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08/10/2020 | LUXEMBOURG | N°120/20

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 08 octobre 2020, 120/20


N° 120 / 2020 du 08.10.2020 Numéro CAS-2019-00137 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, huit octobre deux mille vingt.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Stéphane PISANI, conseiller à la Cour d’appel, Elisabeth EWERT, avocat général, Viviane PROBST, greffier à la Cour.

Entre:

l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, représenté p

ar le Ministre d’Etat, dont les bureaux sont établis à L-1341 Luxembourg, 2, Place de Cla...

N° 120 / 2020 du 08.10.2020 Numéro CAS-2019-00137 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, huit octobre deux mille vingt.

Composition:

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Roger LINDEN, conseiller à la Cour de cassation, Stéphane PISANI, conseiller à la Cour d’appel, Elisabeth EWERT, avocat général, Viviane PROBST, greffier à la Cour.

Entre:

l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, représenté par le Ministre d’Etat, dont les bureaux sont établis à L-1341 Luxembourg, 2, Place de Clairefontaine, demandeur en cassation, comparant par Maître Georges PIERRET, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

1) X, épouse Y, demeurant à (…), défenderesse en cassation, comparant par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 2) la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE PENSION, établissement public, établie et ayant son siège social à L-1724 Luxembourg, 1A, boulevard Prince Henri, représentée par son conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro J35, défenderesse en cassation.

Vu l’arrêt attaqué, rendu le 11 juillet 2019 sous le numéro 2019/0161 (No. du reg.: PDIV 2019/0006) par le Conseil supérieur de la sécurité sociale ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 26 août 2019 par l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG à X et à la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE PENSION, déposé le 3 septembre 2019 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 7 octobre 2019 par X à l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG et à la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE PENSION, déposé le 10 octobre 2019 au greffe de la Cour ;

Sur le rapport du conseiller Roger LINDEN et les conclusions du premier avocat général Simone FLAMMANG ;

Sur les faits :

Selon l’arrêt attaqué, X, déclarée inapte à exercer son dernier poste de travail et ayant bénéficié d’une indemnité d’attente jusqu’à son reclassement externe, s’était vu retirer avec effet au 31 mars 2017 le bénéfice de l’indemnité d’attente au motif qu’elle avait recouvré les capacités de travail nécessaires lui permettant d’occuper un poste similaire à son dernier poste de travail avant la décision de reclassement professionnel. Le Conseil arbitral de la sécurité sociale avait confirmé la décision du comité directeur de la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE PENSION ayant porté retrait de l’indemnité d’attente. Le Conseil supérieur de la sécurité sociale a, par réformation, dit que X n’avait pas récupéré les capacités de travail lui permettant d’occuper un poste similaire à son dernier poste de travail avant le reclassement professionnel et dit qu’il y avait lieu de maintenir l’indemnité d’attente au-delà du 31 mars 2017.

Sur le premier moyen de cassation :

« tiré de la violation de l'article IV de la loi du 23 juillet 2015 portant modification du Code du travail et du Code de la sécurité sociale concernant le dispositif du reclassement interne et externe en ce que l'arrêt attaqué a considéré que l'intéressée n'a pas récupéré les capacités de travail lui permettant d'occuper un poste similaire à son dernier poste de travail avant le reclassement professionnel, au motif que l'expert a retenu qu'une reprise de l'ancienne activité n'était envisageable que sous certaines restrictions, alors que, la loi distingue entre l'hypothèse où l'intéressé est toujours incapable d'exercer son dernier poste et celle où il a récupéré les capacités de travail nécessaires lui permettant d'occuper un poste similaire à son dernier poste de travail, mais n'envisage pas l'hypothèse d'une aptitude avec des restrictions qui devrait être assimilée au maintien de l'incapacité. ».

Sous le couvert du grief tiré de la violation de la disposition légale visée au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, des capacités de travail nécessaires permettant à X d’exercer un poste similaire à son dernier poste de travail, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.

Il en suit que le moyen ne saurait être accueilli.

