N° 56 / 2017
du 22.6.2017.
Numéro 3820 du registre.
Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de
Luxembourg du jeudi, vingt-deux juin deux mille dix-sept.
Composition:
Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour,
Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation,
Nico EDON, conseiller à la Cour de cassation,
Rita BIEL, conseiller à la Cour d’appel,
Mylène REGENWETTER, conseiller à la Cour d’appel,
Monique SCHMITZ, avocat général,
Viviane PROBST, greffier à la Cour.
Entre:
A), demeurant à (…),
demanderesse en cassation,
comparant par Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel
domicile est élu,
et:
1) B), demeurant à (…),
défendeur en cassation,
comparant par Maître Tom KRIEPS, avocat à la Cour, en l’étude duquel
domicile est élu,
2) C), demeurant à (…),
défenderesse en cassation.
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LA COUR DE CASSATION :
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Vu l’arrêt attaqué, numéro 69/16, rendu le 20 avril 2016 sous le numéro
40027 du rôle par la Cour d’appel, deuxième chambre, siégeant en matière civile ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 16 août 2016 par A), à B), et à C),
déposé au greffe de la Cour le même jour ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 21 septembre 2016 par B) à A), et à
C), déposé au greffe de la Cour le 28 septembre 2016 ;
Sur le rapport du président Jean-Claude WIWINIUS et sur les conclusions
du premier avocat général Jeanne GUILLAUME ;
Sur les faits :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le tribunal d’arrondissement de
Luxembourg, statuant sur une action en retranchement sur leur part réservataire
engagée par B) et C), après le décès de leur père D), contre A), l’épouse en
secondes noces de D), avait dit que l’action n’était pas fondée en ce qui concerne
les comptes en banque et les dépôts-titres des époux A)-D) et avait dit, en ce qui
concerne la vente d’un immeuble sis à Strassen, que les trois parties avaient droit
chacune à un tiers du prix de vente ; que la Cour d’appel a déclaré non fondé
l’appel principal de A) portant sur l’immeuble à Strassen et, statuant sur l’appel
incident d’B) et de C), a dit, par réformation, que les comptes bancaires et les
dépôts-titres des époux A)-D) étaient soumis à l’action en retranchement ;
Sur le premier moyen de cassation :
tiré « de la violation de l’article 6 de la Convention européenne des
droits de l’Homme, et de l'article 249 combiné avec l’article 587 du Nouveau
code de procédure civile
A/ Contradiction de motifs
S’agissant de la vente de l’immeuble à Strassen, point sur lequel A) a
interjeté appel, il échet de soulever que la Cour a à bon droit relevé que suivant
décompte du notaire instrumentaire de mai 1995 d’où il ressort qu’après
remboursement du prêt hypothécaire et paiement des frais de la vente, il est
resté un solde de 1.378.908 francs (34.182,24 €), qui est donc seul en cause et
non pas le prix de 4,5 millions de francs.
La Cour a même relevé que la partie intimée conclut à la confirmation de
la décision sur la répartition du prix de vente, sauf qu’elle accepte sa réduction
au solde susvisé.
La Cour achève son raisonnement juridique sur ce point en précisant qu’
<< Ainsi, dans l’un et l’autre cas, que ledit solde soit à intégrer dans la
succession en tant que propre ou en tant que récompense, il est soumis au
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partage. >> ... pour au final décider que le jugement déféré est à confirmer
quant à ce point du litige alors que le jugement du 27 février 2016 portait sur le
prix de vente et non pas sur le solde réel repris dans la motivation de la Cour
d’appel.
La jurisprudence constante considère que le moyen tiré des articles 89 de
la Constitution et des articles 249, 587 du Nouveau code de procédure civile
vise le défaut de motifs en tant que vice de forme.
Une motivation doit être intrinsèque à la décision, précise et pertinente.
En outre, elle doit être justifiée et basée sur des éléments débattus qui
doivent figurer dans l’arrêt.
La contradiction de motifs étant assimilée à l’absence de motifs, l’arrêt
civil du 20 avril 2016 doit encourir la cassation de ce chef.
B/Absence de motifs et non-pertinence de motifs
En sus de la violation et des manquements aux règles énoncées ci-dessus
au paragraphe A/(Contradiction de motifs), il échet de remarquer que la Cour
n’a pas répondu au moyen d’appel de A) suivant : << que le tribunal a
également omis de rechercher si la requérante avait participé au financement
dudit immeuble sis à Strassen >>
En effet, Madame A) avait participé au financement de l’appartement en
bien propre de feu D).
La motivation de la Cour consistant à dire << Ainsi, dans l’un et l’autre
cas, que ledit solde soit à intégrer dans la succession en tant que propre ou en
tant que récompense, il est soumis au partage >> est bien trop imprécise, voire
ne répond même pas au moyen de A).
