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03/04/2014 | LUXEMBOURG | N°44/14

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 03 avril 2014, 44/14


N° 44 / 14.

du 3.4.2014.

Numéro 3320 du registre.

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trois avril deux mille quatorze.

Composition:

Georges SANTER, président de la Cour, Edmée CONZEMIUS, conseiller à la Cour de cassation, Irène FOLSCHEID, conseiller à la Cour de cassation, Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour d’appel, Jeanne GUILLAUME, premier avocat général, Lily WAMPACH, greffier en chef de la Cour.

Entre:

A.), (…), demeurant à L-(…

), (…),(…), demanderesse en cassation, comparant par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, en l’étude de laque...

N° 44 / 14.

du 3.4.2014.

Numéro 3320 du registre.

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trois avril deux mille quatorze.

Composition:

Georges SANTER, président de la Cour, Edmée CONZEMIUS, conseiller à la Cour de cassation, Irène FOLSCHEID, conseiller à la Cour de cassation, Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour d’appel, Jeanne GUILLAUME, premier avocat général, Lily WAMPACH, greffier en chef de la Cour.

Entre:

A.), (…), demeurant à L-(…), (…),(…), demanderesse en cassation, comparant par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, et:

le FONDS POUR LE DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT ET DE L’HABITAT, anciennement FONDS POUR LE LOGEMENT A COUT MODERE, établi à L-2155 Luxembourg, 74, Mühlenweg, établissement public, constitué en personne juridique par la loi du 25 février 1979, modifiée par la loi du 15 novembre 2002 portant modification et coordination des dispositions légales et réglementaires en matière d’aide au logement, poursuites et diligences du Président de son comité-directeur, défendeur en cassation, comparant par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.

=======================================================

LA COUR DE CASSATION :

Vu le jugement attaqué rendu le 18 juin 2013 sous le numéro 151785 du rôle par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en matière de bail à loyer et en instance d’appel ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 11 septembre 2013 par A.) au FONDS POUR LE DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT ET DE L’HABITAT, déposé au greffe de la Cour le 12 septembre 2013 ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 22 octobre 2013 par le FONDS POUR LE DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT ET DE L’HABITAT à A.), déposé au greffe de la Cour le 30 octobre 2013 ;

Sur le rapport du conseiller Irène FOLSCHEID et sur les conclusions du premier avocat général Martine SOLOVIEFF ;

Sur les faits :

Attendu, selon le jugement attaqué, que le tribunal de paix de Luxembourg, statuant sur une demande en paiement de loyers et charges locatives et en résiliation du bail, dirigée par le FONDS POUR LE DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT ET DE L'HABITAT contre A.), avait déclaré non fondée l'exception de prescription invoquée par A.), avait invité le FONDS POUR LE DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT ET DE L'HABITAT à verser tout document émanant de l’organe de tutelle et attestant que les comptes annuels de 2004 à 2009 ont été contrôlés et approuvés et avait statué sur la résiliation du contrat de bail ; que sur appels, le tribunal d'arrondissement de Luxembourg a dit l'appel principal de A.) relatif à la prescription non fondé, a dit l'appel incident fondé, a dispensé le FONDS POUR LE DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT ET DE L'HABITAT de compléter le dossier et a condamné A.) au paiement des montants réclamés ;

Sur le premier moyen de cassation :

tiré « de la violation de l’article 2277 du Code civil en ce que les juges d’appel ont déclaré non fondé le moyen de contestation relatif à la prescription quinquennale prévue à l’article 2277 du Code civil ;

En l’espèce suivant contrat de bail du 16 décembre 2003, le FONDS POUR LE DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT ET DE L’HABITAT a donné en location un appartement sis 3, Place Sauerwiss à Luxembourg-Gasperich, Que la demanderesse en cassation s’est toujours acquittée de son loyer et du paiement des avances sur charges.

L’article 2277 du Code civil prévoit :

actions en paiement des rémunérations de toute nature dues au salairé. Se prescrivent par cinq ans les actions de payement : Des arrérages des rentes perpétuelles et viagères et de ceux des pensions alimentaires ; Des loyers et fermages. Des intérêts des sommes prêtées, et généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts ».