Sur le deuxième moyen de cassation :

« tiré de la violation de l'article IV de la loi du 23 juillet 2015 portant modification du Code du travail et du Code de la sécurité sociale concernant le dispositif du reclassement interne et externe en ce que l'arrêt attaqué, après avoir constaté que à la question qui lui a été posée et qu'il de reprendre son activité antérieure ou une activité similaire, a tiré de l'expertise des conclusions opposées à celles retenues par l'expert en disant que l'intéressée n'avait pas récupéré les capacités de travail nécessaires, alors que, en présence d'un rapport d'expertise qui conclut que l'intéressée a récupéré les capacités de travail nécessaires pour occuper un poste similaire à son dernier poste de travail, le juge, qui s'interroge sur certains développements de l'expertise, peut entendre l'expert, ordonner un complément d'expertise voire un autre expert, mais ne saurait tirer de l'expertise des conclusions opposées à celles retenues par l'homme de l'art. ».

Il ressort de la discussion du moyen que le demandeur en cassation fait grief au Conseil supérieur de la sécurité sociale de s’être écarté des conclusions de l’expert judiciaire qu’il avait préalablement nommé aux fins de déterminer si X avait récupéré à partir du 1er avril 2017 les capacités de travail nécessaires lui permettant d’occuper un poste similaire à son dernier poste de travail avant la décision de reclassement professionnel.

Le moyen vise l’article L. 551-6, paragraphe 4, du Code du travail qui porte sur l’examen de réévaluation médicale des personnes bénéficiant d’une indemnité d’attente, opéré par un médecin mandaté par le directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi et au vu duquel la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE PENSION avait retiré à X le bénéfice de l’indemnité d’attente.

Ne portant pas sur l’expertise médicale ordonnée par le Conseil supérieur de la sécurité sociale, la disposition légale visée au moyen est étrangère au grief invoqué.

Il en suit que le moyen est inopérant.

Sur le troisième moyen de cassation :

« tiré de la violation de l'article 89 de la Constitution pour motif dubitatif, sinon insuffisance de motifs, constitutif d'un défaut de motifs en ce que l'arrêt attaqué, pour dire que l'intéressée n'a pas récupéré les capacités de travail lui permettant d'occuper un poste similaire à son dernier poste de travail avant le reclassement professionnel, a considéré que et , alors que le juge ne saurait fonder sa conviction sur des constatations factuelles revêtant un caractère dubitatif. ».

Après avoir relevé que l’expert judiciaire n’avait pas autrement précisé dans quelle mesure X serait encore capable de reprendre sa dernière activité ou une activité similaire, les juges d’appel ont, sur base des constatations médicales dudit expert, retenu, contrairement à ce dernier, que la défenderesse en cassation n’avait pas recouvré les capacités de travail nécessaires pour occuper un poste similaire à celui exercé en dernier lieu avant son reclassement professionnel.

Ils ne se sont partant pas déterminés par des motifs dubitatifs.

Il en suit que le moyen n’est pas fondé.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure :

Il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation X l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer l’indemnité de procédure sollicitée de 2.000 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation :

rejette le pourvoi ;

condamne le demandeur en cassation à payer à la défenderesse en cassation X une indemnité de procédure de 2.000 euros ;

le condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Guy THOMAS, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Jean-Claude WIWINIUS en présence de l’avocat général Elisabeth EWERT et du greffier Viviane PROBST.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation Etat du Grand-Duché de Luxembourg et 1. X 2. la Caisse Nationale d’Assurance Pension (n° CAS-2019-00137 du registre)

________________________________________________________

Par mémoire signifié le 26 août 2019 à X et à la Caisse Nationale d’Assurance Pension (ci-après CNAP) et déposé au greffe de la Cour le 3 septembre 2019, l’Etat du Grand-

Duché de Luxembourg (ci-après l’Etat) a introduit un pourvoi en cassation contre un arrêt n°2019/0161 rendu contradictoirement le 11 juillet 2019 par le Conseil supérieur de la sécurité sociale.

Le délai pour former un recours en cassation en matière de sécurité sociale est le même que celui prévu par l’article 7 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation en matière civile et commerciale, c’est-à-dire deux mois pour le demandeur en cassation qui est domicilié dans le Grand-Duché de Luxembourg. Ce délai court en matière de sécurité sociale à partir du jour de la notification de la décision faite par lettre recommandée à la poste.

Il résulte des avis postaux annexés à l’arrêt du 11 juillet 2019 que cette décision a été notifiée à l’Etat le 17 juillet 2019.

Le pourvoi, déposé dans les forme et délai de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation telle que modifiée, est donc recevable.

Le mémoire en réponse de X, signifié le 7 octobre 2019 à la CNAP ainsi qu’à l’Etat, en son domicile élu, et déposé le 10 octobre 2019 au greffe de la Cour, peut être pris en considération pour avoir été signifié dans le délai et déposé conformément aux prescriptions de la loi.

