N° 12 / 15.
du 12.2.2015.
Numéro 3401 du registre.
Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, douze février deux mille quinze.
Composition:
Georges SANTER, président de la Cour, Edmée CONZEMIUS, conseiller à la Cour de cassation, Irène FOLSCHEID, conseiller à la Cour de cassation, Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation, Monique FELTZ, conseiller à la Cour d’appel, Martine SOLOVIEFF, premier avocat général, Viviane PROBST, greffier à la Cour.
Entre:
la société anonyme SOC1), établie et ayant son siège social à (…), représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), demanderesse en cassation, comparant par Maître Yves KASEL, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et:
1)A), (…), demeurant à (…), 2)B), (…), demeurant à (…), 3)C), (…), demeurant à (…), 4)D), (…), demeurant à (…), 5)la société à responsabilité limitée SOC2), établie et ayant son siège social à (…), représentée par son gérant actuellement en fonction, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro (…), défendeurs en cassation, comparant par Maître Tom LUCIANI, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.
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LA COUR DE CASSATION :
Vu l’arrêt attaqué rendu le 26 février 2014 sous le numéro 39555 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière civile ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 5 mai 2014 par la société anonyme SOC1) à A), B), C), D) et la société à responsabilité limitée SOC2), déposé au greffe de la Cour le 6 mai 2014 ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 2 juillet 2014 par A), B), C), D) et la société à responsabilité limitée SOC2) à la société anonyme SOC1), déposé au greffe de la Cour le 4 juillet 2014 ;
Sur le rapport du président Georges SANTER et sur les conclusions de l’avocat général Mylène REGENWETTER ;
Sur les faits :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait déclaré non fondées les demandes en paiement et en résolution d’un compromis de vente conclu entre les défendeurs en cassation sub 1) à 4) en qualité de vendeurs et la demanderesse en cassation en qualité d’acquéreur, ainsi que la demande en paiement d’une commission d’agence réclamée par la défenderesse sub 5) ; que la Cour d’appel, par réformation, a prononcé la résolution du compromis de vente aux torts de la demanderesse en cassation et a condamné celle-ci à payer aux défendeurs en cassation sub 1) à 4) une indemnité à titre de clause pénale, et à payer à la défenderesse sub 5) la commission d’agence réclamée ;
Sur la recevabilité du pourvoi qui est contestée :
Attendu que les défendeurs en cassation soulèvent l’irrecevabilité du pourvoi au motif que les moyens de cassation développés sont inintelligibles et manquent de clarté ;
Attendu que ces griefs ne sauraient affecter que la recevabilité des moyens de cassation et non celle du pourvoi en lui-même, de sorte que le pourvoi, par ailleurs introduit dans les forme et délai de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, est recevable ;
Sur les premier et deuxième moyens de cassation réunis :
tirés, le premier, « de la violation de la loi par fausse application, sinon par fausse interprétation, in specie de l'article 1108 du Code civil qui dispose que :
le consentement de la partie qui s'oblige ; - sa capacité de contracter ; - un objet certain qui forme la matière de l'engagement ; - une cause licite dans l'obligation » en ce que la Cour d'Appel n'a pas tenu compte du principe de l'autonomie de la volonté suivant lequel la force obligatoire des actes juridiques dépend essentiellement de la volonté des parties et non pas de la forme employée pour exprimer, respectivement établir la volonté en question, alors que :
- la volonté réellement affichée par les parties à un contrat au moment de leur consentement prévaut sur la forme et sur le contenu d'un écrit, - il y a lieu de rechercher quelle fut la volonté réelle affichée par les parties à un contrat au moment de leur consentement en se référant non seulement au contrat conclu entre parties, mais également à toutes autres pièces écrites susceptibles d'établir la volonté réelle des parties au contrat ;
- la décision attaquée se limite stricto sensu au contenu du compromis de vente signé entre les parties au présent litige pour déterminer les obligations respectives des parties au contrat, - en refusant expressément de tenir compte de la volonté manifestée par écrit par les parties au présent litige préalablement à la signature du compromis de vente litigieux et postérieurement à la signature du compromis de vente, la Cour a interprété celui-ci dans un sens contraire à la volonté recherchée par les parties ;
- il aurait appartenu à la Cour d’appel de rechercher quelle fut la volonté réelle manifestée par les parties au moment de la conclusion du contrat, sous peine de dénaturer le sens et la portée du compromis de vente signé entre parties » ;
le deuxième, « de la violation de la loi par fausse interprétation, in specie de l'article 1156 du Code civil, qui dispose qu' :
intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes. », en ce que :
la Cour d'Appel a dénaturé un contrat absolument clair et précis en s'arrêtant au sens littéral des termes d'une convention au lieu de rechercher quelle avait été la commune intention des parties au litige ;
alors que :
- il y avait lieu de tenir compte de la volonté manifestée par écrit par les parties au compromis de vente litigieux à la lumière des échanges de correspondance ayant précédé et suivi le compromis de vente signé entre parties, - si en principe, apprécier, par voie d'interprétation, le sens, la portée et l'étendue des conventions et de déterminer l'intention des parties contractantes ; ce pouvoir lui échappe s'il méconnaît la nature de la convention et lui donne une conséquence légale erronée ; une pareille décision donne lieu à ouverture à cassation » (Cass. 8 juillet 1892, 3, 353, n° 9 ss. Art 1156 c.civ.) ;
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ne saurait, lorsqu'elle est erronée, donner ouverture à cassation ; le contrôle de la Cour de cassation n'est appelé à s'exercer qu'au cas où le juge du fait, au lieu d'interpréter un acte obscur, dénature la portée d'une clause absolument claire et précise qui ne comporte pas d'interprétation et substitue ainsi une convention nouvelle à celle qui avait été conclue par les parties. » (Cass. 5 mai 1905, 7, 139, n° 10 ss.