Ainsi, il résulte de ce qui précède que la prescription de l’article 2277 du Code civil trouve à s’appliquer en l’espèce car les loyers dont le FONDS POUR LE DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT ET DE L’HABITAT demande paiement sont antérieurs à la date du 26 septembre 2006 » ;

Attendu que, dans le développement de son moyen, la demanderesse en cassation reproche aux juges du fond d'avoir dit qu'il y a en l'espèce eu interruption de la prescription quinquennale ;

Mais attendu que c'est par une appréciation souveraine des éléments de preuve leur soumis, laquelle échappe au contrôle de la Cour de cassation, que les juges du fond ont retenu que la prescription invoquée par A.) a été interrompue, que cette prescription s'applique d’ailleurs aux seuls loyers, comme l'a estimé le tribunal, ou encore aux charges, ainsi que le fait remarquer le ministère public ;

Que le moyen ne saurait dès lors être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation :

tiré « de la violation de l’article 5(3) de la loi du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation duquel il résulte que le bailleur ne peut mettre à charge du locataire que les montants qu’il justifie avoir déboursés lui-même pour le compte du locataire.

Les juges d’appel ont à tort dispensé le FONDS POUR LE DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT ET DE L’HABITAT de produire des pièces justificatives claires pouvant démontrer que celui-ci a effectivement avancé les montants réclamés à Madame A.). » Attendu que les juges du fond déterminent librement les éléments de fait qui leur sont nécessaires pour former leur conviction et apprécient souverainement l'utilité d'une mesure d'instruction ; que leur appréciation s'il y a lieu d'enjoindre à une partie de produire des pièces justificatives supplémentaires échappe dès lors au contrôle de la Cour de cassation ;

qu'il s'ensuit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur l'indemnité de procédure :

Attendu qu’il n’est pas inéquitable de laisser à charge du défendeur en cassation les frais non compris dans les dépens exposés par lui en instance de cassation ;

Par ces motifs :

rejette le pourvoi ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la demanderesse en cassation aux frais de l'instance en cassation, dont distraction au profit de Maître Albert RODESCH, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur le président Georges SANTER, en présence de Madame Jeanne GUILLAUME, premier avocat général, et de Madame Lily WAMPACH, greffier en chef de la Cour.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation GOLOVENKO Irina contre le FONDS POUR LE DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT ET DE L’HABITAT (affaire n° 3320 du registre)

___________________________________________

Le pourvoi de la demanderesse en cassation, par dépôt au greffe de la Cour en date du 12 septembre 2013, d’un mémoire en cassation, signifié le 11 septembre 2013 au défendeur en cassation, est dirigé contre un jugement rendu contradictoirement le 18 juin 2013 par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en matière de bail à loyer, sous le numéro 131/2013 dans la cause inscrite sous le numéro 151785 du rôle, signifié à la demanderesse en cassation en date du 12 juillet 2013.

Le mémoire en réponse du FONDS POUR LE DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT ET DE L’HABITAT signifié le 22 octobre 2013 au domicile élu de la demanderesse en cassation et déposé au greffe de la Cour en date du 30 octobre 2013, peut être pris en considération pour être conforme aux articles 15 et 16 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Le pourvoi est recevable pour avoir été introduit dans les forme et délai de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Faits et rétroactes Par requête du 26 septembre 2011, le FONDS POUR LE DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT ET DE L’HABITAT a fait convoquer Irina GOLOVENKO à comparaître devant le tribunal de paix de Luxembourg pour l’entendre condamner au paiement d’arriérés de loyers et de charges locatives et voir prononcer la résiliation du contrat de bail existant entre parties et le déguerpissement de la locataire pour cause de motif grave consistant dans le non-paiement des loyers aux échéances contractuelles.

Irina GOLOVENKO a résisté aux demandes adverses en soulevant, d’une part, le libellé obscur de la requête introductive d’instance et, d’autre part, la prescription quinquennale édictée par l’article 2277 du Code civil.

Quant au fond, Irina GOLOVENKO a fait plaider qu’elle se serait toujours acquittée de tous les montants redus au titre de loyers et de charges tout en estimant que les décomptes du FONDS étaient incompréhensibles.