Faits et rétroactes Le 1er août 2005, la Commission mixte de reclassement des travailleurs incapables à exercer leur dernier poste de travail décida le reclassement externe de X, dès lors qu’en raison de ses problèmes de dos, celle-ci était incapable d’exercer son dernier emploi en tant que serveuse/dame de service polyvalente temps plein. Par décision du 14 août 2007, l’indemnité d’attente, prévue par l’article L.551-5 paragraphe (2) du Code du travail lui fut accordée.

Lors d’une réévaluation médicale au cours de l’année de 2016, le médecin mandaté du contrôle estima que la concernée avait récupéré les capacités de travail nécessaires lui permettant d’occuper un poste similaire à son dernier poste de travail avant la décision de reclassement professionnel, tout en émettant certaines restrictions, notamment quant au poids maximal des charges à porter.

Suite à cet avis médical, la CNAP décida de faire cesser le paiement des indemnités d’attente en faveur de X.

Saisi d’un recours de X contre une décision du comité-directeur de la CNAP du 29 juillet 2016, ayant confirmé la décision présidentielle du 22 mars 2016 portant cessation du paiement de l’indemnité d’attente au 31 mars 2017, le Conseil arbitral de la sécurité sociale ordonna, par jugement du 20 juin 2017, l’intervention de l’Etat, comme partie tierce intéressée et pour déclaration de jugement commun, au vu des missions confiées à l’Agence pour le développement de l’Emploi vis-à-vis des demandeurs d’emploi et notamment des travailleurs handicapés.

Par jugement du 7 novembre 2017, le Conseil arbitral de la sécurité sociale ordonna une expertise médicale, estimant « au vu des conclusions médicales de l’ADEM, d’une part, et des médecins traitants de la requérante, d’autre part, utile et nécessaire de recourir, avant tout autre progrès en cause, aux lumières d’un homme de l’art avec la mission (…) d’examiner la requérante X, épouse Y, (…) de se prononcer dans un rapport détaillé sur la question de savoir si la requérante a récupéré les capacités de travail nécessaires lui permettant d’occuper un poste similaire à son dernier poste de travail avant la décision de reclassement professionnel »1. En effet, la requérante avait versé des certificats médicaux établis par son médecin traitant, attestant que son état de santé n’autorisait pas une reprise d’une activité professionnelle quelconque.

Dans son rapport du 13 juin 20182, l’expert nommé par le Conseil arbitral de la sécurité sociale arrivait à la conclusion suivante : « Frau X ist medizinisch in der Lage, einer körperlich leichten bis mittelschweren beruflichen Tätigkeit von vier Stunden und mehr mit geregelten Arbeitszeiten nachzugehen, Arbeiten mit ständigem schwerem Heben und Tragen, eine überwiegend monotone Körperhaltung oder Vibrationsexpositionen sollten vermieden werden.

Damit lauten die Antworten auf die richterlicherseits gestellte Frage:

Die Versicherte ist als arbeitsfähig - unter Berücksichtigung der oben genannten Kriterien – auf dem allgemeinen Arbeitsmarkt anzusehen. Dies umfasst auch ihre zuletzt ausgeübte berufliche Tätigkeit.».

1 Pièce n° 6 de la farde de Maître PIERRET 2 Pièce n°5 de la farde de Maître PIERRET, page 7 Le Conseil arbitral de la sécurité sociale en déduisit que la requérante avait récupéré les capacités de travail nécessaires lui permettant d’occuper un poste similaire à son dernier poste de travail exercé avant la décision de reclassement professionnel. Par jugement du 5 décembre 20183, il rejeta le recours de X comme n’étant pas fondé.

Par arrêt du 11 juillet 2019, le Conseil supérieur de la sécurité sociale fit droit à l’appel de X et décida, par réformation du jugement entrepris, que celle-ci n’avait pas récupéré les capacités de travail lui permettant d’occuper un poste similaire à son dernier poste de travail avant le reclassement professionnel, de sorte que l’indemnité d’attente était maintenue au-delà du 31 mars 2017.

