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17/11/2016 | LUXEMBOURG | N°88/16

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 17 novembre 2016, 88/16


N° 88 / 16.

du 17.11.2016.

Numéro 3706 du registre.

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-sept novembre deux mille seize.

Composition:

Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation, président, Nico EDON, conseiller à la Cour de cassation, Elisabeth WEYRICH, conseiller à la Cour d’appel, Carole KERSCHEN, conseiller à la Cour d’appel, Marie MACKEL, conseiller à la Cour d’appel, Marie-Jeanne KAPPWEILER, premier avocat général, Viviane PROBST, greffier à la Cour.

Entre:

X, demeura

nt à (…), demandeur en cassation, comparant par Maître Mathieu RICHARD, avocat à la Cour, en l’étude duquel...

N° 88 / 16.

du 17.11.2016.

Numéro 3706 du registre.

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-sept novembre deux mille seize.

Composition:

Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation, président, Nico EDON, conseiller à la Cour de cassation, Elisabeth WEYRICH, conseiller à la Cour d’appel, Carole KERSCHEN, conseiller à la Cour d’appel, Marie MACKEL, conseiller à la Cour d’appel, Marie-Jeanne KAPPWEILER, premier avocat général, Viviane PROBST, greffier à la Cour.

Entre:

X, demeurant à (…), demandeur en cassation, comparant par Maître Mathieu RICHARD, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:

1) la société anonyme SOC1), établie et ayant son siège social à (…), représentée par son conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), défenderesse en cassation, comparant par Maître Yves PRUSSEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 2) la société SOC2), société du droit de l’Ile de Jersey sous forme de « limited company », établie à (…), représentée par son organe de direction statutaire, agissant en sa qualité de trustee des trusts dénommés A) et B), défenderesse en cassation.

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LA COUR DE CASSATION :

Vu l’arrêt attaqué rendu le 16 octobre 2014 sous les numéros 37374 et 37390 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, neuvième chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 12 février 2016 par X à la société anonyme SOC1) et à la société du droit de l’Ile de Jersey SOC2), déposé au greffe de la Cour le 15 février 2016 ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 4 avril 2016 par la société anonyme SOC1) à X et à la société du droit de l’Ile de Jersey SOC2), déposé au greffe de la Cour le 5 avril 2016 ;

Vu le nouveau mémoire, dénommé « mémoire en réponse », signifié le 13 octobre 2016 par X à la société anonyme SOC1) et à la société du droit de l’Ile de Jersey SOC2), déposé au greffe de la Cour le 14 octobre 2016 ;

Sur le rapport du conseiller Romain LUDOVICY et sur les conclusions du premier avocat général John PETRY ;

Sur les faits :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, avait condamné X à payer un certain montant à la société anonyme SOC1), avait validé une saisie-arrêt pratiquée par cette dernière entre ses propres mains sur les comptes de X et avait dit non fondées plusieurs demandes reconventionnelles en dommages-intérêts de ce dernier ; que la Cour d’appel a rejeté l’appel de X et a confirmé ces dispositions du jugement entrepris ;

Sur la recevabilité du pourvoi qui est contestée :

Attendu que la défenderesse en cassation SOC1) soulève la nullité de l’exploit de signification du mémoire en cassation et, en conséquence, l’irrecevabilité du pourvoi, en raison de l’indication d’une fausse adresse par le demandeur en cassation aux fins d’éviter, par l’occultation de son adresse réelle, toute signification à domicile et toute mesure d’exécution ;

Attendu qu’aux termes de l’article 153 du Nouveau code de procédure civile tout acte d’huissier de justice doit indiquer, à peine de nullité, si le requérant est une personne physique, ses nom, prénoms, profession et domicile ;

Attendu que dans l’exploit de signification du mémoire en cassation le demandeur en cassation X indique au titre de son adresse la mention suivante :

« demeurant à (…)», partant une boîte postale et non le lieu de son domicile ou de sa résidence ;

Attendu que l’article 264, alinéa 2, du Nouveau code de procédure civile dispose qu’aucune nullité pour vice de forme des exploits ou des actes de procédure ne peut être prononcée que s’il est justifié que l’inobservation de la formalité, même substantielle, aura pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie adverse ;

