N° 11 / 2019 du 17.01.2019.
Numéro 4064 du registre.
Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-sept janvier deux mille dix-neuf.
Composition:
Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation, Carlo HEYARD, conseiller à la Cour de cassation, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Serge WAGNER, premier avocat général, Viviane PROBST, greffier à la Cour.
Entre:
la société anonyme SOC1), établie et ayant son siège social à (…), représentée par son conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), demanderesse en cassation, comparant par la société anonyme ELVINGER HOSS PRUSSEN, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître Jean HOSS, avocat à la Cour, et:
1) X, demeurant à (…), 2) la société anonyme SOC2), ayant été établie et ayant eu son siège social à (…), représentée par son conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), actuellement sans siège social ni lieu d’établissement connus, défendeurs en cassation.
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LA COUR DE CASSATION :
1 Vu l’arrêt attaqué, numéro 106/2017, rendu le 24 mai 2017 sous le numéro 42970 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, deuxième chambre, siégeant en matière civile ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 16 février 2018 par la société anonyme SOC1) à X et à la société anonyme SOC2), déposé le 23 février 2018 au greffe de la Cour ;
Sur le rapport du conseiller Eliane EICHER et sur les conclusions du premier avocat général Marie-Jeanne KAPPWEILER ;
Sur les faits :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que X, administrateur délégué de la société anonyme SOC3), avait été condamné du chef d’abus de biens sociaux pour avoir effectué, par « e-banking », quatre virements du compte courant ouvert au nom de la société dans les livres de la SOC1) au profit de la société SOC2) et avait été acquitté du chef de fraude informatique ; que le montant total viré dépassait de loin le solde du compte courant ; que le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, avait déclaré non fondée la demande en condamnation au paiement du susdit montant et en validation d’une saisie-arrêt dirigée par la SOC1) contre la société SOC2) et X ; que la Cour d’appel a confirmé le jugement de première instance ;
Sur le premier moyen de cassation :
« a) tiré 1. de la violation des articles 1131, 1133, 1984, 1991 et 1992 du Code civil (1ère branche), 2. de la violation de l'article 60 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales et (2e branche), b) en ce que l'arrêt attaqué a considéré que tribunal d'arrondissement a retenu que le débiteur de la banque est bien la société SOC3) et non X en nom personnel » (page 7, alinéa 5, de l'arrêt dont cassation, soulignement ajouté), c) aux motifs que :
virements n'émaneraient pas du titulaire du compte de la société SOC3). Cette 2dernière en sa qualité de personne morale agit forcément par l'intermédiaire de son représentant légal. Or il n'est pas contesté que X a eu la qualité d'administrateur de la société et a eu de ce chef qualité pour engager la société SOC3) » (deuxième alinéa sous , page 5 de l'arrêt dont cassation, soulignement ajouté), et que exploitant une faille du système informatique de la banque, le préjudice lié à cette faute est né dans le chef de la société SOC3), responsable du découvert non autorisé à l'égard de la banque et non dans le chef de la banque, dont le préjudice n'est apparu que par suite de l'insolvabilité de la société SOC3) et de sa mise en faillite laquelle a définitivement compromis toute régularisation de son solde débiteur auprès de la banque » (page 7, alinéa 3, de l'arrêt dont cassation, soulignement ajouté), d) alors cependant que :
première branche :
X était un administrateur d’SOC3) S.A. ; il en était aussi un administrateur-
délégué.
Les relations entre un administrateur et la société anonyme ainsi que celles entre un administrateur-délégué et la société anonyme sont régies par les règles du mandat.
L'article 1984 du Code civil définit le mandat comme une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom. » D'après l'article 1991 du même Code, et l'article 1992 prévoit que . A l'instar de tout autre contrat, le mandat doit avoir un objet et une cause licites. A ce titre, l'article 1131 du Code civil () et 1133 du même Code () s'appliquent au mandat conféré par une société anonyme à un administrateur ou administrateur-délégué.
même, la procuration donnée à cette fin est considérée comme étant, elle aussi, illicite, par son objet ou par sa cause. Il va de soi que le mandat de trouver une personne pouvant se charger d'assassiner un tiers (…) est sans valeur juridique».