Rejetant le moyen tiré du libellé obscur comme non fondé, considérant que le courrier d’Irina GOLOVENKO du 17 août 2009 ensemble avec le paiement inconditionnel de dix acomptes avait pour effet d’interrompre la prescription, retenant qu’il y avait lieu de ventiler les montants réclamés entre arriérés de loyers et de charges et constatant qu’Irina GOLOVENKO avait reconnu, dans un courrier du 31 août 2009, qu’elle redevait le montant de 11.308,76 euros et que ces arriérés étaient une cause justificative de résiliation du bail, le tribunal de paix de Luxembourg a, par jugement du 11 janvier 2013 :

- invité l’établissement public FONDS POUR LE DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT ET DE L’HABITAT à compléter le dossier, d’une part, en y incluant tout document émanant de son organe de tutelle lequel atteste que les comptes annuels de 2004 à 2009 ont été contrôlés et approuvés et, d’autre part, en ventilant sa créance en arriérés de loyers et en solde de charges locatives, - constaté que l’établissement FONDS POUR LE DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT ET DE L’HABITAT a valablement résilié le contrat de bail du 16 décembre 2003 le liant à Irina GOLOVENKO avec effet au 15 mai 2011, partant, - condamné Irina GOLOVENKO à déguerpir des lieux loués avec tous ceux qui s’y trouvent de son chef dans un délai de quarante (40) jours à partir de la notification du jugement.

Le volet pécuniaire de la demande du FONDS a été réservé et refixé pour continuation des débats.

Suite à l’appel principal relevé par Irina GOLOVENKO et à l’appel incident relevé par le FONDS, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, quatorzième chambre a déclaré l’appel principal non fondé, a partant rejeté le moyen tiré du libellé obscur et de la prescription quinquennale de l’article 2277 du Code civil en considérant que la prescription avait été valablement interrompue par la reconnaissance d’Irina GOLOVENKO des droits du FONDS en date du 17 août 2011 suivi du paiement volontaire de différents acomptes, a déclaré fondé l’appel incident et partant par réformation, a dispensé le FONDS POUR LE DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT ET DE L’HABITAT de compléter le dossier, et a condamné Irina GOLOVENKO à payer au FONDS POUR LE DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT ET DE L’HABITAT les arriérés des loyers et charges suivant relevé comptable respectif arrêté, et ce avec les intérêts légaux redus.

Quant au premier moyen de cassation « tiré de la violation de l’article 2277 du Code civil en ce que les juges d'appel ont déclaré non fondé le moyen de contestation relatif à la prescription quinquennale prévue à l'article 2277 du Code civil, En l'espèce suivant contrat de bail du 16 décembre 2003, le FONDS POUR LE DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT ET DE L'HABITAT a donné en location un appartement sis 3, place Sauerswiss à Luxembourg Gasperich, Que la demanderesse en cassation s'est toujours acquittée de son loyer et du paiement des avances sur charge.

L'article 2277 du Code civil prévoit : « Se prescrivent par trois ans les actions en paiement des rémunérations de toute nature dues au salarié. Se prescrivent par cinq ans les actions de payement: Des arrérages des rentes perpétuelles et viagères et de ceux des pensions alimentaires; Des loyers et fermages. Des intérêts des sommes prêtées, et généralement de tout ce qui est payable par aimée ou à des termes périodiques plus courts ».

Ainsi, il résulte de ce qui précède la prescription de l'article 2277 du Code civil trouve à s'appliquer en l'espèce, car les loyers dont le FONDS POUR LE DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT ET DE L 'HABITAT demande paiement sont antérieurs à la date du 26 septembre 2006. » Le moyen en tant que tel n’est pas très explicite en ce qui concerne le grief reproché au jugement d’appel. Il résulte cependant de la discussion du moyen que la demanderesse en cassation critique en particulier l’appréciation qu’ont eue les juges d’appel en retenant que la prescription quinquennale avait été interrompue tant par un écrit du 17 août 2009 reconnue comme valant reconnaissance de dette alors que cet écrit ne répondrait pas aux conditions de l’article 1326 du Code civil que par le paiement de quelques acomptes irréguliers lesquels ne pourraient valoir reconnaissance de dette interruptive de la prescription légale posée par le Code civil. Par ailleurs les décomptes ne permettraient pas de vérifier quels montants étaient redus pour quelle période de sorte qu’il serait impossible de voir quels seraient les montants affectés par la prescription.

