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01/03/2018 | LUXEMBOURG | N°18/18

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 01 mars 2018, 18/18


N° 18 / 2018
du 01.03.2018.
Numéro 3899 du registre.

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg
du jeudi, premier mars deux mille dix-huit.

Composition:

Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation, président,
Nico EDON, conseiller à la Cour de cassation,
Carlo HEYARD, conseiller à la Cour de cassation,
Jeanne GUILLAUME, premier conseiller à la Cour d’appel,
Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour d’appel,
Sandra KERSCH, avocat général,
Viviane PROBST, greffier à la Cour.

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Entre:

X, demeurant à (…),

demandeur en cassation,

comparant par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Co...

N° 18 / 2018
du 01.03.2018.
Numéro 3899 du registre.

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg
du jeudi, premier mars deux mille dix-huit.

Composition:

Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation, président,
Nico EDON, conseiller à la Cour de cassation,
Carlo HEYARD, conseiller à la Cour de cassation,
Jeanne GUILLAUME, premier conseiller à la Cour d’appel,
Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour d’appel,
Sandra KERSCH, avocat général,
Viviane PROBST, greffier à la Cour.




Entre:

X, demeurant à (…),

demandeur en cassation,

comparant par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, en l’étude duquel
domicile est élu,


et:


la société européenne soc1), établie et ayant son siège social à (…), inscrite au
registre de commerce de Frankfurt am Main sous le numéro (…), représentée par son
directoire, se trouvant aux droits de la société anonyme Soc2), ayant eu son siège
social à (…),

défenderesse en cassation,

comparant par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH, inscrite à la liste
V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle
domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître Glenn
MEYER, avocat à la Cour.


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LA COUR DE CASSATION :
2


Vu l’arrêt attaqué, numéro 177/16, rendu le 14 décembre 2016 sous le numéro
40643 du rôle par la Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 27 mars 2017 par X à la société
européenne Soc1), déposé au greffe de la Cour le même jour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 23 mai 2017 par la société européenne
Soc1) à X, déposé au greffe de la Cour le 26 mai 2017 ;

Sur le rapport du conseiller Carlo HEYARD et sur les conclusions du
procureur général d’Etat adjoint John PETRY ;


Sur les faits :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que X avait saisi le tribunal d’arrondissement
de Luxembourg, siégeant en matière civile, d’une action en responsabilité civile
dirigée contre la société anonyme Soc2), actuellement la société européenne Soc1),
aux fins de réparation du préjudice subi par suite du fait que dans le cadre d’un crédit
lombard lui accordé par la banque, celle-ci avait procédé de façon tardive à un appel
de marges ; que le tribunal d’arrondissement avait déclaré la demande de X non
fondée ; que la Cour d’appel a confirmé le jugement entrepris en disant que les règles
de conduite imposées aux banques par la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au
secteur financier, invoquées par X, ne peuvent pas être opposées par les clients des
banques dans leurs relations contractuelles avec celles-ci, que les règles générales de
la responsabilité contractuelle doivent trouver application et qu’il n’y a pas eu faute
dans le chef de la banque ;


Sur le premier moyen de cassation :

« Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir - pour confirmer le jugement de
première instance, rejeter les offres de preuve de M. X et condamner M. X aux dépens
- rejeté l'invocation par le demandeur en cassation des règles de conduite de la loi
du 5 avril 1993 relative au secteur financier, et plus précisément des articles 37-3
(1) et 37-5 (1) de cette loi, dont M. X entendait se << prévaloir en justice ensemble
avec les règles de droit commun de la responsabilité civile >> (conclusions de M. X
du 13 mai 2015, p. 8, alinéa 8) ;

aux motifs que les juges de première instance auraient retenu à juste titre que
les règles de conduite édictées par la loi en question ne s'appliquaient pas en l'espèce
; que la jurisprudence luxembourgeoise serait en effet << bien fixée >> pour en
exclure la prise en considération, puisque ces règles de conduite << sont conçues
dans un intérêt général, traduisant sur un plan strictement disciplinaire les normes
déontologiques à observer par les professionnels du secteur financier, et ne
constituent pas une règle légale permettant aux particuliers d'agir directement en
justice en invoquant une violation de ces dispositions >> ; que cette exclusion de
l'invocabilité des règles de conduite ne méconnaîtrait pas la directive 2004/39/CE
3
du 21 avril 2004 concernant les marchés d'instruments financiers, qui renverrait
purement et simplement au droit interne de chaque Etat membre en ce qui concerne
les conséquences d'un point de vue contractuel des violations des règles de conduite ;
et qu'<< en droit interne luxembourgeois, les clients ne sont pas admis à invoquer
les règles de conduite dans leurs relations contractuelles avec une banque, le respect
de ces règles étant surveillé par la CSSF qui peut infliger des sanctions
administratives en cas de violation >>,

