N° 112 / 2018 du 22.11.2018.
Numéro 4026 du registre.
Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-deux novembre deux mille dix-huit.
Composition:
Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation, Carlo HEYARD, conseiller à la Cour de cassation, Eliane EICHER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, conseiller à la Cour de cassation, Serge WAGNER, premier avocat général, Viviane PROBST, greffier à la Cour.
Entre:
X, demeurant à (…), demandeur en cassation, comparant par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:
1) la société anonyme SOC1), établie et ayant son siège social à (…), représentée par son conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), défenderesse en cassation, comparant par Maître Marc BADEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 2) Y, demeurant à (…), défendeur en cassation.
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LA COUR DE CASSATION :
Vu l’arrêt attaqué, numéro 149/17, rendu le 12 juillet 2017 sous le numéro 34145 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, deuxième chambre, siégeant en matière civile ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 16 octobre 2017 par X à la société anonyme SOC1) et à Y, déposé au greffe de la Cour le 20 octobre 2017 ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 13 décembre 2017 par la société anonyme SOC1) à X et à Y, déposé au greffe de la Cour le 15 décembre 2017 ;
Sur le rapport du conseiller Eliane EICHER et sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint John PETRY ;
Sur les faits :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société anonyme SOC1) avait conclu avec son ancien associé X une transaction aux termes de laquelle ce dernier lui cédait ses actions dans la société SOC1) et souscrivait une clause de non-
concurrence, assortie d’une clause pénale, par laquelle il s’engageait à ne pas concurrencer la société SOC1) pendant un délai de trois ans en débauchant du personnel et de la clientèle ; que le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, retenant que X n’avait pas respecté la clause de non-concurrence, avait condamné celui-ci au paiement du montant stipulé dans la clause pénale ; que la Cour d’appel a confirmé le jugement entrepris ;
Sur le premier moyen de cassation, pris en ses deux branches :
tiré, en sa première branche, « de la violation, sinon de la mauvaise application, sinon de la fausse interprétation de l'article 11 (4) et (6) de la Constitution dont la teneur est la suivante :
citoyen l'exercice de ce droit. La loi garantit les libertés syndicales et organise le droit de grève.
(…) (6) La liberté du commerce et de l'industrie, l'exercice de la profession libérale et du travail agricole sont garantis sauf les restrictions à établir par la loi.» en ce que l'arrêt, confirmant le jugement de première instance a, pour asseoir sa décision, fait fi des dispositions ci-dessus en considérant que :
comporte pas d'interdiction générale et absolue du droit au travail et de la liberté du commerce, mais édicte une restriction desdits droits à une période de trois années, limitée au territoire du Grand-Duché de Luxembourg et énumérant les emplois concurrentiels visés. A ce titre, il y a lieu de préciser que les activités professionnelles visées par la clause sont celles d'expert-comptable, de conseil économique et de réviseur, activités pour lesquelles l'appelant s'est engagé à faire annuler ses autorisations d'établissement, de sorte que rien ne l'empêchait d'exercer la profession de comptable pour le compte d'une collectivité publique ou d'un organisme privé n'ayant pas d'activités fiduciaires. » alors qu'en restreignant le libre exercice du commerce et de l'industrie et le droit au travail en application de la clause de non-concurrence, la Cour d'appel a manifestement rendu impossible, dans le chef de Monsieur X, tout accès à un travail correspondant à sa formation et à son expérience professionnelle. En statuant de la sorte, la Cour d'appel a réduit Monsieur X, expert comptable et réviseur d'entreprise depuis plus de 30 ans, à faire l'encodage de la comptabilité dans une administration publique. » ;
et en sa seconde branche, « de la violation, sinon de la mauvaise application, sinon de la fausse interprétation de l'article 11 (4) et (6) de la Constitution dont la teneur est la suivante :
citoyen l'exercice de ce droit. La loi garantit les libertés syndicales et organise le droit de grève.
