N° 59 / 2019 du 04.04.2019. Numéro CAS-2018-00022 du registre. Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, quatre avril deux mille dix-neuf. Composition: Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation, Carlo HEYARD, conseiller à la Cour de cassation, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Serge WAGNER, premier avocat général, Viviane PROBST, greffier à la Cour.
Entre:
X, demeurant à (…), demandeur en cassation, comparant par Maître Claude SCHMARTZ, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu,
et: Y, demeurant à (…), défenderesse en cassation, comparant par Maître Nathalie BARTHELEMY, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu. -----------------------------------------------------------------------------------------------------
LA COUR DE CASSATION :
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Vu l’arrêt attaqué, numéro 43/18, rendu le 28 février 2018 sous le numéro
44853 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, première chambre, siégeant en matière civile ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 16 mai 2018 par X à Y, déposé le 18
mai 2018 au greffe de la Cour ; Vu le mémoire en réponse signifié le 5 juillet 2018 par Y à X, déposé le 11
juillet 2018 au greffe de la Cour ; Vu le nouveau mémoire, dénommé « mémoire en réponse », signifié le 2
octobre 2018 par X à Y, déposé le 3 octobre 2018 au greffe de la Cour ; Sur le rapport du conseiller Romain LUDOVICY et sur les conclusions du
premier avocat général Marie-Jeanne KAPPWEILER ; Sur les faits : Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le tribunal d’arrondissement de
Luxembourg, statuant dans le cadre de difficultés de liquidation de l’indivision existant entre les parties, avait constaté qu’une convention conclue entre parties le 29 juillet 2009, aux termes de laquelle X cédait à Y la moitié indivise en pleine propriété d’une maison d’habitation sise à Luxembourg « en paiement de ses droits consistant en avances faites par elle moyennant fonds propres dans les diverses acquisitions de la communauté dont moitié pour compte de son mari, en application de l’article 1595 point 1 du Code civil », constituait une dation en paiement devant s’analyser en une vente valable au regard de l’article 1595, alinéa 2, du Code civil, avait reconnu à la convention un caractère translatif de propriété et avait déclaré la demande de X en licitation de l’immeuble faisant l’objet de la convention irrecevable pour défaut de qualité à agir dans le chef du demandeur ; que la Cour d’appel a confirmé le jugement entrepris ;
Sur les cinq moyens de cassation réunis : premier moyen, « tiré de la violation de la loi, in specie de l'article 1595
du Code civil, tel qu'il était en vigueur avant la loi du 4 juillet 2014, en ce que l'arrêt N° 43/18 - I - CIV rendu en date du 28 février 2018 par la
1ère chambre de la Cour d'appel de et à Luxembourg, confirmant le jugement n° 136/2017, préqualifié, a retenu que le document signé entre parties en date du 29 juillet 2009 serait à analyser comme << constituant une dation en paiement (= prévue à l'alinéa 2 de l'article 1595 du Code civil, tel qu'il était en vigueur avant la loi du 4 juillet 2014) devant s'analyser en une vente, valable sous condition de remplir les critères de validité prévus par les textes légaux et notamment par l'article 1595 du Code civil, ce texte s'appliquant, contrairement aux arguments
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développés par l'appelant, même lorsque les époux ne sont pas séparés judiciairement >>,
alors que l'article 1595 du Code civil, tel qu'il était en vigueur avant la loi
du 4 juillet 2014, et prévoyant que << Le contrat de vente ne peut avoir lieu entre époux que dans les trois cas
suivants : 1° celui où l'un des deux époux cède des biens à l'autre, séparé
judiciairement avec lui, en paiement de ses droits ; 2° celui où la cession que le mari fait à sa femme, même non séparée, a une
cause légitime, telle que le remploi des immeubles aliénés, ou de deniers à elle appartenant, si ces immeubles ou deniers ne tombent pas en communauté ;
3° celui où la femme cède des biens à son mari en paiement d'une somme
qu'elle lui aurait promise en dot, et lorsqu'il y a exclusion de communauté. Sauf, dans ces trois cas, les droits des héritiers des parties contractantes,
s'il y a avantage indirect >>, ne permet pas la vente entre époux faisant l'objet d'une séparation de biens
contractuelle. » ; deuxième moyen, « tiré de la violation de la loi, in specie de l'article 1326
du Code civil, en ce que l'arrêt attaqué, préqualifié, confirmant le jugement n° 136/2017,
préqualifié, a retenu que << (...) la vente consentie entre époux en application de l'article 1595, alinéa 2, du Code civil n'est valable qu'à condition qu'elle ait une cause légitime ce qui sous-entend que la dette doit être certaine, il reste que lorsque la cession prend, comme en l'occurrence, son fondement dans une reconnaissance de dette signée entre parties, il appartient au souscripteur de la reconnaissance de dette soutenant que la reconnaissance est fausse, de le prouver (...) >>,
alors que l'indication que l'époux cède << (...) en payement de ses droits
consistant en avances faites par elle (= l'épouse) moyennant fonds propres dans les diverses acquisitions de la communauté dont pour moitié pour compte de son mari >> n'est pas à considérer comme une reconnaissance de dette au regard de l'article 1326 du Code civil qui dispose que :
<< L'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à
lui payer une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention de la somme ou de la quantité en toutes lettres. Cette mention doit être écrite de sa main ou être revêtue spécifiquement d'une signature électronique ; si elle est indiquée également en chiffres, en cas de différence, l'acte sous seing
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privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres, à moins qu'il ne soit prouvé de quel côté est l'erreur >> » ;
troisième moyen, « tiré de la violation de la loi, in specie de l'article 1595,
alinéa 2, du Code civil tel qu'il était en vigueur avant la loi du 4 juillet 2014, en ce que l'arrêt attaqué, préqualifié, a décidé que << (...) la vente
consentie entre époux en application de l'article 1595, alinéa 2, du Code civil n'est valable qu'à condition qu'elle ait une cause légitime ce qui sous-entend que la dette doit être certaine, il reste que lorsque la cession prend, comme en l'occurrence, son fondement dans une reconnaissance de dette signée entre parties, il appartient au souscripteur de la reconnaissance de dette soutenant que la reconnaissance est fausse, de le prouver >>,
alors que l'ancien article 1595, alinéa 2, du Code civil disposant que : << Le contrat de vente ne peut avoir lieu entre époux que dans les trois cas
suivants : 1° (...) 2° celui où la cession que le mari fait à sa femme, même non séparée, a une
cause légitime, telle que le remploi des immeubles aliénés, ou de deniers à elle appartenant, si ces immeubles ou deniers ne tombent pas en communauté.
