N° 30 / 2018 du 29.03.2018.
Numéro 3941 du registre.
Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-neuf mars deux mille dix-huit.
Composition:
Nico EDON, conseiller à la Cour de cassation, président, Carlo HEYARD, conseiller à la Cour de cassation, Jean ENGELS, conseiller à la Cour d’appel, Marianne EICHER, conseiller à la Cour d’appel, Marc WAGNER, conseiller à la Cour d’appel, Jeannot NIES, procureur général d’Etat adjoint, Viviane PROBST, greffier à la Cour.
Entre:
Maître X, notaire, demeurant à (…), demandeur en cassation, comparant par Maître Johanna MOZER, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, et:
Y, demeurant à (…), défendeur en cassation, comparant par Maître Alex PENNING, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.
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LA COUR DE CASSATION :
Vu l’arrêt attaqué, numéro 67/17, rendu le 22 mars 2017 sous le numéro 43051 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, deuxième chambre, siégeant en matière civile ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 17 mai 2017 par Maître X à Y, déposé au greffe de la Cour le 24 mai 2017 ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 31 juillet 2017 par Y à Maître X, déposé au greffe de la Cour le 1er août 2017, respectant le délai de deux mois prévu à l’article 15 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, lequel n’a commencé à courir qu’à partir de la signification faite le 6 juin 2017 au défendeur en cassation selon la législation française, conformément à l’article 9 du règlement (CE) n° 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil relatif à la signification et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale ;
Sur le rapport du conseiller Nico EDON et sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint John PETRY ;
Sur les faits :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait déclaré non fondée la demande en responsabilité civile dirigée par Y contre Maître X aux fins de réparation du préjudice subi par Y par suite du fait d’avoir été tenu d’indemniser l’acquéreur auquel il avait vendu, par compromis de vente sous condition suspensive, un bien immobilier, ce même bien ayant été vendu par Y à un autre acquéreur par acte reçu par le notaire X, alors que la condition suspensive de la première vente était encore en suspens ; que la Cour d’appel, par réformation, a dit que la responsabilité civile du notaire était engagée pour avoir omis de refuser d’instrumenter dans le cadre d’une vente dont il savait qu’elle était conclue en fraude des droits du premier acquéreur, a institué un partage des responsabilités et a condamné Maître X au paiement à Y d’un certain montant à titre de dommages-
intérêts ;
Sur le premier moyen de cassation, pris en ses deux branches :
tiré, en sa première branche, « de la violation de l'article 56 du Nouveau code de procédure civile au terme duquel :
débat.
Parmi les éléments du débat le juge peut prendre en considération même les faits que les parties n'auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions ».
Dans l'arrêt du 22 mars 2017 ici attaqué, la juridiction d'appel base sa décision sur des faits qui n'ont pas pu être discutés par le notaire X puisqu'ils l'ont été au cours des instances intervenues entre le sieur Y et la dame A) ayant abouti à l'arrêt du 20 mars 2013 auquel le notaire X n'était pas partie et qui lui fut simplement déclaré commun.
Or, lors de ces instances, ni la dame A), ni le sieur Y n'ont fait état du compromis du 5 juillet 2009 au terme duquel la dame A) avait déjà revendu l'immeuble au sieur B).
Le notaire, qui quant à lui n'était pas intervenu dans la première instance ni même dans l'instance d'appel puisqu'il n'y avait été assigné qu'en déclaration d'arrêt commun, n'a pas pu prendre position et se voit maintenant imposer un partage du montant auquel le sieur Y a été condamné en retenant l'information, pourtant fondamentale quant à l'issue du litige, de la revente de l'immeuble par Madame A) à Monsieur B).
Cette information qui aurait pu faire changer le cours du litige opposant Monsieur Y et Madame A) a été sciemment retenue par les parties pour des raisons que le notaire ignore mais dont on ne saurait lui imposer les conséquences financières que la Cour d'appel lui impose alors qu'il n'a pas pu débattre avec la dame A) du fait qu'elle avait déjà revendu l'immeuble au sieur B).
En conséquence, l'arrêt attaqué encourt la cassation. » ;
et, en sa seconde branche, « de la violation de l'article 65 du Nouveau code de procédure civile au terme duquel :
le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir dans sa décision, les moyens, les explications et les documents produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ».
En basant sa décision sur un jugement du 3 novembre 2010 ayant retenu un dommage dans le chef de la dame A) et la responsabilité du sieur Y qui a ainsi été condamné à l'indemniser, la Cour a violé le principe du contradictoire et partant l'article 65 du Nouveau code de procédure civile.
En effet, le jugement du 3 novembre 2010 rendu au terme d'une procédure à laquelle le notaire X n'a pas participé et confirmé par un arrêt qui lui fut simplement déclaré commun ne saurait constituer la base de sa condamnation actuelle alors qu'il n'était pas même en mesure de se défendre.
