N° 62 / 16.
du 2.6.2016.
Numéro 3604 du registre.
Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, deux juin deux mille seize.
Composition:
Georges SANTER, président de la Cour, Irène FOLSCHEID, conseiller à la Cour de cassation, Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation, Nico EDON, président de chambre à la Cour d’appel, Karin GUILLAUME, premier conseiller à la Cour d’appel, Marc HARPES, avocat général, Viviane PROBST, greffier à la Cour.
Entre:
le PROCUREUR GENERAL D’ETAT, dont les bureaux sont établis à L-2080 Luxembourg, Plateau du St. Esprit, Cité judiciaire, Bâtiment CR, demandeur en cassation, et:
1) A), (…), demeurant à (…), 2) B), demeurant à (…), agissant tant en son nom personnel qu’en sa qualité de représentante légale de son fils mineur D), défendeurs en cassation, comparant par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, en l’étude duquel domicile est élu, assisté de Maître Danièle WAGNER, avocat à la Cour, demeurant à Diekirch, 3) C), demeurant à (…), défendeur en cassation.
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LA COUR DE CASSATION :
Vu l’arrêt attaqué rendu le 29 avril 2015 sous le numéro 41970 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, première chambre, siégeant en matière d’adoption ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 26 juin 2015 par le PROCUREUR GENERAL D’ETAT à A), à B), et à C), déposé au greffe de la Cour le 29 juin 2015 ;
Vu le mémoire en réponse signifié les 13 et 14 août 2015 par A) et B) au PROCUREUR GENERAL D’ETAT et à C), déposé au greffe de la Cour le 21 août 2015 ;
Sur le rapport du conseiller Irène FOLSCHEID ;
Sur les faits :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le tribunal d'arrondissement de Diekirch avait déclaré non fondée la demande en adoption plénière de l'enfant D), présentée par A) ; que la Cour d'appel, constatant que A) est le père biologique de D), déclaré comme enfant légitime d'C), a noté qu'il n'existe aucune restriction légale spécifique qui interdise à une personne d'adopter son propre enfant ; qu’elle a considéré ensuite qu'en principe il est de l'intérêt supérieur non seulement de l'enfant, mais encore de ses parents, d'obtenir la constatation d'une filiation effective et véritable, plutôt que de faire établir une filiation fictive et qu'il convient partant d'analyser si, en l'espèce, l'établissement d'une filiation conforme à la vérité biologique est juridiquement possible ; qu'examinant les deux actions envisageables, à savoir l'action en désaveu de paternité, prévue à l'article 316 du Code civil, et l'action en contestation de filiation légitime, prévue à l'article 322-1 du Code civil, la Cour d'appel, sur base de deux arrêts de la Cour constitutionnelle ayant déclaré les deux dispositions légales non conformes à l'article 10 bis, paragraphe 1, de la Constitution pour prévoir des délais d'action plus courts que ceux prévus aux articles 339, alinéa 4, du Code civil, respectivement 339, alinéa 3 du Code civil, se rapportant à la contestation de la filiation naturelle, a dit qu'il convient d'aligner les délais pour l'action en désaveu et pour l'action en contestation de paternité légitime sur ceux prévus à l'article 339 du Code civil; que, constatant que les délais ainsi alignés sont en l'espèce dépassés et que les deux actions ne sont dès lors plus possibles, et relevant que l'adoption a lieu pour de justes motifs et qu'elle présente des avantages pour l'adopté, elle a, par réformation, prononcé l'adoption plénière entre A) et l'enfant D) ;
Sur les premier et second moyens de cassation réunis :
tirés, le premier, « de la violation de la loi, in specie les articles 316 et 339, alinéa 4, du Code civil, en ce que la Cour d'appel, après avoir constaté que 316 du Code civil n'est pas conforme à l'article 10 bis (1) de la Constitution dans la mesure où il enferme l'action en désaveu de paternité du mari dans des délais plus courts que ceux accordés par l'article 339 du Code civil à l'auteur de la reconnaissance d'un enfant naturel (cf. Cour constitutionnelle 15 mai 2009, n°50 du registre)» a déduit de cet arrêt que la Cour constitutionnelle entend voir aligner le délai plus court sur le délai plus long, et a aligné le délai de six mois prévu à l'article 316 du Code civil sur celui de l'article 339, alinéa 4, du même Code, qui prévoit que l'auteur de la reconnaissance ne peut plus la contester, si l'enfant a une possession d'état continue et conforme