Pour arriver à cette conclusion, le Conseil supérieur de la sécurité sociale analysa le rapport d’expertise de la manière suivante :

« Il convient de constater en premier lieu que l’expert V avait été chargée de la mission de vérifier si l’appelante avait récupéré les capacités de travail nécessaires lui permettant d’occuper un poste similaire à son dernier poste de travail avant la décision de reclassement, correspondant à sa qualification et son expérience professionnelle et générant un salaire comparable. L’expert a répondu de façon ambiguë à cette question. Le docteur V considère en effet que la requérante reste capable d’exercer une activité similaire à son dernier poste de travail, sous certaines restrictions, d’une part, quant à la durée de travail, et, d’autre part, quant à la position, quant à l’exposition à des vibrations et quant au port de charges lourdes. »4.

Il rappela ensuite « qu’un salarié, dont les capacités de travail sont réduites, n’est pas nécessairement invalide au sens de l’article 187 du code de la sécurité sociale, mais qu’un salarié dont les capacités de travail sont réduites par rapport à ce qu’elles étaient avant la décision de reclassement, ne peut pas être considéré comme ayant récupéré les capacités de travail nécessaires pour exécuter des tâches similaires à celles correspondant à son dernier poste de travail avant la décision de reclassement au sens de l’article IV des dispositions transitoires de la loi du 23 juillet 2015 concernant le reclassement externe. »5.

Concernant le cas d’espèce lui soumis, il en déduisit :

« La requérante était occupée en tant que « serveuse/dame de service polyvalente temps plein » avant son reclassement, suivant évaluation par l’Agence pour le développement de l’emploi du 25 janvier 2016. Suivant avenant au contrat de 3 Pièce n°4 de la farde de Maître PIERRET 4 Arrêt attaqué, page 4, alinéa 1er 5 Arrêt attaqué, page 4, alinéa 2 travail versé en cause, le temps de travail de l’appelante aurait été de trente heures hebdomadaires depuis le 22 septembre 2003.

L’expert n’a pas autrement précisé dans quelle mesure la requérante serait encore capable de reprendre cette activité ou une activité similaire. Cependant l’expert a retenu qu’une reprise de l’ancienne activité n’était envisageable que sous certaines restrictions (…).

Il en résulte clairement, du moins pour ce qui est de la restriction du temps de travail, de la position corporelle et du port de charges, que la requérante n’a pas récupéré les capacités de travail lui permettant de reprendre son ancienne activité d’avant son reclassement ou un poste similaire.

Dans ces conditions c’est à tort que les premiers juges ont admis que X avait récupéré les capacités de travail nécessaires lui permettant d’occuper un poste similaire à son dernier poste de travail avant la décision de reclassement professionnel. »6.

Le pourvoi est dirigé contre cet arrêt.

Quant au premier moyen de cassation :

« tiré de la violation de l’article IV de la loi du 23 juillet 2015 portant modification du Code du travail et du Code de la sécurité sociale concernant le dispositif du reclassement interne et externe, en ce que l’arrêt attaqué a considéré que l’intéressée n’a pas récupéré les capacités de travail lui permettant d’occuper un poste similaire à son dernier poste de travail avant le reclassement professionnel au motif que l’expert a retenu qu’une reprise de l’ancienne activité n’était envisageable que sous certaines restrictions, alors que la loi distingue entre l’hypothèse où l’intéressé est toujours incapable d’exercer son dernier poste et celle où il a récupéré les capacités de travail nécessaires lui permettant d’occuper un poste similaire à son dernier poste de travail, mais n’envisage pas l’hypothèse d’une aptitude avec des restrictions qui devrait être assimilée au maintien de l’incapacité.» Aux termes de son premier moyen, le demandeur en cassation reproche au Conseil supérieur de la sécurité sociale d’avoir à tort décidé, par réformation du jugement entrepris, que la requérante n’avait pas récupéré les capacités nécessaires pour occuper un poste similaire à son dernier poste de travail avant le reclassement professionnel. En effet, selon le moyen, la loi ne distinguerait que deux hypothèses, à savoir celle où le salarié a récupéré les capacités nécessaires pour occuper un poste similaire à son dernier 6 Arrêt attaqué, page 4, alinéas 3 à 6 travail et celle où il n’a pas récupéré lesdites capacités. En décidant qu’au vu des conclusions de l’expert, selon lequel l’intéressée pourrait à nouveau exercer un poste similaire à celui qu’elle avait exercé avant son reclassement, mais seulement à condition de respecter certaines restrictions et aménagements quant aux modalités d’exécution de ce travail, que la requérante n’avait pas récupéré les capacités de travail nécessaires, les magistrats d’appel auraient violé la loi, qui ne prévoirait pas une telle hypothèse.

