N° 82 / 15.
du 19.11.2015.
Numéro 3551 du registre.
Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-neuf novembre deux mille quinze.
Composition:
Georges SANTER, président de la Cour, Irène FOLSCHEID, conseiller à la Cour de cassation, Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation, Jean-Claude WIWINIUS, conseiller à la Cour de cassation, Pierre CALMES, premier conseiller à la Cour d’appel, Marc HARPES, avocat général, Viviane PROBST, greffier à la Cour.
Entre:
la société anonyme SOC1), établie et ayant son siège social à (…), représentée par son conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), demanderesse en cassation, comparant par Maître Jamila KHELILI, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, et:
la société anonyme SOC2), établie et ayant son siège social à (…), représentée par son conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), défenderesse en cassation, comparant par Maître Jean-Louis SCHILTZ, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.
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LA COUR DE CASSATION :
Vu l’arrêt attaqué rendu le 4 décembre 2014 sous le numéro 40288 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, neuvième chambre, siégeant en matière commerciale ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 26 février 2015 par la société anonyme SOC1) à la société anonyme SOC2), déposé au greffe de la Cour le 27 février 2015 ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 15 avril 2015 par la société anonyme SOC2) à la société anonyme SOC1), déposé au greffe de la Cour le 21 avril 2015 ;
Sur le rapport du conseiller Romain LUDOVICY et sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint Georges WIVENES ;
Sur les faits :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, avait condamné la société anonyme SOC1) à payer à la société anonyme SOC3), actuellement SOC2), un certain montant avec les intérêts conventionnels du chef d’un contrat de prêt conclu entre parties ; que la Cour d’appel a confirmé cette décision, sauf à réduire le montant de la condamnation suite à une réduction de sa demande par la banque ;
Sur l’unique moyen de cassation :
« Violation des articles 1134, 1147 du Code civil, 37 de la loi du 5 avril 1993 sur le secteur financier, défaut de base légale et dénaturation.
- En ce que l'arrêt partiellement infirmatif attaqué, après avoir donné acte à la société Soc3) de ce qu'elle a réduit sa demande reconventionnelle au montant de 5.029.750,18 € en principal, a condamné une emprunteuse (la société SOC1), exposante) à régler une somme de 5.029.750,18 € à la banque prêteuse (la société SOC2)) avec intérêts conventionnels à compter du 1er octobre 2011 jusqu'à solde, - Aux motifs que la Cour donne, tout d'abord, acte à la société anonyme Soc3) de ce que le solde dû par la société appelante SOC1), suite à divers règlements, ne s'élève plus qu'au montant de 5.029.750,18 EUR. La Banque estime que SOC1) a fait une interprétation erronée de la clause 2.2.1 de l'avenant du 3 octobre 2008, lequel ne saurait être considéré comme une modification unilatérale et arbitraire des conditions de la convention de prêt signée entre parties ; que contrairement à ce que l'appelante soutient, les intérêts n'étaient pas à comptabiliser tous les cinq ans, mais annuellement jusqu'à apurement complet du solde dû. La Banque souligne que SOC1) resterait, par ailleurs, en défaut de prouver que le taux d'intérêt du crédit accordé à l'appelante avait été défini en fonction des revenus locatifs qu'elle devait retirer de la location de ses biens immobiliers. SOC1) reproche, en premier lieu, à la Banque d'avoir appliqué un taux sur une période de cinq ans au lieu d'une année comme convenu ; le caractère fixe du taux appliqué à la première tranche n'est, par contre, ni discuté ni remis en cause. SOC1) fait valoir, dans ce contexte, que lors d'une entrevue postérieure au 28 décembre 2007, la Banque aurait affirmé détenir un enregistrement téléphonique ayant eu lieu entre l'un de ses employés et le bénéficiaire économique de SOC1) S.A. au cours duquel il était question de modifier la fixation du taux d'intérêt qui devait être calculé sur cinq ans et non plus sur une période d'un an.
Elle demande qu'il soit enjoint à la Banque de verser ledit enregistrement aux débats. L'intimée s'y oppose au motif qu'admettre cette demande aboutirait à accepter une preuve .
