N° 21 / 2017 pénal.
du 4.5.2017.
Not. 2032/13/XD Numéro 3777 du registre.
La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg, formée conformément à la loi du 7 mars 1980 sur l'organisation judiciaire, a rendu en son audience publique du jeudi, quatre mai deux mille dix-sept, sur le pourvoi de :
A), née le (…) à (…), demeurant à (…), prévenue et défenderesse au civil, demanderesse en cassation, comparant par Maître Miloud AHMED-BOUDOUDA, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, en l’étude duquel domicile est élu, en présence du Ministère public et de :
1) B), né le (…), et son épouse 2) C), née le (…), les deux demeurant à (…), demandeurs au civil, défendeurs en cassation, comparant par Maître Marc WALCH, avocat à la Cour, demeurant à Diekirch, en l’étude duquel domicile est élu, l’arrêt qui suit :
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LA COUR DE CASSATION :
Vu l’arrêt attaqué rendu le 24 mai 2016 sous le numéro 302/16 V. par la Cour d’appel, cinquième chambre, siégeant en matière correctionnelle ;
Vu le pourvoi en cassation, au pénal et au civil, formé par Maître Miloud AHMED-BOUDOUDA, pour et au nom de A), par déclaration du 22 juin 2016 au greffe de la Cour supérieure de justice ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 20 juillet 2016 par A) à C) et à B) et déposé le 22 juillet 2016 au greffe de la Cour ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 18 août 2016 par B) et C) à A) et déposé le 19 août 2016 au greffe de la Cour ;
Sur le rapport du conseiller Nico EDON et sur les conclusions de l’avocat général Marc SCHILTZ ;
Sur les faits :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le tribunal d’arrondissement de Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, avait acquitté A) des préventions d’abus de faiblesse et de blanchiment libellées à son encontre et s’était déclaré incompétent pour connaître des demandes civiles ; que la Cour d’appel, par réformation, a déclaré A) coupable desdites préventions, l’a condamnée à une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis à l’exécution et a ordonné la restitution à B) d’un montant bloqué sur un compte de A) ; qu’au civil, A) a été condamnée à payer aux demandeurs au civil différents montants indemnitaires ;
Sur le premier moyen de cassation :
tiré « de la mauvaise application, sinon interprétation de la loi, à savoir l’article 203 du Code d’instruction criminelle, ci-après CIC selon lequel, alinéa 4, .
En ce que l’arrêt attaqué a:
dit que lésé les droits de la défense de A) » ;
Au motif que :
Qu’elle a été régulièrement convoquée à l’audience de la Cour d’appel, qu’elle était informée de la date du prononcé du jugement de première instance et qu’il lui était loisible d’attaquer cette décision en temps utile par ses propres soins ou par l’intermédiaire de son conseil » ;
Alors que :
2 Le Ministère public aurait interjeté appel en date du 1er décembre 2015.
La partie défenderesse n’a pas eu connaissance de l’appel interjeté par le Ministère public. Contrairement à ce qu’affirme à tort l’arrêt entrepris, la partie défenderesse a été informée par la voie du greffe de l’appel des parties civiles en date du 30 novembre 2016.
La défense n’a jamais prétendu ne pas avoir été informée de l’appel des parties civiles, en attestent les conclusions d’appel in limine litis versées à l'audience d’appel (pièce 2), ainsi que le courrier du greffe du tribunal d’arrondissement de Diekirch du 1er décembre 2015 (pièce 3).
Le Ministère public a donc profité des dispositions de l’alinéa 7 de l’article 203 du Code d' instruction criminelle, selon lequel le délai d’appel est prorogé de 5 jours en cas d’appel d’une des parties dans le délai de 40 jours visé à l’alinéa 1 de article 203 du Code d' instruction criminelle.
Le Ministère public ne détient cependant pas la qualité de » au sens de 1’article 203 alinéa 7 du Code d’instruction criminelle, de telle sorte qu’il ne saurait bénéficier de la prorogation du délai légal visé à l' article 203 alinéa 7 du Code d' instruction criminelle.
Que le moyen d’ordre public aurait dû être soulevé d’office par la chambre correctionnelle de la Cour d’appel.
En effet, l’appel par les seules parties civiles du jugement entrepris du 22 octobre 2015, quoique effectué le dernier jour légal du délai d’appel, ne confère ni au Ministère public, ni à la partie défenderesse, la qualité de visé à l’article 203 du CIC.
