N° 95 / 15.
du 3.12.2015.
Numéro 3563 du registre.
Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de
Luxembourg du jeudi, trois décembre deux mille quinze.
Composition:
Georges SANTER, président de la Cour,
Irène FOLSCHEID, conseiller à la Cour de cassation,
Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation,
Jean ENGELS, conseiller à la Cour d’appel,
Marie MACKEL, conseiller à la Cour d’appel,
John PETRY, premier avocat général,
Viviane PROBST, greffier à la Cour.
Entre:
A), (…), demeurant à (…),
demandeur en cassation,
comparant par Maître Anne-Marie SCHMIT, avocat à la Cour, en l’étude de
laquelle domicile est élu,
et:
B), (…), demeurant à (…),
défenderesse en cassation,
comparant par Maître Joëlle CHRISTEN, avocat à la Cour, en l’étude de
laquelle domicile est élu.
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LA COUR DE CASSATION :
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Vu l’arrêt attaqué rendu le 17 décembre 2014 sous le numéro 40440 du rôle
par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, première chambre, siégeant
en matière civile ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 12 mars 2015 par A) à B), déposé au
greffe de la Cour le 17 mars 2015 ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 11 mai 2015 par B) à A), déposé au
greffe de la Cour le 12 mai 2015 ;
Sur le rapport du conseiller Irène FOLSCHEID et sur les conclusions de
l’avocat général Marie-Jeanne KAPPWEILER ;
Sur les faits :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, statuant sur les difficultés de liquidation
de la communauté de biens ayant existé entre B) et A), le tribunal d'arrondissement
de Luxembourg avait retenu que l'immeuble sis à Mertert, Cité Aal Mauer, est un
propre de B) et que la communauté n'a pas droit à récompense du chef des
remboursements effectués sur le prêt contracté pour le financement de la
construction de l'immeuble ; que la Cour d'appel, par réformation, a fixé cette
récompense à la dépense faite par la communauté, confirmant pour le surplus ;
Sur le premier moyen de cassation :
tiré « de la violation de l’article 1406 alinéa 2 du Code civil disposant que :
<< Toutefois, lorsque des constructions ont été érigées au moyen de fonds
communs sur un terrain propre, l’immeuble devient commun pour le tout, sauf
récompense, si la valeur des constructions dépasse celle du terrain au moment de
la construction >>,
En ce que,
La Cour d’appel a refusé d’appliquer, sinon a mal appliqué l’article précité
1406 alinéa 2 du Code civil, au motif que :
<< ce n’est pas l’origine commune des fonds au moyen desquels la
construction a été financée qui détermine le caractère commun ou propre de
l’immeuble construit sur un terrain propre, mais c’est l’époque de la construction
qui est décisive pour l’application de l’article 1406 alinéa 2 du Code civil >>,
Alors que,
Mise à part la condition que la valeur de la maison dépasse celle du terrain
propre, l’article 1406 alinéa 2 du Code civil retient comme seul autre critère
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déterminant pour son application l’origine commune des fonds ayant financé les
constructions. » ;
Sur la recevabilité du moyen qui est contestée :
Attendu que, contrairement aux affirmations de la défenderesse en
cassation, le grief formulé dans le moyen vise avec toute la précision requise le
considérant de l'arrêt attaqué sur lequel la Cour d'appel a fondé sa décision ;
Sur la substance du moyen :
Vu l'article 1406, alinéa 2, du Code civil ;
Attendu que, selon cette disposition légale, c'est l'origine des fonds ayant
servi à la construction de l'immeuble qui est déterminante dans la recherche du
caractère propre ou commun de l'immeuble ;
Attendu qu'en retenant que ce n'est pas l'origine des fonds, mais l'époque de
la construction de l'immeuble qui est décisive pour l'application de l'article 1406,
alinéa 2, du Code civil, les juges du fond ont violé la disposition visée au moyen ;
Que l'arrêt encourt dès lors la cassation ;
Sur le deuxième moyen de cassation :
tiré « de la violation de l’article 552 alinéa 1 er
du Code civil par mauvaise
interprétation, sinon mauvaise application, ensemble avec la jurisprudence
retenant qu’il peut être dérogé au titre de propriété exclusif au profit d’une
personne si les éléments de la cause indiquent une intention claire des deux parties
d’acquérir l’objet en commun.
Article 552 alinéa 1 er
du Code civil :
<< La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous >>.
