’eût pu se produire tel qu’il s’est réalisé »56.

Il a récemment été précisé que l’auteur de l’illégalité ne saurait s’exonérer en invoquant qu’il n’avait pas conscience de transgresser la loi. En effet, « la transgression matérielle d’une disposition légale ou réglementaire constitue en soi une faute qui entraîne la responsabilité civile de son auteur, à condition que cette transgression soit commise librement et consciemment [étant précisé que] il n’est pas nécessaire que l’auteur de la transgression ait conscience qu’il la commet »57. Il en suit que l’ignorance et, à plus forte raison, la bonne foi ne sont pas exonératoires en l’absence des circonstances spécifiques d’une erreur invincible ou d’une autre cause de justification58.

Il a été exposé ci-avant, dans le cadre de la discussion de l’arrêt du 25 octobre 2004 que la faute peut prendre en droit belge deux formes, consistant « soit en une violation d’une norme légale ou réglementaire imposant un comportement ou une abstention d’agir suffisamment déterminés, soit, en l’absence d’une telle norme, en une violation d’une norme générale de conduite enjoignant d’agir comme le ferait une personne normalement soigneuse et prudente »59. Cette distinction n’est pas spécifique à la matière de la responsabilité de la puissance publique, mais s’applique 52 Idem et loc.cit.

53 Idem, n° 58, page 76.

54 Cour de cassation de Belgique, 16 septembre 2005, Pas. belge, 2005, n° 439, page 1668.

55 Idem, 8 février 2008, Journal des tribunaux, 2008, page 569 ; idem, 23 septembre 2010, Journal des tribunaux, 2010, page 380.

56 Cour de cassation de Belgique, 14 décembre 2006, Pas. belge, 2006, page 2667, qui casse un arrêt de Cour d’appel « qui considère qu’il n’est pas établi que, sans la faute consistant à n’avoir pas procédé à une étude d’incidences, « la politique aéroportuaire » de la Région wallonne n’eût pas été la même, mais qui n’examine pas si, sans cette faute, le dommage des demandeurs se serait néanmoins produit tel qu’il s’est réalisé » (idem, page 2700). Voir également FAGNART, précité, n° 13, pages 47 à 48.

57 Cour de cassation de Belgique, 9 février 2017, Pas. belge 2017, page 337, voir page 348, ainsi que les conclusions contraires du Procureur général André HENKES, alors Premier avocat général.

58 Cette solution, inspirée du droit pénal, reprend celle que vous avez adopté dans cette matière en ce qui concerne la question du dol général : Cour de cassation, 25 février 2010, Pas. 35, page 135.

59 Cour constitutionnelle de Belgique, 19 juillet 2018, n° 106/2018, point B.7. Voir également : Bernard DUBUISSON, Vincent CALLEWAERT, Bertrand DE CONINCK et Grégoire CATHEM, Sources de la responsabilité des pouvoirs publics, in : La responsabilité civile, Bruxelles, Larcier, 2009, pages 550 à 567, voir n° 656, page 550.

« quelle que soit la nature de la personne dont la responsabilité est mise en cause »60, donc y compris aux personnes privées61. Cette distinction n’est pas inconnue du droit luxembourgeois, qui admet, en tout cas pour les particuliers, que ces derniers sont « responsables de « toutes les erreurs de droit » »62.

Elle implique que l’appréciation du comportement au regard du critère de la « personne normalement soigneuse et prudente »63 est circonscrite aux fautes qui n’ont pas été commises par la violation d’une norme légale ou réglementaire.

La qualification d’une illégalité de l’administration comme faute génératrice de responsabilité est d’autant plus manifeste que l’illégalité a été constatée par une décision des juridictions administratives passée en force de chose jugée. Elle se fonde dans ce cas en outre sur l’autorité absolue de la chose jugée qui s’attache à une telle décision, ainsi que la Cour de cassation de Belgique l’a rappelé dans un arrêt du 14 décembre 2015 :

« Lorsqu’une juridiction de l’ordre judiciaire est valablement saisie sur la base de l’article 1382 du Code civil d’une demande en responsabilité fondée sur l’excès de pouvoir résultant de la méconnaissance par l’autorité administrative des règles constitutionnelles ou légales lui imposant de s’abstenir ou d’agir d’une manière déterminée et que cet excès de pouvoir a été sanctionné par l’annulation de l’acte administratif par le Conseil d’Etat, la juridiction de l’ordre judiciaire doit nécessairement décider, en raison de l’autorité absolue de la chose jugée qui s’attache à pareille décision d’annulation, que l’autorité administrative, auteur de l’acte annulé, a, sauf cause de justification, commis une faute et que cette faute donne lieu à réparation à la condition que le lien causal entre l’excès de pouvoir et le dommage soit prouvé »64.

Il importe enfin de signaler que la doctrine belge est divisée au sujet de la portée du principe de l’unité de l’illégalité et de la faute. Deux courants s’affrontent, dont le premier défend la thèse d’une unité absolue de l’illégalité et de la faute tandis que le second préconise une unité relative.

Les tenants de l’unité absolue soutiennent que « toute illégalité est une faute, sans préjudice d’une erreur invincible ou d’une autre cause de justification »65 tandis que les tenants de l’unité relative considèrent que « seule la transgression de certaines normes conduirait ipso facto à reconnaître que l’autorité administrative a commis une faute »66.

Ce second courant doctrinal, de l’unité relative, se subdivise en trois sous-

courants :

60 Idem et loc.cit.

61 La Cour constitutionnelle de Belgique a par ce motif rejeté une question préjudicielle tirée de ce que le régime de responsabilité civile serait plus sévère pour les personnes privées que pour l’Etat et les administrations, partant, violerait le principe d’égalité de traitement.

62 RAVARANI, précité, n° 200, page 223, premier alinéa.

63 Cour constitutionnelle de Belgique, précité, point B.7.

64 Arrêt précité, du 14 décembre 2015, R.C.J.B., 2018, pages 277 à 283, voir page 280. Il s’agit d’une solution constante en droit belge (voir DUBUISSON e.a., précité, n° 658, pages 551 à 552).

65 DE ROY et RENDERS, précité, n° 17, page 42.

66 Idem, n° 35, page 54.

- « Selon une première tendance […] la règle d’unité ne jouerait qu’à l’égard de la méconnaissance de normes imposant aux autorités administratives des obligations de résultat […] générées par des normes claires, précises et inconditionnelles [par opposition aux] obligations de moyen, issues de normes qui ne présentent pas ces caractéristiques et laissent donc à l’autorité un pouvoir d’appréciation dans la manière dont elles doivent être mises en œuvre »67.

- Selon une deuxième tendance il y aurait lieu de distinguer, « parmi les dispositions à l’égard desquelles un vice de légalité peut être détecté, celles qui imposent un comportement déterminé, de celles qui – tout en conditionnant la légalité d’un acte administratif – ne font pas peser sur l’autorité administrative de telles obligations d’action ou d’abstention »68.

- Selon une troisième tendance, « l’illégalité ne serait pas synonyme de faute, lorsqu’elle ne revêt qu’un caractère formel, de sorte que l’autorité administrative qui a adopté un acte au mépris des formalités qui lui étaient imposées aurait, en toute hypothèse, pu prendre un acte ayant un même objet et une même portée, et produisant les mêmes effets, mais dans le respect de ces formalités »69.

Il a été vu ci-avant que cette troisième solution est rejetée par la jurisprudence de la Cour de cassation de Belgique. Les deux premiers courants peinent à se prévaloir de façon pertinente d’arrêts qui les consacreraient de façon indiscutable70.

Plus particulièrement, « aucune juridiction n’a […] démontré l’existence d’une norme qui n’imposait pas à l’administration un comportement déterminé, dont la violation serait, partant, non fautive »71.

Le droit positif belge retient, au regard de l’arrêt précité de la Cour de cassation de Belgique du 9 février 2017, que, sauf erreur invincible ou existence d’une autre cause de justification, toute transgression matérielle d’une disposition légale ou réglementaire constitue en soi une faute qui est susceptible d’entraîner la responsabilité civile de son auteur, qu’il soit d’ailleurs une administration ou une personne privée. L’unité de l’illégalité et de la faute est donc absolue.

En tout état de cause, quels que soient les courants doctrinaux, il n’est pas discuté qu’il existe en droit belge un principe d’unité de l’illégalité et de la faute et que ce principe dispense de subordonner la qualification de la faute à la condition supplémentaire que l’auteur ait, outre de commettre l’illégalité, failli d’agir comme « personne normalement soigneuse et prudente »72.

67 Idem, n° 36, pages 54 à 55.

68 Idem, n° 36, page 55.

69 Idem et loc.cit.

70 Voir sur ce point DE ROY et RENDERS, précité, n° 18 à 33, pages 43 à 53 (reprenant l’argumentaire de David RENDERS, adepte de la théorie de l’unité absolue) (voir cependant les n° 39 à 48, pages 57 à 67, reprenant l’argumentaire de David DE ROY, adepte de la théorie de l’unité relative). Voir également, dans le même sens que RENDERS, FAGNART, précité, n° 15 à 18, pages 48 à 50.

71 DE ROY et RENDERS, précité, n° 33, page 53, citant la conclusion de RENDERS, adepte de la théorie de l’unité absolue. L’arrêt précité du 25 octobre 2004 pourrait cependant être, le cas échéant, cité comme exemple contraire.

72 Cour constitutionnelle de Belgique, précité, point B.7.

La volonté du législateur luxembourgeoise de 1988 de consacrer ce principe La Cour d’appel a, dans l’arrêt attaqué, considéré que :

« S’il est vrai que le principe d’unité de faute et d’illégalité n’est pas consacré formellement dans la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité de l’Etat et des collectivités publiques, il n’en reste pas moins qu’en édictant l’article 1er de la loi de 1988 dans sa version préconisée par le ministère de la Justice et la commission juridique, le législateur a entendu consacrer la théorie de l’unité des notions d’illégalité et de faute afin de garantir une meilleure protection des administrés victimes d’un fonctionnement défectueux des services publics. »73.

La Ville fait soutenir que le législateur de 1988 n’a pas voulu consacrer ce principe74.

La Cour d’appel a concédé que ce principe n’est pas formellement consacré par la loi. Toujours est-il qu’elle souligne à juste titre que l’un des objectifs de la loi de 1988, et plus particulièrement de son article 1er, alinéa 1, qui est la base légale de la présente action, a été de consacrer le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute.

L’Exposé des motifs du projet de loi se plaint de la solution consacrée par l’arrêt précité de la Cour de cassation du 24 novembre 1977, selon laquelle « la seule illégalité de la mesure prise ne suffit pas, il faut qu’en plus elle soit le résultant d’un comportement fautif »75, ce qui a comme effet qu’« en l’état actuel de la jurisprudence chez nous, la victime d’un acte de l’Administration se voit donc obligée dans tous les cas à rapporter la preuve d’une faute commise par l’agent de l’Etat auquel le fait dommageable est imputable [de sorte que] il en résulte que dans beaucoup de cas la victime innocente n’est pas indemnisée, soit qu’aucune faute précise ne peut être reprochée à l’Administration, soit qu’elle n’arrive pas à en rapporter la preuve »76. En vue d’y remédier, le Gouvernement propose d’introduire dans l’article 1er, alinéa 1, de la future loi de 1988 « un principe général que la mise en cause de la responsabilité de l’Etat ou d’une autre collectivité de droit public est subordonnée à la preuve d’une comportement défectueux, c’est-à-dire objectivement fautif, du service à l’origine du dommage »77.