de plus de trois ans, depuis l'acte de reconnaissance, ni s'il a atteint l'âge de six ans accomplis, et a finalement conclu qu'il s'ensuit qu'une action en désaveu de paternité légitime par C) n'est plus possible en raison du délai de prescription, alors que, première branche, l'article 316 du Code civil, qui enferme dans un délai préfix de six mois l'action en désaveu de paternité du mari, n'a pas été modifié par le législateur suite à l'arrêt de la Cour constitutionnelle n°50/09 du 15 mai 2009, qui a déclaré que l'article 316 du Code civil n'est pas conforme à l'article 10 bis de la Constitution dans la mesure où il enferme l'action en désaveu de paternité du mari dans des délais plus courts que ceux accordés par l'article 339 du Code civil à l'auteur de la reconnaissance d'un enfant naturel, et que l'action en désaveu de paternité prévue à l'article 316 du Code civil, n'est partant pas soumise au même délai que celui prévu à l'article 339 du Code civil, de sorte que la Cour d'appel a violé l'article 339, alinéa 4, du Code civil, par fausse interprétation, seconde branche, l'article 339, alinéa 4, du Code civil, constitue un texte spécial, applicable en matière de filiation naturelle, qui ne saurait s'appliquer à une action en désaveu de paternité, de sorte que la Cour d'appel a violé l'article 339, alinéa 4, du Code civil, par fausse application. » le second, « de la violation de la loi, in specie les articles 322, alinéa 2, et 339, alinéa 3, du Code civil, en ce que la Cour d'appel, après avoir constaté que l'arrêt précité 28 novembre 2014, a dit que l'article 322, alinéa 2, du Code civil n'est pas conforme à l'article 10 bis (1) de la Constitution, en ce qu'il ne permet pas à ceux qui se prétendent les parents véritables de l'enfant de contester la filiation légitime résultant d'un acte de naissance qui n'est pas corroboré par une possession d'état continue et conforme de plus de dix ans, faculté dont disposent les parents véritables pour contester une filiation naturelle, en vertu de l'article 339, alinéa 3. », a déduit de cet arrêt que la Cour constitutionnelle entend voir aligner le délai plus court sur le délai plus long, et a aligné le délai prévu à l'article 322, alinéa 2, du Code civil sur celui de l'article 339, alinéa 3, du même Code, qui vise la filiation naturelle, et qui prévoit que , alors que, première branche, l'article 322, alinéa 2, du Code civil n'a pas été modifié par le législateur suite à l'arrêt de la Cour constitutionnelle n°113 du 28 novembre 2014, qui a déclaré que l'article 322, alinéa 2, du Code civil n'est pas conforme à l'article 10 bis de la Constitution en ce qu'il ne permet pas à ceux qui se prétendent les parents véritables de l'enfant de contester la filiation légitime résultant d'un acte de naissance qui n'est pas corroboré par une possession d'état continue et conforme de plus de dix ans, et que l'action en contestation prévue à l'article 322, alinéa 2, du Code civil, n'est partant pas soumise au même délai que celui prévu à l'article 339 du Code civil, de sorte que la Cour d'appel a violé l'article 322, alinéa 2, du Code civil, par fausse interprétation, seconde branche, l'action en contestation prévue à l'article 322, alinéa 2, du Code civil, n'est pas soumise au délai prévu à l'article 339, alinéa 3, du Code civil, qui constitue un texte spécial, applicable en matière de filiation naturelle, qui ne saurait s'appliquer à une action en désaveu de paternité, de sorte que la Cour d'appel a violé l'article 339, alinéa 3, du Code civil par fausse application. » Attendu que la Cour d'appel a retenu, d'une part, qu'il n'existe aucune restriction légale qui interdise à une personne d'adopter son propre enfant et, d'autre part, qu'en l'espèce l'adoption a lieu pour de justes motifs et qu'elle présente des avantages pour l'adopté, de sorte que les conditions de l’article 343 du Code civil sont remplies ;
Que cette motivation constitue un soutien suffisant du dispositif et que les considérations relatives à l'intérêt supérieur que présente, en principe, la constatation d'une filiation effective sont dès lors surabondantes ;
Qu'il s'ensuit que les moyens sont inopérants ;
Par ces motifs :
rejette le pourvoi ;
laisse les frais de l'instance en cassation à charge de l'Etat.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur le président Georges SANTER, en présence de Monsieur Marc HARPES, avocat général, et de Madame Viviane PROBST, greffier à la Cour.