N° 135 / 2020 du 29.10.2020 Numéro CAS-2019-00104 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-neuf octobre deux mille vingt.
Composition:
Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Paul VOUEL, conseiller à la Cour d’appel, Stéphane PISANI, conseiller à la Cour d’appel, Serge WAGNER, premier avocat général, Viviane PROBST, greffier à la Cour.
Entre:
X, demeurant à (…), reprenant les droits de Y, demandeur en cassation, comparant par Maître Isabelle GIRAULT, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, et:
1) la société anonyme SOC1) (anciennement Soc3) S.A.), établie et ayant son siège social à (…), représentée par son conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), défenderesse en cassation, comparant par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître Philippe DUPONT, avocat à la Cour, 2) la société anonyme SOC2), établie et ayant son siège social à (…), représentée par son conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Genève sous le numéro (…), défenderesse en cassation, comparant par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître Glenn MEYER, avocat à la Cour.
Vu l’arrêt attaqué, numéro 185/18, rendu le 12 décembre 2018 sous le numéro 44901 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière civile ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 17 juillet 2019 par X à la société anonyme Soc1), anciennement Soc3), (ci-après « Soc1) »), et à la société anonyme Soc2), (ci-après « Soc2) »), déposé le 26 juillet 2019 au greffe de la Cour ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 11 septembre 2019 par Soc1) à X, déposé le 17 septembre 2019 au greffe de la Cour ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 11 septembre 2019 par Soc2) à X, déposé le 17 septembre 2019 au greffe de la Cour ;
Vu le mémoire en réplique signifié le 11 octobre 2019 par X à Soc1) et à Soc2), déposé le 22 octobre 2019 au greffe de la Cour ;
Sur le rapport du président Jean-Claude WIWINIUS et les conclusions du procureur général d’Etat adjoint John PETRY ;
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, la fondation de droit du Liechtenstein Y avait assigné Soc1) et Soc2) en responsabilité contractuelle, sinon délictuelle, aux fins de réparation du préjudice qu’elle soutenait avoir subi du fait de la réalisation d’un nantissement qu’elle avait consenti au profit de Soc2) en contrepartie de l’émission par celle-ci d’une garantie à première demande au profit de Soc1) pour sûreté d’un prêt de 40.000.000 LUF accordé le 26 novembre 1996 par Soc1) à la société SOC4).
X, cessionnaire des droits de Y, avait repris l’instance.
Par un jugement du 19 juin 2015, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait déclaré la demande contre Soc1) et Soc2) recevable.
Par un jugement du 18 novembre 2016, le tribunal s’était déclaré territorialement incompétent pour connaître de la demande dirigée contre Soc2) et avait déclaré la demande dirigée contre Soc1) non fondée.
Par un arrêt du 12 décembre 2018, la Cour d’appel a déclaré la demande dirigée contre Soc1) irrecevable pour être prescrite et a confirmé la décision rendue à l’égard de Soc2).
Sur la recevabilité du pourvoi qui est contestée Les défenderesses en cassation soulèvent l’irrecevabilité du pourvoi pour défaut d’indication des dispositions attaquées.
En ayant précisé que « L’arrêt du 12 décembre 2018 est entrepris :
- en ce qu’il a déclaré l’appel incident de Soc1) aujourd’hui soc1) fondé et donc déclaré irrecevable la demande de Y à son égard au motif que l’action serait prescrite, réformant pour cela la décision de première instance qui déclarait la demande non prescrite, Y ayant été mise dans l’impossibilité d’agir par la faute des banques soc1) et 2) ;
- en ce qu’il a confirmé la décision de première instance relative à la demande contre Soc2), en raison de l’incompétence territoriale par application d’une clause d’un contrat de nantissement du 25 novembre 1996 que la demanderesse en cassation jugeait inapplicable en l’espèce, le contrat de nantissement étant arrivé à terme et n’étant l’accessoire d’aucun contrat de prêt valable en cours », le demandeur en cassation s’est conformé à l’article 10, alinéa 1, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.
Il en suit que le moyen d’irrecevabilité opposé au pourvoi n’est pas fondé.
Le pourvoi, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré du défaut de réponse à conclusions rattaché au cas d'ouverture en cassation , (suivant décision du 6 avril 2017 no 34/2017 de la cour de Cassation luxembourgeoise) En ce que la Cour d'appel ne prend pas position sur la question préjudicielle posée par conclusions du 12 juin 2018 de l'actuelle demanderesse en cassation, à l'attention de la Cour Constitutionnelle qui visait la nature délictuelle du rapport entre parties, (Y et Soc1)) alors que la question préjudicielle qui fut préalablement posée à la Cour constitutionnelle sur saisine de la Cour de Cassation et qui reçut une réponse en date du 30 mars 2007 no 00039 du registre, vise uniquement un rapport contractuel (dans le cadre d'un contrat de travail) : la Cour n'analyse pas une situation au regard d'un rapport délictuel. La question posée par conclusions du 12 juin 2018 était libellée en ces termes :
Au motif que selon la Cour d'appel dont cassation est demandée, la Cour Constitutionnelle a déjà répondu Alors que la question n'a jamais été posée pour un rapport délictuel et que les conclusions du 12 juin 2018 mettaient en avant le fait que (arrêt 39/07 du 30 mars 2007, Mémorial A56 du 13 avril 2017, page 1174), contexte différent d'un rapport délictuel, dans lequel la victime subit (sans jamais avoir choisi son interlocuteur) la réduction de sa protection juridique, contrairement à la victime dans un contrat, qui a choisi son cocontractant, et consenti à contracter. ».
Réponse de la Cour Le défaut de réponse à conclusions constitue une forme du défaut de motifs, qui est un vice de forme.
Une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.
En retenant que la question d’égalité des citoyens devant la loi soulevée par l’appelant avait déjà été examinée par la Cour constitutionnelle et que celle-ci avait, dans un arrêt du 30 mars 2007 (affaire no 00039 du registre), dit que l’article 189 modifié du Code de commerce est conforme à l’article 10bis (1) et pour autant que de besoin à l’article 111 de la Constitution et que, dès lors, il n’y avait pas lieu de saisir la Cour constitutionnelle, les juges d’appel ont répondu aux conclusions visées au moyen.