Attendu qu’il ressort des pièces versées au dossier par le demandeur en cassation que des actes de procédure, et notamment l’arrêt attaqué, ont pu lui être signifiés malgré le fait que l’irrégularité formelle incriminée affectait déjà son acte d’appel et ses conclusions prises en instance d’appel ;

Que la défenderesse en cassation reste dès lors en défaut d’établir que le vice de forme qu’elle invoque soit de nature à porter atteinte à ses intérêts, de sorte qu’en application de l’article 264, alinéa 2, précité, il n’y a pas lieu de prononcer la nullité pour vice de forme de l’exploit de signification du mémoire en cassation ;

Qu’il en suit que le pourvoi, introduit pour le surplus dans les forme et délai de la loi, est recevable ;

Sur le premier moyen de cassation :

« Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'appel de X, confirmé le jugement quant à ce, débouté toutes les parties de leurs demandes basées sur l'article 240 du Nouveau code de procédure civile et condamné chacun des appelants aux dépens de son appel, aux motifs que que ses moyens de première instance qui ont été rejetés par le tribunal » ; ;

alors que - premier moyen - conformément à l'article 249 du Nouveau code de procédure civile et à l'article 6, paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome, le 4 novembre 1950 (ci-après la , en abrégé la ) disposant que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial, la rédaction des jugements doit contenir les motifs des jugements ; qu'en adoptant les motifs du jugement de première instance sans aucune discussion et sans expliciter en quoi lesdits motifs rencontraient l'approbation de la Cour d'appel, cette dernière n'a donné qu'une motivation de pure forme à son arrêt ne permettant pas au demandeur en cassation de suivre le raisonnement juridique suivi par la Cour d'appel et de connaître les motifs réels gisant à la base du rejet de son acte d'appel ; que partant, l'arrêt de la Cour d'appel a créé un doute légitime dans le chef du demandeur en cassation quant à l'objectivité et, ce faisant, à l'impartialité de la Cour ; que l'arrêt a quo encourt dès lors l'annulation pour absence de motifs »;

Attendu qu’aux termes de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation un moyen ou un élément de moyen ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture ;

Attendu que le moyen articule, d’une part un défaut de motifs au sens de l’article 249 du Nouveau code de procédure civile, qui constitue un vice de forme, et, d’autre part, une violation du devoir d’impartialité du juge inscrit à l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui constitue un vice de fond ;

Qu’il en suit que le moyen est irrecevable ;

Sur le deuxième moyen de cassation :

« Il est par ailleurs fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'appel de X, confirmé le jugement quant à ce, débouté toutes les parties de leurs demandes basées sur l'article 240 du Nouveau code de procédure civile et condamné chacun des appelants aux dépens de son appel, aux motifs que, d'une part, les mêmes que ses moyens de première instance qui ont été rejetés par le tribunal » et que ; et que, d'autre part, aux termes des motifs adoptés de première instance, pour conclure que (il y a lieu de lire : septembre) 2002 que X n'a pas voulu continuer au-delà du 11 octobre 2002, mais dans le cadre d'un contrat de gestion simple ou libre dans lequel c'est le client qui continue à gérer son compte en passant lui-même ses ordres à la banque et dans lequel le banquier est un mandataire qui exécute les ordres reçus et ne s'immisce en principe pas dans les affaires du client » ;

alors que - second moyen - conformément à l'article 249 du Nouveau code de procédure civile et à l'article 6, paragraphe 1 C.E.D.H. disposant que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial, la rédaction des jugements doit se prononcer sur les conclusions des parties et plus particulièrement du demandeur en cassation ;

que - première branche - en en substance, les mêmes que ses moyens de première instance », sans rechercher si le demandeur en cassation n'avait pas invoqué de nouveaux moyens en appel, notamment en s'appuyant pour la première fois dans ses conclusions d'appel du 19 juin 2012, page 7, sur l'article 1174 du Code civil aux fins de voir constater le caractère potestatif de la condition érigée unilatéralement en cours de contrat par la SOC1) S.A. consistant à demander des dépôts de garantie complémentaires qui n'étaient pas convenues au contrat entre le demandeur en cassation et la SOC1) SA., la Cour d'appel a omis de répondre aux conclusions du demandeur en cassation par lesquelles ce dernier invoquait les éléments suivants : ; qu'en ne répondant pas aux conclusions du demandeur en cassation sur ce moyen propre à entraîner le succès de ses prétentions, la Cour d'appel a privé de motifs son arrêt du 16 octobre 2014 ;

