N° 114 / 2018 pénal.
du 29.11.2018.
Not. 2727/15/XD Numéro 4036 du registre.
La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg, formée conformément à la loi du 7 mars 1980 sur l'organisation judiciaire, a rendu en son audience publique du jeudi, vingt-neuf novembre deux mille dix-huit, sur le pourvoi de :
X, né le (…) à (…), demeurant à (…), prévenu, demandeur en cassation, comparant par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, en présence du Ministère public, l’arrêt qui suit :
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LA COUR DE CASSATION :
Vu l’arrêt attaqué, rendu le 14 novembre 2017 sous le numéro 430/17 par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, cinquième chambre, siégeant en matière correctionnelle ;
Vu le pourvoi en cassation formé par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, au nom de X, suivant déclaration du 13 décembre 2017 au greffe de la Cour supérieure de justice ;
Vu le mémoire en cassation déposé le 12 janvier 2018 par X au greffe de la Cour ;Sur le rapport du président Jean-Claude WIWINIUS et sur les conclusions du premier avocat général Simone FLAMMANG ;
Sur les faits :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le tribunal d’arrondissement de Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, avait condamné X du chef de deux attentats à la pudeur à une peine d’emprisonnement assortie du sursis intégral et à une amende ; que la Cour d’appel, par un premier arrêt du 21 mars 2017, a ordonné, avant tout autre progrès en cause, une expertise psychiatrique sur la personne de X ; que par arrêt du 14 novembre 2017, elle a réformé le jugement entrepris en requalifiant l’un des attentats à la pudeur reprochés au prévenu en outrage public aux bonnes mœurs et a confirmé la condamnation du chef de l’autre attentat à la pudeur ;
qu’elle a ramené la peine, par application de l’article 71-1 du Code pénal, à un emprisonnement de neuf mois, assorti du sursis probatoire intégral ; qu’en outre, elle a prononcé à l’égard de X l’interdiction à vie des droits énoncés aux numéros 1, 3, 4, 5 et 7 de l’article 11 du Code pénal, tout en confirmant pour le surplus le jugement entrepris ;
Sur le premier moyen de cassation :
« tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution et de l’article 6 § 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, La motivation des décisions judiciaires, surtout en instance d'appel, doit permettre au justiciable, en l'occurrence au prévenu, de comprendre le sens et la portée de l'arrêt, mais encore les motifs qui justifient la décision et la peine, et ce de façon non équivoque.
L'arrêt aurait dû clairement exprimer son raisonnement en droit par rapport à la peine prononcée.
Toute peine correctionnelle doit être motivée au regard de la gravité des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle.
Selon l'auteur Michel FRANCHIMONT, que le rôle principal, sinon unique, du juge répressif était de protéger la société contre les agissements criminels de ceux qui troublaient l'ordre social établi.
Actuellement, tout en ne méconnaissant pas cet impératif, on souligne la maison éducatrice de la Justice, éducatrice pour les masses par le caractère exemplatif de ses jugements, mais aussi et surtout pour le délinquant qu'il faut tenter.
Il viendra un temps où à côté de cette double mission, on n'insistera davantage sur un autre aspect : défendre l'individu contre l’Etat tout puissant ».
C'est sans doute le rôle du pouvoir législatif, mais aussi la mission du juge.
2 Dans trois arrêts (Cass. crim., 1er févr. 2017, n° 15-84.511, Cass. crim., 1er févr. 2017, n° 15-85.199, Cass. crim., 1er févr. 2017, n° 15-83.984), la chambre criminelle française opère un contrôle particulièrement important sur la motivation de la sanction, ce qui invitera vraisemblablement les plaideurs à contester plus souvent l'opportunité des peines prononcées (JCI. Pénal Code, synthèse 10 ; JCI. Pénal Code, synthèse 50).
Suivant un arrêt de la Cour de Cassation belge, justifiée la décision de condamnation qui se limite à considérer la peine prononcée en instance comme légale et en relation avec les faits commis lorsque la peine n'a pas été motivée en instance » (Cass. belge, 14 décembre 1988, Pas., 1989, I, p.
418).
L'appréciation de la nature et du degré de la sanction est souveraine, dans les limites fixées par la loi pénale et par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, pourvu qu'elle soit objective, c'est-à-dire en adéquation avec la gravité des infractions déclarées établies (Cass. b., 24 octobre 1997, Pas., 1997, I, p. 1070 ; Cass. b., 12 novembre 1996, Pas., 1996, I, p. 1101) et le degré de culpabilité individuelle du prévenu, et respectueuse de la liberté de défense dont bénéficie le prévenu (Cass. b., 14 avril 1987, Pas., 1987, I, p. 982 ;
Cass. b., 13 août 1986, Pas., 1986, I, p. 1367).
Dans cet ordre d'idées, la motivation des décisions judiciaires, surtout en instance d'appel, ne doit pas seulement permettre au prévenu de comprendre le sens et la portée de l'arrêt, mais encore les motifs qui justifient la décision, et bien évidemment la peine, et ce de façon non équivoque.
Dans les conditions données, la motivation est à tel point lacunaire qu'elle doit être assimilée à une décision non motivée puisque de par sa présentation, elle ne permet pas de remplir la fin de l'article 89 de la Constitution et celle de l'article 6 § 1er la Convention européenne des droits de l'homme.