A défaut de posséder ladite qualité par le simple appel des parties civiles, le Ministère public était irrecevable à interjeter appel dudit jugement après l’expiration du délai légal de 40 jours, l’appel des seules parties civiles étant à lui seul, en absence d’appel de la prévenue, insuffisant à voir réexaminer l’action publique, qui par 1’écoulement du délai de 40 jours a clairement manifesté sa volonté de ne pas interjeter appel du jugement en cause.
Le seul appel valable existant étant celui des parties civiles, l’action publique n’était dès lors pas recevable en appel. La prévenue n’avait dès lors aucun intérêt à faire appel d’un acquittement.
C’est partant à tort que la Vème chambre de la Cour d’appel a dit l’appel du Parquet recevable, La Vème chambre de la Cour d’appel a partant fait une mauvaise application de l’article 203 du Code d’instruction criminelle.
En rendant 1’arrêt du 24 mai 2016 (n° 302/16 V), la Vème chambre de la Cour d’appel a commis une erreur de droit. » ;
Attendu que le moyen, tiré d’une violation de l’article 203, alinéa 4, du Code de procédure pénale, fait en réalité grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré l’appel du Ministère public recevable sur base des dispositions de l’article 203, alinéa 7, du même code, dispositions qui ne sauraient trouver application en l’espèce, la prorogation, au bénéfice du Ministère public, du délai légal d’appel de 40 jours étant exclue dans l’hypothèse d’un appel des demandeurs au civil qui n’aurait d’effet que quant à leurs intérêts civils ;
Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que la Cour d’appel a été saisie d’un appel des demandeurs au civil, formé par déclarations au greffe du tribunal d’arrondissement de Diekirch du 30 novembre 2015 et d’un appel du Ministère public, formé par déclaration au même greffe, le 1er décembre 2015 ;
Attendu que le délai légal d’appel contre le jugement rendu le 22 octobre 2015 court, à l’égard des demandeurs au civil et du Ministère public, à partir du prononcé du jugement ;
Qu’au regard des règles sur la computation des délais résultant de la Convention européenne sur la computation des délais signée à Bâle, le 16 mai 1972, et approuvée par une loi du 30 mai 1984, qui a également rendu applicable ces règles en matière de procédure pénale, le délai légal d’appel de 40 jours a commencé à courir le 22 octobre 2015, minuit, et a expiré le 1er décembre 2015, minuit ;
Que l’appel du Ministère public a partant été relevé dans le délai légal d’appel de 40 jours prévu à l’article 203, alinéa 1er, du Code de procédure pénale ;
Qu’il en suit qu’en faisant grief aux juges d’appel d’avoir prétendument appliqué en l’espèce l’article 203, alinéa 7, du Code de procédure pénale pour déclarer l’appel du Ministère public recevable, le moyen manque en fait ;
Sur le deuxième moyen de cassation :
tiré « de la mauvaise application, sinon interprétation de la loi, à savoir l’article 493 du Code pénal, selon lequel les victimes de l’infraction d’abus de faiblesse, ne peuvent s’agir que d’un mineur, d’une personne en situation de particulière vulnérabilité, mais aussi d’une personne en état de sujétion physique ou psychologique.
En ce que l’arrêt attaqué a :
rapport d’expertise du psychologue que B) était en état de sujétion, dès lors que pour lui les pressions exercées par la prévenue … ne lui permettaient pas d’apprécier, à cet égard, l’absence de fondement des menaces de A) ».
Au motif que :
dit que à cet égard, l’absence de fondement des menaces de A) », 4 Alors que :
La Cour d’appel se contredit dans son argumentation en décidant que d’une part aucune menace fondée n’a été émise par Madame A), ce que la Cour constate et reconnaît et d' autre part la Cour estime que la victime B) n' avait pas assez d' expérience (à son âge) pour s' apercevoir que les prétendues menaces, n’avaient aucun fondement et donc que ces menaces n’en étaient pas.
Ainsi 1’élément matériel de infraction, à savoir en l’espèce de prétendues menaces, qui de 1’aveu de la Cour n’en sont pas, et qui restent de toute façon non caractérisées, manquent en fait et ne permettent pas à la Cour d’appel de voir constituer 1’élément matériel d’une infraction qui n’existe pas.
Au surplus, la Cour se contredit une énième fois lors de l’examen de la prévention libellée à titre subsidiaire par le Parquet relatif à l’infraction d’escroquerie et vient écrire : La Vème chambre de la Cour d’appel a partant fait une mauvaise application de l’article 493 du Code pénal.