Il en suit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la dénaturation des conclusions qui s'analyse en défaut de réponse à conclusions lequel rentre dans le cas d'ouverture en cassation En ce que la Cour écrit Au motif que page 10 de l'arrêt du 12 décembre 2018, ce qui est faux.
Alors que les conclusions du 28 novembre 2017 de la partie demanderesse en cassation, page 9, sont libellées comme suit :
».
Réponse de la Cour Le défaut de réponse à conclusions constitue une forme du défaut de motifs, qui est un vice de forme.
Une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.
En retenant que « L’impossibilité d’agir, telle qu’alléguée par Y, tirée de son ignorance du caractère injustifié de l’appel à la garantie par Soc1) et de la réalisation du nantissement consenti à Soc2), ne saurait valoir comme cause de suspension de la prescription décennale qui a cependant commencé à courir à partir du 30 novembre 2000, date à laquelle Soc1) a fait appel à la garantie à première demande signée par Soc2), et à laquelle Soc2) a réalisé le nantissement lui consenti. Y a forcément été avisée de la mise en place d’une nouvelle garantie à première demande, puisque l’avis de débit du 29 novembre 2000 indiquait clairement que le paiement de Soc2) était intervenu sur base d’une garantie à première demande émise le 28 décembre 1999 et non de la garantie originaire de 1996. » et en en tirant la conclusion que « Y n’ayant fait valoir aucun cas de force majeure qui l’aurait empêchée d’exercer son action dans le délai de dix ans à partir de la réalisation de son nantissement, son assignation introductive d’instance du 2 novembre est tardive. », les juges d’appel ont répondu aux conclusions visées au moyen.
Il en suit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 6 de la Cour Européenne des droits de l’Homme ;
En ce que la Cour a déclaré irrecevable la demande en justice à l'égard de Soc1) par réformation de la décision de première instance ;
Au motif qu'il y aurait prescription quant à la demande de Y contre Soc1) ;
Alors que la prescription ne peut courir contre un justiciable qui n'a pu être informé de ses droits, du fait des banques adverses qui présentent une situation factuelle et juridique contraire à la réalité, tel que retenu par les arrêts du 15 juillet 2010 et 26 janvier 2012 (pièces 17 et 39) ».
Réponse de la Cour Sous le couvert du grief tiré de la violation de la disposition de la Convention visée au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, de la date à partir de laquelle Y pouvait agir, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.
Il en suit que le moyen ne saurait être accueilli.
Sur le quatrième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation du principe de droit contra non valentem agere non currit praescriptio fondé suivant la jurisprudence sur l'article 2257 du code civil :
L'arrêt de Cassation N°1/12 du 2 février 2012 de Luxembourg, reprend ce principe comme principe de droit par la citation d'un arrêt de la Cour de Cassation française ;
En ce que la Cour d'appel, dans sa décision du 12 décembre 2018, a fait courir la prescription à partir du 30 novembre 2000 prétendant que Y était au courant de l'existence d'une garantie émise par Soc2) le 22 novembre 1999 (mais qu'on ne retrouve mentionnée que dans une lettre du 28 décembre 1999), et ce contrairement aux affirmations des banques soc1) et 2), lesquelles, par leurs fausses affirmations et leurs écrits au faux contenu, ont empêché Y d'agir et ont créé la situation de force majeure qui fut écartée par la Cour à tort sur base d'une mauvaise lecture des conclusions qui invoquaient la force majeure, en mentionnant les mensonges, Au motif que (Cour page 10 tout en notant que la Cour fait une erreur de date relative à cette garantie qui n'est pas du 28 décembre 1999 mais du 22 novembre 1999 tel qu'écrit dans le courrier du 28 décembre 1999, qui mentionne une garantie du 22 novembre 1999 qui n'a jamais été versée au dossier) Alors que Y ne pouvait pas être avisée de la mise en place d'une nouvelle garantie à première demande par Soc2) le 22 novembre 1999 (mais qu'on ne retrouve mentionnée que dans une lettre du 28 décembre 1999) par la simple communication d'un avis de débit un an plus tard du 30 novembre 2000, laissé en poste restante à la banque Soc2), au milieu d'une masse de documents, alors que les parties adverses elles-mêmes, Soc1) et Soc2), affirmaient qu'il n'y avait pas de garantie émise en 1999, puisqu'elles affirmaient que les causes de l'appel à garantie à première demande étaient une prorogation du prêt du 26 novembre 1996 jusqu'à ce que le Tribunal, par jugement du 16 janvier 2007, sur base des pièces versées par la partie adverse dans la procédure, relève qu'il y avait eu conclusion d'un nouveau prêt le 30 novembre 1999, tel que repris en page 23 de la décision du 19 juin 2015 faisant référence au jugement du 16 janvier 2007 (jugement du 15 juin 2015 versé dans la farde procédure) ; ».
Réponse de la Cour La violation d’un principe général du droit ne donne ouverture à cassation que s’il trouve son expression dans un texte de loi ou s’il est consacré par une juridiction supranationale.
Le demandeur en cassation n’invoque pas de texte de loi qui exprimerait le principe énoncé au moyen, ni une jurisprudence d’une juridiction supranationale qui consacrerait ce principe.
Il en suit que le moyen est irrecevable.
Sur le cinquième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré du défaut de réponse à conclusions rattaché au cas d'ouverture de défaut de motifs, (suivant décision du 6 avril 2017 N° 34/2017 de la Cour de Cassation luxembourgeoise) En ce que la Cour d'appel ne prend pas position sur le fait que la responsabilité délictuelle était invoquée, principalement, pour ce qui concerne la responsabilité mise en cause à l'égard de Soc2) (le premier moyen de cassation concernant Soc1)) ;
Au motif que Alors que l'acte d'appel du 23 février 2017, page 12, n°70 indique n°72 le tout repris au dispositif paragraphe 4 : les conclusions du 28 novembre 2017 basaient d'ailleurs principalement la demande sur base de la responsabilité délictuelle contre Soc2), ce dont l'arrêt ne dit mot. ».
