N° 50 / 16.
du 26.5.2016.
Numéro 3645 du registre.
Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-six mai deux mille seize.
Composition:
Georges SANTER, président de la Cour, Irène FOLSCHEID, conseiller à la Cour de cassation, Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation Jean-Claude WIWINIUS, conseiller à la Cour de cassation, Rita BIEL, conseiller à la Cour d’appel, Serge WAGNER, avocat général, Viviane PROBST, greffier à la Cour.
Entre:
la société anonyme SOC1), anciennement SOC3), établie et ayant son siège social à (…), représentée par son conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), demanderesse en cassation, comparant par Maître Patrice Rudatinya MBONYUMUTWA, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, en l’étude duquel domicile est élu, assisté de Maître Sandrine EGLOFF, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, et:
la société anonyme SOC2), établie et ayant son siège social à (…), représentée par son conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), défenderesse en cassation, comparant par Maître Alexandre CAYPHAS, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, en l’étude duquel domicile est élu.
=======================================================
LA COUR DE CASSATION :
Vu le jugement attaqué rendu le 19 mai 2015 sous le numéro 166001 du rôle par le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en matière commerciale et en instance d’appel ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 11 septembre 2015 par la société anonyme SOC1) à la société anonyme SOC2), déposé au greffe de la Cour le 17 septembre 2015 ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 10 novembre 2015 par la société anonyme SOC2) à la société anonyme SOC1), déposé au greffe de la Cour le 11 novembre 2015 ;
Sur le rapport du conseiller Irène FOLSCHEID et sur les conclusions de l’avocat général Marie-Jeanne KAPPWEILER ;
Sur les faits :
Attendu, selon le jugement attaqué, que la société anonyme SOC1) (ci-après la société SOC1)), ayant facturé des prestations de services à la société anonyme SOC2) (ci-après la société SOC2)), avait pratiqué une saisie-arrêt sur le compte d'SOC2) auprès de SOC4)et fait citer la société SOC2) devant le tribunal de paix de Luxembourg en validation de la saisie-arrêt ; que la société SOC2) avait par la suite informé la société SOC1) de son accord à payer le montant de la facture, sans reconnaissance aucune de son bien-fondé et dans le seul but de mettre fin au blocage de ses comptes, tout en signalant son intention de réclamer le remboursement des montants payés ; que suite au paiement effectué par la société SOC2), la société SOC1) avait informé le tribunal de paix qu'elle se désistait purement et simplement de l'action introduite devant ce tribunal, ce dont le tribunal de paix lui avait donné acte ; que la société SOC2) ayant par la suite fait citer la société SOC1) devant le tribunal de paix en répétition du montant lui payé, le tribunal, relevant qu'en se désistant de son action, la société SOC1) avait renoncé à son droit de créance et que le paiement effectué par la société SOC2) était dès lors un paiement indu, avait fait droit à cette demande ; que son jugement a été confirmé par le tribunal d'arrondissement de Luxembourg ;
Sur le premier moyen de cassation :
tiré « de la violation de l’article 1234 du Code civil, relatif à l’extinction des obligations et qui dispose :
remise volontaire - par la compensation - par la confusion - par la perte de la chose - par la nullité ou la rescision - par l'effet de la condition résolutoire, qui a été expliqué au chapitre précédent - et par la prescription, qui fera l'objet d'un titre particulier ».
En ce que le tribunal d'arrondissement siégeant en matière commerciale et en instance d'appel a refusé de reconnaître l'effet extinctif du paiement réalisé par SOC2) au motif que le caractère certain de la créance objet du paiement aurait fait défaut.
Alors que l'article 1234 est énoncé de manière claire et ne laisse place à aucune équivoque.
Le paiement vaut extinction des obligations et a donc un effet libératoire.
Par conséquent, et en l'espèce, le paiement effectué par SOC2) a eu pour conséquence d'éteindre l'obligation de SOC2) et la créance de SOC1).
Le tribunal d'arrondissement a conclu à tort que la créance n'était pas certaine. En effet, aucune base légale n'est invoquée pour justifier le fait que le simple paiement avec réserve suffit à écarter le caractère certain de la créance.
La créance de SOC1) était donc éteinte par le paiement. Le paiement sous réserve permet éventuellement au solvens d'en contester le bien-fondé par la suite, mais ne permet en aucun cas de remettre en cause l'effet extinctif du paiement.
La créance de SOC1) étant éteinte, SOC1) a décidé de se désister de son action. L'action n'avait en effet plus d'objet et SOC1) n'avait donc plus d'intérêt à agir. SOC1) s'est donc désistée de son action uniquement en raison de l'extinction de sa créance.