que - seconde branche - en faisant siens les motifs de première instance qui excluent la qualification de mandat de gestion discrétionnaire pour retenir celle de mandat de gestion simple dans les relations contractuelles entre le demandeur en cassation et la banque, sans vérifier si le jugement de première instance n'avait pas omis de rechercher s'il n'était pas établi que la banque avait effectué des opérations de vente sur option pour le compte de son client sans l'autorisation préalable de celui-ci, établissant ainsi le caractère discrétionnaire ou quasi-

discrétionnaire du mandat de gestion, comme l'y invitaient les conclusions du demandeur en cassation de première instance en date du 1er mars 2010, page 16, et ses conclusions en appel du 29 novembre 2011, page 181, la Cour d'appel a omis de répondre aux conclusions du demandeur en cassation sur ce moyen propre à entraîner le succès de ses prétentions, partant, a privé de motifs son arrêt du 16 octobre 2014 » ;

Sur la première branche du moyen :

Attendu que les juges de première instance avaient constaté que la demande de constitution de garanties supplémentaires était prévue au contrat conclu entre parties, qu’en appliquant cette clause, la banque n’avait fait qu’exercer un droit prévu dans les conditions générales acceptées par le demandeur en cassation, que le grief de ce dernier que la clause avait été appliquée de manière intempestive était contredite par les éléments du dossier, que cette application n’avait pas été abusive et que la banque était en droit de ne renouveler les positions des options « put » qu’à la condition que le demandeur en cassation produise une couverture supplémentaire de ses pertes ;

Qu’en faisant siens ces motifs, la Cour d’appel, qui n’avait pas à entrer dans le détail de l’argumentation des parties, a implicitement répondu au moyen ;

Qu’il en suit que le moyen n’est pas fondé en sa première branche ;

Sur la seconde branche du moyen :

Attendu que pour qu’il y ait défaut de réponse à conclusions, il faut que les conclusions invoquées contiennent un moyen de nature à entraîner une autre solution que celle adoptée et qu’il n’y ait pas été répondu ;

Attendu que les conclusions du demandeur en cassation, suivant lesquelles l’employé de la banque C) prenait parfois l’initiative de réaliser sans l’autorisation préalable de X des achats de « short put » que ce dernier se bornait à entériner par la suite, n’avaient pas pour objet de contester la qualification du contrat entre parties comme contrat de gestion simple et d’en demander la requalification en contrat de gestion discrétionnaire, mais d’illustrer, dans le cadre du moyen tiré d’un défaut d’information et de conseil de la banque, l’affirmation que celle-ci avait conseillé à son client de faire des opérations risquées ;

Que le passage auquel se réfère le demandeur en cassation ne formule donc aucun moyen et figure de surcroît dans un contexte différent de celui du moyen allégué auquel la Cour d’appel n’aurait pas répondu ;

Qu’il en suit que le moyen n’est pas non plus fondé en sa seconde branche ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris en ses deux branches :

« Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'appel de X, confirmé le jugement quant à ce, débouté toutes les parties de leurs demandes basées sur l'article 240 du Nouveau code de procédure civile et condamné chacun des appelants aux dépens de son appel, aux motifs adoptés, figurant dans le jugement du tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg du 22 décembre 2010, que , que et que ;

alors que - troisième moyen - conformément à l'article 249 du Nouveau code de procédure civile et à l'article 6, paragraphe 1 C.E.D.H. disposant que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial, la rédaction des jugements ne saurait contenir des motifs contradictoires ;