Le rejet par la Cour de cassation de l’unité de l’illégalité et de la faute est donc considéré comme un problème que le projet de loi se doit de résoudre. La solution proposée est de ne plus exiger dans les cas visés, y compris dans celui d’un préjudice découlant d’un acte illégal, la preuve d’une faute, mais de se limiter à exiger celle d’un comportement défectueux du service, considéré comme étant objectivement fautif. Dans cette logique, l’illégalité est une preuve suffisante d’un comportement objectivement défectueux.

73 Arrêt attaqué, page 5, quatrième alinéa.

74 Mémoire en cassation, n° 136 à 151, pages 34 à 38.

75 Exposé des motifs du projet de loi n° 2665 (Document parlementaire n° 2665), page 3, troisième alinéa.

76 Idem, même page, quatrième alinéa.

77 Commentaire de l’article 1er (Document parlementaire précité), page 4, antépénultième alinéa.

Le Conseil d’Etat défend pour sa part la dualité de l’illégalité et de la faute, en donnant à considérer que « il serait […] excessif de sanctionner la moindre faute et, par exemple, de déclarer l’Etat ou la commune responsable chaque fois qu’une réformation ou annulation traduit l’erreur qu’a pu commettre l’autorité administrative »78. C’est notamment pour ce motif qu’il « estime […] que l’alinéa 1er de l’article 1er est à biffer »79.

Le Ministre de la Justice rétorque en donnant à considérer que la jurisprudence luxembourgeoise rendue sur base des articles 1382 et 1383 du Code, à laquelle il y aurait lieu de s’en tenir en cas de retrait de la disposition proposée, « est loin de donner satisfaction pour les actes administratifs illégaux [étant donné que] elle ne sanctionne […] l’illégalité que si elle est le résultat d’une faute caractérisée »80. En effet, « ces décisions font bien apparaître que le recours à la notion de faute n’est pas satisfaisant et qu’il est nécessaire ou bien de considérer comme fautifs des comportements qui ne le sont pas dans le chef de la personne considérée, ou bien faire supporter à l’administré les conséquences dommageables d’un acte dont il n’est certainement pas responsable »81. Le Ministre conclut, en se référant expressément à l’arrêt de la Cour de cassation du 24 novembre 1977, qu’« il faut constater que la théorie de la faute est inappropriée pour régler les cas de dommages causés par les actes matériels ou juridiques de l’Administration [étant ajouté qu’il en est ainsi] d’autant moins qu’il n’est nullement sûr que notre jurisprudence finira par se rallier aux solutions libérales admises en France et en Belgique [au sujet de l’unité de l’illégalité et de la faute], compte tenu notamment de la décision de notre cour d’appel du 24 mars 1976 que la cour de cassation a refusé d’annuler [dans son arrêt du 24 novembre 1977] »82. L’introduction d’un régime de responsabilité fondée sur le fonctionnement (objectivement) défectueux du service est donc considéré comme permettant de consacrer le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute.

Dans son avis complémentaire, le Conseil d’Etat observe « qu’au moment où sont intervenus les arrêts de la Cour d’appel du 24 mars 1976 et de la Cour de cassation du 24 novembre 1977, la Cour de cassation de Belgique ne s’était pas encore prononcée et […] à l’époque la tendance prédominante des cours d’appel belges ainsi qu’un important courant doctrinal allait […] dans le sens de la thèse de la dualité des notions d’illégalité et de faute »83. Il ajoute qu’« il importe de relever surtout que la jurisprudence luxembourgeoise a déjà évolué entre-temps dans un sens contraire aux solutions préconisées par lesdits arrêts des 24 mars 1976 et 24 novembre 1977 »84. Après avoir passé en revue cette jurisprudence plus récente, il conclut que « les développements qui précèdent font apparaître que la jurisprudence luxembourgeoise ne refuse nullement de se rallier aux solutions libérales des 78 Avis du Conseil d’Etat, du 18 mai 1982 (Document parlementaire précité), pages 10 et suivantes, voir page 18, quatrième alinéa.

79 Idem, même page, sixième alinéa.

80 Prise de position du Ministre de la Justice, du 15 octobre 1984 (Document parlementaire n° 2665-2), page 2, troisième alinéa.

81 Idem, même page, avant-dernier alinéa.

82 Idem, page 3, deuxième alinéa.

83 Deuxième avis complémentaire du Conseil d’Etat, du 20 juin 1985 (Document parlementaire n° 2665-1), page 3, troisième alinéa.

84 Idem, même page.

juridictions étrangères »85. Il en déduit que « de l’avis du Conseil d’Etat, il est préférable de suivre la pratique belge et française consistant à ne pas enfermer les magistrats dans un carcan trop rigide et à ne pas leur imposer des solutions automatiques les privant de toute souplesse d’adaptation aux circonstances changeantes des cas d’espèce »86. Ces motifs sont invoqués à l’appui de son argument tiré de ce « qu’il n’existe aucun motif valable pour soumettre la responsabilité civile des collectivités publiques à un régime exorbitant du droit commun des articles 1382 à 1384 du code civil »87.

Le Conseil d’Etat a donc, au cours des débats parlementaires, abandonné sa défense de la théorie de la dualité de l’illégalité et de la faute. Il prend acte de ce que la jurisprudence tant belge, que française que luxembourgeoise de l’époque, du milieu des années 1980, consacre le principe inverse de l’unité de l’illégalité et de la faute. Il ne manifeste à ce sujet aucune critique ou réserve. L’adoption de ce principe par la jurisprudence luxembourgeoise est, au contraire, un argument à l’appui de sa thèse que le but recherché par le législateur, de consacrer ce principe par l’article 1er, alinéa 1er, de la future loi de 1988, est déjà réalisé, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de légiférer.

La Commission juridique de la Chambre des Députés salue que la jurisprudence luxembourgeoise a, depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 24 novembre 1977, évolué aux fins de consacrer le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute :

« […] la jurisprudence ne cesse d’évoluer dans un sens favorable à la victime. Ainsi la jurisprudence actuelle consacre la responsabilité civile de l’Etat du fait des décisions administratives, que ces décisions soient individuelles ou collectives. La dernière jurisprudence de la Cour Supérieure de Justice, bien que la Cour de Cassation n’ait pas encore eu la possibilité de la confirmer ou de l’infirmer, consacre également le principe de l’unité de la faute administrative, c’est-à-dire dès qu’une décision revêt un caractère d’illégalité, elle engage la responsabilité de l’Etat (Cour 13/12/83 Etat c/Nilles). »88.

Elle constate que le Conseil d’Etat conclut que « notamment l’alinéa 1er de l’article 1er serait à biffer, la jurisprudence actuelle garantissant mieux que le texte proposé les intérêts légitime du particulier »89.

Elle refuse cependant cette proposition aux motifs suivants :

« Tant le Gouvernement que la Commission juridique sont cependant d’un avis contraire. S’il est vrai que la jurisprudence est abondante en la matière, il est tout aussi vrai que la jurisprudence est toujours susceptible d’un revirement. Il s’y ajoute que seuls les professionnels en la matière connaissent les dernières précisions de la jurisprudence. Le particulier lui-même connaît tout au plus le texte de la loi.

85 Idem, page 4, troisième alinéa.

86 Idem, même page, quatrième alinéa.

87 Idem, même page, dernier alinéa.

88 Rapport de la Commission juridique, du 1er juillet 1988 (Document parlementaire n° 2665-7), page 3, quatrième alinéa.

89 Idem, même page, huitième alinéa.

Sans texte de loi formel, beaucoup de citoyens hésitent à saisir les juridictions de litiges les opposant à l’Etat, aussi justifiée que soit leur cause. »90.

Elle craint donc que, à défaut de légiférer, le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute, qui a été consacré par la jurisprudence, ne soit pas à l’abri d’un revirement jurisprudentiel et ne soit pas suffisamment connu du public.

Elle entend donc garantir ce principe par l’article 1er, alinéa 1er, de la future loi de 1988, qui « a pour but de consacrer le principe général de la responsabilité civile de l’Etat et des collectivités publiques sur base non plus d’une faute mais sur base d’un simple fonctionnement défectueux du service, c’est-à-dire d’une sorte de faute anonyme au lieu de la faute imputable à un agent précis »91.

L’intention du législateur était donc de donner une base légale au principe de l’unité de l’illégalité et de la faute en fondant la responsabilité de la puissance publique sur le critère du fonctionnement défectueux du service, à l’exclusion de celui de la faute (subjective de l’agent à l’origine de l’illégalité).

Si cette intention est manifeste au regard des documents cités ci-avant, il reste que la jurisprudence postérieure a refusé de distinguer entre fonctionnement défectueux du service au sens de l’article 1er, alinéa 1er, de la loi de 1988 et faute au sens de l’article 1382 du Code civil et a, partant, considéré le premier comme une simple application de la seconde92.

Cette interprétation jurisprudentielle de la loi de 1988, qui n’a pas remis en cause l’application, voulue par le législateur, du principe de l’unité de l’illégalité et de la faute, n’est cependant pas de nature à démentir que le législateur en adoptant l’article 1er, alinéa 1er, de la loi a voulu consacrer et garantir ce principe, son intention ayant par ailleurs été mise en œuvre par les juridictions.

La consécration du principe par la jurisprudence luxembourgeoise Les travaux préparatoires de la loi de 1988 constatent que la jurisprudence luxembourgeoise, qui avait déjà en partie consacré le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute au cours des années 1960, avant de remettre en question cette évolution par l’arrêt de la Cour de cassation du 24 novembre 1977, a dès le début des années 1980 résolument consacré ce principe, sous l’influence de l’évolution de la jurisprudence française et belge93.

Cette consécration a été réalisée au cours des quatre dernières décennies, dans le cadre d’une jurisprudence constante des juridictions de fond94.

90 Idem, même page, neuvième alinéa.

91 Idem, même page, dernier alinéa.

92 Cour de cassation, 24 avril 2003, n° 26/03, numéro 1971 du registre (réponse au second moyen) et 8 décembre 2016, n° 93/16, numéro 3716 du registre (réponse au premier moyen).

93 Deuxième avis complémentaire du Conseil d’Etat, précité, pages 2 à 4.

94 RAVARANI, précité, n° 199 et 200, pages 218 à 224.

Si votre Cour ne s’est plus formellement prononcée sur la question, deux arrêts sont toutefois susceptibles d’être interprétés dans le sens d’une consécration implicite de ce principe.

Dans le cadre d’un premier arrêt, du 10 juillet 200895, saisie d’une « affaire où l’interprétation des textes était particulièrement délicate, à tel point que la Cour de cassation ne suivit pas son avocat général qui avait conclu à la cassation, celle-

ci approuve la Cour d’appel d’avoir retenu que l’Etat, en optant pour la solution ne correspondant pas à l’interprétation qu’elle faisait des textes en présence, avait commis une faute engageant sa responsabilité »96. Il a été noté au sujet de cet arrêt en doctrine que « il ne semble pas exagéré d’affirmer qu’il s’agit en l’espèce, pour le moins d’une application tacite de la notion d’unité des notions d’illégalité et de faute »97.