(…) (6) La liberté du commerce et de l'industrie, l'exercice de la profession libérale et du travail agricole sont garantis sauf les restrictions à établir par la loi.» en ce que l'arrêt, confirmant le jugement de première instance a, pour asseoir sa décision, fait fi des dispositions ci-dessus en considérant que :
comporte pas d'interdiction générale et absolue du droit au travail et de la liberté du commerce, mais édicte une restriction desdits droits à une période de trois années, limitée au territoire du Grand-Duché de Luxembourg et énumérant les emplois concurrentiels visés. A ce titre, il y a lieu de préciser que les activités professionnelles visées par la clause sont celles d'expert-comptable, de conseil économique et de réviseur, activités pour lesquelles l'appelant s'est engagé à faire annuler ses autorisations d'établissement, de sorte que rien ne l'empêchait d'exercer la profession de comptable pour le compte d'une collectivité publique ou d'un organisme privé n'ayant pas d'activités fiduciaires. » alors qu'en interprétant l'article 11 (4) et (6) de la Constitution de façon aussi extensive, la Cour d'appel s'est montrée manifestement trop permissive en validant une entrave pourtant manifeste au droit au travail et à la liberté du commerce et de l'industrie. » ;
Attendu que sous le couvert du grief de la violation de la disposition visée au moyen, celui-ci, en ses deux branches, ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, de la portée de la clause de non-concurrence, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation ;
Qu’il en suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation :
« tiré de la violation de l'article 89 de la Constitution qui dispose que :
en ce que la Cour d'appel n'a pas vérifié, pour confirmer la validité de la clause de non-concurrence, si cette clause n'apportait pas une restriction excessive à la liberté d'exercice de son débiteur et si elle n'empêche pas l'exercice d'une activité professionnelle, alors que ce faisant la Cour a privé Monsieur X de son droit le plus élémentaire consistant à vérifier le bien-fondé de la décision d'appel et sa conformité avec les règles de droit applicables. » ;
Attendu que le moyen de cassation vise le défaut de motifs, qui est un vice de forme ;
Attendu qu’une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré ;
Attendu que par les énonciations reproduites au premier moyen de cassation, la Cour d’appel a motivé sa décision ;
Qu’il en suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le troisième moyen de cassation :
« tiré de la violation de l'article 10 bis de la Constitution qui dispose que :
en ce que la Cour d'appel a manifestement créé une discrimination entre les salariés soumis aux dispositions de l'article L. 125-8 du Code du travail et les travailleurs indépendants, alors que la clause de non-concurrence serait, aux termes de l'arrêt entrepris, plus favorable - ou moins restrictive - dès lors qu'une personne se trouve dans un lien de subordination avec son employeur. » ;
Attendu que la Cour d’appel a dit que les règles applicables en matière de clause de non-concurrence dans le cadre d’un contrat de travail, règles conçues dans un esprit de protection du salarié, ne s’appliquaient pas en l’espèce, dès lors que X, associé et administrateur de la société soc1), n’était pas lié à cette société par un lien de subordination, et a retenu la validité de la clause de non-concurrence convenue entre les parties au litige ;
Attendu que le demandeur en cassation reproche à la Cour d’appel d’avoir refusé d’appliquer la disposition de l'article L. 125-8 du Code du travail au travailleur indépendant ;
Attendu que sous le couvert du grief d’avoir créé une discrimination contraire au principe constitutionnel de l’égalité devant la loi, le moyen ne tend qu’à faire sanctionner l’exacte application, par la Cour d’appel, de la disposition du Code du travail en question, dont une éventuelle non-conformité à la disposition constitutionnelle visée au moyen n’est pas soulevée ;
Qu’il en suit que le moyen est irrecevable ;
Sur le quatrième moyen de cassation :
« tiré de la violation, sinon de la mauvaise application, sinon de la fausse interprétation des articles 1156, 1162 et 1163 du Code civil en ce que la Cour d'appel a retenu que la clause de non-concurrence édicte une restriction du droit au travail et à la liberté du commerce à une période de trois années, limitée au territoire du Grand-Duché de Luxembourg et énumère les emplois concurrentiels visés alors que selon l'article 1156 du Code civil, on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes, et que selon l'article 1162 du Code civil, dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation, et que selon l'article 1163 du Code civil, quelque généraux que soient les termes dans lesquels une convention est conçue, elle ne comprend que les choses sur lesquelles il paraît que les parties se sont proposé de contracter. » ;
Attendu que les articles 1156, 1162 et 1163 du Code civil n’ont pas un caractère impératif ; que leurs dispositions constituent des conseils donnés aux juges par le législateur pour l’interprétation des conventions et non des règles absolues dont la méconnaissance donne ouverture à cassation ;
Qu’il en suit que le moyen est irrecevable ;
Sur le cinquième moyen de cassation :
« tiré de la violation, sinon de la mauvaise application, sinon de la fausse interprétation de l'article 54 du Nouveau code de procédure civile en ce que la Cour d'appel n'a pas répondu au moyen soulevé par la partie demanderesse en cassation tendant à voir appliquer les articles 1156 et 1162 du Code civil alors que selon l'article 54 du Nouveau code de procédure civile, le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé. » ;
Attendu que la disposition légale visée au moyen ne donne pas ouverture à cassation, mais, en vertu de l’article 617, point 5, du Nouveau code de procédure civile, à requête civile ;
Qu’il en suit que le moyen est irrecevable ;
Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure :
Attendu que le demandeur en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter ;
Attendu qu’il serait inéquitable de laisser à charge de la société défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens ; qu’il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.000 euros ;
Par ces motifs, rejette le pourvoi ;
rejette la demande du demandeur en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne le demandeur en cassation à payer à la société SOC1) une indemnité de procédure de 2.000 euros ;
condamne le demandeur en cassation aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Marc BADEN sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur le président Jean-Claude WIWINIUS, en présence de Monsieur Serge WAGNER, premier avocat général, et de Madame Viviane PROBST, greffier à la Cour.