L'arrêt attaqué doit encourir la sanction de la cassation. » Attendu que l’article 89 de la Constitution et, sous ce rapport, l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, visent le défaut de motifs, qui est un vice de forme ;
Attendu qu’une décision judiciaire est régulière en la forme, dès qu’elle comporte un motif, exprès ou implicite, sur le point considéré ;
Attendu qu’il résulte de la lecture de l’arrêt attaqué que la Cour d’appel a motivé l’application des sanctions retenues à l’égard du demandeur en cassation ;
Qu’il en suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le second moyen de cassation :
« tiré de la violation de l’article 11 du Code pénal en combinaison avec l’article 14 de la Constitution et de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, Aux termes de l'article 378 alinéa 1er du Code pénal, seront condamnés à l'interdiction des droits énoncés aux numéros 1, 3, 4, 5 et 7 de l'article 11 du Code pénal », ce dans les cas prévus par le chapitre ayant trait à l'attentat à la pudeur et au viol.
Aux termes de l'article 11 du Code pénal, condamnation à la réclusion de plus dix ans prononce contre le condamné l'interdiction à vie du droit :
1) de remplir des fonctions, emplois ou offices publics ;
2) de vote, d'élection, d'éligibilité ;
3) de porter aucune décoration ;
4) d’être expert, témoin instrumentaire ou certificateur dans les actes; de déposer en justice autrement que pour y donner de simples renseignements ;
5) de faire partie d'aucun conseil de famille, de remplir aucune fonction dans un régime de protection des incapables mineurs ou majeurs, si ce n'est à l'égard de leurs enfants et sur avis conforme du juge des tutelles et du conseil de famille, s’il en existe ;
6) de port ou de détention d'armes ;
7) de tenir école ou d'enseigner ou d'être employé dans un établissement d'enseignement ».
L'arrêt attaqué, contrairement à l'argumentation de la défense, retient à tort que la sanction des interdictions édictées à l'article 11 du Code pénal est ».
En matière correctionnelle, les cours et tribunaux peuvent, dans les cas prévus par la loi, interdire en tout ou en partie aux condamnés à une peine correctionnelle l'exercice des droits énumérés à l'article 11, pour un terme de cinq à dix ans, ce aux termes de l'article 24 du Code pénal.
La sanction de l'article 378 du Code pénal est partant modulable.
A cet égard, la défense se prévaut de l'article 78 alinéa 2 du Code pénal et en particulier des termes pour solliciter que l'interdiction des droits énoncés à l'article 11 du Code pénal n'est pas justifiée dans le cas d'espèce.
La peine d'interdiction de certains droits interdit au condamné d'exercer pour l'avenir les droits énumérés par le code.
4 En principe, l'interdiction est une peine accessoire.
Mais, dans le cas d'espèce, elle revêt le caractère d'une peine principale.
A l'heure actuelle, personne ne met en doute que la conception pénale d'aujourd'hui n'est plus ce qu'elle était au dix-neuvième siècle.
A cet égard, il doit être permis de se poser la question ce que les Juges doivent réprimer.
Ce ne sont pas des infractions abstraites ! Le principe sacro-saint est transcendant en matière pénale et se trouve d'ailleurs inscrit à l'article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En retenant que disposition, est à réformer sur ce point et il y a lieu de prononcer contre X l'interdiction à vie des droits énoncés aux numéros 1, 2, 3, 4, 5 et 7 de l'article 11 du Code pénal », l'arrêt attaqué doit encourir la sanction de la cassation.
Dans le cas d'espèce, la Cour d'appel retient qu'elle n'a pas le choix de moduler la peine.
Or, le juge avait le choix en application du raisonnement en droit développé ci-avant.
Alors que la Cour d'appel retient dans la motivation de son arrêt qu'elle n'a pas le choix quant à l'application de la peine, et que l'application d'une telle sanction est obligatoire, l'arrêt attaqué doit encourir la sanction de la cassation. » ;
Attendu que les dispositions des articles 14 de la Constitution et 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui consacrent le principe que nulle peine ne peut être établie ou appliquée qu’en vertu de la loi, sont étrangères au grief invoqué, étant donné qu’il n’est pas reproché aux juges d’appel d’avoir prononcé une peine illégale ;
Attendu que les dispositions de l’article 11 du Code pénal, qui vise les seules peines accessoires à prononcer en matière criminelle, sont également étrangères au grief invoqué, étant donné que le demandeur en cassation a été condamné du chef de deux délits à une peine correctionnelle ;
Qu’il en suit que le moyen est irrecevable ;
Par ces motifs, rejette le pourvoi ;
condamne le demandeur en cassation aux frais de l’instance en cassation, ceux exposés par le Ministère public étant liquidés à 5,75 euros.
Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, vingt-neuf novembre deux mille dix-huit, à la Cité Judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :
Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation, Carlo HEYARD, conseiller à la Cour de cassation, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, qui ont signé le présent arrêt avec le greffier Viviane PROBST.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur le président Jean-Claude WIWINIUS, en présence de Madame Marie-
Jeanne KAPPWEILER, premier avocat général, et de Madame Viviane PROBST, greffier à la Cour.