L’article 2277 du Code civil dispose que :

« Art. 2277. (L. 24 mai 1989) Se prescrivent par trois ans les actions en paiement des rémunérations de toute nature dues au salarié.

Se prescrivent par cinq ans les actions de payement:

Des arrérages des rentes perpétuelles et viagères et de ceux des pensions alimentaires;

Des loyers et fermages;

Des intérêts des sommes prêtées, et généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts. » Cette prescription extinctive abrégée, par rapport à celle, trentenaire, prévue par l’article 2262 du Code civil, édictée par l’article 2277 du Code civil pour les créances à caractère périodique est une institution qui remonte au 16e siècle, puisqu’elle se rencontre pour la première fois dans une ordonnance édictée par Louis XII en 15101. Son but est, suivant les auteurs du Code civil, « la crainte de la ruine des débiteurs »2 ; suivant votre jurisprudence « principalement [de] protéger le débiteur contre une augmentation de la dette »3 ; ou, suivant la Cour d’arbitrage de Belgique, « soit de protéger les emprunteurs et d’inciter les créanciers à la diligence, soit d’éviter l’accroissement constant du montant global des créances périodiques » étant ajouté que « la prescription abrégée permet aussi de protéger les débiteurs contre l’accumulation de dettes périodiques qui, dans la durée, pourraient se transformer en une dette de capital importante »4. Autrement dit, son but est, d’une part, d’« empêcher la ruine du débiteur par l’accumulation des échéances de la dette [et] [d’] éviter que l’accumulation de dettes périodiques impayées, qui par principe sont réglées à l’aide de ressources elles-mêmes périodiques, telles des salaires, ne finisse par entamer irrémédiablement le capital du débiteur » et, d’autre part, « afin d’inciter le créancier à la plus grande vigilance, voire de sanctionner sa négligence »5.

En l’espèce les juges d’appel adoptent les conclusions du défendeur en cassation en retenant que « la prescription quinquennale s’appliquerait tout au plus aux seuls arriérés de loyers et non aux arriérés de charges dans la mesure où il ne s’agit pas là de dettes récurrentes, mais de dettes dont le montant définitif n’est arrêté que si les factures finales sont émises. En l’occurrence, cela aurait mis un certain temps en raison d’un différend avec la Ville de Luxembourg en sa qualité de fournisseur. » Il est incontestable que les frais déboursés par le bailleur en faveur du locataire sont à charge du locataire. Cette obligation à charge du locataire participe nécessairement du caractère périodique de l’obligation principale pesant sur le bailleur à l’égard des fournisseurs.

1 Lucienne TOPOR, La notion de créance à caractère périodique au sens de l’article 2277 du Code civil, Rev.

trim. dr. civ., 1986, p. 1 et suivantes, n° 1.

2 BIGOT-PRÉAMENEU, Exposé des motifs, cité par Henri DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, Tome VII, Volume II, Bruxelles, Bruylant, 1943, n° 1325, p. 1176.

3 Cour de cassation, 9 novembre 2006, n° 53/06, réponse au troisième moyen de cassation.

4 Cour d’arbitrage de Belgique, 14 janvier 2004, 1/2004, n° 2537, 2538 et 2556 du rôle, point B.8.2., Moniteur belge du 9 mars 2004, Ed. 2, p. 13340 ; et 17 janvier 2007, 13/2007, n° 3958 du rôle, point B.3., Moniteur belge du 13 mars 2007, Ed. 2, p. 13540.

5 Y. ROUQUET, observations sous Cour de cassation française, assemblée plénière, 10 juin 2005, D. 2005, Informations rapides, p. 1733, citant en partie les conclusions de l’avocat général GARIAZZO sous l’arrêt en question.