Réponse de la Cour En retenant que « Y reproche à Soc2) d’avoir réalisé le nantissement lui consenti, en contre-
partie d’une garantie à première demande renouvelée à l’insu de Y. C’est donc bien la réalisation du nantissement consenti à Soc2) qui est à la base de son action.
Partant, Soc2) peut valablement invoquer la clause d’élection de for au contrat de nantissement, comme l’ont à juste titre jugé les magistrats de première instance, et ce même après l’expiration du contrat. », les juges d’appel se sont prononcés sur la compétence des juridictions luxembourgeoises et, en confirmant la décision d’incompétence des juridictions luxembourgeoises, n’avaient pas à se prononcer sur le fondement de la responsabilité recherchée.
Il en suit que le moyen manque en fait.
Sur le sixième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de la loi et plus particulièrement du Règlement ROME I ;
En ce que la Cour écrit ;
Au motif que Soc2) peut valablement invoquer la clause d'élection de for figurant au contrat de nantissement et ce même après l'expiration du contrat ;
Alors que le contrat de nantissement du 25 novembre 1996 donné par Y ne pouvait être invoqué, puisqu'aucune garantie n'existait pour garantir le remboursement d'un prêt du 30 novembre 1999 et une garantie à première demande émise par soc2) le 21 novembre 1999 dont la date d'émission n'est pas prouvée, alors qu'elle ne se retrouve mentionnée que dans une lettre du 28 décembre 1999, ne justifiait pas l'exécution sur le nantissement du 25 novembre 1996 donné par Y pour garantir un prêt du 26 novembre 1996 ».
Réponse de la Cour Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, chaque moyen ou chaque branche doit préciser, sous peine d’irrecevabilité, le cas d’ouverture invoqué, la partie critiquée de la décision et ce en quoi celle-ci encourt le reproche allégué.
Le demandeur en cassation ne précise pas en quoi le Règlement invoqué aurait été violé.
Il en suit que le moyen est irrecevable.
Sur le septième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de la loi, plus particulièrement de l'article 1134 du Code civil ;
En ce que la Cour a retenu une responsabilité contractuelle ;
Au motif que le contrat de nantissement du 25 novembre 1996 s'applique pour ce qui concerne la clause de for, que Soc2) invoque ;
Alors que le préjudice dont se plaint la demanderesse en cassation est issu de la responsabilité délictuelle, car il résulte des manœuvres adverses, qui ne sont pas prévisibles, et sortent de la prévisibilité du contrat de dépôt de fonds et de titres, qui la liait à Soc2) (alors que dans le cadre du contrat de dépôt, Y n'a aucun grief à faire faire valoir quant à l'exécution de contrat et la gestion des fonds) et sur base duquel un nantissement avait été signé. ».
Réponse de la Cour Le moyen procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué en ce que les juges d’appel ne se sont pas prononcés sur la nature de la responsabilité recherchée.
Il en suit que le moyen manque en fait.
Sur le huitième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l'article 260 du Nouveau Code de Procédure civile En ce que la Cour a ;
Au motif que les avocats représentant leur client, les arguments invoqués par Soc1) ne sauraient priver Soc2) de son droit de référer son moyen d'incompétence, Alors que s'il y avait bien deux avocats, personnalités distinctes, en première instance, même s'ils étaient associés dans une association (d'où un conflit d'intérêt), en instance d'appel, c'est la société ARENDT et MEDERNACH SA, unique entité juridique, qui représente les intérêts des deux parties donc une seule entité juridique qui ne peut parler par deux voix différentes, les conclusions du 31 juillet 2017 devant être prises en compte ; ».
Réponse de la Cour Les conclusions d’un mandataire constitué pour deux parties, dont la responsabilité est recherchée à des titres différents, prises pour l’un des mandants, n’excluent pas des conclusions différentes pour l’autre mandant.
En retenant que « Les avocats représentant leur client, les arguments invoqués par Soc1) ne sauraient priver Soc2) de son droit de réitérer son moyen d’incompétence. », les juges d’appel n’ont pas violé la disposition visée au moyen.
Il en suit que le moyen n’est pas fondé.
Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure Le demandeur en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.
Il serait inéquitable de laisser à charge des défenderesses en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient d’allouer à chacune d’elles une indemnité de procédure de 2.500 euros.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :
rejette le pourvoi ;
rejette la demande du demandeur en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne le demandeur en cassation à payer à chacune des défenderesses en cassation une indemnité de procédure de 2.500 euros ;
condamne le demandeur en cassation aux dépens de l’instance en cassation.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Jean-Claude WIWINIUS en présence du premier avocat général Serge WAGNER et du greffier Viviane PROBST.
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation X c/ 1) société anonyme de droit luxembourgeois SOC1), 2) société anonyme de droit suisse SOC2) (affaire n° CAS 2019-00104 du registre) Le pourvoi du demandeur en cassation, par dépôt au greffe de la Cour en date du 26 juillet 2019, d’un mémoire en cassation, est dirigé contre un arrêt numéro 185/18 contradictoirement rendu en date du 12 décembre 2018 par la Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière civile, sous le numéro 44901 du rôle.
Sur la recevabilité du pourvoi Le pourvoi est recevable en ce qui concerne le délai1.
Le demandeur en cassation a déposé un mémoire signé par un avocat à la Cour signifié aux parties adverses antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que ces formalités imposées par l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, ont été respectées.
Les défenderesses en cassation soulèvent une exception d’irrecevabilité du pourvoi tirée de ce que le mémoire omettrait d’indiquer de façon suffisamment précise les dispositions attaquées de l’arrêt2.
L’article 10 de la loi de 1885 dispose que « pour introduire son pourvoi, la partie demanderesse en cassation devra, sous peine d’irrecevabilité, […], déposer […] un mémoire […], lequel précisera les dispositions attaquées de l’arrêt ou du jugement ».
Le mémoire comporte une partie II, intitulée « dispositions attaquées ».