Dans le cadre d’un second arrêt, du 4 juin 2020, votre Cour a été saisie d’un pourvoi dirigé contre un arrêt de la Cour d’appel ayant rejeté, par confirmation, une action en responsabilité civile dirigée contre l’Etat du chef du préjudice causé par une décision administrative, au motif que la demanderesse avait omis d’introduire devant les juridictions administratives un recours contre cette décision et que l’action obligerait le juge judiciaire à dépasser son champ de compétence en l’amenant à contrôler la légalité d’actes administratifs individuels. L’un des moyens du pourvoi reprochait à la Cour d’appel d’avoir violé l’article 84 de la Constitution, qui, selon la demanderesse en cassation, en l’absence d’une décision des juridictions administratives se prononçant sur la légalité de l’acte administratif qui est la source du préjudice, obligerait le juge judiciaire, tenu de se prononcer sur l’existence de la faute, à apprécier lui-même la légalité de cet acte. Vous avez rejeté ce moyen au motif que la Cour d’appel n’a pas refusé de juger, mais a statué dans les limites de la compétence attribuée aux juridictions de l’ordre judiciaire98. Cet arrêt implique que la mise en œuvre de la responsabilité civile du fait d’un acte administratif suppose le constat de l’illégalité de cet acte, à effectuer par les juridictions administratives, ce constat ne pouvant être remplacé par une appréciation propre du caractère fautif de l’acte le juge judiciaire Dans cette logique, la preuve du caractère fautif d’un acte administratif découle du constat de son illégalité par le juge administratif, à l’exclusion de toute appréciation propre de la faute par le juge judiciaire. Bien entendu, l’arrêt ne précise pas, et n’avait pas à préciser, que le constat de l’illégalité par le juge administratif, s’il constitue une condition nécessaire de la faute, en constitue également une condition suffisante. Il reste que l’absence de toute compétence propre du juge judiciaire pour apprécier la faute constituée par l’illégalité d’un acte administratif incite à admettre que cette illégalité est la condition suffisante de la faute.

La justification du principe de l’unité de l’illégalité et de faute C’est à juste titre que la jurisprudence constante consacre le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute.

95 Cour de cassation, 10 juillet 2008, n° 46/07, numéro 2548 du registre (réponse au deuxième moyen).

96 RAVARANI, précité, n° 199, page 221, dernier alinéa.

97 Idem et loc.cit.

98 Cour de cassation, 4 juin 2020, n° 77/2020, numéro CAS-2019-00063 du registre (réponse au sixième moyen).

Ce dernier se justifie, en effet, par deux motifs :

- « il ne revient pas au citoyen de supporter le dommage subi des suites de ce que l’administration a violé une règle ou un principe qui s’imposait à elle et que l’Etat de droit a posé en contrepartie du pouvoir exorbitant qu’il lui a consenti »99 et - « dans le procès en responsabilité, le curseur est ainsi placé à l’endroit où au bénéficie de l’illégalité, par hypothèse constatée, le citoyen n’a plus qu’à prouver l’existence d’un dommage en lien causal avec l’illégalité – donc la faute – commise, ce qui rend un peu moins déséquilibré le rapport de force entre le citoyen et l’administration »100.

Il s’y ajoute un troisième motif. Ainsi qu’il a déjà été plusieurs fois rappelé le droit luxembourgeois de la responsabilité civile rend « les particuliers responsables de « toutes les erreurs de droit » »101. Il est dès lors difficilement justifiable du point de vue du respect du principe d’égalité de traitement de subordonner la responsabilité civile des particuliers, qui ont en règle générale beaucoup plus de difficultés que l’Etat et les collectivités publiques de connaître et d’appliquer correctement le droit, à des conditions plus restrictives que ces derniers.

Si l’illégalité implique la faute, elle n’engendre pas nécessairement la responsabilité. En effet, « il ne faut pas perdre de vue que l’administration peut encore s’en sortir par deux voies : l’erreur invincible ou toute autre cause de justification, d’une part ; le lien causal entre la faute et le dommage, de l’autre »102.

Cette solution, de la Cour de cassation de Belgique, mérite d’être adoptée.

Sur l’analyse des quatre premiers moyens La Cour d’appel constate que « la Ville est constituée en faute par le fait d’avoir refusé de délivrer l’autorisation de réaffectation d’une partie de l’immeuble appartenant à [la défenderesse en cassation] »103. Cette faute découle du fait que la « décision [a été] déclarée illégale par le tribunal administratif »104, « par jugement […] coulé en force de chose jugée »105. Elle considère que « dans l’appréciation des éléments constitutifs du droit à réparation du dommage […] [elle] est, concernant la question de l’existence d’une faute, lié par la décision du juge administratif »106. Elle déduit cette conclusion du « principe de l’unité des notions d’illégalité et de faute consacré par la jurisprudence luxembourgeoise, même récente, qui retient qu’un acte administratif annulé par les juridictions administratives constitue un acte illicite, même s’il est imputable à une simple erreur d’appréciation ou 99 DE ROY et RENDERS, précité, n° 34, page 53.

100 Idem et loc.cit.

101 RAVARANI, précité, n° 200, page 223, premier alinéa.

102 DE ROY et RENDERS, précité, n° 34, page 53, dernier alinéa.

103 Arrêt attaqué, page 6, deuxième alinéa.

104 Idem, page 4, antépénultième alinéa.

105 Idem, page 2, deuxième alinéa.

106 Idem, page 4, avant-dernier alinéa.

d’interprétation »107. Elle estime que ce principe a valeur de principe général de droit, qui constitue une source de droit qui « sert à coordonner les règles de droit en fonction de certaines idées directrices »108, qu’il n’est pas contraire articles 84 et 95 de la Constitution, étant donné que « pour apprécier la faute, élément de droit civil, les juridictions judiciaires s’appuient sur ce qui a été jugé par les juridictions administratives en termes d’illégalité »109 et qu’il ne constitue pas un arrêt de règlement prohibé par l’article 5 du Code civil110.

Par ces motifs, elle rejette les conclusions de la Ville qui avait fait valoir « que sa responsabilité ne saurait être engagée étant donné qu’elle n’a pas commis de faute susceptible d’engager sa responsabilité [parce que] la sanction par le tribunal administratif n’était pas prévisible étant donné qu’elle a cherché à appliquer les textes légaux dans le sens voulu par le législateur [communal] »111.

Les quatre premiers moyens attaquent ce raisonnement de différentes façons :

- les premier, deuxième et quatrième moyens sont tirés de la violation de différentes dispositions, à savoir de le la loi de 1988 (premier moyen), de l’article 5 du Code civil ensemble avec le principe de la séparation des pouvoirs (deuxième moyen) et de l’article 84 de la Constitution (quatrième moyen), - la première branche du troisième moyen est tirée d’un défaut de base légal constitutif d’une violation de la loi de 1988, - la seconde branche du troisième moyen est tirée d’un défaut de réponse à conclusions.

Sur le premier moyen Le premier moyen est tiré d’une violation de l’article 1er, alinéa 1er, de la loi de 1988, qui dispose que « l´Etat et les autres personnes morales de droit public répondent, chacun dans le cadre de ses missions de service public, de tout dommage causé par le fonctionnement défectueux de leurs services, tant administratifs que judiciaires, sous réserve de l´autorité de la chose jugée ».

Il est subdivisé en trois branches, dont la première critique que le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute ne constitue pas un principe général du droit, la deuxième, subsidiaire à la première, que l’article 1er, alinéa 1er, de la loi de 1988 suppose en tout état de cause l’examen d’un fonctionnement défectueux du service et la troisième, qui est subsidiaire aux deux premières, que le principe retenu est inconciliable avec la loi, partant, ne se cantonne pas au rôle assigné aux principes généraux du droit, de source de droit supplétive.

107 Idem, page 5, deuxième alinéa.

108 Idem, même page, antépénultième alinéa, citant PESCATORE.

109 Idem, même page, avant-dernier alinéa.

110 Idem, même page, dernier alinéa.

111 Idem, page 3, deuxième alinéa.

Le premier moyen critique l’appréciation faite par la Cour d’appel de la cause génératrice de la responsabilité, donc du fonctionnement défectueux du service ou, ce qui au regard de votre jurisprudence revient au même, de la faute de l’administration.

Suivant votre jurisprudence constante vous abandonnez cette question au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. Cette solution constante est appliquée tant en ce qui concerne la faute délictuelle de l’article 1382 du Code civil112, que la faute contractuelle source de la responsabilité contractuelle113 ou le fonctionnement défectueux du service source de la responsabilité de la puissance publique sur base de la loi de 1988114.

Dans deux arrêts isolés assez anciens vous avez toutefois accepté le contrôle de la qualification du fonctionnement défectueux de service115.

Il en est notamment ainsi d’une espèce relative à un accident de la circulation causé par la chute sur la voie publique d’un arbre d’une forêt appartenant à une Commune, dans laquelle le fonctionnement défectueux du service de celle-ci avait été déduit de la présence de cet arbre sur la voie publique. Vous avez accepté d’examiner le moyen tiré de ce que la simple présence matérielle de l’arbre comme preuve suffisante d’un fonctionnement défectueux du service reviendrait à instituer une véritable présomption de responsabilité à l’image de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, en violation de la loi de 1988, qui n’institue pas une telle présomption.

Vous avez rejeté le moyen au motif « qu’en se fondant sur les faits par eux constatés, les juges d’appel ont pu, sans violer le texte de loi énoncé au moyen [donc l’article 1er, alinéa 1er, de la loi de 1988] , statuer comme ils l’ont fait »116.

112 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation, 19 juin 2003, n° 35/13, numéro 1980 du registre (réponse au quatrième moyen) ; idem, 30 janvier 2005, n° 4/95, numéro 2145 du registre (réponse au premier et troisième moyens réunis) ; idem, 10 mars 2005, n° 16/05, numéro 1925 du registre (réponse au deuxième moyen) ; idem, 26 mai 2005, n° 37/05, numéro 2189 du registre (réponse aux deux premiers moyens réunis) ; idem, 15 novembre 2007, n° 49/07, numéro 2450 du registre (réponse à la seconde branche du premier moyen) ; idem, 27 février 2014, n° 18/14, numéro 3289 du registre (réponse au quatrième moyen) ; idem, 2 juillet 2015, n° 61/15, numéro 3500 du registre (réponse au troisième moyen) ; 17 décembre 2015, n° 99/15, numéro 3569 du registre (réponse au cinquième moyen).

113 Voir, à titre d’illustration : idem, 6 mai 2010, n° 35/10, numéro 2764 du registre (réponse au deuxième moyen) ;

idem, 28 février 2013, n° 16/13, numéro 3102 du registre (réponse aux deuxième et troisième branches réunies du troisième moyen) ; idem, 19 novembre 2015, n° 83/15, numéro 3541 du registre (réponse au second moyen) ;

idem, 21 avril 2016, n° 39/16, numéro 3631 du registre (réponse aux premier, deuxième et troisième moyens réunis) ; idem, 7 juillet 2016, n° 76/16, numéro 3626 du registre (réponse au quatrième moyen).

114 Voir, à titre d’illustration : idem, 13 janvier 2005, n° 4/05, numéro 2145 du registre (réponse aux premier et troisième moyens réunis) ; idem, 4 mars 2010, n° 12/10, numéro 2724 du registre (réponse au premier moyen) ;

idem, 2 avril 2015, n° 32/15, numéro 3491 du registre (réponse au deuxième moyen) ; idem 14 décembre 2017, n° 93/17, numéro 3883 du registre (réponse aux onzième et douzième moyens réunis).