alors que ce rejet de l'invocabilité des règles de conduite à l'appui d'une
demande fondée sur les règles de droit commun de la responsabilité contractuelle,
n'est compatible ni avec le texte de la loi du 5 avril 1993 du secteur financier, ni avec
la directive 2004/39/CE transposée notamment par les articles 37-3 (1) et 37-5 (1)
de cette loi, directive qui n'admet le renvoi à l'ordre juridique interne des Etats
membres que sous réserve du respect des principes d'équivalence et d'effectivité ;
que la directive est privée de toute effectivité par l'interprétation retenue par les juges
du fond ;

que la circonstance qu'une norme soit également sanctionnée sur le plan
administratif au moyen de sanctions administratives infligées par la CSSF n'exclut
nullement qu'elle puisse, au même titre, protéger les intérêts privés et donner lieu à
indemnisation des particuliers lésés par la violation de cette règle ; que par
conséquent, il convient d'interpréter les articles 37-3 (1) et 37-5 (1) de la loi du 5
avril 1993 précitée dans le sens qu'ils peuvent être invoqués par le demandeur en
responsabilité civile aux fins de déterminer l'existence d'une faute commise par la
banque au sens des règles de la responsabilité contractuelle ; qu'en décidant le
contraire, la Cour d'appel a violé les articles 37-3 (1) et 37-5 (1) de la loi du 5 avril
1993 relative au secteur financier en combinaison avec les règles de la responsabilité
contractuelle, à savoir les articles 1135 du Code civil - aux termes duquel les
conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les
suites que, entre autres, la loi donne à l'obligation d'après sa nature - et 1147 du
même Code. » ;


Sur la recevabilité du moyen qui est contestée :

Attendu que la défenderesse en cassation soutient que le demandeur en
cassation est sans intérêt à soulever le moyen, dès lors que les juges du fond ont
retenu l’absence de toute faute dans son chef ;

Attendu que si la Cour d’appel avait déclaré les règles de conduite invoquées
applicables au litige, elle aurait analysé l’existence d’une faute non seulement par
application des règles générales de la responsabilité contractuelle, mais également en
tenant compte du respect ou non, par la défenderesse en cassation, de ces règles de
conduite ;

Que le demandeur en cassation a donc intérêt à soulever le moyen ;

Attendu que la défenderesse en cassation soutient encore que le moyen est
sans pertinence, sinon inopérant, dès lors que les règles de conduite édictées par
l’article 37-3, paragraphe 1, de la loi précitée, ayant trait aux services
4
d’investissement et services auxiliaires, et par l’article 37-5, paragraphe 1, de la
même loi, ayant trait à l’exécution d’ordres passés par le client, ne visent en rien le
domaine du crédit lombard et les marges de couverture afférentes ;

Attendu que les juges d’appel n’ont pas examiné la question de savoir si les
crédits lombards et les marges de couverture relèvent ou non des services
d’investissement et services auxiliaires et de l’exécution d’ordres passés par le
client ;

Que le moyen de défense soulevé par la défenderesse en cassation, impliquant
l’examen de cette question, est partant mélangé de fait et de droit ;

Qu’il en suit qu’il est irrecevable ;


Sur le bien-fondé du moyen :

Vu les articles 1135 et 1147 du Code civil et les articles 37-3, paragraphe 1,
et 37-5, paragraphe 1, de la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier ;

Attendu que la circonstance qu’une norme est édictée dans le but de protéger
l’intérêt général n’exclut nullement que celle-ci puisse, au même titre, protéger les
intérêts privés et donner lieu à indemnisation des particuliers lésés par la violation de
cette règle ;

Attendu que la responsabilité du débiteur s’étend au dommage causé par
l’inexécution de toute obligation imposée par la loi dans le cadre de la convention ;

Attendu qu’en refusant au demandeur en cassation, aux fins de déterminer
l’existence d’une faute et d’y fonder une responsabilité contractuelle de la
défenderesse en cassation, d’invoquer une norme légale au motif que celle-ci est
édictée dans un but de protection de l’intérêt général, les juges d’appel ont violé les
articles précités ;

Qu’il en suit que l’arrêt encourt la cassation ;


Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure :
Attendu que la défenderesse en cassation étant à condamner aux dépens de
l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à
rejeter ;


Par ces motifs,
et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen de cassation,


5
casse et annule l’arrêt numéro 177/16, rendu le 14 décembre 2016 sous le
numéro 40643 du rôle par la Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière
civile ;

déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont
suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé et,
pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel, autrement composée ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la défenderesse en cassation aux dépens de l’instance en cassation
avec distraction au profit de Maître Patrick KINSCH, sur ses affirmations de droit ;

ordonne qu’à la diligence du procureur général d’Etat, le présent arrêt sera
transcrit sur le registre de la Cour d’appel et qu’une mention renvoyant à la
transcription de l’arrêt sera consignée en marge de la minute de l’arrêt annulé.



La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par
Monsieur le conseiller Romain LUDOVICY, en présence de Madame Sandra
KERSCH, avocat général, et de Madame Viviane PROBST, greffier à la Cour.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18/18
Date de la décision : 01/03/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 27/12/2018
Fonds documentaire ?: Legilux
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2018-03-01;18.18 ?

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