Selon le demandeur en cassation, les magistrats d’appel auraient donc dû déduire des conclusions de l’expert que la requérante avait récupéré les capacités nécessaires à occuper un poste similaire à son dernier travail, même si certaines restrictions et aménagements quant aux modalités d’exécution du travail devraient être respectées.

En d’autres mots, une récupération conditionnelle des capacités de travail, non prévue par la loi, devrait forcément être assimilée à une récupération totale des capacités.

L’article IV de la loi du 23 juillet 2015 visée au moyen est rédigé de la manière suivante :

« Art. IV.

Les personnes bénéficiant d’une indemnité d’attente sont soumises à l’examen de réévaluation médicale visée à l’article L. 551-6, paragraphe 4 du Code du travail.

Les médecins mandatés par le directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi sont compétents pour procéder à ces examens de réévaluation médicale.

Le médecin compétent convoque et examine l’intéressé.

Si le médecin compétent constate que l’intéressé est toujours incapable d’exercer son dernier poste ou régime de travail, l’indemnité d’attente continue à être payée.

Le médecin compétent arrête dans son avis la périodicité endéans laquelle le salarié doit se soumettre à la réévaluation médicale visée à l’article L. 551-6, paragraphe 4 du Code du travail. La personne incapable d’exercer son dernier poste ou régime de travail acquiert le statut de personne en reclassement professionnel.

Si le médecin compétent constate que l’intéressé a récupéré les capacités de travail nécessaires lui permettant d’occuper un poste similaire à son dernier poste de travail avant la décision de reclassement professionnel, il saisit l’organisme de pension compétent qui décide la cessation du paiement de l’indemnité d’attente.

Cette décision prend effet après un préavis de douze mois qui commence à courir à la date de sa notification.

Toute personne qui se soustrait à l’examen de réévaluation médicale prévue ci-

dessus, se voit retirer l’indemnité d’attente par décision de l’organisme de pension compétent saisi par le médecin compétent. Cette décision prend effet à la date de sa notification.

Les examens médicaux prévus au présent article sont remboursés annuellement par l’Etat à l’Agence pour le développement de l’emploi. ».

Il est donc vrai, tel que le soutient le moyen, que la loi ne prévoit pas l’hypothèse d’une récupération des capacités de travail, assortie de restrictions. Selon la loi, soit le salarié a récupéré les capacités pour exercer son dernier poste de travail, soit il n’a pas récupéré ces capacités.

Or, loin de créer une catégorie non prévue par la loi, les magistrats d’appel ont décidé « qu’un salarié dont les capacités de travail sont réduites par rapport à ce qu’elles étaient avant la décision de reclassement, ne peut pas être considéré comme ayant récupéré les capacités de travail nécessaires pour exécuter des tâches similaires à celles correspondant à son dernier poste de travail avant la décision de reclassement au sens de l’article IV des dispositions transitoires de la loi du 23 juillet 2015 concernant le reclassement externe ».

Pour les juges d’appel, une récupération seulement partielle des capacités de travail équivaut donc à une absence de récupération de ces capacités, dès lors que la comparaison doit se faire in concreto, par rapport au dernier poste de travail occupé par le salarié avant la décision de reclassement, aux tâches et aux heures de travail qu’il comportait.

C’est donc sans violer la disposition légale visée au moyen que le Conseil supérieur de la sécurité sociale a décidé, par une appréciation des circonstances factuelles de la cause et des conclusions de l’expert, pouvoir qui lui est souverain et qui échappe au contrôle de Votre Cour, que l’actuelle défenderesse en cassation n’avait pas récupéré les capacités de travail nécessaires lui permettant d’occuper un poste similaire à son dernier poste de travail avant la décision de reclassement professionnel.

Il en suit que le moyen manque en fait, sinon qu’il n’est pas fondé.