Un mandat ne peut donc avoir un objet ou une cause illicite. Un tel mandat est frappé de nullité absolue. .
3Ainsi le mandat liant SOC3) S.A. à X en sa qualité soit d'administrateur soit d'administrateur-délégué ne peut pas avoir englobé des actes considérés comme une infraction pénale un abus de biens sociaux en application de l'article 171-1 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, à l'instar de ceux effectués par X le 2 février 2007, visant à sciemment et volontairement fausser le système informatique d'une banque afin de procéder à des virements, qui plus est à une société dont X est l'actionnaire unique, alors que le solde du compte courant de la société anonyme ne permettait pas d'effectuer légalement de tels virements. X étant, sans aucun doute, de mauvaise foi, il ne peut se prévaloir de son mandat d'administrateur ou d'administrateur-délégué de SOC3) S.A.
Par voie de conséquence, SOC3) S.A. ne peut pas avoir été engagée par les actes illégaux ou du moins illicites de son administrateur-délégué, X.
En considérant que X a néanmoins engagé SOC3) S.A. par les quatre ordres de virement effectués le 2 février 2007 par suite d'une manipulation frauduleuse du système de la SOC1) S.A., la Cour d'appel a violé les articles 1131, 1133, 1984, 1991 et 1992 du Code civil.
seconde branche :
X était administrateur-délégué de SOC3) S.A.
Certes la Cour d'appel a considéré que eu la qualité d'administrateur de la société et a eu de ce chef qualité pour engager la société SOC3) ». Il doit s'agir d'une erreur de plume et la Cour d'appel a en fait voulu renvoyer à la qualité d'administrateur-délégué de X, dans la mesure où d'après l'article 9 des statuts de SOC3) S.A. un administrateur seul ne peut engager cette société.
L'article 60 de la loi du 10 août 1915 dispose que des affaires de la société ainsi que la représentation de la société, en ce qui concerne cette gestion, peuvent être délégués à un ou plusieurs administrateurs, directeurs, gérants et autres agents, associés ou non, agissant seuls ou conjointement. » Dans un arrêt du 17 septembre 1968, la Cour de cassation belge a considéré que la gestion journalière vise les actes . Fonction d'une appréciation in concreto de la situation en fonction de l'objet social de la société, .
Les quatre ordres de virement effectués le 2 février 2007 par X par suite d'une manipulation frauduleuse du système de la SOC1) S.A. ne peuvent manifestement pas être considérés comme rentrant dans le champ de la 4gestion journalière de SOC3) S.A., alors qu'il ne s'agit nullement d'actes posés en application d'une décision ou directive prise par le conseil d'administration de SOC3) S.A. ni d'actes de moindre importance nécessitant une ni, enfin relevant de la vie quotidienne de SOC3) S.A.
Par conséquent, en considérant que X a néanmoins engagé SOC3) S.A. en sa qualité d'administrateur-délégué, la Cour d'appel a violé l'article 60 de la loi précitée du 10 août 1915.