L'échéance finale de la convention a été fixée, aux termes de l'article 1.6. au 31 janvier 2013 au plus tard ; jusqu'à cette date, les fonds sous forme d'avances à terme fixe et/ou d'un crédit de caisse étaient mis à la disposition de SOC1) S.A.
(article 1.5). L'article 2.2.1. de la convention (), repris dans les mêmes termes par les deux avenants, mentionne que et que , mettant ainsi l'accent sur un paiement périodique, à échéance, des intérêts débiteurs dus par la partie emprunteuse durant l'exécution du contrat dont le terme était fixé au 31 janvier 2013. Le courrier du 17 mars 2008 fixe les périodes d'intérêts jusqu'à l'échéance du contrat. Etant donné que la partie appelante ne discute ni le caractère fixe, ni le taux de 4,95% appliqué, admettre comme le souhaiterait SOC1) SA., que les intérêts débiteurs auraient été remboursés au bout de la première année équivaudrait à l'application d'un taux d'intérêt dérisoire (équivalent à moins de 1% l'an sur une durée de 5 ans) par rapport à l'importance de la somme empruntée et par rapport au taux d'intérêt usuel de l'époque. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de retenir qu'il n'y a pas eu modification unilatérale des conditions de crédit convenues entre les parties en cause. La société SOC1) et la Banque SOC3) étant toutes deux à considérer comme commerçantes, la règle selon laquelle il ne saurait être prouvé outre et contre un écrit ne vaut pas en l'espèce. SOC1) S.A. entend prouver, par la production dudit enregistrement, . Cette formulation ne tend pas à établir l'existence d'un accord à ce niveau, mais tout au plus que des négociations auraient été en cours. Par ailleurs, dans ses conclusions antérieures, SOC1) S.A.
précise ne pas critiquer le taux appliqué, mais uniquement la durée sur laquelle il a été calculé. Il s'y ajoute que la société appelante ne s'est pas manifestée à l'époque de la réception du courrier du 17 mars 2008 pour en contester le calcul des échéances fixées par la Banque. Enfin, comme il a déjà été expliqué ci-avant, l'application du même taux sur une durée nettement plus courte aurait abouti à une très faible mise en compte d'intérêts créditeurs. La production de l'enregistrement sollicitée n'est, par conséquent, pas pertinente pour la solution du litige. SOC1) S.A. fait ensuite exposer que le financement litigieux lui a été octroyé par la Banque sur base de ses capacités financières de remboursement, et a notamment été calculé en fonction des loyers que les biens immobiliers acquis grâce à ce crédit devaient lui rapporter, sur base d'intérêts débiteurs limités à une année. Il ne résulte pas des pièces versées en cause, pas plus qu'il n'est établi par la partie SOC1) que le coût et les modalités de remboursement du crédit contracté devaient être fonctions des loyers que SOC1) devait toucher. En tout état de cause, SOC1) S.A. estime que la Banque aurait fait preuve d'un défaut réel d'information et de conseil à son égard en lui allouant un prêt à des conditions qu'elle était inapte à assumer. La Banque SOC3) estime que les développements de la partie SOC1) dans son acte d'appel du 27 juin 2013 quant à l'obligation d'information et de loyauté de la Banque et tendant à la condamnation de l'intimée au paiement de dommages et intérêts seraient des demandes nouvelles en instance d'appel et, dès lors, irrecevables. En ordre subsidiaire, la Banque fait valoir que la société SOC1) étant une société de consultante ayant pour objet, entre autres, d'investir dans des entreprises et de réaliser des opérations immobilières, ne serait pas à considérer comme un profane, mais comme un professionnel en matière d'acquisitions immobilières ayant agi en parfaite connaissance de cause. Il ressort de la motivation du jugement entrepris qu'une telle demande avait déjà été formulée, bien que non autrement développée, en première instance. Le moyen d'irrecevabilité pour demande nouvelle n'est, dès lors, pas justifié. L'objet social de SOC1) S.A. consistant, notamment, dans des opérations immobilières d'achats et de ventes d'immeubles, il se conçoit que les dirigeants d'une telle société ne peuvent survivre sur ce marché qu'en possédant un certain niveau de connaissances au niveau du financement de telles opérations.