115 Idem, 19 décembre 2002, n° 50/02, numéro 1922 du registre (réponse au troisième moyen) et idem, 15 décembre 2005, n° 66/05, numéro 2232 du registre (réponse au moyen unique).

116 Arrêt précité du 15 décembre 2005. Dans l’arrêt précité du 19 décembre 2002 la question litigieuse était de savoir si le fait pour une administration d’admettre à se présenter à un examen de promotion un candidat qui ne respecte pas les conditions d’admission constitue un fonctionnement défectueux de service. Vous avez rejeté le moyen au motif, identique à celui de votre arrêt du 15 décembre 2005, « que sur la base des faits qu’ils ont constatés et de l’appréciation qu’ils en ont faite, les juges du fond ont pu statuer comme ils l’ont fait ».

Vous avez également, dans un autre arrêt isolé, accepté de contrôler la faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil et cassé l’arrêt attaqué pour ne pas avoir respecté les critères de cette qualification117.

Si votre jurisprudence actuelle n’est donc pas totalement unanime, il reste qu’elle refuse dans sa quasi-totalité le contrôle de la qualification du fonctionnement défectueux de service, du moins si le moyen est tiré de la violation de la loi et non du défaut de base légale118.

Elle se départit ainsi de sa position antérieure, exprimée dans l’arrêt précité du 24 novembre 1977, dans lequel votre Cour a décidé que :

« Attendu que s’il appartient aux juges du fond de constater la réalité des faits imputés à la faute, il incombe à la Cour de cassation d’apprécier si les faits dont l’existence est ainsi reconnue constitue une faute et le caractère de gravité de celle-

ci »119.

Elle se départit de même de la jurisprudence des Cours de cassation de France et de Belgique120, qui, pour ce qui concerne la première exerce ce contrôle depuis 1873121 et, pour ce qui concerne la seconde, depuis 1927122. Il est vrai que c’est une « lourde tâche qui consiste à contrôler la qualification juridique de faute »123. En France, la Cour de cassation considère que « s’il appartient aux juges du fond de constater souverainement les faits d’où ils déduisent l’existence ou l’absence d’une faute délictuelle ou quasi-délictuelle, la qualification juridique de la faute relève du contrôle de la Cour de cassation » 124. En Belgique, elle estime que « s’il appartient au juge d’apprécier l’existence d’une faute, la Cour contrôle s’il n’a pas violé la notion légale de faute »125.

Ce contrôle du droit sur base des constatations de fait s’effectue ainsi par le biais de la technique du moyen de pur droit, qui est une notion, élaborée dans le cadre de la recevabilité des moyens nouveaux présentés devant la Cour de cassation126.

117 Cour de cassation, 11 juillet 2013, n° 60/13, numéro 3228 du registre (réponse à la première branche du premier moyen). Vous avez relevé dans cet arrêt, de cassation sous le visa des articles 1382 et 1383 du Code civil, « que le seul fait d’avoir vendu un immeuble commun sans le consentement de son épouse ne constitue pas une faute dont le mari devrait répondre envers l’acquéreur ».

118 Le contrôle du défaut de base légale sanctionne une insuffisance des motifs de fait dans les matières dans lesquelles le juge du fond dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation. Ce contrôle s’applique donc précisément dans le cadre de ces matières, son but étant de vérifier que le juge du fond a exercé son pouvoir souverain (Jacques et Louis BORÉ, La cassation en matière civile, Paris, Dalloz, 5e édition, 2015, n° 78.04, page 427).

119 Pas. 24, page 5 120 RAVARANI, précité, n° 54, page 59.

121 A savoir depuis un arrêt du 15 avril 1873, Sirey 1873, I, page 174. Voir sur ce point : BORÉ, précité, n° 67.181, page 341 ; JurisClasseur Civil, Art. 1382 à 1386, Fasc. 120-10 : Droit à réparation – Responsabilité fondée sur la faute – Notion de faute : contenu commun à toutes les fautes, par Patrice JOURDAIN, novembre 2011, n° 9.

122 Cour de cassation de Belgique, 20 octobre 1927, Pas. belge, 1927, I, page 310. Voir sur ce point : Pierre VAN OMMESLAGHE, in : DE PAGE, Traité de droit civil belge, Tome II, Les obligations, Bruxelles, Bruylant, 2013, n° 840, pages 1235 à 1236.

123 JurisClasseur Civil, Art. 1382 à 1386, précité, n° 9.

124 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation française, deuxième chambre civile, 7 mars 1973, Bull. civ. II, n° 93, page 72.

125 Cour de cassation de Belgique, 24 mai 2018, Pas. belge, 2018, page 1125, voir page 1128, point 10.

126 Cette notion désigne le moyen sur base duquel la Cour statue « par application de la règle de droit invoquée, en ayant recours exclusivement à des faits ou documents qui figurent dans la décision attaquée et que les juges du Vous avez eu recours à cette technique pour déclarer recevable un moyen critiquant l’application correcte de l’article 1384, alinéa 1, du Code civil, motif tiré de ce que « la Cour de cassation peut statuer par application de la règle de droit invoquée, en ayant recours exclusivement aux faits qui figurent dans la décision attaquée et que les juges du fond ont tenus pour établis »127.

Dans certains arrêts vous vous êtes partiellement inspirés de cette même technique en précisant que si les juges du fond apprécient souverainement l’existence d’une faute et d’une relation causale entre la faute et le préjudice allégué, « cette appréciation ne doit toutefois pas être déduite de motifs insuffisants, contradictoires ou erronés en droit »128. Cette précision ne signale aucune ouverture en ce qui concerne le contrôle des motifs insuffisants ou contradictoires. En effet, la sanction de ces motifs par la Cour de cassation est constante. Les motifs (de fait) insuffisants donnent lieu au grief du défaut de base légale, qui est un cas d’ouverture dont l’objet est de contrôler les constatations de fait qui relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond129. Les motifs contradictoires sont sanctionnés pour défaut de motifs, qui étant un vice de forme, ne permet pas de sanctionner le bien-

fondé des motifs critiqués130.

La formule signale en revanche une ouverture possible en ce qui concerne le contrôle des motifs erronés en droit, qui suppose d’accueillir le cas d’ouverture de la violation de la loi, en l’occurrence de celle de 1988 ou des articles 1382 et 1383 du Code civil.

Parmi les arrêts dans lesquels vous avez eu recours à la formule précitée, vous avez accepté dans un seul cas de contrôler si les motifs dont les juges du fond ont déduit la faute et la relation causale étaient erronés en droit. Ce contrôle a eu lieu en réponse à des moyens tirés de la violation tant de l’article 1er, alinéa 1er, de la loi de 1988 que des articles 1382 et 1383 du Code civil131. Ce cas isolé, s’il peut être fond ont tenus pour établis » (BORÉ, précité, n° 82.211, page 491, citant VOULET, La recevabilité des moyens nouveaux devant la Cour de cassation en matière civile, JCP 1973, I, 2544, n° 20).

127 Cour de cassation, 20 novembre 2008, n° 52/08, numéro 2554 du registre (réponse sur la recevabilité de l’unique moyen).

128 Idem, 19 décembre 2002, n° 52/02, numéro 1928 du registre (réponse à la première branche du deuxième moyen) (cet arrêt se limite à faire référence au lien de causalité, à l’exclusion de la faute) ; idem, 3 juillet 2014, n° 60/14, numéro 3362 du registre (réponse au cinquième moyen) ; idem, 14 décembre 2017, n° 93/2017, numéro 3883 du registre (réponse au treizième au dix-septième moyens réunis).

129 BORÉ, précité, n° 78.04, page 427.

130 Idem, n° 77.51, page 406.

131 Arrêt précité du 14 décembre 2017. Vous avez conclu (dans le cadre de votre réponse au treizième au dix-

septième moyen réunis, tirés en partie de la violation de l’article 1er, alinéa 1er, de la loi de 1988 et des articles 1382 et 1383 du Code civil) que par les motifs de son arrêt « la Cour d’appel a fait l’exacte interprétation des dispositions légales visées aux moyens et a justifié sa décision par des motifs exempts d’insuffisance, de contradiction ou d’erreur […] ». Il est toutefois à relever que dans votre réponse aux onzième et douzième moyens réunis, également tirés de la violation de l’article 1er, alinéa 1er, de la loi de 1988 et des articles 1382 et 1383 du Code civil, vous avez refusé d’accueillir les moyens au motif traditionnel tiré de ce que « sous le couvert du grief de la violation des dispositions visées au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits qualifiés de dysfonctionnement, sinon de faute des services de l’Etat au sens desdites dispositions par la demanderesse en cassation, appréciation qui échappe au contrôle de la Cour de cassation ». Dans l’arrêt précité du 19 décembre 2002 vous avez refusé d’accueillir le moyen au motif que si les juges du fond apprécient souverainement la relation causale entre les faits et le dommage allégué et « qu’il en est différemment si cette appréciation est déduite de motifs insuffisants, contradictoires ou erronés », « pareil grief n’est pas invoqué en l’occurrence ». Dans votre arrêt précité du 5 juillet 2014 vous avez utilisé la formule dans le compris comme annonce d’une possible évolution de votre jurisprudence, ne paraît pas encore en marquer un revirement.

Cette retenue de votre jurisprudence sur la question du contrôle de la faute en matière de responsabilité civile délictuelle ou de fonctionnement défectueux du service en matière de responsabilité civile de la puissance publique a eu comme conséquence que votre Cour n’a depuis 1977 plus eu l’occasion de se prononcer, du moins d’une façon explicite, sur le sort du principe de l’unité de l’illégalité et de la faute132.

Si vous suivez votre jurisprudence constante actuelle vous déciderez que le moyen tend à remettre en discussion l’appréciation souveraine par les juges du fond de l’existence en l’espèce d’un fonctionnement défectueux du service, qui échappe à votre contrôle, de sorte qu’il ne saurait être accueilli.

Si vous revenez, en revanche, en ce qui concerne vos pouvoirs de contrôle, à votre arrêt de 1977, vous déciderez qu’il vous appartient d’apprécier si les faits souverainement constatés par les juges du fond caractérisent un fonctionnement défectueux du service.

Les développements qui suivent sont présentés dans cette logique subsidiaire.

Les moyens étant subdivisé en trois branches, il convient de les passer successivement en revue.

Sur la première branche du premier moyen La première branche du moyen conteste que le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute réunit les conditions d’un principe général du droit.

Vous avez eu l’occasion de préciser « que les principes généraux du droit appartiennent au droit positif […] [et] que l’existence d’un principe général du droit peut être induite par le juge des applications particulières qu’en fait la loi dans des cas déterminés [ce qui a pour effet] que dès lors que le principe est reconnu par le juge, celui-ci en déduit des applications en dehors des situations déterminées par les textes normatifs »133.

Les principes généraux du droit sont « des normes juridiques fondamentales et générales, non écrites, mais virtuellement contenues dans l’ordre juridique et susceptibles d’être énoncées, consacrées ou organisées par la loi en des applications particulières »134. Ils sont « une source de droit autonome, mais supplétive de la loi »135. Ils ont « une valeur infra-législative et supra-décrétale »136. « Situé[s] entre cadre d’un moyen tiré d’un défaut de base légale, donc d’un grief tiré de motifs insuffisants, partant, non de motifs erronés en droit.