En rendant 1’arrêt du 24 mai 2016 (n° 302/16 V), la Vème chambre de la Cour d’appel a commis une erreur de droit. » ;
Attendu que le moyen fait en substance grief aux juges d’appel d’avoir déclaré la demanderesse en cassation coupable de la prévention d’abus de faiblesse, sans caractériser l’élément matériel constitutif de cette prévention ;
Attendu que les juges d’appel ont énoncé que « L’article 493 du Code pénal, introduit par la loi du 21 février 2013, sanctionne l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou une abstention qui lui sont gravement préjudiciables » ;
Que les juges d’appel ont encore énoncé que « l’état de sujétion psychologique ou physique se définit par la situation d’une personne soumise à une domination et devenue ainsi vulnérable. L’état de sujétion doit résulter de l’exercice de pressions graves et répétées ou de techniques propres à altérer le jugement d’une personne » ;
Attendu que les juges d’appel ont retenu, sur base de leur appréciation souveraine des faits de la cause et des éléments de preuve, dont le rapport d’expertise d’un psychologue, contradictoirement débattus devant eux, que « l’âge avancé de B) a pu le rendre plus influençable et son faible niveau d’études, son 5 intelligence inférieure à la moyenne et son manque d’expérience de la vie sociale, ensemble certaines tendances caractérielles à l’isolement, l’obstination et le désir de se sortir de situations désagréables doublée d’une incapacité de prendre du recul, l’ont mis dans un état de sujétion psychologique », et que « B) était en état de sujétion, dès lors que pour lui les pressions exercées par la prévenue, pressions qui touchaient un point sensible de son caractère, à savoir sa réputation et son bas niveau intellectuel, de même que l’absence d’expérience sociale ne lui permettaient pas d’apprécier, à cet égard, l’absence de fondement des menaces de A) » ;
Que les juges d’appel ont ainsi caractérisé l’élément matériel constitutif de l’infraction dont ils ont déclaré la demanderesse en cassation coupable ;
Que contrairement aux affirmations de la demanderesse en cassation, la motivation afférente des juges d’appel n’est pas non plus entachée de contradictions ;
Que même si les juges d’appel ont utilisé le terme de « menaces », il ressort cependant de l’ensemble des considérations de l’arrêt attaqué que les juges d’appel ont caractérisé « les pressions graves » exercées par la demanderesse en cassation pour conduire B) à des actes qui lui étaient gravement préjudiciables, en l’occurrence de faire cadeau à la demanderesse en cassation de la moitié de son épargne ;
Qu’il en suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le troisième moyen de cassation :
tiré « de la mauvaise application, sinon interprétation de la loi, à savoir la déclaration de recevabilité et de bien fondé des demandes civiles.
En ce que 1’arrêt attaqué a :
dit recevables et fondées les demandes formulées par les parties civiles.
Au motif que:
Au vu de la décision au pénal et des préventions retenues à charge de A), la Cour d’appel est compétente pour connaître des demandes civiles.
Alors que :
En l’absence d’élément matériel composant l’infraction d’abus de faiblesse visée à l’article 493 du Code pénal, la Cour doit se déclarer incompétente et dire irrecevables et subsidiairement non fondées les demandes des parties civiles. » ;
Attendu qu’eu égard à la réponse donnée au deuxième moyen de cassation, les juges d’appel se sont à bon droit déclarés compétents pour connaître des demandes civiles dirigées contre la demanderesse en cassation ;
Attendu que le moyen ne formule aucune autre critique quant aux dispositions de l’arrêt attaqué ayant déclaré ces demandes recevables et fondées ;
Qu’il en suit que le moyen n’est pas fondé ;
Par ces motifs, rejette le pourvoi ;
condamne la demanderesse en cassation aux frais de l’instance en cassation, ceux exposés par le Ministère public étant liquidés à 5 euros.
Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, quatre mai deux mille dix-sept, à la Cité Judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :
Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour, Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation, Nico EDON, conseiller à la Cour de cassation, Carlo HEYARD, conseiller à la Cour de cassation, Rita BIEL, conseiller à la Cour d’appel, qui ont signé le présent arrêt avec le greffier Viviane PROBST, à l’exception du conseiller Carlo HEYARD, qui se trouvait dans l’impossibilité de signer.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur le président Jean-Claude WIWINIUS, en présence de Madame Jeanne GUILLAUME, premier avocat général, et de Madame Viviane PROBST, greffier à la Cour.