Quant au deuxième moyen de cassation :

« tiré de la violation de l’article IV de la loi du 23 juillet 2015 portant modification du Code du travail et du Code de la sécurité sociale concernant le dispositif du reclassement interne et externe, en ce que l’arrêt attaqué, après avoir constaté que « l’expert a répondu de façon ambiguë» à la question qui lui a été posée et « qu’il n’a pas autrement précisé dans quelle mesure la requérante serait encore capable » de reprendre son activité antérieure ou une activité similaire, a tiré de l’expertise des conclusions opposées à celles retenues par l’expert en disant que l’intéressée n’a pas récupéré les capacités de travail nécessaires, alors que, en présence d’un rapport d’expertise qui conclut que l’intéressée a récupéré les capacités de travail nécessaires pour occuper un poste similaire à son dernier poste de travail, le juge, qui s’interroge sur certains développements de l’expertise, peut entendre l’expert, ordonner un complément d’expertise voire un autre expert, mais ne saurait tirer de l’expertise des conclusions opposées à celles retenues par l’homme de l’art. » Le deuxième moyen de cassation concerne le pouvoir d’interprétation d’un rapport d’expertise par le juge.

Il est dès lors surprenant que le moyen vise l’article IV de la loi du 23 juillet 2015 portant modification du Code du travail et du Code de la sécurité sociale concernant le dispositif du reclassement interne et externe.

Dans la partie consacrée aux développements du moyen, le demandeur en cassation explique à cet égard que « dans la procédure organisée à l’article IV de la loi du 23 juillet 2015 (…), l’expertise médicale ne constitue toutefois pas un moyen de preuve comme un autre, mais un examen de réévaluation médicale obligatoire »7.

Or, cette affirmation est erronée en ce qu’elle procède d’une confusion entre la notion d’examen de réévaluation médicale, prévue par la disposition visée au moyen, et celle d’expertise judiciaire.

En effet, la procédure instaurée par l’article IV précité prévoit effectivement un examen de réévaluation médicale obligatoire, mais celui-ci se situe en dehors et en amont de la procédure contentieuse dont d’abord le Conseil arbitral de la sécurité sociale et par la suite le Conseil supérieur de la sécurité sociale se trouvaient saisis. Cet examen de réévaluation médicale est ordonné pour tout salarié qui bénéficie d’une indemnité d’attente dans le cadre de la procédure de reclassement professionnel, afin de savoir s’il a ou non récupéré ses capacités de travail.

En l’espèce, des examens de réévaluation médicale concernant les capacités de travail de l’actuelle défenderesse en cassation avaient été ordonnés et exécutés en 20168. C’est sur base des conclusions de ces examens médicaux que le bénéfice de l’indemnité d’attente avait été retiré à l’intéressée, décision contre laquelle cette dernière avait exercé un recours devant les juridictions de la sécurité sociale.

Dans le cadre de ce litige, le Conseil arbitral de la sécurité sociale se voyait confronté à des conclusions médicales contradictoires, à savoir les examens de réévaluation médicale ordonnés en 2016, d’un côté, et les certificats médicaux établis par le médecin traitant de la requérante, de l’autre côté. Afin de recevoir un avis médical circonstancié sur la question de savoir si l’intéressée avait ou non récupéré les capacités de travail nécessaires pour pouvoir reprendre un poste de travail similaire à son dernier emploi, le 7 Mémoire en cassation, deuxième moyen, page 5, alinéa 2 8 Pièce n°15 de la farde de Maître Pierret Conseil arbitral de la sécurité sociale a ordonné une expertise judiciaire par jugement du 7 novembre 2017.

Par conséquent, puisqu’il s’agit bien d’une véritable expertise judiciaire, ordonnée par les magistrats du Conseil arbitral de la sécurité sociale en vertu des pouvoirs que leur accordent les règles de la procédure civile, et non pas de l’examen de réévaluation médicale prévu par la disposition visée au moyen, celle-ci est étrangère au grief invoqué, de sorte que le moyen est inopérant.

De plus, il s’y ajoute que l’appréciation de la valeur probante et de la portée d’une expertise relève du pouvoir souverain des juges du fond et échappe au contrôle de Votre Cour9.

Sous cet aspect, le moyen ne saurait être accueilli.

Quant au troisième moyen de cassation :

« tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution pour motif dubitatif, sinon insuffisance de motifs, constitutif d’un défaut de motifs, en ce que l’arrêt attaqué, pour dire que l’intéressée n’a pas récupéré les capacités de travail lui permettant d’occuper un poste similaire à son dernier poste de travail avant le reclassement professionnel, a considéré que « l’expert a répondu de façon ambiguë» et « n’a pas autrement précisé dans quelle mesure la requérante serait encore capable de reprendre cette activité ou une activité similaire », alors que le juge ne saurait fonder sa conviction sur des constatations factuelles revêtant un caractère dubitatif » Le troisième et dernier moyen de cassation fait grief au Conseil supérieur de la sécurité sociale d’avoir fondé sa décision sur un motif dubitatif, en ce qu’il se serait basé sur le rapport d’expertise, tout en estimant que « l’expert a répondu de façon ambiguë à cette question » et que « l’expert n’a pas autrement précisé dans quelle mesure la requérante serait encore capable de reprendre cette activité ou une activité similaire », en adoptant de surcroît une conclusion contraire à celle de l’expert.