132 RAVARANI, précité, n° 199, page 221, dernier alinéa.

133 Cour de cassation, 23 septembre 2010, n° 54/10, numéro 2456 du registre (réponse au premier moyen).

134 Pierre MARCHAL, Principes généraux du droit, Bruxelles, Bruylant, 2014, n° 2, page 13.

135 Idem et loc.cit.

136 JurisClasseur Administratif, Fasc. 38, Principes généraux du droit, par Pierre DE MONTALIVET, avril 2018, n° 61.

le règlement et la loi […] ils ne peuvent avoir une valeur supra-législative, ni même législative, mais uniquement infra-législative »137.

Ils présentent donc deux caractères :

- ils doivent avoir pour assise des solutions retenues par la loi et - ils ne peuvent déroger à la loi.

La Ville conteste l’existence du principe de l’unité de l’illégalité et de la faute au regard de ces deux critères. S’agissant du premier critère, elle met en cause qu’il soit possible de le déduire de la loi de 1988138 et d’affirmer qu’il rencontre un consensus139. S’agissant du second critère, elle considère que l’application du principe méconnaît la loi de 1988, donc n’a pas de caractère supplétif.

Il a été vu ci-avant, dans le cadre de la discussion du principe de l’illégalité et de la faute, que ce dernier a été successivement appliqué par le Conseil d’Etat français à partir de 1973 et par la Cour de cassation de Belgique à partir de 1982 et que les juridictions de fond luxembourgeoise l’ont adopté dès les années 1980 dans le cadre d’une jurisprudence dont le caractère constant ne s’est à aucun moment démenti au cours des quatre dernières décennies140. Le législateur a salué la consécration de ce principe, protecteur des victimes des agissements illégaux des pouvoirs publics, au point que, contre l’avis du Conseil d’Etat, qui considéra que la consécration jurisprudentielle du principe dispensait de légiférer, il insista à sauvegarder le principe en dispensant la victime de prouver une faute déterminée imputable à un agent précis. En lieu et place de la preuve d’une faute il suffisait d’établir un fonctionnement défectueux du service, qui était « une sorte de faute anonyme »141, donc « un comportement défectueux, c’est-à-dire objectivement fautif »142. Dans le contexte de la responsabilité du fait d’actes illégaux, le but du législateur, qui voulut consacrer le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute et le protéger ainsi contre tout revirement jurisprudentiel, était de toute apparence de dispenser la victime d’un acte illégal de prouver une faute, l’illégalité établissant en soi à suffisance le fonctionnement défectueux du service, considéré comme un comportement objectivement fautif. S’il est vrai que la jurisprudence ultérieure, assimilant le fonctionnement défectueux à une faute commise par l’administration, a provoqué l’absorption de la responsabilité fondée sur l’article 1er, alinéa 1er, de la loi de 1988 par la responsabilité de droit commun fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, elle a toutefois scrupuleusement respecté l’intention du législateur de garantir le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute. A cet effet, elle a retenu, conformément au souhait du législateur, que l’illégalité d’un acte administratif constaté par le juge administratif établit un fonctionnement défectueux du service.

137 Idem, n° 62.

138 Mémoire en cassation, n° 86 à 99, pages 24 à 26.

139 Idem, n° 100 à 131, pages 26 à 33.

140 Si ce n’est pour ce qui est de quelques rares décisions prudemment dissidentes de la Cour d’appel (RAVARANI, précité, n° 200, pages 222 à 224).

141 Rapport de la Commission juridique, précité, du 1er juillet 1988 (Document parlementaire n° 2665-7), page 3, dernier alinéa.

142 Commentaire de l’article 1er, alinéa 1er, de la future loi de 1988 (Document parlementaire n° 2665), page 4, antépénultième alinéa.

Le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute, qui réunissait déjà à l’époque de l’adoption de la loi de 1988 un large consensus autour de lui, constituait donc l’un des objets de cette loi. La lecture des travaux préparatoires incite à admettre que le législateur pensait avoir réalisé ce but, donc avoir consacré ce principe, par l’abolition de l’exigence de la preuve d’une faute, la responsabilité de l’administration étant engagée par un simple fonctionnement défectueux du service, considéré comme faute objective et anonyme. En effet, le constat par le juge administratif de l’illégalité d’un acte est susceptible d’être considéré comme étant de nature à respecter les exigences de ce critère.

C’est précisément parce que le législateur, nonobstant son intention affichée de consacrer le principe, a omis de le faire dans un texte suffisamment explicite, qu’il existe une marge du juge pour suppléer à cette lacune. Le principe se limite dans ce contexte à appliquer au cas de l’acte illégal le critère du fonctionnement défectueux du service, prévu par la loi. L’acte illégal est précisément l’archétype d’un fonctionnement défectueux d’un service administratif. Le principe se limite à rappeler cette évidence. Son objet est de présumer établi la preuve du fonctionnement défectueux du service par celle de l’illégalité de l’acte administratif ayant causé le dommage.

Comme le principe se limite à appliquer le critère légal du fonctionnement défectueux du service au cas d’un acte illégal, il ne déroge pas à la loi, mais applique celle-ci et y trouve son fondement.

Il en suit que la première branche du moyen n’est pas fondée.

Sur la deuxième branche du premier moyen La deuxième branche du moyen reproche à la Cour d’appel d’avoir déduit la preuve du comportement défectueux du service du constat de l’illégalité de l’acte sans rechercher si cette illégalité constituait un comportement défectueux.

Le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute a été discuté ci-avant.

Pour les motifs y exposés, dont il résulte non seulement que ce principe est appliqué d’une façon constante par les juridictions françaises, belges et luxembourgeoises et qu’il a été approuvé par le législateur de 1988, mais surtout qu’il se justifie par le souci de protéger l’administré victime des agissements illégaux de l’administration et de sauvegarder à son bénéfice le respect du principe de l’égalité de traitement, il est proposé de retenir, sur le modèle de la jurisprudence de la Cour de cassation de Belgique, que lorsqu’une juridiction de l’ordre judiciaire est valablement saisie sur la base de l’article 1er, alinéa 1er, de la loi de 1988 ou des articles 1382 et 1383 du Code civil d’une demande en responsabilité fondée sur l’illégalité d’un acte administratif sanctionnée par les juridictions administratives, la juridiction de l’ordre judiciaire doit nécessairement décider, en raison de l’autorité absolue de la chose jugée qui s’attache à pareille décision d’annulation, que l’autorité administrative, auteur de l’acte annulé, a, sauf cause de justification, commis une faute et que cette faute donne lieu à réparation à condition que le lien causal entre l’illégalité et le dommage soit prouvé.

Cette formule suggérée s’inspire de celle de l’arrêt précité de la Cour de cassation de Belgique du 14 décembre 2015143.

Elle précise :

- qu’en cas de demande en responsabilité fondée sur l’illégalité d’un acte administratif la décision d’annulation de la juridiction administrative tient lieu de preuve de la faute, donc dispense de l’obligation de rapporter outre cette preuve encore celle d’un fonctionnement défectueux du service autre que celui établi à suffisance de droit par cette décision, - que cette solution s’impose en raison de l’autorité absolue de la chose jugée par la juridiction administrative, - qu’elle est susceptible de trouver exception lorsque l’administration réussit à établir l’existence d’une cause de justification, qui se distingue de la simple bonne foi et - que la preuve de la faute par l’illégalité de l’acte administratif n’implique pas nécessairement la responsabilité de l’administration, qui suppose en outre la preuve d’un dommage et d’un lien de causalité entre l’illégalité, source de la faute, et le dommage.

Elle se réfère à la notion de faute, qui au regard de votre jurisprudence embrasse le fonctionnement défectueux du service.

Elle fait cependant abstraction de la précision, faite par la Cour de cassation de Belgique, de ce que l’illégalité sanctionnée, pour constituer une faute susceptible d’engager la responsabilité civile, doit résulter « de la méconnaissance par l’autorité administrative des règles constitutionnelles ou légales lui imposant de s’abstenir ou d’agir d’une manière déterminée »144. Cette formule dont la portée reste obscure soulève, en effet, comme rappelé ci-avant, la difficulté que, en Belgique, « aucune juridiction n’a […] démontré l’existence d’une norme qui n’imposait pas à l’administration un comportement déterminé, dont la violation serait, partant, non fautive »145.

Une illégalité d’un acte administratif établit indiscutablement l’existence d’un fonctionnement défectueux du service. Une administration « normalement soigneuse et prudente, placée dans les mêmes conditions »146 ne commet, en effet, pas d’illégalité, à moins que celle-ci ne soit le résultat d’une erreur invincible ou d’une autre cause de justification. Il appartient alors cependant à l’administration d’invoquer et d’établir cette cause de justification et certainement pas à l’administré victime de l’illégalité de démontrer que celle-ci n’est pas susceptible de justification, voire que l’illégalité se dédouble d’un fonctionnement défectueux, ce qui revient à affirmer qu’une illégalité n’est pas suffisante pour établir un fonctionnement défectueux du service.

143 Arrêt précité, du 14 décembre 2015, R.C.J.B., 2018, pages 277 à 283, voir page 280.

144 Idem et loc.cit.

145 DE ROY et RENDERS, précité, n° 33, page 53.

146 Cour constitutionnelle de Belgique, précité, point B.7.

En l’espèce, la Ville a soutenu que l’illégalité de l’acte n’était pas fautive parce que celle-ci aurait été imprévisible « étant donné [que la Ville] a cherché à appliquer les textes légaux dans le sens voulu par le législateur [communal] »147.

Il résulte de la discussion de la seconde branche du troisième moyen et des conclusions d’appel auxquelles il y est renvoyé148, que le tribunal administratif a annulé le refus de réaffectation de la Ville parce que le plan d’aménagement général de celle-ci permettait d’exploiter un commerce dans les lieux concernés, que le plan d’aménagement ne définissait pas la notion de « commerce » et que, eu égard à la généralité des termes employés, tous les commerces étaient dès lors visés, y compris les activités bancaires, considérées par le Code de commerce comme constituant des actes de commerce149. La Ville avait toutefois estimé, en s’inspirant de certaines décisions des juridictions administratives, qu’elle était autorisée à interpréter son plan d’aménagement d’une façon extensive au regard de l’économie générale de ce dernier et de l’intention qu’elle avait poursuivi en l’établissant et à écarter sur base d’une telle interprétation téléologique le sens littéral des termes qu’elle y avait employés au bénéfice de l’intention qui la guidait en les rédigeant150. Elle concède que la décision du tribunal administratif se limite à appliquer le principe de l’interprétation stricte de dispositions retreignant l’exercice du droit de propriété151.