Celle-ci précise que :
« L’arrêt du 12 décembre 2018 est entrepris :
- en ce qu’il a déclaré l’appel incident de Soc1), aujourd’hui soc1) fondé et donc déclaré irrecevable la demande de Y à son égard au motif que l’action serait 1 L’arrêt attaqué a été signifié en date du 15 mai 2019 par les défenderesses en cassation au demandeur en cassation, qui demeure en Suisse, pays membre de l’Association européenne de libre échange, plus précisément a été transmis par l’huissier de justice à l’autorité suisse compétente en l’invitant à le signifiier au demandeur en cassation. La date de remise de l’arrêt au demandeur en cassation par les autorités suisses, qui constitue le point de départ du délai, ne résulte pas du dossier. Le mémoire en cassation a été remis au greffe de la Cour supérieure de justice, donc le pourvoi a été formé, en date du 28 juillet 2019. Le délai du pourvoi est, au regard de l’article 7, alinéas 1 et 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation et de l’article 167, alinéa 1, point 1°, premier tiret, du Nouveau Code de procédure civile, de deux mois et quinze jours. Eu égard à la date de signification, du 15 mai 2019 (qui ne constitue pas le point de départ du délai, qui n’a commencé à courir qu’à partir de la remise de l’arrêt au demandeur en cassation) et à celle du pourvoi, du 28 juillet 2019, le délai de deux mois et quinze jours a été respecté.
2 Mémoires en réponse des deux défenderesses en cassation, à chaque fois pages 2-3, sous I.
prescrite, réformant pour cela la décision de première instance qui déclarait la demande non prescrite, Y ayant été mise dans l’impossibilité d’agir par la faute des banques soc1) et 2) ;
- en ce qu’il a confirmé la décision de première instance relative à la demande contre Soc2), en raison de l’incompétence territoriale par application d’une clause d’un contrat de nantissement du 25 novembre 1996 que la demanderesse en cassation jugeait inapplicable en l’espèce, le contrat de nantisement étant arrivé à terme et n’étant l’accessoire d’aucun contrat de prêt valable et en cours »3.
Il en résulte qu’il est indiqué dans le pourvoi que ce dernier attaque l’arrêt en ce que la Cour d’appel y a, d’une part, déclaré l’appel incident de la défenderesse en cassation SOC1) fondé et, d’autre part, l’appel principal du demandeur en cassation non fondé.
Les conditions de l’article 10 de la loi de 1885 sont dès lors manifestement respectées. Cette conclusion n’est pas remise en cause par la circonstance que le pourvoi, dans un souci de bonne compréhension, au lieu de se limiter à citer le dispositif, en résume la portée.
Il en suit que l’exception d’irrecevabilité est à rejeter.
Le pourvoi est dirigé contre une décision contradictoire, donc non susceptible d’opposition, rendue en dernier ressort qui tranche tout le principal, de sorte qu’il est également recevable au regard des articles 1er et 3 de la loi de 1885.
Le pourvoi est, partant, recevable.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, saisi par la fondation de droit du Liechtenstein Y, dont les droits ont été repris par X, d’une demande aux fins de condamner la société anonyme de droit luxembourgeois SOC1) (ci-après « Soc1) ») et la société anonyme de droit suisse SOC2) (ci-après « Soc2) ») à réparer sur base de la responsabilité contractuelle ou délictuelle le préjudice subi du fait de la réalisation par Soc2) d’un nantissement consenti par la demanderesse en contrepartie de l’émission par Soc2) d’une garantie à première demande au profit de Soc1) pour sûreté d’un prêt accordé par celle-ci à un tiers, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg s’est déclaré territorialement incompétent pour connaître de la demande dirigée contre Soc2) et a déclaré celle dirigée contre Soc1) non fondée. Sur appel de X, la Cour d’appel a confirmé la décision d’incompétence territoriale pour connaître de la demande dirigée contre Soc2) et déclaré, par réformation, irrecevable celle dirigée contre Soc1).
Sur le premier moyen de cassation 3 Mémoire en cassation, page 2.
Le premier moyen est tiré d’un défaut de motifs par défaut de réponse à conclusions, en ce que la Cour d’appel pour refuser de saisir la Cour constitutionnelle d’une question préjudicielle proposée par le demandeur en cassation au sujet de la conformité à l’article 10bis de la Constitution de l’article 189 du Code de commerce, qui soumet à la prescription décennale, partant soustrait à la prescription trentenaire de droit commun, même dans les rapports entre non-commerçants et commerçants, les obligations nées à l’occasion de l’activité professionnelle d’un commerçant, telle la demande en responsabilité délictuelle dirigée par le demandeur en cassation contre Soc1), aux motifs que la Cour constitutionnelle a déjà tranché cette question dans son arrêt n° 39 du 30 mars 2007, alors qu’elle a ainsi omis de répondre à la question constitutionnelle proposée par le demandeur en cassation, dont l’objet était de critiquer la discrimination découlant du fait de soumettre à la prescription décennale l’action en responsabilité délictuelle dirigée par un non-commerçant contre un commerçant dès lors que ce délai de dix ans, qui correspond à celui pendant lequel les commerçants sont tenus de conserver leurs livres de commerce, a pour objet de permettre à ces derniers de répondre aux actions en responsabilité contractuelle dirigées contre eux, l’arrêt de la Cour constitutionnelle ayant eu pour objet une action en responsabilité contractuelle et non délictuelle, ainsi que le demandeur en cassation l’avait mis en exergue dans ses conclusions.
La Cour d’appel a, par réformation, déclaré irrecevable pour être prescrite l’action en responsabilité civile délictuelle par le demandeur en cassation contre Soc1)4. Cette conclusion se fonde sur le double constat que le délai de prescription d’une action en responsabilité civile, même délictuelle, même dirigée, comme en l’espèce, par un non-commerçant contre un commerçant, est, sur base de l’article 189 du Code de commerce, de dix ans5 et que ce délai a, en l’espèce, commencé à courir à partir du 30 novembre 20006, tandis que l’action en responsabilité civile n’a été introduite qu’en date du 2 novembre 20117.