que - première branche - après avoir retenu que l'étendue et le contenu de l'obligation accessoire d'information et de conseil à charge de la banque vis-à-vis de son client sont à définir en fonction notamment du profil du client, la Cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, juger par adoption de motifs que ; que le jugement énonce ici une chose et son contraire en indiquant qu'il faut avoir égard au profil du client pour déterminer l'étendue des obligations d'information et de conseil de la banque à son égard, mais qu'il n'y a pas lieu d'apprécier le bien-fondé, ni la forme de la catégorisation du profil du client à laquelle aurait procédé la banque en l'espèce ; que s'annihilant réciproquement, les motifs adoptés sus-décrits privent l'arrêt de motivation ;

que - seconde branche - en adoptant les motifs du jugement de première instance selon lesquels le tribunal n'avait pas eu égard au changement de catégorie de client du demandeur en cassation pour conclure , alors que manifestement le tribunal s'est appuyé sur ce changement de catégorie, en retenant notamment que , l'arrêt a quo s'est privé derechef de motivation par contradiction de motifs » ;

Attendu que les juges de première instance, après avoir arrêté le principe que « L'étendue et le contenu de l'obligation accessoire d'information et de conseil à charge de la banque vis-à-vis de son client sont à définir en fonction du produit bancaire, du profil du client et des circonstances de l'espèce », ont retenu qu’en l’espèce « (…) il résulte de ces éléments que X, loin d'être un investisseur profane, doit être considéré comme étant un spéculateur expérimenté », « que X se considérait lui-même comme étant doté d'expérience en matière d'investissement, dès lors que, par courrier du 17 janvier 2008 adressé à la banque, il a demandé à la banque de le faire rentrer dans la catégorie des clients professionnels » », et, pour répondre au reproche de X que la banque, en procédant en janvier 2008 à sa catégorisation en tant que « client professionnel », aurait omis de vérifier de façon sérieuse ses connaissances et son expérience en matière d’opérations financières, que « le contenu de l’obligation d’information et de conseil dont la banque est débitrice à l'égard du client doit être analysé au regard de tous les éléments de la cause. La catégorisation interne de X à laquelle la banque a procédé en janvier 2008 à la demande expresse du défendeur n'est nullement déterminante dans la recherche de l'étendue de l'obligation d'information et de conseil à charge de la société SOC1) », étant donné que « dans le cadre d'un litige opposant le client à sa banque, il appartient au tribunal de vérifier concrètement les connaissances et l'expérience du client en matière d'opérations financières, analyse qui a en l'espèce été faite ci-avant », et que la question de savoir si la catégorisation incriminée était justifiée était sans pertinence, alors que, « sans avoir égard à ce changement de 7catégorie, le tribunal a retenu qu'aucune violation de l'obligation d'information et de conseil en relation causale avec les pertes subies par X ne pouvait être reprochée à la banque » ;

Attendu que ces motifs, adoptés par la Cour d’appel, sont exempts de contradiction ;

Qu’il en suit que le moyen n’est pas fondé en ses deux branches ;

Sur le quatrième moyen de cassation :

« Il est encore fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'appel de X, confirmé le jugement quant à ce, débouté toutes les parties de leurs demandes basées sur l'article 240 du Nouveau code de procédure civile et condamné chacun des appelants aux dépens de son appel, aux motifs adoptés qu' notamment des nombreux courriels produits par la société SOC1), qu'avant la signature du contrat de gestion et après le courriel de X du 11 octobre 2002, le défendeur gérait lui-même son portefeuille, qu'il prenait lui-même les décisions tant quant aux produits dans lesquels il voulait investir qu'aux montants qu'il voulait investir » et que (il y a lieu de lire : septembre) 2002 que X n'a pas voulu continuer au-delà du 11 octobre 2002, mais dans le cadre d'un contrat de gestion simple ou libre dans lequel c'est le client qui continue à gérer son compte en passant lui-même ses ordres à la banque et dans lequel le banquier est un mandataire qui exécute les ordres reçus et ne s'immisce en principe pas dans les affaires du client » ;

alors que - quatrième moyen - qu'en application de l'article 1134 du Code civil, et conformément à l'article 1984 du Code civil, ; que dès lors, la Cour d'appel, en adoptant les motifs de première instance qualifiant la relation contractuelle entre le demandeur en cassation et la banque de mandat de gestion simple, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la banque n'avait pas effectué des opérations de vente sur option pour le compte de son client sans son autorisation préalable, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des dispositions susvisées » ;

Attendu que le défaut de base légale suppose que l’arrêt comporte des motifs de fait incomplets ou imprécis, qui ne permettent pas à la Cour de cassation d’exercer son contrôle sur la bonne application de la loi ;

Attendu que pour retenir la qualification de mandat de gestion simple et exclure celle de mandat de gestion discrétionnaire, les juges de première instance ont retenu ce qui suit :

« En 1998, X a ouvert un compte n° 1107600 auprès de la société SOC1).