L'appelante ne peut pas soutenir, dans ces conditions, que Soc3) S.A. aurait manqué de discernement et de prudence dans l'octroi des différents crédits. Il appartenait, au contraire, à SOC1) S.A. d'apprécier, compte tenu de ses capacités, l'opportunité du crédit qu'elle réclamait à la Banque par rapport aux modalités de remboursement qui s'y rattachaient. La société SOC1) conteste encore la demande reconventionnelle en son principe et en son quantum en faisant valoir que la Banque, ayant agi avec une légèreté blâmable, ne saurait actuellement se prévaloir de sa propre turpitude. Elle demande, par conséquent, à être déchargée de la condamnation qui a été prononcée à son encontre en première instance. Il se déduit des développements qui précèdent que ce moyen n'est pas fondé ; la décision des juges de première instance est également à confirmer sur ce point.
1°) Alors que d’une part le banquier dispensateur de crédit est débiteur d'une obligation d'information et de conseil à l'égard de son client, serait-il un emprunteur averti, qui l'oblige à s'assurer des capacités de remboursement de celui-ci ; qu'en énonçant qu'il appartenait à la société SOC1) d'apprécier l'opportunité du crédit qu'elle réclamait à la banque par rapport aux modalités de remboursement qui s'y rattachaient, et non à la SOC2) de s'assurer des capacités de remboursement de l'exposante, la Cour d'appel a violé les articles 1147 du Code civil et 37 de la loi du 5 avril 1993 sur le secteur financier ;
2°) Alors que d’autre part la qualité de professionnel d'un emprunteur n'en fait pas un emprunteur averti ; qu'en déduisant la qualité d'emprunteuse avertie de la société SOC1) de son objet social, portant notamment sur l'achat et la vente d'immeubles, qui impliquerait qu'elle possédait immobilières, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 du Code civil et 37 de la loi du 5 avril 1993 sur le secteur financier ;
3°) Alors que de troisième part les juges du fond ne peuvent dénaturer les actes ; qu'en énonçant que le contrat de prêt liant les parties n'avait pas prévu un paiement d'intérêts pendant une seule année, quand le contraire résultait clairement de l'article 2.3 du contrat du 22 janvier 2008 et de l'article 2.2.1 de l'avenant du 3 octobre 2008, la Cour d'appel a dénaturé ces actes, en violation de l'article 1134 du Code civil ;
4°) Alors que de quatrième part le silence observé par une partie ne vaut pas acceptation claire et non-équivoque d'une modification contractuelle ; qu'en énonçant que, faute de contestation à réception du courrier du 17 mars 2008, la société SOC1) était réputée avoir accepté les échéances en résultant, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil. » Sur les première, troisième et quatrième branches réunies :
Attendu que l’examen du respect des obligations nées d’un contrat et l’analyse d’une faute à la base d’une responsabilité contractuelle, de même que l’analyse des stipulations contractuelles et celle du concours des volontés des parties au contrat relèvent du pouvoir d’appréciation souverain du juge du fond et échappent au contrôle de la Cour de cassation ;
D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli en ses première, troisième et quatrième branches ;
Sur la deuxième branche :
Attendu que les juges d’appel ont motivé à suffisance leur décision par des considérations factuelles sans encourir le reproche d’un défaut de base légale ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé en sa deuxième branche ;
Sur les indemnités de procédure :
Attendu que la demanderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande est à rejeter ;
Attendu qu’il serait inéquitable de laisser entièrement à charge de la défenderesse en cassation les frais exposés non compris dans les dépens ; qu’il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.000 euros ;
Par ces motifs :
rejette le pourvoi ;
rejette la demande de la demanderesse en cassation en obtention d’une indemnité de procédure ;
condamne la demanderesse en cassation à payer à la défenderesse en cassation une indemnité de procédure de 2.000 euros ;
condamne la demanderesse en cassation aux frais et dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Jean-Louis SCHILTZ sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur le président Georges SANTER, en présence de Monsieur Marc HARPES, avocat général, et de Madame Viviane PROBST, greffier à la Cour.