Le demandeur en cassation avait fait valoir la non-conformité de l’article 189 du Code de commerce à l’article 10bis de la Constitution. Cette non-conformité alléguée résulterait de l’institution « d’une prescription de dix ans pour une action en responsabilité délictuelle contre un commerçant quand la même action en responsabilité délictuelle contre un non commerçant est soumise à la prescription trentenaire sachant que le fondement du changement législatif de la prescription commerciale de dix ans trouve sa cause dans la seule responsabilité des sociétés de garder leurs documents comptables etc, c’est-à-dire dans le but de pouvoir répondre avant tout à une responsabilité pendant dix ans »8.
Pour refuser de saisir la Cour constitutionnelle de cette question, la Cour d’appel a considéré que celle-ci avait déjà, dans son arrêt n° 39 du 30 mars 2007, statué sur une question ayant le même objet, de sorte qu’elle était dispensée à la saisir 4 Arrêt attaqué, page 10, cinquième alinéa.
5 Idem, page 8, troisième à page 9, quatrième alinéa.
6 Idem, page 9, dernier alinéa, à page 10, deuxième alinéa.
7 Idem, page 2, premier alinéa.
8 Conclusions d’appel du demandeur en cassation du 12 juin 2018, citées par le mémoire en cassation, page 16, dernier alinéa.
sur base de l’article 6, alinéa 2, sous c), de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constituitonnelle9.
Le premier moyen critique cette réponse en reprochant à la Cour d’appel un défaut de réponse à conclusions.
Ce grief constitue une forme du défaut de motifs, qui est un vice de forme.
Une décision est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré10.
En retenant que la Cour constitutionnelle a, par son arrêt n° 39 du 30 mars 2007, déjà statué sur une question ayant le même objet que celle soulevée par le demandeur en cassation, la Cour d’appel a répondu aux conclusions de ce dernier.
La pertinence et le bien-fondé de cette réponse ne sont pas susceptibles d’être critiqués par un moyen tiré du défaut de réponse à conclusions.
Il en suit que le moyen n’est pas fondé.
Il n’y a pas non plus lieu d’envisager de soulever d’office un moyen de pur droit tiré de la violation de l’article 6 alinéa 2, sous c), de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constituitonnelle. En effet, si l’arrêt n° 39 a été rendu à l’occasion d’un contrat liant un commerçant à un non-commerçant, donc non à l’occasion d’une action en responsabilité délictuelle, la Cour constitutionnelle s’est prononcée dans son dispositif, sans définir aucune restriction à la portée de son arrêt, sur la compatibilité de l’article 189 du Code de commerce avec l’article 10bis de la Constitution. Par ailleurs, la justification donnée par la Cour constitutionnelle à la différence de traitement instaurée par l’article 189 du Code de commerce dans les rapports entre non-commerçants et commerçants en comparaison avec ceux entre non-commerçants n’est pas spécifique aux contrats et à la responsabilité contractuelle et n’est pas dépourvue de pertinence pour ce qui concerne la responsabilité délictuelle. Il est à cet effet à préciser que la Cour constitutionnelle a justifié cette différence de traitement par deux motifs. Le premier est tiré du souci de la sécurité juridique, qui commande de vider le contentieux visé par l’article 189 du Code de commerce né entre non-commerçants et commerçants avec la même rapidité que celui entre commerçants et le second est tiré de la finalité de la loi, qui consiste à mettre la prescription en conformité avec la durée de conservation des livres de commerce. Ces deux justifications sont pertinentes non seulement pour ce qui concerne les actions de nature contractuelle ou en responsabilité contractuelle, mais aussi pour ce qui est des actions en responsabilité délictuelle nées à l’occasion de l’activité professionnelle du commerçant.
Sur le deuxième moyen de cassation 9 Arrêt attaqué, page 9, premier au troisième alinéa.
10 Voir, à titre d’illustration : Cour de cassation, 24 février 2019, n° 27/2019, numéro 4022 du registre (réponse à la cinquième branche du quatrième moyen).
Le deuxième moyen est tiré de la dénaturation des conclusions constitutive d’un défaut de réponse à conclusions, en ce que la Cour d’appel a déclaré l’action dirigée par le demandeur en cassation contre Soc1) irrecevable pour avoir été introduite après l’écoulement du délai de prescription décennale prévu par l’article 189 du Code de commerce, aux motifs que le demandeur en cassation n’avait « fait valoir aucun cas de force majeure qui l’aurait empêché[…] d’exercer son action dans le délai de dix ans »11, alors que le demandeur en cassation avait fait valoir dans ses conclusions l’existence d’un tel cas de force majeure, découlant du silence et des mensonges de son adversaire.
Aux fins de déclarer l’action du demandeur en cassation contre Soc1) irrecevable pour cause de prescription au sens de l’article 189 du Code de commerce, la Cour d’appel a fixé le point de départ de cette prescription au 30 novembre 200012.
Cette date est celle à laquelle Soc1) a fait appel à la garantie à première demande signée par Soc2), et à laquelle Soc2) a réalisé le nantissement lui consenti13. La Cour d’appel a sur ce point réformé la décision des juges de première instance, qui avaient fixé le point de départ du délai de prescription au 16 janvier 2007 motif tiré d’une impossibilité d’agir du demandeur en cassation14.
Le demandeur en cassation avait, en effet, fait valoir une impossibilité d’agir, « tirée de son ignorance du caractère injustifié de l’appel à la garantie par Soc1) et de la réalisation du nantissement consenti à Soc2) »15. La Cour d’appel a rejeté ce moyen au motif que « Y [dont les droits ont été repris par le demandeur en cassation] a forcément été avisée de la mise en place d’une nouvelle garantie à première demande, puisque l’avis de débit du 29 novembre 2000 indiquait clairement que le paiement par Soc2) était intervenu sur base d’une garantie à première demande émise le 28 décembre 1999 et non de la garantie originaire de 1996 »16.