Il suffit en effet de se reporter à l'arrêt du 20 mars 2013 pour constater qu'il a été rendu uniquement entre Monsieur Y et Madame A).
Or l'arrêt ici attaqué base la condamnation du notaire X sur celle du sieur Y contenue dans un jugement du 3 novembre 2010 rendu au terme d'une procédure au cours de laquelle le notaire X n'a pas pu faire valoir ses moyens de défense et notamment celui selon lequel la dame A) avait déjà revendu l'immeuble au sieur B).
En conséquence, l'arrêt attaqué encourt la cassation. » ;
Attendu que l’arrêt entrepris n’a pas, tel qu’allégué par le demandeur en cassation, retenu sa responsabilité professionnelle « pour faute professionnelle du notaire qui se trouverait engagée dans la survenance d’un dommage subi par Madame A) et pour lequel Y a été condamné. » ;
Attendu que les juges d’appel ont retenu qu’« En faisant procéder à l’acte notarié de vente avant le 1er septembre 2009, le notaire X a commis dans les circonstances de la cause une faute professionnelle en ce qu’il n’a pas veillé à la sauvegarde des droits de A) et a ainsi exposé Y au risque, qui s’est réalisé, de subir les conséquences d’une violation du compromis. », après avoir constaté qu’« En instance d’appel, la partie notaire X reconnaît avoir eu connaissance du compromis conclu avec A) et encore du compromis conclu entre cette dernière et B). » ;
Attendu que la responsabilité professionnelle du notaire a dès lors été retenue pour faute professionnelle dans la survenance du dommage subi par l’actuel défendeur en cassation, sans que, pour retenir cette faute professionnelle, les juges d’appel se soient fondés sur des faits qui n’étaient pas dans les débats ou qui n’avaient pas été soumis à la libre contradiction des parties ;
Qu’il en suit que le moyen manque en fait ;
Sur le second moyen de cassation :
tiré « de la violation de l'article 3 alinéa 3 de la loi modifiée du 9 décembre 1976 relative à l'organisation du notariat au terme duquel :
lorsqu'ils en sont requis, excepté dans les cas prévus par les articles 21 et 24. » Aux termes de ces prédits articles 21 et 24 de la loi modifiée du 9 décembre 1976, il est donc défendu aux notaires de recevoir des actes dont les dispositions seraient contraires à une loi pénale, de même qu'il leur est défendu de recevoir des actes dans lesquels soit eux-mêmes, soit leur conjoint, soit leurs parents ou alliés ou ceux de leur conjoint, en ligne directe à tous les degrés, et en ligne collatérale jusqu'au degré d'oncle ou de neveu inclusivement, seraient parties ou qui contiendraient quelque disposition en leur faveur.
Les alinéas 2, 3 et 4 du prédit article 24 énoncent les exceptions à la règle de l'alinéa 1 et donnent des précisions quant aux actes que le notaire ne peut recevoir en raison des liens de parenté contenus dans l'alinéa 1.
Or, force est de constater que le cas d'espèce n'est concerné ni par l'article 21 ni par l'article 24 de la loi modifiée du 9 décembre 1976 relative à l'organisation du notariat.
Par conséquent, il y avait lieu de faire entière application de l'article 3 alinéa 3 de la prédite loi et de considérer que le notaire ne pouvait refuser son ministère pour établir l'acte de vente du 12 août 2009 ainsi qu'il fut requis de le faire par le sieur Y.
En reprochant au demandeur en cassation d'avoir établi le prédit acte et en faisant peser sur lui la responsabilité délictuelle d'une prétendue faute professionnelle, la Cour a violé le texte susmentionné.
L'arrêt par conséquent encourt la cassation. » ;
Attendu que la disposition visée au moyen, à savoir l’article 3, alinéa 3, de la loi modifiée du 9 décembre 1976 relative à l’organisation du notariat, qui a trait à l’obligation d’authentification, est étrangère à la décision entreprise, qui a trait à l’obligation de conseil du notaire, impliquant, le cas échéant, l’obligation du notaire de refuser de prêter son concours à une opération dont il sait qu’elle méconnaît les droits d’une tierce personne ;
Qu’il en suit que le moyen est irrecevable ;
Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure :
Attendu qu’il serait inéquitable de laisser à la charge du défendeur en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens ; qu’il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2000 euros ;
Par ces motifs, rejette le pourvoi ;
condamne le demandeur en cassation à payer au défendeur en cassation une indemnité de procédure de 2000 euros ;
condamne le demandeur en cassation aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Alex PENNING, sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur le conseiller Nico EDON, en présence de Monsieur Jeannot NIES, procureur général d’Etat adjoint, et de Madame Viviane PROBST, greffier à la Cour.