En ce que,
La Cour d’appel a dit que le mécanisme de l’article 552 alinéa 1 er
du Code
civil exclut toute indivision quant à la propriété d’un immeuble devenu un propre
par accession.
Alors que,
La jurisprudence retient que, bien qu’acquis par une seule personne avant
son mariage, l’immeuble constitue un bien indivis des deux futurs époux à
condition qu’il y ait eu intention claire des parties à la date d’achat de l’acquérir
en commun » ;
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Attendu que la « violation » d'une jurisprudence ne constitue pas un cas
d'ouverture à cassation ;
Que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le troisième moyen de cassation :
tiré « de la violation de l’article 1469 alinéa 3 du Code civil disposant que :
<< Et elle (la récompense) ne peut être moindre que le profit subsistant,
quand la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien
qui se retrouve, au jour de la dissolution de la communauté, dans le patrimoine
emprunteur. Si le bien acquis, conservé ou amélioré a été aliéné pendant la
communauté, le profit est évalué au jour de l’aliénation ; si un nouveau bien a été
subrogé au bien aliéné, le profit est évalué sur ce nouveau bien >>.
En ce que,
La Cour d’appel, bien que disant que la communauté a droit à récompense
pour les remboursements effectués sur le prêt hypothécaire relatif à l’immeuble
propre de la partie défenderesse en cassation, a chiffré la récompense lui redue à
la dépense faite.
Alors que,
L’article 1469 alinéa 3 du Code civil dispose de manière non équivoque que
la récompense ne saura être moindre que le profit subsistant. »
Sur la recevabilité du moyen qui est contestée :
Attendu que le moyen indique avec toute la précision requise en quoi le
texte de loi invoqué à son appui a été violé ;
Attendu que le moyen d'irrecevabilité du moyen, basé sur sa prétendue
nouveauté, est encore à rejeter ;
Attendu, en effet, que par conclusions notifiées en instance d'appel le 15
avril 2014, le demandeur en cassation, même s'il n'invoque pas expressément
l'article 1469, alinéa 3, du Code civil, exprime son désaccord avec une limitation de
la récompense au montant de la dépense faite et conclut à une expertise afin de faire
déterminer la valeur des constructions au jour le plus proche de la liquidation,
rappelant que l'article 1469 du Code civil dispose in fine que le montant des
récompenses s'apprécie en fonction du profit existant au moment de la liquidation
de la communauté ; qu'il a donc clairement conclu à une évaluation du montant de
la récompense au profit subsistant ;
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Sur la substance du moyen :
Vu l’article 1469, alinéa 3, du Code civil ;
Attendu qu'en chiffrant le montant de la récompense à la différence entre le
solde du crédit au jour du mariage et le solde du crédit à la date du 31 décembre
2003, soit à la dépense faite, alors que la construction financée par le fonds
commun se trouvait, au jour de la dissolution de la communauté, dans le patrimoine
emprunteur, la Cour d'appel a violé la première phrase du troisième alinéa de
l'article 1469 du Code civil ;
que l'arrêt encourt de ce chef encore la cassation ;
Sur la demande en allocation d'une indemnité de procédure :
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à charge du demandeur en
cassation l'intégralité des frais non compris dans les dépens exposés en instance de
cassation ; qu'il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.000 euros ;
Par ces motifs :
casse et annule l’arrêt rendu le 17 décembre 2014 par la Cour d'appel,
première chambre, siégeant en matière civile, sous le numéro 40440 du rôle, à
l'exception de la disposition relative à la créance de A) du chef de remboursement
par lui du prêt entre décembre 2003 et décembre 2009 ;
sous cette réserve, déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les
actes qui s'en sont suivis et remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées
avant l’arrêt cassé et pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel,
autrement composée ;
condamne la défenderesse en cassation à payer au demandeur en cassation
une indemnité de procédure de 2.000 euros ;
condamne la défenderesse en cassation aux frais de l’instance en cassation,
dont distraction au profit de Maître Anne-Marie SCHMIT, sur ses affirmations de
droit ;
ordonne qu'à la diligence du procureur général d'Etat, le présent arrêt sera
transcrit sur le registre de la Cour d'appel et qu'une mention renvoyant à la
transcription de l'arrêt sera consignée en marge de la minute de l'arrêt annulé.
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La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par
Monsieur le président Georges SANTER, en présence de Monsieur John PETRY,
premier avocat général, et de Madame Viviane PROBST, greffier à la Cour.