Le motif dubitatif est l’une des formes que peut revêtir le grief de l’absence de motivation. Il s’agit donc d’un vice de forme de l’arrêt attaqué10.

Ainsi, est considérée comme dubitative, toute expression par laquelle le juge marque un doute, une hésitation sur un point de fait essentiel à la solution du litige, qui exigerait 9 Voir, p.ex. Cass 24 mars 2016, n°36716, n°3622 du registre 10 J. et L. BORE, La cassation en matière civile, DALLOZ, éd. 2015/2016, n° 77.140, p.414 une affirmation catégorique pour que le dispositif de la décision fût justifié11. Toutefois, il est de règle que l’expression dubitative ne vicie pas l’arrêt lorsque d’autres énonciations de celui-ci démontrent le caractère affirmatif de la pensée du juge12.

En l’espèce, les magistrats écrivent certes que « l’expert a répondu de façon ambiguë »13à la question qui lui a été posée par les premiers juges, à savoir celle de savoir si l’appelante avait récupéré les capacités de travail nécessaires lui permettant d’occuper un poste similaire à son dernier poste de travail avant la décision de reclassement.

Ils exposent ensuite cette contradiction apparente dans les termes suivants :

« Le docteur V considère en effet que la requérante reste capable d’exercer une activité similaire à son dernier poste de travail, sous certaines restrictions, d’une part, quant à la durée de travail, et, d’autre part, quant à la position, quant à l’exposition à des vibrations et quant au port de charges lourdes. »14.

Après avoir rappelé qu’un salarié dont les capacités de travail sont réduites par rapport à ce qu’elles étaient avant la décision de reclassement ne peut pas être considéré comme ayant récupéré les capacités de travail nécessaires pour exécuter des tâches similaires à celles correspondant à son dernier poste de travail, ils en concluent :

« La requérante était occupée en tant que « serveuse/dame de service polyvalente temps plein » avant son reclassement (…).

L’expert n’a pas autrement précisé dans quelle mesure la requérante serait encore capable de reprendre cette activité ou une activité similaire. Cependant l’expert a retenu qu’une reprise de l’ancienne activité n’était envisageable que sous certaines restrictions (« Frau X ist medizinisch in der Lage, einer körperlich leichten bis mittelschweren Tätigkeit von vier Stunden und mehr mit geregelten Arbeitszeiten nachzugehen. Arbeiten mit ständigem schwerem Heben und Tragen, eine überwiegend monotone Körperhaltung oder Vibrationsexpositionen sollten vermieden werden »). »15.

Il en découle que loin de fonder leur décision de réformer le jugement entrepris et de retenir que l’actuelle défenderesse en cassation n’a pas récupéré les capacités de travail nécessaires sur un motif dubitatif, les magistrats d’appel justifient leur décision sur base de leur analyse circonstanciée des conclusions de l’expert, dont ils retiennent justement la partie des conclusions qui leur paraît claire et formelle.

Le moyen n’est donc pas fondé.

11 Idem, n°77.142, p.414 12 Idem, n°77.145, p.415 13 Arrêt attaqué, page 4, alinéa 1er 14 Arrêt attaqué, page 4, alinéa 1er 15 Arrêt attaqué, page 4, alinéas 3 et 4 En réalité, sous le couvert du vice tiré du motif dubitatif, équivalant à une absence de motifs, le moyen ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine par les juges du fond de la valeur probante et de la portée d’un rapport d’expertise, qu’ils ne sont par ailleurs pas astreints de suivre, et dont le contrôle échappe à votre Cour16.

Sous cet aspect, le moyen ne saurait être accueilli.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais non fondé.

Pour le Procureur général d'Etat, le premier avocat général Simone FLAMMANG 16 J. et L. BORE, ouvrage précité, n°64.101, p.293 14


Synthèse
Numéro d'arrêt : 120/20
Date de la décision : 08/10/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2020-10-08;120.20 ?

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