La Cour d’appel a complété ce constat par la considération tirée de ce que « l’article 2251 du code civil dispose en effet que la prescription court contre toutes les personnes, à moins qu’elles ne soient dans quelque exception prévue par la loi »17 et de ce que « Y n’ayant fait valoir aucun cas de force majeure qui l’aurait empêchée d’exercer son action dans le délai de dix ans à partir de la réalisation de son nantissement, son assignation introductive d’instance du 2 novembre 2011 est tardive »18.
Ces motifs impliquent que la Cour d’appel a constaté que le demandeur en cassation a certes fait valoir une impossibilité d’agir résultant de son ignorance du caractère injustifié de l’appel à la garantie à première demande par Soc1) et de la réalisation du nantissement consenti par Y à Soc2), mais que cette impossibilité d’agir ne pouvait être retenue parce que Y a forcément été avisée de la mise en place d’une nouvelle garantie à première demande par un avis de débit du 29 novembre 2000. La Cour d’appel en déduit que le demandeur en cassation ne peut se prévaloir 11 Arrêt attaqué, page 10, deuxième alinéa.
12 Idem, page 9, dernier alinéa.
13 Idem et loc.cit.
14 Idem, page 9, avant-dernier alinéa.
15 Idem, page 9, dernier alinéa.
16 Idem, page 10, deuxième alinéa.
17 Idem, page 10, troisième alinéa.
18 Idem, page 10, quatrième alinéa.
d’une exception au cours de la prescription et notamment pas d’un cas de force majeure. Les termes tirés de ce que « Y n’ayant fait valoir aucun cas de force majeure qui l’aurait empêchée d’exercer son action dans le délai de dix ans »19 doivent dans ce contexte manifestement s’entendre comme exprimant que Y n’a pas réussi à faire valoir avec succès un cas de force majeure l’ayant empêché à agir, son moyen tiré d’une impossibilité d’agir n’étant pas fondé.
Dans son deuxième moyen, le demandeur en cassation critique la Cour d’appel d’avoir retenu que « Y n’[a] fait valoir aucun cas de force majeure qui l’aurait empêchée d’exercer son action dans le délai de dix ans »20, alors qu’elle avait soutenu dans ses conclusions d’appel « qu’il y a force majeure qui a empêché la partie concluante d’agir avant : les mensonges de Soc1), par le silence dans un premier temps (Soc1) ne répondait pas aux questions), puis mensonges positifs dans un second temps v. lettre du 18 avril 2002, Pièce no 21, courrier du 26 mai 2008, pièce 28 et pièce 29 à 34) »21.
Ce moyen est tiré « de la dénaturation des conclusions qui s’analyse en défaut de réponse à conclusions lequel rentre dans la cas d’ouverture en cassation « défaut de motifs » »22.
Le demandeur en cassation entend ainsi critiquer que la Cour d’appel aurait, par une lecture grossièrement erronée des conclusions, omis d’y répondre. La critique tirée d’une dénaturation des conclusions vise donc en réalité une omission de prise en considération de ces conclusions.
Il résulte des développements faits ci-avant que la Cour d’appel a répondu au moyen du demandeur en cassation tiré de ce que Y se trouvait dans une impossibilité d’agir, décrite dans les conclusions précitées comme cas de force majeure, en le rejetant par le constat tiré de ce que Y a forcément été avisée de la mise en place en 1999 d’une nouvelle garantie à première demande par l’avis de débit du 29 novembre 200023. Dans le contexte de ce raisonnement de la Cour d’appel le motif tiré de ce que « Y n’[a] fait valoir aucun cas de force majeure qui l’aurait empêchée d’exercer son action dans le délai de dix ans »24 est à comprendre comme visant que Y n’a pas fait valoir un cas de force majeure pertinent.
Ainsi qu’il a été rappelé ci-avant dans le cadre de la discussion du premier moyen, le défaut de réponse à conclusions constitue une forme du défaut de motifs, qui est un vice de forme, une décision étant régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.
L’arrêt répond au moyen, en constatant que le demandeur en cassation ne saurait se prévaloir d’un cas de force majeure constitué par une impossibilité d’agir.
19 Idem et loc.cit.
20 Idem et loc.cit.
21 Conclusions d’appel du demandeur en cassation du 28 novembre 2017, citées au Mémoire en cassation, page 20 (énoncé du deuxième moyen de cassation).
22 Mémoire en cassation, page 20 (énoncé du deuxième moyen de cassation).
23 Arrêt attaqué, page 10, deuxième alinéa.
24 Idem, page 10, quatrième alinéa.
La pertinence et le bien-fondé de cette réponse ne sont pas susceptibles d’être critiqués par le grief tiré du défaut de réponse à conclusions.
Il en suit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le troisième moyen de cassation Le troisième moyen est tiré de la violation de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en ce que la Cour d’appel a déclaré l’action dirigée par le demandeur en cassation contre Soc1) irrecevable pour avoir été introduite après l’écoulement du délai de prescription décennale prévu par l’article 189 du Code de commerce, alors que la prescription n’a pas pu courir contre le demandeur en cassation parce qu’il n’a pas été informé de ses droits et que les défenderesses en cassation lui ont présenté une situation factuelle et juridique contraire à la réalité.
Dans son troisième moyen, le demandeur en cassation critique une violation non autrement caractérisée de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui découlerait de ce que la Cour d’appel aurait rejeté à tort le moyen du demandeur en cassation tiré de ce qu’il se serait trouvé dans une impossibilité d’agir. La critique se fonde sur des arguments de fait, donc reproche à la Cour d’appel d’avoir mal apprécié les faits.
Il en suit que le moyen ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation souveraine par la Cour d’appel de l’impossibilité d’agir de la Y, dont les droits ont été repris par le demandeur en cassation.
Il ne saurait, partant, être accueilli.