Elle a d’ailleurs renoncé à former appel contre cette décision152. Elle souligne cependant que son acte annulé par le tribunal administratif, de refus de changement de réaffectation, « n’était pas le fruit d’une interprétation conjoncturelle et opportuniste de normes urbanistiques »153, mais était guidée par le souci d’une « application des normes urbanistiques en conformité avec l’intention de leur auteur »154. Il résulte de la discussion de la seconde branche du troisième moyen et des conclusions d’appel auxquelles il y est renvoyé que les décisions des juridictions administratives auxquelles dont faisait état la Ville n’avaient pas pour objet l’interprétation de la définition et de la portée de la notion d’exploitation d’un commerce, donc la question de droit tranchée en l’espèce par le tribunal administratif dans le cadre de son jugement d’annulation de la décision de refus de réaffectation, source du dommage. Les décisions invoquées avaient simplement pour objet d’illustrer que les juridictions administratives ont procédé à certaines occasions à une interprétation téléologique de plans d’aménagement. La Ville ne faisait donc devant les juges du fond état d’aucune controverse jurisprudentielle au sujet de l’interprétation de la disposition de son plan d’aménagement qui était pertinente pour adopter sa décision de refus annulée.

Cette allégation, telle qu’elle est constatée par l’arrêt attaqué et précisée par le mémoire en cassation, ainsi que par les conclusions récapitulatives auxquelles il y 147 Arrêt attaqué, page 3, deuxième alinéa.

148 Conclusions récapitulatives de la Ville, du 31 octobre 2018 (figurant parmi les pièces reproduites dans l’annexe 3 des pièces de la Ville annexées au mémoire en cassation), pages10 à 15.

149 Mémoire en cassation, n° 185 à 188, pages 48 à 49.

150 Idem, n° 189 à 201, pages 49 à 55.

151 Idem, n° 188, page 49.

152 Arrêt attaqué, page 2, deuxième alinéa.

153 Mémoire en cassation, n° 200, page 55.

154 Idem, page 48, titre I.

est fait référence155, ne correspond pas à l’invocation d’une cause de justification, donc d’une erreur invincible, mais à celle de la bonne foi. La Ville soutient que celle-

ci a guidé son interprétation de son plan d’aménagement et sa décision de s’écarter du sens littéral de la disposition pertinente de ce plan en vue d’opérer une distinction y non prévue. Or, au regard des principes ci-avant cités, retenus par la Cour de cassation de Belgique, la bonne foi n’est pas pertinente pour excuser la faute. Les faits allégués par la Ville pour soutenir son absence de faute, qui n’ont par ailleurs pas été formellement présentés comme étant constitutifs d’une erreur invincible ou d’une autre cause de justification, ne sauraient donc, eu égard à leur objet, recevoir cette qualification.

Dans ces circonstances, la Ville n’ayant ni invoqué, ni, à plus forte raison, établie une cause de justification, la Cour d’appel ne saurait se faire reprocher d’avoir, en retenant une faute sur base de l’illégalité de l’acte, omis de rechercher si cette faute était susceptible d’être excusée par une cause de justification, donc par une erreur invincible ou un cas de force majeure.

Il en suit que la deuxième branche du moyen n’est pas fondée.

Sur la troisième branche du premier moyen Dans la troisième branche du moyen, la Ville soutient que le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute serait inconciliable avec l’article 1er, alinéa 1er, de la loi de 1988, qui subordonne la mise en œuvre de la responsabilité civile de la puissance publique à la preuve d’un fonctionnement défectueux du service.

Ainsi qu’il a été vu ci-avant, dans le cadre de la discussion de la première branche, le principe n’est pas en contradiction avec la loi parce qu’il se limite à appliquer le critère légal du fonctionnement défectueux du service au cas d’un acte illégal et repose, à juste titre, sur la prémisse qu’un service public qui émet un acte illégal fonctionne d’une façon défectueuse.

Ainsi qu’il a été exposé ci-avant dans le cadre de la deuxième branche, cette prémisse devrait toutefois, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation de Belgique, trouver exception lorsque l’administration établit avoir agi sous l’effet d’une cause de justification, donc d’une erreur invincible, qui se distingue de la simple erreur d’appréciation commise de bonne foi. La Ville n’ayant, suivant les constatations de l’arrêt et des précisions fournies par son mémoire en cassation, pas invoqué une telle cause de justification, il ne saurait être reproché à la Cour d’appel d’avoir omis de rechercher si le principe de l’unité de l’illégalité et de la faute devait être écarté pour ce motif.

Il en suit que la troisième branche du moyen n’est pas fondée.

Sur le deuxième moyen 155 Conclusions récapitulatives de la Ville, du 31 octobre 2018 (figurant parmi les pièces reproduites dans l’annexe 3 des pièces de la Ville annexées au mémoire en cassation), pages 10 à 15.

Dans son deuxième moyen, la Ville reproche à la Cour d’appel, en déduisant, sur base du principe de l’unité de l’illégalité et de la faute, le caractère fautif au regard de l’article 1er, alinéa 1er, de la loi de 1988, de l’acte constituant la source du dommage de l’annulation de cet acte par le tribunal administratif, d’avoir statué en violation de l’article 5 du Code civil par disposition générale et réglementaire, donc d’avoir fait œuvre législative.

Si vous maintenez votre jurisprudence constante dominante, qui confie l’appréciation de la faute en matière de responsabilité civile, y compris du fonctionnement défectueux du service au sens de l’article 1er, alinéa 1er, de la loi de 1988, au pouvoir souverain des juges du fond, le moyen, qui tend à remettre en cause l’appréciation du caractère fautif de l’acte administratif annulé, ne saurait être accueilli.

Si vous acceptez, en revanche, ainsi qu’il est suggéré ci-avant dans le cadre de la discussion du premier moyen, de contrôler cette appréciation sur base des constatations souveraines des juges du fond, le moyen est à accueillir, de sorte qu’il y a lieu d’analyser son bien-fondé.

Le moyen reproche à la Cour d’appel d’avoir ajouté à la loi une condition qui n’y est pas prévue, à savoir la possibilité de déduire la faute de l’administration de l’annulation de l’acte de ce dernier par les juridictions administratives, tout en faisant abstraction d’une condition prévue à la loi, à savoir que la responsabilité civile de la puissance publique suppose la preuve d’un fonctionnement défectueux du service.

En déduisant, par application du principe de l’unité de l’illégalité et de la faute, l’existence de cette dernière de l’illégalité de l’acte administratif source du dommage allégué, cette illégalité ayant été constatée par une décision des juridictions administratives coulée en force de chose jugée, la Cour d’appel a appliqué le critère légal du fonctionnement défectueux du service au cas où ce dernier se manifeste par l’adoption par l’administration d’un acte illégal. Ce cas de figure étant, sauf cause de justification, qui n’a été ni invoquée, ni établie en cause, une manifestation de ce critère légal, l’assimilation de l’illégalité à une faute n’ajoute aucune condition à la loi.

Par ailleurs, la responsabilité civile de la Ville a été déduite du constat d’une faute, établie par suite de l’annulation coulée en force de chose jugée de l’acte administratif, source du dommage allégué, de sorte que la Cour d’appel n’a pas fait abstraction de la condition tirée de ce que la responsabilité de la puissance publique suppose la preuve d’une faute ou, ce qui en est, suivant votre jurisprudence, le synonyme, d’un fonctionnement défectueux du service.

En se déterminant par ces motifs, les juges d’appel, se limitant à appliquer la loi aux circonstances de l’espèce, sans y ajouter ni sans en soustraire une condition, ne se sont pas prononcés par voie de disposition générale et réglementaire sur la cause qui leur était soumise156.

156 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation, 15 novembre 2012, n° 60/12, numéro 3046 du registre (réponse au huitième moyen) ; idem, 19 décembre 2019, n° 176/2019, numéro CAS-2018-00124 du registre (réponse au septième moyen).

Il en suit que le moyen, s’il peut être accueilli, n’est pas fondé.

Sur le troisième moyen Dans son troisième moyen la Ville critique, dans la première branche, un défaut de base légale et, dans la seconde branche, un défaut de réponse à conclusions.

Sur la première branche du troisième moyen Il a été vu ci-avant, dans le cadre de la partie introductive de la discussion du premier moyen, que le défaut de base légale sanctionne une insuffisance des motifs de fait dans les matières dans lesquelles le juge du fond dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation, donc constitue un cas d’ouverture qui a vocation à s’appliquer précisément dans le cadre de ces matières, son but étant de vérifier que le juge du fond a exercé son pouvoir souverain d’appréciation157. La circonstance que la matière relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond n’est donc pas de nature à faire obstacle à la recevabilité de ce grief.

Il en suit que si vous deviez décider que les griefs présentés dans le cadre du premier, deuxième et quatrième moyen ne sauraient être accueillis pour remettre en discussion cette appréciation souveraine, la première branche du troisième moyen échappe à cet écueil.

La Ville fait grief à la Cour d’appel d’avoir, en déduisant la faute génératrice du dommage allégué, donc le fonctionnement défectueux du service au sens de l’article 1er, alinéa 1er, de la loi de 1988, de l’illégalité, constatée par décision coulée en force de chose jugée des juridictions administratives, de l’acte administratif source du dommage, elle a omis d’examiner si la Ville avait fait preuve d’un fonctionnement défectueux de son service en comparant son comportement par rapport à celui d’une personne morale de droit public normalement prudent et diligente.

Il y aurait donc insuffisance de motifs par suite de l’omission de déduire le fonctionnement défectueux du service de l’appréciation du comportement de la Ville par rapport à ce critère.

L’adoption par une personne morale de droit public d’un acte illégal étant, sauf cause de justification, non invoquée et non établie en cause, un fonctionnement défectueux du service, donc une faute, la Cour d’appel a, sans encourir le reproche d’une insuffisance de motifs de fait, pu déduire la faute de l’illégalité de l’acte, partant n’était pas tenue de comparer si cette illégalité aurait été commise par une personne morale de droit public normalement prudente et diligente.

Il ne saurait non plus être reproché à la Cour d’appel d’avoir omis de vérifier, par référence au comportement d’une personne morale de droit public raisonnable et prudente, si la Ville, en adoptant l’acte annulé, n’a pas commis une erreur invincible ou une autre cause de justification158. La Cour d’appel n’était, en effet, ainsi qu’il a 157 BORÉ, précité, n° 78.04, page 427.

158 Voir à ce sujet : Cour de cassation de Belgique, 16 septembre 2005, Pas. belge, 2005, n° 439, page 1668, précité.

été vu ci-avant dans le cadre de la discussion de la deuxième branche du premier moyen, pas saisie de conclusions invoquant formellement ou au regard de leur objet une telle cause de justification.

Il en suit que la première branche du moyen n’est pas fondée.

Sur la seconde branche du troisième moyen Dans la seconde branche du moyen la Ville reproche à la Cour d’appel d’avoir omis de répondre à ses conclusions d’appel, tirées de ce que l’illégalité commise par elle aurait également été commise par toute autre personne morale de droit public normalement prudente et diligente.

Le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs, qui est un vice de forme159.

Une décision judiciaire est régulière en la forme, dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré160.

En déduisant, sur base du principe de l’unité de l’illégalité et de la faute, le fonctionnement défectueux du service de l’illégalité de l’acte administratif qui était la source du préjudice allégué, la Cour d’appel a implicitement, mais nécessairement, rejeté comme étant non pertinent le moyen d’appel tiré de ce que l’illégalité n’est pas fautive parce qu’elle aurait également pu avoir été commise par toute autre personne morale de droit public normalement prudente et diligente. Le point de savoir si cette motivation se justifie en droit est sans pertinence dans le cadre du cas d’ouverture du défaut de motifs, qui se limite à sanctionner, comme rappelé, un vice de forme.

Il en suit que la seconde branche du moyen n’est pas fondée.