En refusant d'admettre l'effet extinctif du paiement, le tribunal d'arrondissement a violé l'article en question. » Attendu que les juges du fond ont constaté que le paiement effectué par la société SOC2) l’a été sous des réserves formelles et uniquement dans le but d’obtenir mainlevée de la saisie-arrêt bloquant ses comptes, donc sans reconnaissance aucune du bien-fondé de la prétention adverse ; que c’est dès lors à juste titre, et sans encourir le reproche d’une violation de l’article 1234 du Code civil, qu’ils n’ont pas reconnu à ce paiement un effet extinctif ;
Que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris en ses deux branches :
tiré « de la violation de l'article 1134 du Code civil qui dispose que :
ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi ».
En ce que, première branche du deuxième moyen, le tribunal d'arrondissement a conclu que le paiement était sans cause, d'une part.
D'autre part, en ce que, seconde branche du deuxième moyen, le tribunal d'arrondissement a fait produire au désistement d'action un effet rétroactif en concluant que le désistement d'action vaut renonciation au droit substantiel sous-
jacent.
1.2.1. Première branche du deuxième moyen.
La violation de l'article 1134 du Code civil résulte, d'une part, du fait que le tribunal d'arrondissement a conclu à tort que le paiement réalisé par SOC2) était sans cause Alors qu'il existe un contrat d'agent valablement formé entre SOC1) et SOC2).
Le paiement constitue dès lors une obligation contractuelle pour SOC2), qui doit être exécutée de bonne foi et qui constitue la contrepartie d'une prestation effectivement réalisée par SOC1).
Le paiement n'est donc absolument pas dépourvu de cause, la cause du paiement résultant en effet du contrat d'agent valablement formé entre SOC1) et SOC2).
1.2.2. Seconde branche du deuxième moyen.
La violation de l'article 1134 du Code civil résulte, d'autre part, du fait que le tribunal d'arrondissement a donné un effet rétroactif au désistement d'action en concluant à tort que le désistement d'action vaut renonciation au droit substantiel sous-jacent, à savoir le droit au paiement de la créance de SOC1).
Alors que ledit droit substantiel résulte d'un contrat valablement formé.
Dès lors, dire que SOC1) a renoncé à sa créance uniquement en raison de son désistement d'action, est contraire à l'effet obligatoire des contrats. » Attendu que les juges du fond ont correctement retenu que le désistement d'action, opéré en l'espèce par la société SOC1), emporte non seulement abandon d'une instance introduite à un certain moment, mais encore abandon du droit qui forme la base de l'instance et emporte renonciation définitive et extinction du droit lui-même, ajoutant :
« Si c'est à bon droit que SOC1) fait plaider que l'effet du désistement se produit dès la notification de l'acte de désistement et empêche toute nouvelle action fondée sur le même droit, c'est en revanche à tort qu'elle tente de faire admettre que le droit sous-jacent au désistement continuerait à exister et que le désistement d'action ne vaudrait pas renonciation à ce droit, étant donné que de par le désistement d'action, ce droit est, par définition, éteint » ;
Qu'ils en ont déduit que, le droit sur base duquel le paiement a été effectué par la société SOC2) se trouvant, par l'effet du désistement d'action, anéanti, la cause sous-jacente au paiement se trouve effacée, de sorte que le paiement a été effectué de manière indue ;
Qu'en se déterminant ainsi, ils n'ont pas violé l'article 1134 du Code civil ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen de cassation :
tiré « de la violation des articles 1235 et 1376 du Code civil qui disposent respectivement que :
sujet à répétition ».
s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu ».
En ce que le tribunal d'arrondissement a refusé de vérifier si les conditions de la répétition de l'indu étaient réunies au seul motif que le créancier s'était désisté de son action.
Alors qu'il résulte desdits articles que deux conditions sont nécessaires pour prouver que le paiement est indu, à savoir :
- Un paiement volontaire et, - Un paiement indu Par ailleurs, la preuve de la réunion de ces conditions incombe au demandeur à l'action (Droit des obligations au Luxembourg, Principe et examen de jurisprudence, Olivier Poelmans).
Cependant, la preuve d'un paiement indu n'a jamais été apportée par SOC2).
Le tribunal d'arrondissement a fait droit à la demande de répétition de l'indu formulée par SOC2) en refusant à tort de vérifier si les conditions nécessaires étaient remplies, au seul motif que SOC1) s'est désistée de son action, le paiement devenant ainsi sans cause, quod non.
SOC1) s'est certes désistée de son action. En revanche, cela n'exonère pas le demandeur en répétition de l'indu de prouver que le paiement est bel et bien indu.