Avant que la loi du 17 juin 2008 ne vienne modifier le droit français de la prescription civile, l'article 2277 du Code civil français (identique à l’article 2277 du Code civil luxembourgeois) était le texte de référence en matière de recouvrement des loyers, des charges et des actions en répétition de l'indu. Ce texte a donné lieu à un contentieux important visant à déterminer très précisément le domaine de la prescription de cinq ans. Il faut dire qu'à l'origine, l'article n'envisageait expressément cette durée de prescription que pour les seules actions en paiement des loyers. Toutefois, en se basant sur le dernier alinéa de l'article 2277 du Code civil, qui rendait applicable la prescription à « tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts » , la Cour de cassation française l'avait appliquée aux charges locatives d'un immeuble6.

Quant au point de départ du délai de prescription quinquennal il est constitué par la présentation du décompte : « On admet généralement que les charges impayées peuvent être réclamées et donner lieu, le cas échéant, à une action en justice pendant le délai de cinq ans, à partir de la présentation du compte distinct par le bailleur dans les prévisions de l’article 2277 du Code civil, s’agissant de dettes payables en principe, à défaut d’accord formel entre parties, par année ou termes plus courts, selon les usages consacrés »7.

La prescription quinquennale étant d’ordre public, le jugement attaqué par le présent pourvoi devrait donc être cassé sur ce point pour violation de l’article 2277 du Code civil en relation avec le décompte des charges locatives même si la demanderesse en cassation ne relève pas expressément ce grief.

La demanderesse en cassation critique le jugement en ce que les juges d’appel ont fait application de l’article 2248 du Code civil qui dispose que :

« La prescription est interrompue par la reconnaissance que le débiteur ou le possesseur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait. » En particulier il est contesté que le courrier d’Irina GOLOVENKO du 17 août 2009 soit à analyser en tant que reconnaissance de dette laquelle ne répond nullement aux conditions de l’article 1326 du Code civil. Il en serait de même du règlement de quelques acomptes irréguliers qui ne peut être considéré comme interruptif d’une prescription légale.

6 Cass. ch. mixtes, 12 avr. 2002, n° 00-18.529 : JurisData n° 2002-014062 ; JCP G 2002, II, 10100, obs. M.

Billiau ; AJDI 2002, p. 517, obs. Ph. Briand. – Cass. 3e civ., 18 sept. 2007, n° 06-14.814 : JurisData n° 2007-

040486 ; Loyers et copr. 2007, comm. 215), solution finalement confirmée par la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005. (Jurisclasseur Bail à loyer, Fasc. 240 No 43 7 M. La Haye et J. Vankerckhove, Le louage de choses, les baux en général, éd. Larcier, 2000, n° 825 sexies ;

dans le même sens B. Louveaux, Le droit du bail, régime général, éd. De Boeck, 1993, n° 225 L’article 2248 du Code civil prévoit que la prescription peut se trouver contredite par celui-là même qui pouvait en bénéficier. S’il reconnait le droit de son adversaire, il perd ipso facto le bénéfice du temps écoulé.8 La jurisprudence de la Cour de cassation française retient que la reconnaissance peut résulter d'une convention ou emprunter, conformément à sa nature, le moule d'un acte unilatéral, émané du débiteur et même ignoré du créancier9. Aucune condition de forme n'est exigée, la reconnaissance pouvant s'induire tacitement de tous les faits impliquant l'aveu de l'existence du droit du créancier ou du propriétaire.10 Dès lors l’article 1326 du Code civil relatif à la preuve par un acte sous seing privé ne trouve pas à s’appliquer.

Il a ainsi été retenu que si l'attitude du débiteur ou du possesseur implique un aveu non équivoque des droits du créancier ou du propriétaire, la prescription est aussitôt interrompue.

Les juges du fond apprécient souverainement la portée interruptive des faits allégués11.

La Cour de cassation française se limitant à contrôler la motivation des jugements, a ainsi implicitement admis que la reconnaissance tacite des droits du créancier pouvait résulter :

o du paiement par le débiteur d'un ou plusieurs acomptes12 ou des intérêts de la créance 13, o d’une demande de délai14 ou de dégrèvement15 ou de réduction16, même rédigée par un tiers17, le règlement effectué entre les mains d'un tiers pour qu'il désintéresse le créancier 18.