e) Et par conséquent, la Cour d'appel aurait abouti à la conclusion nécessaire que :
(i) X n'avait pas qualité pour engager SOC3) S.A. en sa qualité d'administrateur ou d'administrateur-délégué, (ii) SOC3) S.A. n'était donc pas engagée par les actes frauduleux commis par X, (iii) au regard de SOC3) S.A., ces ordres de virement étaient nuls et SOC3) S.A. ne pouvait pas être de son compte courant auprès de la SOC1) S.A., (iv) le débiteur de la SOC1) S.A. n'était pas la société SOC3) S.A., mais X en nom personnel et le bénéficiaire des virements, la société de X, SOC2) S.A., et (v) la SOC1) S.A. était en droit de demander remboursement du montant correspondant à ces quatre ordres de virement (88.500 euros) à X et à SOC2) S.A., qui a reçu un paiement indu sujet à répétition. » ;
Sur la première branche du moyen :
Attendu qu’aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation un moyen ou un élément de moyen ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture ;
Attendu que le moyen articule, en sa première branche, la violation des articles 1131 et 1133 du Code civil, visant la nullité pour cause illicite du mandat entre la société SOC3) et l’administrateur délégué X, la violation de l’article 1984 du Code civil relatif à la définition du mandat, la violation de l’article 1991 du Code civil relatif aux obligations du mandataire et à sa responsabilité en cas d’inexécution du mandat, et la violation de l’article 1992 du Code civil relatif à la responsabilité du mandataire en cas de dol ou en cas de fautes commises dans sa gestion, textes dont l’application suppose l’existence d’un mandat valable, donc plusieurs cas d’ouverture distincts ;
5 Qu’il en suit que le moyen, pris en sa première branche, est irrecevable ;
Sur la seconde branche du moyen :
Attendu qu’il ne résulte ni de l’arrêt attaqué ni d’aucun autre élément de la cause à laquelle la Cour de cassation peut avoir égard que la demanderesse en cassation, qui avait fait valoir que les ordres de virement faisant l’objet du litige n’émanaient pas du titulaire du compte de la société SOC3), ait invoqué le dépassement, par l’administrateur délégué X, du champ de la gestion journalière des affaires de la société ;
Que le moyen est partant nouveau et, en ce qu’il comporterait un examen des circonstances de fait, mélangé de fait et de droit ;
Qu’il en suit que le moyen, pris en sa seconde branche, est irrecevable ;
Sur le second moyen de cassation :
« a) tiré de la violation des articles 1927, 1932, alinéa 2, 1937, 544 et 1376 du Code civil ;
b) en ce que l'arrêt attaqué a considéré que tribunal d'arrondissement a retenu que le débiteur de la banque est bien la société SOC3) et non X en nom personnel » (page 7, alinéa 5, de l'arrêt dont cassation, soulignement ajouté), c) aux motifs que :
exploitant une faille du système informatique de la banque, le préjudice lié à cette faute est né dans le chef de la société SOC3), responsable du découvert non autorisé à l'égard de la banque et non dans le chef de la banque, dont le préjudice n'est apparu que par suite de l'insolvabilité de la société SOC3) et de sa mise en faillite laquelle a définitivement compromis toute régularisation de son solde débiteur auprès de la banque » (page 7, alinéa 3, de l'arrêt dont cassation, soulignement ajouté), d) alors cependant que :
le contrat de dépôt de fonds en banque est un contrat de dépôt irrégulier ou sui generis en application duquel la propriété de la chose déposée est transférée au dépositaire (la SOC1) S.A.) et le déposant (SOC3) S.A.) ne dispose que d'un droit de créance sur cette chose. Ainsi la charge des risques est transférée sur le dépositaire.
En application de l'article 1932, alinéa 2, du Code civil, sommes monnayées doit être rendu dans les mêmes espèces qu'il a été fait ». La 6SOC1) S.A. est donc débitrice d'une obligation de restitution envers son client SOC3) S.A. et cela même si le contrat de dépôt de fonds en banque n'est pas considéré comme un contrat de dépôt irrégulier (quod non).
Cette obligation de restitution prévue aux articles 1937 et 1932, alinéa 2, du Code civil et l'obligation de garde et de surveillance qui en est le corollaire exigent que le dépositaire prenne toutes les mesures nécessaires pour protéger la chose déposée (article 1927 du Code civil), dans la mesure où un paiement fait à une personne qui n'est pas celui qui a qualité pour le recevoir n'est pas libératoire.