Il appartenait au tribunal d'arrondissement de constater l'absence de preuve d'un paiement indu et donc d'en refuser la répétition. La violation des articles susvisés est par conséquent manifeste. » Attendu qu'en retenant, sur base des considérants repris dans la réponse au deuxième moyen de cassation, le caractère indu du paiement effectué par la société SOC2), la Cour d’appel a correctement appliqué les dispositions visées au moyen ;
Que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen de cassation :
tiré « de la violation de l'article 50 du Nouveau code de procédure civile qui dispose que :
dispose autrement. Elles ont la liberté d'y mettre fin avant qu'elle ne s'éteigne par l'effet du jugement ou en vertu de la loi ».
Il résulte de cet article que les parties sont libres de mettre fin à une instance sans que cela ait pour conséquence la renonciation au droit substantiel sous-jacent.
Le tribunal d'arrondissement a pourtant fait produire au désistement d'action des conséquences qui ne figurent pas dans la loi, à savoir la renonciation au droit substantiel à la base de l'action.
Alors que, la conséquence logique du désistement d'action réside dans la renonciation au droit d'agir et non pas au droit substantiel sous-jacent.
SOC1) a certes renoncé au droit d'agir contre SOC2) concernant la facture n° 160 du 29 juin 2012, mais n'a en aucun cas renoncé à sa créance.
C'est justement du fait de l'extinction de sa créance par le paiement de SOC2), que SOC1) s'est désistée de son action qui n'avait dès lors plus d'objet.
Le tribunal d'arrondissement a clairement confondu les notions d'action et de droit substantiel qui sont deux choses bien distinctes.
L'action est en effet définie par l'article 30 du Nouveau code de procédure civil français de la manière suivante (www.légifrance.fr) Il découle donc de cette définition qu’il existe un réel droit d'agir qui n'est en rien comparable au droit substantiel sous-jacent.
La chambre commerciale de la Cour de cassation française a confirmé l'existence d'une réelle distinction entre le droit d'agir et le droit substantiel dans un arrêt du 22 mai 2007 n°06-12196 qui énonce que . II ressort donc clairement de cette décision que le droit d'agir n'est pas assimilable au droit substantiel. Par conséquent, renoncer à son droit d'action ne signifie clairement pas renoncer à sa créance.
En revanche, ce qui rend, par conséquent, irrecevable toute demande ultérieure fondée sur ce droit » (, Fiches d'orientation, Procédure civile, mars 2015, www.dalloz.fr).
Le tribunal d'arrondissement a donc confondu le droit d'agir avec le droit substantiel sous-jacent, donnant ainsi des effets contraires à ce qui devrait normalement être attaché au désistement d'action. » Attendu que la disposition invoquée à l'appui du moyen est étrangère au litige qui porte, non sur un désistement d'instance, mais sur un désistement d'action ;
Qu'il s'ensuit que le moyen est irrecevable ;
Sur le cinquième moyen de cassation :
tiré « de la violation de l’article 89 de la Constitution ;
La violation de l'article 89 de la Constitution résulte du fait que le tribunal d'arrondissement a donné des conclusions juridiques contraires à des faits souverainement constatés, en appliquant un effet rétroactif à la prétendue renonciation par SOC1) à sa créance, alors qu'il a reconnu à bon droit que le désistement d'action produit ses effets seulement à compter de sa notification.
Or, même en considérant que le désistement d'action vaut renonciation du droit sous-jacent, quod non, le tribunal d'arrondissement aurait seulement dû reconnaitre une renonciation au droit d'agir étant donné que la créance de SOC1) était éteinte par le paiement réalisé par SOC2).
En effet, lors de la notification du désistement d'action, SOC1) avait déjà été désintéressée et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle SOC1) a opéré ce désistement d'action puisqu'elle n'avait dès lors plus aucun intérêt à agir.
Il parait alors compliqué de renoncer à un droit qui n'existe plus juridiquement.
Le tribunal d'arrondissement a donc tiré des conclusions juridiques contraires à son propre raisonnement et à des faits souverainement constatés par lui-même, à savoir attacher au désistement d'action un effet rétroactif alors même que les effets du désistement d'action s'apprécient au jour de sa notification, ce qui constitue une violation de l'article 89 de la Constitution. » Attendu qu'en se déterminant ainsi qu'il est dit dans les réponses aux deux premiers moyens de cassation, les juges du fond ne se sont pas contredits ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure :
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l'intégralité des frais non compris dans les dépens exposés par elle en instance de cassation ; qu'il convient de lui allouer la somme de 2.000 euros ;
Par ces motifs :
rejette le pourvoi ;
condamne la demanderesse en cassation à payer à la défenderesse en cassation une indemnité de procédure de 2.000 euros ;
condamne la demanderesse en cassation aux dépens de l'instance en cassation, dont distraction au profit de Maître Alexandre CAYPHAS, sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur le président Georges SANTER, en présence de Monsieur Serge WAGNER, avocat général, et de Madame Viviane PROBST, greffier à la Cour.