8 Cass. req., 6 janv. 1869 : DP 1869, 1, p. 224. - Cass. req., 28 janv. 1885 : DP 1885, 1, p. 358. - Cass. civ., 10 avr. 1889 : DP 1889, 1, p. 401. - Cass. com., 23 oct. 1967 : Bull. civ. 1967, III, n° 340. - Cass. com., 9 juill.

1968: Bull. civ. 1968, IV, n° 229. - Cass. com., 3 févr. 1969 : Bull. civ. 1969, IV, n° 36 9 Cass. civ., 27 janv. 1868 : DP 1868, 1, p. 200. - CA Poitiers, 30 juill. 1877 : DP 1877, 2, p. 60. - CA Douai, 28 nov. 1879 : S. 1881, 1, p. 32 10 Jurisclasseur Code civil, art. 2240 à 2246, Fasc. Unique : Prescription : Interruption de la prescription No 122 et ss) 11 (Cass. req., 3 juin 1893 : S. 1893, 1, p. 311. - Cass. civ., 6 juill. 1938 : DH 1938, p. 548. - Cass. soc., 2 nov.

1944 : D. 1945, somm. p. 5. - Cass. soc., 21 juin 1957 : Bull. civ. 1957, IV, n° 742. - Cass. com., 30 mars 2005, n° 03-21.156 : JurisData n° 2005-027818. - Cass. 2e civ., 9 mars 2006, n° 99-20.649 : JurisData n° 2006-

032599).

12 Cass. com., 15 nov. 1994, n° 92-22.003 : JurisData n° 1994-002152 ; Bull. civ. 1994, IV, n° 342. - Cass. soc., 31 janv. 2002, n° 00-18.498 : JurisData n° 2002-012818. - CA Caen, 14 déc. 1995 : JurisData n° 1995-049313.

- CA Rouen, 9 janv. 1997 : JurisData n° 1997-042818. - CA Paris, 8 janv. 1998, n° 95/28515 : JurisData n° 1998-020065. - CA Nîmes, 11 janv. 2005, n° 03/01666 : JurisData n° 2005-281963 13 Cass. req., 15 juill. 1875 : DP 1877, 1, p. 323. - Cass. req., 12 mars 1883 : DP 1884, 1, p. 111. - Cass. req., 19 mai 1884 : DP 1884, 1, p. 286 14 CA Montpellier, 15 mai 1872 : DP 1872, 1, p. 246. - CA Nancy, 7 oct. 1987 : JurisData n° 1987-046185 15 Cass. 2e civ., 15 juin 2004, n° 03-30.052 : JurisData n° 2004-024146 ; Bull. civ. 2004, II, n° 297 16 CA Orléans, 28 janv. 1988 : JurisData n° 1988-040021 17 CA Limoges, 13 oct. 1994 : JurisData n° 1994-046482 18 Cass. req., 31 janv. 1872 : DP 1872,1, p.246 Les juges d’appel ont donc souverainement apprécié le caractère interruptif tant du courrier de la demanderesse en cassation du 17 août 2009 que du paiement volontaire de différents acomptes de sorte que ce grief ne saurait être retenu.

Cependant le jugement doit faire l’objet d’une cassation en raison du fait que les juges d’appel ont retenu la prescription trentenaire de droit commun pour le recouvrement des décomptes de charges locatives en violation de l’article 2277 du Code civil.

Quant au deuxième moyen de cassation « Tiré de la violation de l'article 5(3) de la loi du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d'habitation duquel il résulte que le bailleur ne peut mettre à charge du locataire que les montants qu'il justifie avoir déboursés lui-même pour le compte du locataire.

Les juges d'appel ont à tort dispensé le Fonds pour le développement du Logement et de l'Habitat de produire des pièces justificatives claires pouvant démontrer que celui-ci a effectivement avancé les montants réclamés à Madame Irina GOLOVENKO » La demanderesse en cassation fait grief au jugement d’appel d’avoir dispensé le FONDS POUR LE DEVELOPPEMENT DU LOGEMENT ET DE L’HABITAT de produire les pièces justificatives claires devant démontrer la réalité des montants avancés et réclamés à la locataire.