Sur le quatrième moyen Dans son quatrième moyen la Ville reproche à la Cour d’appel d’avoir violé l’article 84 de la Constitution, qui dispose que « les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux » et qui réserve exclusivement aux juridictions judiciaires le pouvoir de connaître des contestations relatives aux droits civils, en attachant à la décision d’annulation par les juridictions administratives de l’acte administratif, source du préjudice allégué, la valeur d’une décision sur la faute civile.

Ainsi qu’il a été relevé ci-avant dans le cadre de la discussion du premier et du deuxième moyen, si vous maintenez votre jurisprudence constante dominante, qui confie l’appréciation de la faute en matière de responsabilité civile, y compris du 159 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation, 7 mai 2020, n° 66/20, numéro CAS-2019-00070 du registre (réponse au cinquième moyen) ; idem, 18 juin 2020, n° 88/20, numéro CAS-2019-00099 du registre (réponse au quatrième moyen).

160 Voir, à titre d’illustration : idem, 16 janvier 2020, n° 15/20, numéro CAS-2019-00010 du registre (réponse aux quatrième, cinquième et douzième moyens réunis) ; idem, 18 juin 2020, précité (réponse au quatrième moyen).

fonctionnement défectueux du service au sens de l’article 1er, alinéa 1er, de la loi de 1988, au pouvoir souverain des juges du fond, le moyen, qui tend à remettre en cause l’appréciation du caractère fautif de l’acte administratif annulé, ne saurait être accueilli.

Lorsque vous acceptez, en revanche, ainsi qu’il est suggéré ci-avant dans le cadre de la discussion du premier moyen, de contrôler cette appréciation sur base des constatations souveraines des juges du fond, le moyen est à accueillir, de sorte qu’il y a lieu d’analyser son bien-fondé.

Si, pour trancher l’action en responsabilité civile dirigée contre la Ville, la Cour d’appel a déduit la faute commise par celle-ci de la décision d’annulation par les juridictions administratives de l’acte qui était la source du préjudice allégué, elle a constaté, serait-ce par déduction de l’illégalité relevée par les juridictions administratives, l’existence d’une faute, de sorte qu’elle a, conformément à la disposition visée, connu de ce point de vue de la contestation relative aux droits civils en cause, en l’occurrence de celle relative à l’existence de la faute dans le cadre de l’action en responsabilité civile dirigée contre la Ville.

Il en suit que le moyen, à supposer qu’il puisse être accueilli, manque en fait.

A titre subsidiaire, en retenant par les motifs critiqués que, dans le cadre d’une action en responsabilité civile dirigée contre une personne morale de droit public du fait d’un acte administratif qui a été annulé par les juridictions administratives, elle était, pour apprécier l’existence de la faute, liée par la décision de ces juridictions, la Cour d’appel a statué dans les limites de la compétence attribuée aux juridictions de l’ordre judiciaire161. Celles-ci doivent, en effet, nécessairement décider, en raison de l’autorité absolue de la chose jugée qui s’attache à une décision d’annulation d’un acte administratif par les juridictions administratives, que la personne morale de droit public, auteur de l’acte annulé, a, sauf cause de justification, non invoquée et non établie en cause, commis une faute et que cette faute donne lieu à réparation à la condition que le lien causal entre l’illégalité constatée et le dommage soit prouvé162.

Il en suit que le moyen, à supposer qu’il puisse être accueilli, n’est, titre subsidiaire, pas fondé.

Sur le cinquième et le sixième moyen de cassation Dans le cadre de son appel, la Ville contesta, dans un ordre subsidiaire, le principe et le quantum des montants réclamés par la défenderesse en cassation à titre de réparation du préjudice allégué163.

Pour confirmer le jugement entrepris en ce qui concerne le principe d’un préjudice résultant d’une perte de loyers du fait de l’inoccupation temporaire des lieux, la Cour d’appel retient :

161 Idem, 4 juin 2020, n° 77/2020, numéro CAS-2019-00063 du registre (réponse au sixième moyen).

162 Cour de cassation de Belgique, 14 décembre 2015, précité, R.C.J.B., 2018, pages 277 à 283, voir page 280.

163 Arrêt attaqué, page 6, troisième alinéa.

« Comme en première instance, SOC1) expose, à l’appui de cette demande, que le projet de bail discuté avec la SOC2) prévoyait une entrée en vigueur au 1er janvier 2013 moyennant un loyer de 18.079 EUR et une avance sur charges mensuelle de 2.200 EUR, et que, suite à l’impossibilité de finaliser son projet avec la SOC2), elle a été contrainte de signer un autre contrat de bail prenant cours le 1er janvier 2014. Elle aurait ainsi été privée du revenu de loyers pendant la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2013, soit de la somme de 243.348 EUR.

Sans pour autant contester que la SOC2) ait manifesté un intérêt à louer certaines surfaces de l’immeuble SOC1), la VILLE conteste, à titre principal, la certitude de la conclusion du bail d’SOC1) avec la SOC2). Elle conteste un engagement ferme de cette dernière à prendre les locaux en location au motif que le document produit en cause par SOC1) constitue seulement un projet de contrat non signé (et non accompagné d’un quelconque courrier de transmission), portant à la première page la mention « Draft - 7 Août 2012». SOC1) ne produirait pas la correspondance qui devait nécessairement accompagner ce projet de bail de sorte qu’il ne serait pas établi que ce document qu’elle qualifie de « draft » ait été soumis à la SOC2). La VILLE prétend encore que la concrétisation du projet de la SOC2) dépendait par ailleurs d’autres facteurs que celui de la décision de la VILLE quant à la demande de changement d’affectation. En outre, la personne qui aurait négocié avec SOC1) n’aurait pas été habilitée à engager la SOC2).

C’est à juste titre que la juridiction de première instance a retenu que si le projet de bail produit en cause par SOC1) porte certes, en première page, la mention « Draft - 7 Août 2012 », il contient en outre tous les éléments essentiels à la validité d’un contrat et que la clause suspensive prévue à l’article 20, tenant à l’obtention de l’autorisation de réaffectation demandée par SOC1) permet d’établir que le projet de contrat est postérieur au 26 juillet 2012, date de la demande de réaffectation adressée à la VILLE.

Il résulte des pièces versées en cause que contrairement à l’argumentation de la VILLE, le projet de contrat de bail a été transmis à la SOC2) par courriel du 7 août 2012 de B) de l’agence SOC3). Le 9 août 2012, la SOC2) a accusé réception de ce document.

Dans un courriel du 22 août 2012, la SOC2), par l’intermédiaire de C), directeur du service « Immeubles et sécurité » et dont il n’est pas établi qu’elle n’avait pas qualité pour engager la SOC2), écrit ce qui suit : « j’ai essayé de vous joindre sans succès ce jour afin de vous réitérer notre ferme intention de louer les locaux, que nous avons d’ailleurs visités ce matin avec monsieur D), membre du comité de directions, responsable du réseau des agences ».

Suivant courriel du 24 août 2012, C) confirme l’intérêt de la SOC2) dans les termes suivants : « Nous réitérons notre grand intérêt à louer les surfaces sises au sein de la maison Soc1) place Guillaume. Néanmoins, comme discuté ensemble par téléphone hier soir, cette opération ne saurait se concrétiser au stade actuel de la transaction de rachat de notre établissement (closing). Nous avons aussi noté que vous êtes en attente de recevoir très prochainement l’autorisation de la Commune de A) pour que SOC2) puisse exercer son activité bancaire. ».

Suivant courriel du 27 septembre 2012, C) indique ce qui suit : « Nous avons toutes les informations pour pouvoir maintenant conclure notre dossier (sous réserve de l’accord de la commune) ». Ce message électronique prouve à suffisance que le projet n’était plus subordonné qu’à la seule décision de la VILLE quant au changement d’affectation.

Dans son attestation testimoniale du 2 décembre 2013, l’architecte E) déclare avoir été chargé par la SOC2), au début du mois de juin 2012, d’une étude de faisabilité pour l’intégration d’une agence SOC2) au bâtiment Soc1). Il déclare avoir lui-même introduit la demande de changement d’affectation, en date du 26 juillet 2012.

Dans un courrier de réclamation du mandataire de la SOC2) contre le projet de modification du PAG, il est, par ailleurs, précisé sous le point 3, que la SOC2) projette d’ouvrir une autre agence bancaire dans le périmètre du secteur protégé de la Ville Haute, soit dans l’immeuble Soc1).

C’est à tort que la VILLE fait état d’aléas pour contredire le caractère certain du préjudice accru à SOC1) au motif que la SOC2) fait état dans le courriel du 24 août 2012 de la transaction de rachat de leur établissement puisqu’elle indique dans son courriel du 27 septembre 2012 que le projet n’était désormais subordonné qu’à la décision de la VILLE quant au changement d’affectation. En outre, la VILLE ne conteste pas que cette transaction ait été réalisée au plus tard le 5 octobre 2012 de sorte que le contrat aurait pu prendre effet le 1er janvier 2013, tel que prévu au projet de bail sous la rubrique « durée du bail ».

La VILLE ne saurait davantage tirer argument du fait que dans son attestation de témoignage, l’architecte E) a déclaré que la banque a mis fin aux négociations de bail, pour contester la certitude du préjudice invoqué par SOC1), en l’absence d’indications de date plus précises dans ladite attestation.

Il suit de ce qui précède que, contrairement à l’argumentation de la VILLE, la SOC2) avait manifesté sa volonté de prendre en location les lieux visés dans le projet de bail du 7 août 2012 aux conditions y énoncées et que le projet n’a pas pu être finalisé en raison de la non réalisation de la condition tenant à la réaffectation des lieux, suite à la décision de refus opposée par la VILLE.

Le jugement de première instance est partant à confirmer en ce qu’il a dit que le préjudice invoqué par SOC1) est suffisamment certain en son principe pour être indemnisable et qu’il est à mettre en relation causale avec la faute de la VILLE.

La VILLE fait valoir qu’il n’est pas établi que la SOC2) aurait accepté de payer un loyer à partir du 1er janvier 2013, sans négocier de gratuité comme cela se fait couramment en matière de baux commerciaux. Elle se réfère au contrat de bail conclu le 13 août 2013 pour les mêmes surfaces avec SOC4) qui prévoit une période de gratuité de quatre mois, pour une durée de bail de six ans.

Il est établi que le projet de bail contient tous les éléments essentiels à la validité d’un contrat, le prix total par mois étant de 18.079 EUR HTVA et la durée du bail s’étendant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2021.

En outre, il n’est pas prouvé que le contrat définitif aurait été conclu par la SOC2) sous d’autres conditions.

La VILLE fait valoir, à tort, que « l’indemnisation allouée devra tenir compte de l’aléa qui affecte la réalisation de la chance perdue ; c’est pourquoi l’indemnisation est nécessairement inférieure à celle qui aurait été due pour la perte de l'avantage escompté si cette perte était survenue alors que cet avantage avait déjà été obtenu ». En effet, il ne s’agit pas en l’occurrence d’indemniser une perte d’une chance, mais un préjudice certain subi par SOC1), puisqu’elle disposait d’un engagement de la SOC2) à prendre les locaux en location au 1er janvier 2013 pour un loyer mensuel de 18.079 EUR HTVA, dont la première échéance était fixée au 1er janvier 2013.