Le 19 septembre 2002, les parties ont conclu une convention de gestion « TTT – Eurostoxx 50 » aux termes de laquelle X a confié à la banque la gestion discrétionnaire des avoirs déposés (estimés à environ 1.200.000 euros à la date de la signature de la convention) sur le sous-compte interne n° 1107600-197, conformément à la technique « TTT » (« Track The Trend »), présentée par la banque comme étant .une technique de gestion alternative permettant aux investisseurs de profiter des tendances haussières et baissières du marché, en l'occurrence du marché « Eurostoxx 50 », moyennant prélèvement par la banque d'une commission de gestion.

Par courriel du 11 octobre 2002, X a écrit à D) de la société SOC1) : « je désire me mettre neutre en TTT, je ne crois pas que ce genre d'investissement me convienne pour le moment, les marchés sont trop volatiles, nous avons perdu en 2 heures ce que nous avions gagné en 4 jours, ce n'est pas bon pour mon portefeuille ni pour mon cœur !! Je préfère pour le moment, jouer au jour le jour comme je fais de temps en temps (…) ».

La société SOC1) conclut de ces éléments que X a mis fin au contrat de gestion « TTT – Eurostoxx 50 » relatif aux produits dérivés un mois après sa signature et que les opérations spéculatives que X a entreprises après le 11 octobre 2002 l'ont été sur ordre de celui-ci. X aurait ainsi, dès 2002, géré lui-même son compte en initiant un nombre impressionnant d'opérations sur produits dérivés. A partir de ce moment, la banque n'aurait perçu aucune commission de gestion et, depuis 2003, il n'y aurait plus eu d'avoirs à gérer sur le sous-compte n° 110760-

197.

X conteste le bien-fondé du moyen de la société SOC1). Il fait valoir que le contrat de mandat de gestion discrétionnaire signé le 19 septembre 2002 n'a jamais fait l'objet d'une résiliation de sorte que ce contrat trouverait toujours application à ce jour. Contrairement à l'argumentaire de la banque, le courriel de X du 11 octobre 2002 ne constituerait pas une résiliation du contrat « TTT – Eurostoxx 50 », une telle résiliation devant intervenir suivant l'article 6 de ladite convention par lettre recommandée à la poste.

S'il est vrai que le courriel de X du 11 octobre 2002 par lequel celui-ci a demandé à la banque de « le mettre neutre en TTT » ne constitue pas une résiliation formelle de la convention de gestion « TTT » conclue le 19 septembre 2002 entre parties, il reste que X y a exprimé son désir de suspendre les effets du contrat de gestion au motif que ce « genre d'investissement » ne lui convenait pas « pour le moment » et qu'il préférait « jouer au jour le jour », décision que la banque a acceptée. Il résulte en outre des pièces du dossier, et notamment des nombreux courriels produits par la société SOC1), qu'avant la signature du contrat de gestion et après le courriel de X du 11 octobre 2002, le défendeur gérait lui-même son portefeuille, qu'il prenait lui-même les décisions tant quant aux produits dans lesquels il voulait investir qu'aux montants qu'il voulait investir. Si, tel que le fait relever X, il a bénéficié à l'occasion de conseils donnés par C), son interlocuteur à la banque, il ne demeure pas moins que le choix de la décision finale n'incombait pas à la banque, mais à X. Il s'ajoute que le défendeur reste en défaut de prouver son allégation qu'après la mise en suspens de la convention de gestion «TTT – Eurostoxx 50 », la société SOC1) aurait perçu de la part de son client la moindre commission de gestion.