Le jugement attaqué retient que :

« Le tribunal note que la contestation d’Irina GOLOVENKO se limite aux seules charges, le FONDS n’ayant, d’après Irina GOLOVENKO, pas justifié la réalité des montants réclamés à ce titre.

Il est certes vrai que, conformément à l’article 5(3) de la loi du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation, le bailleur ne peut mettre à charge du locataire que les montants qu’il justifie avoir déboursés pour le compte du locataire.

Or, en l’espèce, il s’avère que le FONDS verse un CD-Rom contenant les justificatifs afférents.

Il résulte par ailleurs des énonciations non contestées de la requête introductive d’instance, que le FONDS avait invité Irina GOLOVENKO à venir consulter les pièces justificatives et qu’Irina GOLOVENKO n’avait pas donné suite à cette invitation préférant se limiter à formuler, tant en première instance qu’en instance d’appel, des contestations générales sans critique circonstanciée de tel ou tel poste qui aurait été facturé en trop, respectivement à un montant trop élevé au titre des charges redues.

Dans ces conditions, le tribunal retient que ces contestations sont vaines et ne portent pas à conséquence et que la mesure d’instruction ordonnée par le premier juge ne présente aucune utilité, ceci d’autant plus que l’immeuble en question n’est pas à qualifier de copropriété et que l’approbation des comptes par l’autorité de tutelle n’est pas à assimiler à l’approbation par l’assemblée des copropriétaires. » Votre Cour de cassation décide de façon constante que les juges du fond apprécient souverainement la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments de preuve qui leur sont soumis19.

La souveraineté du juge du fond pour constater les faits signifie donc seulement l’incompétence de la Cour de cassation pour apprécier les preuves et réviser les constatations de fait de l’arrêt attaqué20.

Il est également un principe constant que les juges du fond déterminent librement les éléments de fait qui leur sont nécessaires pour former leur conviction et apprécient souverainement l’utilité des mesures d’instruction sollicitées par les parties21.

Ils peuvent donc refuser cette mesure quand ils estiment posséder des éléments d’appréciation suffisants22 et ce refus peut même être implicite23.

Le juge du fond jouit de la même souveraineté pour apprécier l’opportunité des mesures d’instruction complémentaires24.

On en conclut que le juge du fond apprécie souverainement les faits qui lui sont soumis à titre de preuve et qu’il lui appartient donc seul d’apprécier s’il y a lieu d’enjoindre une partie à produire des pièces justificatives supplémentaires.

Les juges d’appel ont par ailleurs dûment motivé les raisons pour lesquelles ils ont refusé de faire droit à une mesure d’instruction supplémentaire.

19C.cass. 51/12 du 12 juillet 2012 ; C.cass. 3/13 du 17 janvier 2013 ; C.cass. 35/13 du 2 mai 2013 ; C.cass.

67/13 et 69/13 du 7 novembre 2013 ;

20 J. et L. Boré, La cassation en matière civile, Edition 2003-2004 n° 64.10 21 J. et L. Boré, ouvrage précité, n° 64.41 ; en dernier lieu C.cass. 62/12 du 22 novembre 2012 ; C.cass.

2/13 du 17 janvier 2013) 22 C. cass. 1ère civ. 12 janvier 1994, Bull. civ. I, n° 14 23 C. cass.3ème civ., 6 juin 1969, Bull. civ. III, n° 459 24 C. cass. soc. 20 juillet 1995, Bull. civ. V, no 260 Le moyen est à rejeter comme non fondé.

Conclusion Le pourvoi en cassation est recevable et fondé.

Le premier moyen de cassation est recevable et fondé.

Le deuxième moyen de cassation est à rejeter comme non fondé.

Il y a dès lors lieu à cassation du jugement No 131/13 du 18 juin 2013 numéro 151785 du rôle rendu par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en matière de bail à loyer.

Pour le Procureur général d’Etat, le Premier Avocat général Martine SOLOVIEFF 13


Synthèse
Numéro d'arrêt : 44/14
Date de la décision : 03/04/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 09/12/2019
Fonds documentaire ?: Legilux
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2014-04-03;44.14 ?

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