Art 1156 c.civ.) ;
- la décision attaquée se limite stricto sensu au contenu littéral du compromis de vente signé entre les parties au présent litige pour déterminer les obligations respectives des parties au contrat, - la Cour aurait dû tenir compte de la volonté manifestée par écrit par les parties au présent litige préalablement à la signature du compromis de vente litigieux et postérieurement à la signature du compromis de vente, - il aurait appartenu à la Cour d'Appel de rechercher quelle fut la volonté réelle manifestée par les parties au moment de la conclusion du contrat, sous peine de dénaturer le sens et la portée du compromis de vente signé entre parties ;
- à ces fins, il aurait appartenu à la Cour d'appel de prendre également en considération les termes clairs et univoques des échanges de correspondance entre parties préalablement à la conclusion du contrat et postérieurement à la conclusion du contrat afin de déterminer la volonté des parties » ;
Mais attendu que sous le couvert des griefs énoncés aux moyens, la demanderesse en cassation ne tend qu’à remettre en cause l’interprétation souveraine par les juges du fond d’un écrit et des faits de la cause ;
Que les moyens ne sauraient être accueillis ;
Sur le troisième moyen de cassation :
tiré « de la violation de la loi par fausse interprétation, in specie de l'article 1178 du Code civil, qui dispose que :
cette condition, qui en a empêché l'accomplissement. », en ce que :
la Cour d'Appel a conclu à tort à ce que la condition suspensive stipulée dans le compromis de vente litigieux était réputée accomplie du fait d'un défaut de coopérer loyalement afin que la condition puisse se réaliser ;
alors que :
- il y a lieu d'analyser la condition suspensive dans le chef de l'acquéreur réel de l'objet immobilier et non pas dans le chef de son représentant, - le fait d'accorder à une partie à un contrat un délai supplémentaire par le biais d'une mise en demeure pour signer un acte notarié ne saurait être interprétée autrement qu'une prorogation du délai initialement convenu par contrat en vue d’accomplir ses diligences dans le cadre d’une condition suspensive » ;
Mais attendu, d’une part, qu’il se dégage de la lecture de l’arrêt attaqué que les juges d’appel n’ont pas considéré la demanderesse en cassation comme étant le représentant de l’acquéreur, mais comme étant elle-même l’acquéreur ;
Que sur ce point, le moyen manque en fait ;
Attendu, d’autre part, qu’en considérant que « le courrier du mandataire des vendeurs daté du 23 août 2011 n’a pas pour objet une prorogation du délai pour accomplir enfin la condition suspensive, mais constitue uniquement une mise en demeure de signer l’acte notarié le 7 septembre 2011 au plus tard », les juges d’appel se sont déterminés dans le cadre de leur pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait soumis ;
Que sur ce point, le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le quatrième moyen de cassation :
tiré « de la violation de la loi par fausse interprétation, in specie de l'article 1134, alinéa 3 du Code civil, qui dispose que :
, en ce que :
la Cour d'Appel a attribué des dommages-intérêts aux vendeurs à la demande de ceux-ci, alors que :
- nul ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude pour prétendre à un dédommagement ;
- un vendeur qui a manifesté son accord dès avant la signature d'un compromis de vente à ce que l'acquéreur réel ne soit pas mentionné dans le compromis de vente, ne saurait pas prétendre à un dédommagement de la part de son représentant sous le prétexte que ce dernier n'aurait pas réalisé la condition suspensive relative à l'octroi d'un prêt bancaire ;
- la Cour d'Appel a fait abstraction du fait que les vendeurs savaient pertinemment que le client du demandeur en cassation (et non pas le demandeur en cassation lui-même) avait fait une demande en obtention du crédit dans le cadre de la clause suspensive du compromis de vente » ;
Mais attendu que sous le couvert de la violation de l’article 1134 alinéa 3 du Code civil, le moyen ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine par les juges du fond des éléments de fait ainsi que de l’existence et du contenu des obligations respectives des parties contractantes ;
Que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure :
Attendu que l’entièreté des dépens de l’instance en cassation étant à charge de la demanderesse en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter ;
Attendu qu’il serait inéquitable de laisser à charge des défendeurs en cassation l’entièreté des frais non compris dans les dépens ;
Que la Cour de cassation fixe l’indemnité de procédure due aux défendeurs en cassation à 2.000.- euros ;
Par ces motifs :
rejette le pourvoi ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure de la demanderesse en cassation ;
condamne la société anonyme SOC1) à payer aux défendeurs en cassation une indemnité de procédure de 2.000.- euros ;
condamne la société anonyme SOC1) aux frais de l’instance en cassation.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur le président Georges SANTER, en présence de Madame Martine SOLOVIEFF, premier avocat général, et de Madame Viviane PROBST, greffier à la Cour.