Dans ces conditions, les opérations boursières litigieuses ne s'inscrivent pas dans le cadre du contrat de gestion discrétionnaire du 19 septembre 2002 que X n'a pas voulu continuer au-delà du 11 octobre 2002, mais dans le cadre d'un contrat de gestion simple ou libre dans lequel c'est le client qui continue à gérer son compte en passant lui-même ses ordres à la banque et dans lequel le banquier est un mandataire qui exécute les ordres reçus et ne s'immisce en principe pas dans les affaires du client. » ;

Attendu que par ces motifs complets et précis, adoptés par la Cour d’appel, celle-ci a qualifié sans insuffisance de motifs le contrat comme mandat de gestion simple ;

Qu’il en suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur les cinquième et sixième moyens de cassation réunis :

« Il est en outre fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'appel de X, confirmé le jugement quant à ce, débouté toutes les parties de leurs demandes basées sur l'article 240 du Nouveau code de procédure civile et condamné chacun des appelants aux dépens de son appel, aux motifs adoptés que exige du professionnel de mettre son client en garde de façon générale et ne doit pas porter sur les risques inhérents à une opération déterminée » et que pour retenir qu' ;

alors que - cinquième moyen - en vertu du principe de loyauté contractuelle visé à l'article 1134, alinéa 3 du Code civil et en application de l'article 1135 du Code civil d'après lequel l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature », en lien avec l'article 37-3 (3) de la loi du 5 avril 1993 sur le secteur financier telle qu'elle a été modifiée, il incombe une obligation d'information et de conseil à charge de la banque à l'égard de son client sur le type spécifique d'instruments financiers dans lesquelles il est proposé d'investir ; que l'arrêt a quo, en reprenant les motifs de première instance, qui se contentent, sur base des conditions générales de la banque, d'une simple mise en garde générale à l'égard du client pour exonérer la banque de son obligation d'information et de conseil, en l'absence d'informations spécifiques quant au type d'instruments financiers dans lesquels il était proposé d'investir et aux risques spécifiques y afférents, a violé les dispositions susvisées ;

Il est finalement fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'appel de X, confirmé le jugement quant à ce, débouté toutes les parties de leurs demandes basées sur l'article 240 du Nouveau code de procédure civile et condamné chacun des appelants aux dépens de son appel, aux motifs adoptés que accessoire d'information et de conseil à charge de la banque vis-à-vis de son client sont à définir en fonction du produit bancaire, du profil client et des circonstances de l'espèce », que et que ;

alors que - sixième moyen - en vertu du principe de loyauté contractuelle visé à l'article 1134, alinéa 3 du Code civil et en application de l'article 1135 du Code civil d'après lequel , en lien avec l'article 37-3 (4) de la loi du 5 avril 1993 sur le secteur financier telle qu'elle a été modifiée, il appartient à la banque, au titre de son obligation accessoire d'information et de conseil, de s'enquérir des connaissances et de l'expérience du client en rapport avec le type de produit proposé afin d'être en mesure d'évaluer si le produit d'investissement est approprié pour le client ; que l'arrêt a quo, par motifs adoptés, après avoir constaté que la banque avait conseillé le demandeur en cassation quant aux produits d'investissement litigieux, a cependant fait abstraction du bien-fondé de la catégorisation du client opérée par la banque en janvier 2008, n'examinant dès lors pas les diligences de la banque pour s'enquérir des connaissances et de l'expérience de son client quant aux produits financiers conseillés, pour retenir que la banque n'avait pas failli à son obligation d'information et de conseil ; ce faisant, la Cour d'appel a violé les dispositions susvisées » ;

Attendu que les juges de première instance ont défini comme suit l’étendue et le contenu de l’obligation d’information et de conseil de la banque :

« L'étendue et le contenu de l'obligation accessoire d'information et de conseil à charge de la banque vis-à-vis de son client sont à définir en fonction du produit bancaire, du profil du client et des circonstances de l'espèce. Le client a, de son côté, l'obligation de s'informer et de se renseigner lui-même quant aux services qu'il sollicite. L'information sera modulée en fonction de l'inexpérience du client (Cour d'appel, 24 juin 2009, déc. précitée). L'obligation d'informer le client des risques encourus dans les opérations spéculatives sur le marché à terme doit conférer au client la compréhension des mécanismes du marché, des risques du jeu boursier en général, ce afin que son choix soit effectué en connaissance de cause (Cour d'appel, 27 avril 2007, déc. précitée). L'obligation de la banque, qui est de moyens, exige du professionnel de mettre son client en garde de façon générale et ne doit pas porter sur les risques inhérents à une opération déterminée (Cour d'appel, 19 décembre 2007, déc. précitée). » ;