Les courriels produits en cause par SOC1) démontrent que, contrairement aux dires de la VILLE, SOC1) a pris contact avec des agences immobilières pour trouver rapidement un autre locataire pour un loyer proche de celui négocié et approuvé par la SOC2) et qu’elle a finalement dû se résoudre à réduire son loyer à la somme de 15.000 EUR et donner à bail son local à la société anonyme SOC4) S.A.

(ci-après SOC4)) par contrat signé le 14 août 2013, prenant effet le 1er septembre 2013, pour une durée de six ans, renouvelable. »164.

La Ville critique ce raisonnement dans ses cinquième et sixième moyens.

Le cinquième moyen est tiré de la violation des articles 58 du Nouveau Code de procédure civile et 1315 du Code civil, en ce que la Cour d’appel a retenu par confirmation que la demanderesse en cassation a commis une faute engageant sa responsabilité civile en ayant illégalement refusé de délivrer une autorisation de réaffectation de l’immeuble de la défenderesse en cassation, obligeant ainsi la défenderesse en cassation à renoncer à un projet de bail lucratif, provoquant à titre de préjudice réparable une perte de loyers, aux motifs que ce préjudice était suffisamment établi par trois courriels envoyés par le directeur du service « Immeubles et sécurité » de la banque qui était intéressée au bail, dès lors que ces courriels permettraient d’établir à suffisance que la banque « avait manifesté sa volonté de prendre en location les lieux visés dans le projet de bail du 7 août 2012 aux conditions y énoncées et que le projet n’a pas pu être finalisé en raison de la non réalisation de la condition tenant à la réaffectation des lieux, suite à la décision de refus opposée [par la demanderesse en cassation] »165 et qu’« il n’[était] pas établi [que l’auteur des courriels] n’avait pas la qualité pour engager [la banque, candidate à la conclusion du bail] »166 alors que en retenant qu’« il n’[était] pas établi [que l’auteur des courriels] n’avait pas la qualité pour engager [la banque, candidate à la conclusion du bail] », la Cour d’appel a renversé la charge de la preuve du dommage, en violation des dispositions visées au moyen.

Le sixième moyen est tiré de la violation de l’article 1er, alinéa 1, de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l’Etat et des collectivités publiques, en ce que la Cour d’appel a retenu par confirmation que la demanderesse 164 Idem, page 6, quatrième alinéa, à page 8, dernier alinéa.

165 Arrêt attaqué, page 8, deuxième alinéa.

166 Idem, page 7, deuxième alinéa.

en cassation a commis une faute engageant sa responsabilité civile en ayant illégalement refusé de délivrer une autorisation de réaffectation de l’immeuble de la défenderesse en cassation, obligeant ainsi la défenderesse en cassation à renoncer à un projet de bail lucratif, provoquant à titre de préjudice réparable une perte de loyers, aux motifs que ce préjudice était suffisamment certain en son principe pour être indemnisable parce que le projet de contrat invoqué par la défenderesse en cassation « contient tous les éléments essentiels à la validité d’un contrat »167 et que la banque candidate à la conclusion du bail « avait manifesté sa volonté de prendre en location des lieux visés dans le projet de bail du 7 août 2012 aux conditions y énoncées et que le projet n’a pas pu être finalisé en raison de la non réalisation de la condition tenant à la réaffectation des lieux, suite à la décision de refus opposée par [la demanderesse en cassation] »168 alors que la Cour d’appel en admettant un droit à indemnisation pour l’intégralité du préjudice invoqué au titre de la perte de loyers et du manque à gagner locatif sur base d’un projet de contrat de bail non conclu par les parties intéressées, sans qu’il ne soit établi avec la certitude requise que ce contrat aurait été conclu dans les conditions prévues dans le projet de contrat a méconnu le principe tiré de ce qu’un préjudice dont la réalisation est affectée d’un certain degré d’incertitude ne peut donner lieu à indemnisation intégrale, mais ne peut qu’être indemnisé au titre d’une perte de chance, donc à hauteur de la chance perdue, de sorte qu’elle a violé la disposition visée, sinon a manqué de justifier sa décision au regard de cette disposition.

Ces deux moyens critiquent l’appréciation, par la Cour d’appel, du préjudice.

Suivant votre jurisprudence constante, l’appréciation du préjudice en matière de responsabilité civile relève de l’appréciation souveraine des juges du fond et échappe à votre contrôle169.

Cette solution est, en principe, conforme à la jurisprudence des Cours de cassation de France170 et de Belgique171. Il est toutefois à préciser que la Cour de cassation française, si elle retient que les juges du fond sont souverains pour constater l’existence du préjudice172, contrôle les caractères légaux du préjudice, notamment son caractère direct et sa certitude173.

De même, la Cour de cassation de Belgique, si elle admet que les juges du fond apprécient l’existence et l’étendue du dommage, ainsi que le montant de l’indemnité, le dommage reste une notion juridique soumise au contrôle de la Cour, 167 Arrêt attaqué, page 8, cinquième alinéa.

168 Idem, page 8, deuxième alinéa.

169 Voir en matière de responsabilité civile délictuelle sur base des articles 1382 et 1383 du Code civil: Cour de cassation, 18 mars 2004, n° 23/04, numéro 2052 du registre (réponse au cinquième moyen) ; idem, 3 juillet 2008, n° 39/08, numéro 2551 du registre (réponse à la première branche de l’unique moyen) ; idem, 30 janvier 2014, n° 8/14, numéro 3279 du registre (réponse au premier moyen) ; idem, 18 décembre 2014, n° 88/14, numéro 3395 du registre (réponse aux premier et deuxième moyens réunis) ; idem, 2 juillet 2015, n° 61/15, numéro 3500 du registre (réponse au troisième moyen). Voir en matière de responsabilité contractuelle : idem, 19 février 2009, n° 11/09 (réponse au troisième moyen) ; idem, 6 mai 2010, n° 35/10, numéro 2764 du registre (réponse au deuxième moyen).

170 BORÉ, précité, n° 67.158, page 340, et n° 67.181, pages 340 à 341.

171 Cour de cassation de Belgique, 23 septembre 1997, P. 96.0526.N.

172 BORÉ, précité, n° 67.158, page 340.

173 Idem, n° 67.181, page 341.

à laquelle il incombe de vérifier si les faits constatés justifient les conséquences qui en ont été déduites en droit174.

Sur base de votre jurisprudence constante les cinquième et sixième moyens ne sauraient être accueillis parce qu’ils tendent à remettre en discussion l’appréciation souveraine du préjudice par les juges du fond. Cette conclusion ne vaut toutefois pas pour le grief subsidiaire du sixième moyen, qui est tiré d’un défaut de base légale, qui, comme il a été rappelé ci-avant, a précisément pour objet de contrôler l’exercice par les juges du fond de leur pouvoir souverain.

A titre subsidiaire, donc à admettre que vous acceptez néanmoins, réserve faite du grief du défaut de base légale présenté dans le cadre du sixième moyen, d’accueillir les moyens, il y a lieu d’en analyser le bien-fondé.

Sur le cinquième moyen Dans son cinquième moyen la Ville soutient que la Cour d’appel aurait renversé la charge de la preuve de l’existence et de la certitude du préjudice en retenant, au sujet de la personne qui était l’auteur d’un courriel établi au nom de la banque candidate à devenir locataire des locaux de la défenderesse en cassation, qu’il « n’est pas établi qu’elle n’avait pas qualité pour engager la [banque] »175.

Ce motif critiqué est à mettre en rapport avec les autres motifs dont la Cour d’appel déduit l’existence et la certitude du préjudice, à savoir :

- que la certitude du projet de bail résulte d’un document, qui est postérieur à la date de la demande de réaffectation et qui comporte tous les éléments essentiels à la validité du bail176, - qu’une collaboratrice de la banque a informé la défenderesse en cassation de la ferme intention de la banque de louer les locaux177, - que cette intention a été réitérée par un second courriel178, - qu’il a été indiqué dans un troisième courriel que la banque disposait de toutes les informations pour conclure le bail, sous réserve de la décision de réaffectation à adopter par la Ville179, 174 Daniel DE CALLATAY et Nicolas ESTIENNE, La responsabilité civile, Bruxelles, Larcier, 2009, page 21 ;

Cour de cassation de Belgique, 26 octobre 2005, Pas. 2005, page 2044.

175 Arrêt attaqué, page 7, deuxième alinéa.

176 Idem, page 6, dernier alinéa.

177 Idem, page 7, deuxième alinéa.

178 Idem, même page, troisième alinéa.

179 Idem, même page, quatrième alinéa.

- qu’un architecte avait été chargé par la banque d’une étude de faisabilité pour l’intégration d’une agence bancaire dans l’immeuble de la défenderesse en cassation180, - que cet architecte a lui-même introduit la demande de changement d’affectation auprès de la Ville181 et - que la banque a formé une réclamation contre le projet de modification du plan d’aménagement général de la Ville en précisant son intention d’exploiter dans l’immeuble de la défenderesse en cassation une agence182.

En l’état de ces constatations souveraines, la Cour d’appel a constaté l’existence et la certitude du préjudice sans renverser la charge de la preuve au détriment du défendeur à l’action en responsabilité civile.

Il en suit que le moyen, à supposer qu’il puisse être accueilli, n’est pas fondé.

Sur le sixième moyen Dans son sixième moyen la Ville fait soutenir qu’il n’est pas certain que le contrat de bail aurait été conclu dans les conditions prévues par le projet de contrat, mais qu’il était affecté d’un aléa, de sorte que l’indemnisation allouée ne pourrait être intégrale, mais devrait seulement avoir pour objet de réparer une perte de chance.

La Ville reproche à cet égard une violation de la loi de 1988, sinon un défaut de base légale.

Sur le grief d’une violation de la loi de 1988 Par les motifs rappelés ci-avant dans la discussion du cinquième moyen, la Cour d’appel constate l’existence et la certitude du préjudice. Elle en déduit qu’« il est établi que le projet de bail contient tous les éléments essentiels à la validité d’un contrat […] »183 et que, pour différents motifs de fait exposés par elle184, « il n’est pas établi que le contrat définitif aurait été conclu par la [banque] sous d’autres conditions »185.

Au regard de ces constatations souveraines, le préjudice est certain, de sorte qu’il n’existe aucun aléa et que c’est à juste titre que la Cour d’appel a décidé qu’il n’y avait pas lieu de limiter la réparation à la perte d’une chance, mais que l’indemnisation devait être intégrale.

Il en suit que, à admettre que le grief puisse être accueilli, il n’est pas fondé.

180 Idem, même page, cinquième alinéa.

181 Idem et loc.cit.

182 Idem, même page, avant-dernier alinéa.

183 Idem, page 8, cinquième alinéa.

184 Idem, page 8, avant-dernier et dernier alinéa.

185 Idem, page 8, sixième alinéa.

Sur le grief d’un défaut de base légale Par les motifs exposés ci-avant dans la discussion du cinquième moyen et du premier grief du sixième moyen, la Cour d’appel a par des motifs de fait suffisants constaté l’existence et la certitude du préjudice.

Il en suit que le grief, qui, au regard de sa nature, peut être accueilli, n’est pas fondé.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais il est à rejeter.

Pour le Procureur général d’État Le Procureur général d’État adjoint John PETRY 53


Synthèse
Numéro d'arrêt : 136/20
Date de la décision : 29/10/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 31/10/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2020-10-29;136.20 ?

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