Sur le quatrième moyen de cassation Le quatrième moyen est tiré de la violation du principe général de droit contra non valentem agere non currit praescriptio, découlant de l’article 2257 du Code civil, en ce que la Cour d’appel a déclaré l’action dirigée par le demandeur en cassation contre Soc1) irrecevable pour avoir été introduite après l’écoulement du délai de prescription décennale prévu par l’article 189 du Code de commerce en fixant le point de départ du délai de prescription au 30 novembre 2000, « date à laquelle Soc1) a fait appel à la garantie à première demande signée par Soc2), et à laquelle Soc2) a réalisé le nantissement lui consenti »25, aux motifs que « Y a forcément été avisée de la mise en place d’une nouvelle garantie à première demande, puisque l’avis de débit du 29 novembre 2000 indiquait clairement que le paiement par Soc2) était intervenu sur base d’une garantie à première demande émise le 28 décembre 1999 et non dela garantie originaire de 1996 »26, alors que, eu égard aux circonstances de la communication de l’avis de débit, il ne peut être considéré que Y a réellement été avisée de la mise en place d’une nouvelle garantie à première demande.
25 Arrêt attaqué, page 10, premier alinéa.
26 Idem, page 10, deuxième alinéa.
Dans son quatrième moyen, le demandeur en cassation critique la Cour d’appel d’avoir constaté que Y ne se trouvait pas dans une impossibilité d’agir parce qu’elle a été avisée de la mise en place d’une nouvelle garantie à première demande par un avis de débit du 29 novembre 2000. Cette critique est fondée sur des motifs de fait.
Il en suit que le moyen ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation souveraine par la Cour d’appel de la date à partir de laquelle Y, dont les droits ont été repris par le demandeur en cassation, a été avertie des agissements imputés aux défenderesses en cassation et se trouvait en mesure d’agir.
Il ne saurait, partant, être accueilli.
Sur le cinquième moyen de cassation Le cinquième moyen est tiré d’un défaut de motifs par défaut de réponse à conclusions, en ce que, pour confirmer la décision d’incompétence territoriale pour connaître de la demande dirigée contre Soc2), la Cour d’appel a retenu que « Soc2) peut valablement invoquer la clause d’élection de for figurant au contrat de nantissement »27, alors que cette réponse implique que la Cour d’appel considère que le demandeur en cassation a fondé sa demande sur la responsabilité contractuelle, mais qu’il a, au contraire, fondé celle-ci à titre principal sur la responsabilité délictuelle, circonstance sur laquelle l’arrêt ne prend pas position.
Le demandeur en cassation a dirigé son action, outre contre Soc1), également contre Soc2)28. Il « reproche à Soc2) d’avoir réalisé le nantissement lui consenti, en contrepartie d’une garantie à première demande renouvelée à l’insu de Y »29, dont les droits ont été repris par lui30.
La Cour d’appel en déduit que « c’est donc bien la réalisation du nantissement consenti à Soc2) qui est à la base de son action [de sorte que] Soc2) peut valablement invoquer la clause d’élection de for figurant au contrat de nantissement, comme l’ont à juste titre jugé les magistrats de première instance, et ce même après l’expiration du contrat »31. Elle confirme, partant, la décision d’incompétence territoriale des juges de première instance, qui s’étaient déclarés incompétents pour connaître du litige sur base de la clause d’élection de for contenue dans le contrat de nantissement.
Dans son cinquième moyen, le demandeur en cassation reproche à la Cour d’appel d’avoir, en déclarant cette clause d’élection de for applicable, analysé la demande exclusivement au regard d’une responsabilité contractuelle de Soc2) et d’avoir omis de répondre aux conclusions tirées de ce que la demande est à déclarer fondée, et ce d’ailleurs à titre principal, sur base de la responsabilité délictuelle.
27 Arrêt attaqué, page 11, deuxième alinéa.
28 Idem, page 2, premier alinéa.
29 Idem, page 10, dernier alinéa.
30 Idem, page 4, deuxième alinéa.
31 Idem, page 10, dernier alinéa, à page 11, deuxième alinéa.
Ce moyen méconnaît que la Cour d’appel, en constatant que la base de l’action dirigée par le demandeur en cassation contre Soc2) est la réalisation par celle-
ci du nantissement conclu entre parties, constate que le préjudice allégué trouve sa source dans l’exécution de ce contrat. Il en suit que la clause d’élection de for est applicable, de sorte que les juridictions luxembourgeoises sont incompétentes pour connaître de l’action, partant, n’ont pas à se prononcer sur le bien-fondé éventuel de celle-ci sur son fondement délictuel.
Il en suit, ainsi que les défenderesses en cassation l’ont relevé à juste titre32, que le moyen manque en fait, les conclusions n’appelant pas de réponse.
A titre subsidiaire, le constat tiré de ce que la base de l’action est l’exécution du contrat, de sorte que le préjudice allégué trouve sa source dans l’exécution de ce dernier, implique que l’action ne saurait prospérer que sur le fondement de la responsabilité contractuelle, partant, non sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
Il en suit, à titre subsidiaire, ainsi que les défenderesses en cassation l’ont relevé à juste titre33, que la Cour d’appel a, à supposer que l’argument principal présenté ci-avant ne soit pas fondé, implicitement, mais nécessairement, répondu aux conclusions, de sorte que le moyen n’est pas fondé.
Sur le sixième moyen de cassation Le sixième moyen est tiré de la violation du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I)34, en ce que pour confirmer la décision d’incompétence territoriale pour connaître de la demande dirigée contre Soc2), la Cour d’appel a retenu que Soc2) peut valablement invoquer une clause d’élection de for figurant au contrat de nantissement conclu entre elle et Y35, aux motifs que « Y reproche à Soc2) d’avoir réalisé le nantissement lui consenti, en contrepartie d’une garantie à première demande renouvelée à l’insu de Y [de sorte que] c’est donc bien la réalisation du nantissement consenti à Soc2) qui est à la base de son action »36, alors que, eu égard aux circonstances de l’espèce, le contrat de nantissement ne peut pas être invoqué.
Dans son sixième moyen, le demandeur en cassation critique la Cour d’appel d’avoir confirmé la décision des juges de première instance de se déclarer incompétents pour connaître de l’action dirigée contre Soc2) au regard de la clause d’élection de for contenue dans le contrat de nantissement conclu entre celle-ci et Y, dont les droits ont été repris par le demandeur en cassation. Il tire son moyen de la violation du Règlement Rome I. Ce dernier n’a pas été invoqué devant les juges du fond. Le moyen ne précise pas en quoi ce Règlement aurait été méconnu. Son objet est de contester au regard de différents éléments de fait le bien-fondé de la 32 Mémoires en réponse, pages 20 à 21, sous c.