Qu’en ce qui concerne les connaissances et l’expérience de X en matière d’opérations financières et l’étendue de l’obligation d’information et de conseil à laquelle la banque était, en conséquence, tenue à son égard, ils ont retenu en substance, sur base des éléments du dossier leur soumis, exposés en détail dans leur décision, « que X, loin d'être un investisseur profane, doit être considéré comme étant un spéculateur expérimenté », que « compte tenu de son expérience dans le domaine des investissements, et notamment dans les opérations spéculatives, X ne pouvait ignorer les risques que comportait toute opération spéculative, englobant des paris à la hausse ou à la baisse des valeurs », « qu'en tant qu'investisseur expérimenté, X devait être conscient des risques inhérents » à l’instrument financier des options «put», qu’« au vu de sa connaissance du marché, X devait nécessairement être au courant de ce risque (de faire des pertes sensibles) », « que la décision finale prise en 2007 de s'engager dans les opérations sur options «put» l'avait été par X lui-même, en pleine connaissance de cause » ; qu’« il en va de même en ce qui concerne la décision prise par X les 16 et 18 septembre 2008 de faire des «roll-over», partant de renouveler ses positions en options «put» », et que « partant aucun manquement à son obligation d'information et de conseil n'est prouvé dans le chef de la société SOC1).» ;

Que, quant au reproche de X que la banque, en procédant en janvier 2008 à sa catégorisation en tant que « client professionnel », aurait manqué aux règles de conduite énumérées dans la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier en omettant de vérifier de façon sérieuse ses connaissances et son expérience en matière d’opérations financières, les juges ont considéré que « le contenu de l’obligation d’information et de conseil dont la banque est débitrice à l'égard du client doit être analysé au regard de tous les éléments de la cause », que la question de la justification de la catégorisation incriminée était dès lors sans pertinence, étant donné que « dans le cadre d'un litige opposant le client à sa banque, il appartient au tribunal de vérifier concrètement les connaissances et l'expérience du client en matière d'opérations financières, analyse qui a en l'espèce été faite ci-avant » et « que, sans avoir égard à ce changement de catégorie, le tribunal a retenu qu'aucune violation de l'obligation d'information et de conseil en relation causale avec les pertes subies par X ne peut être reprochée à la banque » ;

Attendu qu’en se déterminant par adoption de cette motivation, les juges d’appel ont retenu, en faisant usage de leur pouvoir d’appréciation souverain des éléments de l’espèce, que compte tenu des connaissances et de l’expérience de X en matière d’opérations financières, aucune violation de l’obligation d’information et de conseil à l’égard du client, tant au regard des règles de droit commun qu’au regard des prescriptions spéciales de la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier, ne pouvait être reprochée à la banque ;

Attendu que sous le couvert du grief de la violation des dispositions visées aux moyens, ceux-ci ne tendent qu’à remettre en discussion cette appréciation souveraine des juges du fond, qui échappe au contrôle de la Cour de cassation ;

Qu’il en suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure :

Attendu qu’il serait inéquitable de laisser entièrement à charge de la défenderesse en cassation SOC1) les frais exposés non compris dans les dépens ;

qu’il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.000 euros ;

Par ces motifs :

rejette le pourvoi ;

condamne le demandeur en cassation à payer à la défenderesse en cassation SOC1) une indemnité de procédure de 2.000 euros ;

condamne le demandeur en cassation aux dépens de l’instance en cassation, avec distraction au profit de Maître Yves PRUSSEN sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur le conseiller Romain LUDOVICY, en présence de Madame Marie-Jeanne KAPPWEILER, premier avocat général, et de Madame Viviane PROBST, greffier à la Cour.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 88/16
Date de la décision : 17/11/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 09/12/2019
Fonds documentaire ?: Legilux
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2016-11-17;88.16 ?

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