3° (...) >>, exige une cause légitime, non donnée et non établie en l'espèce. » ; quatrième moyen, « tiré de la violation des dispositions de l'article 89 de
la Constitution, en ce que l'arrêt, préqualifié, a retenu qu'il << aurait suffi (à la partie
demanderesse en cassation) de rapporter la preuve contraire du fait négatif, à savoir la preuve que l'acquisition de l'immeuble litigieux a été entièrement financée par des deniers communs >>,
alors qu'aux termes de l'article 89 de la Constitution, tout jugement doit être
motivé, que la dénaturation (les époux X-Y étaient mariés sous le régime
matrimonial de la séparation de biens où il n'y a pas de deniers communs) par un tribunal de faits clairs et établis pour chacune des parties équivaut à un défaut de motivation. » ;
cinquième moyen, « tiré de la violation de la loi, in specie de la violation
de l'article 58 du Nouveau code de procédure civile,
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en ce que l'arrêt attaqué, préqualifié, a décidé que la preuve à rapporter << n'est pas non plus une preuve impossible de faire, puisqu'il aurait suffi de rapporter la preuve contraire du fait négatif >>,
alors que l'article 58 du Nouveau code de procédure civile précise qu'<< Il
incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention >>,
mais qu'aucune preuve que pouvait, respectivement pourrait, rapporter
Monsieur X ne lui aurait permis, respectivement lui permettrait, d'établir l'absence d'avances faites par Madame Y,
et qu'eu égard au principe de la prohibition des ventes entre époux, il
appartenait à la partie qui invoquait la validité d'une telle vente de démontrer que celle-ci entrait dans l'une des trois exceptions limitativement admises par l'article 1595 du Code civil. » ;
Attendu que les cinq moyens de cassation ont pour objet différents griefs
faits aux juges d’appel en rapport avec l’application de l’article 1595 du Code civil, tel qu’il était en vigueur avant la loi du 4 juillet 2014 qui l’a abrogé, et tendent à voir dire que les juges d’appel ont décidé à tort, en violation des dispositions légales visées aux moyens, que la convention conclue entre parties n’était pas nulle pour constituer une vente entre époux prohibée par l’article 1595 du Code civil ;
Attendu que la défenderesse en cassation conclut que l’article 1595 du Code
civil ne saurait être appliqué au présent litige pour avoir été déclaré contraire à l’article 10bis de la Constitution par un arrêt de la Cour constitutionnelle du 8 janvier 2010 ;
Attendu que ce moyen est d’ordre public et que le demandeur en cassation a
conclu quant au moyen dans son nouveau mémoire déposé au greffe de la Cour le 3 octobre 2018 ;
Attendu que par arrêt numéro 00051 du 8 janvier 2010, la Cour
constitutionnelle a « dit que l’article 1595 du Code civil est contraire à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution » ;
Attendu que l’article 6, alinéa 1, de la loi du 27 juillet 1997 portant
organisation de la Cour constitutionnelle dispose que lorsqu’une partie soulève une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution devant une juridiction de l’ordre judiciaire ou administratif, celle-ci est tenue de saisir la Cour constitutionnelle ; que le même article dispose en son alinéa 2, c), que la juridiction est dispensée de saisir la Cour constitutionnelle lorsqu’elle estime que la Cour constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet ;
Attendu que la disposition précitée de l’article 6, alinéa 2, implique que la
juridiction qui est dispensée de saisir la Cour constitutionnelle est tenue de respecter l’arrêt rendu par cette dernière sur la question de conformité de la loi à la Constitution qui se pose devant elle ;
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Attendu qu’eu égard à l’arrêt précité de la Cour constitutionnelle, selon lequel l’article 1595 du Code civil, qui, tel qu’il était en vigueur avant son abrogation par la loi du 4 juillet 2014, régissait la convention entre parties, était contraire à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution, cet article ne peut trouver application dans le présent litige ;
Attendu que par ce motif de pur droit, substitué à ceux, erronés, des juges
d’appel et rendant les moyens de cassation sans objet, la décision déférée se trouve légalement justifiée ;
Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure : Attendu qu’il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en
cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens ; qu’il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.500 euros ;
Par ces motifs, rejette le pourvoi ; condamne le demandeur en cassation à payer à la défenderesse en cassation
une indemnité de procédure de 2.500 euros ; condamne le demandeur en cassation aux dépens de l’instance en cassation
avec distraction au profit de Maître Nathalie BARTHELEMY, sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur le président Jean-Claude WIWINIUS, en présence de Monsieur Serge WAGNER, premier avocat général, et de Madame Viviane PROBST, greffier à la Cour.