Dès lors, l’arrêt civil du 20 avril 2016 doit également encourir la
cassation de ce chef. » ;
Sur la première branche du moyen :
Attendu qu’aux termes de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885
sur les pourvois et la procédure en cassation chaque moyen ou chaque branche doit
préciser, sous peine d’irrecevabilité, en quoi la décision attaquée encourt le
reproche allégué ;
Attendu que cette branche du moyen manque de la précision requise en ce
qu’elle omet d’indiquer en quoi la décision attaquée serait contradictoire dans ses
motifs ;
Qu’il en suit que la première branche du moyen est irrecevable ;
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Sur la seconde branche du moyen :
Attendu qu’aux termes de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885
sur les pourvois et la procédure en cassation un moyen ou un élément de moyen ne
doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture ;
Attendu que cette branche du moyen articule un défaut de motifs au sens des
articles 89 de la Constitution et 249 du Nouveau code de procédure civile et, sous
ce rapport, de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’homme et
des Libertés fondamentales, constitutif d’un vice de forme, ainsi qu’une
insuffisance de motifs qui est constitutive d’un défaut de base légale, partant d’un
vice de fond ;
Qu’il en suit que la seconde branche du moyen est irrecevable ;
Sur le second moyen de cassation:
tiré « de la mauvaise application de l'article 1527 alinéa 2 du Code civil
A/ Signification de la disposition de l'article 1527 alinéa 2 du Code civil
C'est à bon droit que les juges de 1 ère
instance ont estimé qu’il découle de
l’article 1527 du Code civil que si la qualification de donation frappe tous les
avantages qui résultent d’apports en capitaux, tombés en communauté pour la
propriété même, elle n’atteint pas les avantages provenant des revenus que le
conjoint remarié peut verser dans la communauté en plus grande abondance que
l’autre. Lorsque les époux font des économies sur leurs revenus et en partagent
également le profit entre eux, cet avantage ne donne pas lieu à l’action en
retranchement. Cette solution porte en-elle-même sa justification : les revenus
sont affectés à l’entretien du ménage. Les époux auraient pu les dépenser
entièrement. L’avantage que le second époux est en mesure d’en tirer n’est donc
pas obtenu aux dépens des enfants du premier lit (J. Boulanger : Traité pratique
de droit civil français, t. IX, 2 ème
éd., n°1119) >> et qu’: << il faut déduire de la
ratio legis de cette disposition que ce ne sont pas seulement les économies en
elles-mêmes qui échappent à l’action en retranchement, mais également les
éventuels investissements réalisés à partir de ces économies. L’usage de ces
économies n’est en effet pas prépondérant sur l’origine de ces fonds, mais
l’inverse est le cas. >>
Dès lors l’interprétation de la Cour porte à faux et l’arrêt civil du 20
avril 2016 doit encourir la cassation de ce chef.
B/ Motivation non pertinente, absence de motifs
Pour justifier son interprétation de l’article 1527 alinéa 2 du Code civil,
la Cour a énoncé laconiquement qu’il s'agissait de la jurisprudence et la
doctrine la plus autorisée.
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Pour ce qui est d’une justification par une jurisprudence récente, la Cour
s’est limitée à opérer [un renvoi] au Jurisclasseur Civil sans autre précision.
Il y a donc lieu de rappeler que la jurisprudence constante considère que
le moyen tiré des articles 89 de la Constitution et des articles 249, 587 du
Nouveau code de procédure civile vise le défaut de motifs en tant que vice de
forme.
Une motivation doit être intrinsèque à la décision, précise et pertinente.
Dès lors, l’arrêt civil du 22 avril 2016 doit également encourir la
cassation de ce chef. » ;
Sur la première branche du moyen :
Attendu qu’aux termes de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885
sur les pourvois et la procédure en cassation chaque moyen ou chaque branche doit
préciser, sous peine d’irrecevabilité, en quoi la décision attaquée encourt le
reproche allégué ;
Attendu que cette branche du moyen manque de la précision requise en ce
qu’elle omet d’indiquer en quoi « l’interprétation de la Cour porte à faux » ;
Qu’il en suit que la première branche du moyen est irrecevable ;
Sur la seconde branche du moyen :
Attendu qu’aux termes de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885
sur les pourvois et la procédure en cassation un moyen ou un élément de moyen ne
doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture ;
Attendu que cette branche du moyen articule un défaut de motifs au sens des
articles 89 de la Constitution et 249 du Nouveau code de procédure civile,
constitutif d’un vice de forme, une insuffisance de motifs qui est constitutive d’un
défaut de base légale, partant d’un vice de fond, ainsi qu’une mauvaise application
de l’article 1527, alinéa 2, du Code civil ;
Qu’il en suit que la seconde branche du moyen est irrecevable ;
Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure :
Attendu qu’il serait inéquitable de laisser à charge de la partie défenderesse
en cassation B) l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens ;
Qu’il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.000 euros ;
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Par ces motifs,
rejette le pourvoi ;
condamne la demanderesse en cassation à payer à la partie défenderesse en
cassation B) une indemnité de procédure de 2.000 euros ;
condamne la demanderesse en cassation aux dépens de l’instance en
cassation avec distraction au profit de Maître Tom KRIEPS, sur ses affirmations de
droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par
Monsieur le président Jean-Claude WIWINIUS, en présence de Madame Monique
SCHMITZ, avocat général, et de Madame Viviane PROBST, greffier à la Cour.