33 Idem, page 21, sous 2.
34 Journal officiel de l’Union européenne, L 177 du 4.7.2008, page 6.
35 Arrêt attaqué, 11, deuxième alinéa.
36 Idem, page 10, dernier alinéa.
constatation de la Cour d’appel que la réalisation du nantissement consenti par Y à Soc2) est à la base de l’action, de sorte que Soc2) peut valablement invoquer la clause d’élection de for.
Il tend dès lors à remettre en discussion devant votre Cour l’applicabilité au litige du contrat de nantissement conclu entre parties, ainsi que de la clause d’élection de for qui y a été insérée, partant, des appréciations qui relèvent du pouvoir souverain des juges du fond.
Il ne saurait, partant, être accueilli.
Sur le septième moyen de cassation Le septième moyen est tiré de la violation de l’article 1134 du Code civil, en ce que, pour confirmer la décision d’incompétence territoriale pour connaître de la demande dirigée contre Soc2), la Cour d’appel a retenu que « Soc2) peut valablement invoquer la clause d’élection de for figurant au contrat de nantissement »37, alors que cette réponse implique que la Cour d’appel considère que le préjudice dont se prévaut le demandeur en cassation trouve sa source dans le contrat de nantissement, ce qui méconnaît que ce préjudice découle de manœuvres sans rapport avec le contrat de nantissement, donc d’une responsabilité délictuelle.
Dans son septième moyen, le demandeur en cassation critique la Cour d’appel d’avoir retenu à tort que le préjudice allégué trouve sa source dans le contrat de nantissement conclu entre lui et Soc2).
Il est rappelé que la Cour d’appel a constaté que Soc2) « peut valablement invoquer la clasue d’élection de for figurant au contrat de nantissement »38 parce que « la réalisation du nantissement consenti à Soc2) […] est à la base de [l’]action »39.
Elle déduit donc de sa constatation tirée de ce que l’exécution du nantissement est à la base de l’action l’applicabilité de la clause d’élection de for figurant au contrat et, partant, l’incompétence territoriale des juridictions luxembourgeoises. Cette constatation n’implique dès lors aucune appréciation au sujet de la nature contractuelle ou délictuelle de la responsabilité éventuellement susceptible d’être mise en œuvre par le demandeur en cassation devant les juridictions étrangères compétentes.
Il en suit que le moyen manque en fait.
A titre subsidiaire, donc à admettre que la constatation tirée de ce que la base de l’action est constituée par le nantissement implique une appréciation sur la source du préjudice et la nature contractuelle ou délictuelle de la responsabilité recherchée, le moyen ne tend qu’à remettre en discussion cette appréciation, qui relève du pouvoir souverain des juges du fond.
37 Arrêt attaqué, page 11, deuxième alinéa.
38 Idem, page 11, deuxième alinéa.
39 Idem, page 10, dernier alinéa.
Il en suit, à titre subsidiaire, que le moyen ne saurait être accueilli.
Sur le huitième moyen de cassation Le huitième moyen est tiré de la violation de l’article 260 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que la Cour d’appel a écarté l’argument du demandeur en cassation tiré de ce que Soc2) ne serait plus recevable à invoquer le moyen d’incompétence territoriale pour ne pas l’avoir soulevé in limine litis parce que l’avocat constitué pour les deux intimées avait déjà conclu au fond auparavant pour la co-intimée Soc1), aux motifs que « les avocats représentant leur client, les arguments invoqués par Soc1) ne sauraient priver Soc2) de son droit de réitérer son moyen d’incompétence, au demeurant déjà soulevé en première instance »40, alors que les deux intimées étaient représentées en instance d’appel par la même société d’avocats, « qui ne peut parler par deux voix différentes »41.
Le demandeur en cassation avait soutenu devant la Cour d’appel que Soc2) n’était pas recevable à invoquer le moyen d’incompétence territoriale pour ne pas l’avoir soulevé in limine litis, au motif que les deux défenderesses en cassation ont été défendues par une même société d’avocats et que celle-ci avait conclu au fond pour Soc1), avant qu’elle ne souleva le moyen d’incompétence pour Soc2)42.
La Cour d’appel rejeta ce moyen au motif que « les avocats représentant leur client, les arguments invoqués par Soc1) ne sauraient priver Soc2) de son droit de réitérer son moyen d’incompétence, au demeurant déjà soulevé en première instance »43.
Dans son huitième moyen, le demandeur en cassation critique la Cour d’appel d’avoir retenu que les arguments invoqués en instance d’appel par Soc1) ne sauraient priver Soc2) de son droit de réitérer son moyen d’incompétence.
Il résulte des constatations précitées de la Cour d’appel que Soc2) avait déjà soulevé cette exception d’incompétence en première instance. Le moyen s’attaque dès lors à un motif surabondant, de sorte qu’il est inopérant.
A titre subsidiaire, les deux défenderesses en cassation étant des personnes différentes, dont la responsabilité civile est recherchée à des titres différents et dont seul Soc2) a intérêt à soulever le moyen d’incompétence territoriale déduit de la clause d’élection de for contenue dans le contrat conclu entre elle et Y44, la Cour d’appel a retenu à juste titre que les conclusions de Soc1) ne sauraient priver Soc2) de réitérer son moyen d’incompétence.
Il en suit, à titre subsidiaire, que le moyen n’est pas fondé.
40 Arrêt attaqué, page 10, avant-dernier alinéa.
41 Mémoire en cassation, page 31, énoncé du huitième moyen, quatrième alinéa.
42 Arrêt attaqué, page 10, antépénultième alinéa.
43 Idem, page 10, avant-dernier alinéa.
44 Voir sur ce dernier point : Mémoires en réponse, page 27, sous 2, deuxième alinéa.
Conclusion :
Le pourvoi est recevable, mais il est à rejeter.
Pour le Procureur général d’État Le Procureur général d’État adjoint John PETRY 23