Par conséquent, le dépositaire doit pouvoir être en mesure, comme propriétaire de la chose déposée et afin de satisfaire, le moment venu, à son obligation de restitution, d'agir contre tous ceux qui ont reçu payement des fonds qu'ils n'auraient jamais dû recevoir et qui ont effectué ces virements, en l'espèce respectivement SOC2) S.A. et X. La SOC1) S.A. doit pouvoir obtenir restitution de ces derniers des fonds dont elle est propriétaire et au regard desquels elle est titulaire d'une obligation de restitution.
Dès que les fonds ont été transférés à SOC2) S.A. par les manipulations de X, la SOC1) S.A. a subi un préjudice. La justification de ce préjudice est double :
la SOC1) S.A. était à l'époque des faits propriétaire de ces fonds et, si elle devait remplir son obligation de restitution à l'égard d’SOC3) S.A., ces fonds seraient manquants.
En considérant que SOC3) S.A. a seule souffert du préjudice lié aux manœuvres frauduleuses de X et que le préjudice souffert par la SOC1) S.A. ne s'est concrétisé qu'au moment de l'insolvabilité d’SOC3) S.A., la Cour d'appel a violé les articles 1927, 1932, alinéa 2, 1937 et 544 du Code civil.
Il s'y ajoute que, puisque le découvert découlant des manœuvres frauduleuses de X n'a pas été autorisé par la SOC1), comme le relève à juste titre la Cour d'appel dans son arrêt du 24 mai 2017, la Cour d'appel a encore violé les articles 544 et 1376 du Code civil. En effet, les fonds virés par X à SOC2) S.A.
(88.500 euros) dépassent de loin le solde du compte d’SOC3) S.A. (436,39 euros).
Dans ce cas, le surplus appartient en propre à la SOC1) comme propriétaire à part entière (article 544 du Code civil) et il n'est pas l'objet d'une obligation de restitution. La SOC1) S.A. a le droit le plus fondamental de prendre toute mesure et d'intenter une action en justice pour le recouvrement de ce surplus contre SOC2) S.A. et X en se fondant sur l'article 1376 du Code civil. Comme si elle était tenue d'une obligation de restitution (voir ci-dessus), le préjudice subi par la SOC1) S.A.
n'est donc pas né au moment de l'insolvabilité d’SOC3) S.A., mais au moment où X a transféré 88.500 euros à sa société.
Partant, en considérant que SOC3) a seule souffert du préjudice lié aux manœuvres frauduleuses de X et que le préjudice souffert par la SOC1) S.A. ne s'est concrétisé qu'au moment de l'insolvabilité d’SOC3) S.A., la Cour d'appel a violé les articles 544 et 1376 du Code civil.
f) Et par conséquent, la Cour d'appel aurait abouti à la conclusion nécessaire que la SOC1) S.A. avait un droit propre à demander remboursement du 7montant correspondant aux quatre ordres de virement (88.500 euros) à X et à SOC2) S.A. » ;
Attendu qu’aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation un moyen ou un élément de moyen ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture ;
Attendu que le moyen articule la violation de l’article 1927 du Code civil relatif aux soins à apporter par le dépositaire à la chose déposée, la violation des articles 1932 et 1937 du Code civil relatifs à l’obligation du dépositaire de restituer la chose, la violation de l’article 544 du Code civil relatif à la propriété et la violation de l’article 1376 du Code civil relatif à la répétition de l’indu, donc plusieurs cas d’ouverture distincts ;
Qu’il en suit que le moyen est irrecevable ;
Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure :
Attendu que la demanderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter ;
Par ces motifs, rejette le pourvoi ;
rejette la demande de la demanderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne la demanderesse en cassation aux dépens de l’instance en cassation.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur le président Jean-Claude WIWINIUS, en présence de Monsieur Serge WAGNER, premier avocat général, et de Madame Viviane PROBST, greffier à la Cour.