N° 49 / 13. du 27.6.2013. Numéro 3194 du registre. Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-sept juin deux mille treize. Composition:
Georges SANTER, président de la Cour, Edmée CONZEMIUS, conseiller à la Cour de cassation, Irène FOLSCHEID, conseiller à la Cour de cassation, Monique BETZ, conseiller à la Cour de cassation, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour d’appel, Jean ENGELS, avocat général, Marie-Paule KURT, greffier à la Cour.
Entre:
X.), demeurant à L-(…), (…), (…), demanderesse en cassation, comparant par Maître Gaston VOGEL, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu,
et:
Y.), demeurant à L-(…),(…),(…), défendeur en cassation, comparant par Maître Marie-Pierre BEZZINA, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu.
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LA COUR DE CASSATION :
Sur le rapport du président Georges SANTER et sur les conclusions de
l’avocat général Serge WAGNER ; Vu l’arrêt attaqué rendu le 11 juillet 2012 sous les numéros 36690 et 37057
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du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, première chambre, siégeant en matière civile ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 19 octobre 2012 par X.) à Y.), déposé
au greffe de la Cour le 22 octobre 2012 ; Vu le mémoire en réponse signifié le 14 décembre 2012 par Y.) à X.),
déposé au greffe de la Cour le 19 décembre 2012 ; Sur les faits : Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le tribunal d’arrondissement de
Luxembourg, siégeant en matière civile, après avoir dans un premier jugement prononcé le divorce aux torts réciproques des parties, avait, par jugement du 3 juin 2010, statué sur les difficultés de liquidation de la communauté de biens ayant existé entre parties ;
Que la Cour d’appel, saisie par les deux parties, a, entre autres, confirmé le
jugement entrepris en ce qu’il a dit non fondée la demande de X.) en obtention d’une récompense de la part de la communauté pour avoir investi des fonds propres à titre d’acompte de l’achat, par la communauté, d’un terrain à bâtir à (…), et a, par réformation, dit que la communauté, respectivement l’indivision postcommunautaire, a droit à une indemnité d’occupation due par X.) à partir du 15 septembre 2001 ;
Sur la recevabilité des trois moyens de cassation : tirés, le premier, « de la dénaturation et partant d'une violation de l'article
53 du Nouveau code de procédure civile, sinon de l'article 1134 du Code civil, sinon du défaut de motifs, sinon encore du défaut de base légale,
en ce que la Cour a jugé que << Y.) affirme qu'en l'absence d'une
déclaration de remploi dans l'acte de vente, la preuve de l'utilisation des deniers propres ne serait pas rapportée. Il nie que le compte KBL 53-131764-14 sur lequel le montant de 5.031.297 francs fut versé soit un compte commun ; que ce compte serait le compte-prêt de X.) sur lequel celle-ci avait, déjà avant le mariage des parties, remboursé mensuellement le prêt KBL qui avait servi à financer l'appartement ; que la communauté n'a pas encaissé le solde du prix de vente et n'en a pas tiré profit ; que ces remboursements avaient été faits à partir du compte KBL 52-131764-84. (...) >>
et qu' << il ressort des extraits de compte versés en cause (farde II des
pièces de la partie Y.) que le compte KBL 52-131764-84 a servi, entre autres, au remboursement par X.) d'un prêt KBL par des mensualités de 20.078 francs, sans préjudice d'autres remboursements. La seule pièce versée par la partie X.), à savoir un extrait du compte KBL 53-131764-14, indique un solde négatif de 1.918.396 francs le 25 janvier 2000, un versement de 5.031.297 francs de la part du notaire (…), et, après compensation, un solde positif de 3.112.901 francs. L'affirmation de
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la partie Y.) que le compte KBL 53-131764-14 est le compte prêt créé pour enregistrer les opérations relatives au crédit immobilier obtenu par X.) n'est pas contredite nonobstant l'indication de ’’Y.)-X.)’’ comme titulaire. Il n'est notamment pas établi que ce compte eût servi aux époux pour régler, au fil du temps, les dépenses courantes de leur ménage.
Le sort du solde de 3.112.901 francs reste par conséquent inconnu. >>, alors qu'aux termes de l'article 53 du Code civil, << L'objet du litige est
déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant >>,
et qu'aux termes de l'article 1134 du Code civil, << Les conventions
légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou par les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi >> ;
et que, selon les principes légaux et doctrinaux établis, << la
méconnaissance par le juge du fond du sens clair et précis d'un écrit (Civ. 28 févr. 1962, Bull. civ. I, n° 128, justifie la cassation de l'arrêt dont elle entache un motif essentiel >> (BORE, La cassation en matière civile, n° 2307, p.689) ;
de telle sorte qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'Appel a violé les
textes applicables en dénaturant les conclusions prises par les parties » ; le deuxième, « de la violation de la loi et plus particulièrement de l'article
1433 du Code civil, sinon du défaut de motifs, sinon encore du défaut de base légale,
en ce que la Cour a jugé qu' << aux termes de l'article 1433 du Code civil,
la communauté doit récompense à l'époux propriétaire toutes les fois qu'elle a tiré profit de biens propres. L'article 1433 du Code civil français se distingue de l'article 1433 du Code civil luxembourgeois par son alinéa 2 qui précise : ’’Il en est ainsi, notamment, quand elle a encaissé des deniers propres ou provenant de la vente d'un propre, sans qu'il en ait été fait emploi ou remploi.’’ La proposition de loi qui avait abouti à la loi du 4 février 1974 portant réforme des régimes matrimoniaux, avait d'abord repris cet alinéa. La commission juridique l'avait cependant supprimé dans la suite au motif qu'il serait superflu, ’’cet alinéa ne donnant qu'un exemple d'un cas d'enrichissement de la communauté au détriment d'un patrimoine propre’’ (cf Travaux parlementaires publiés par le greffe de la Chambre des Députés, p. 370). Il faut donc retenir que la communauté doit récompense lorsqu'elle a encaissé des deniers propres ou provenant de la vente d'un propre, sans qu'il en ait fait emploi ou remploi. Depuis la disparition de la jouissance des propres au profit de la communauté, il faut entendre par ’’encaissement’’ non le simple versement de fonds propres sur un compte quelconque qualifié de commun, mais l'usage de ces derniers au profit de la communauté (cf. A. Colomer, Les régimes matrimoniaux, 5e éd. n° 955, p.463; J- CL Divorce, partage de la communauté, fasc. 660, n° 22; Précis Dalloz, Les régimes matrimoniaux par Terré et Simler, 5e édition, n° 653, p. 506) >> ;
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et en ce que << le sort du solde de 3.112.901 francs reste par conséquent inconnu. On ignore s'il est resté ’’parqué’’ au susdit compte, s'il a été transféré sur un autre compte, et, dans l'affirmative, sur lequel, s'il a été investi dans l'immeuble de (…) (version X.) suivant procès-verbal de difficultés du 19 septembre 2006) ou s'il a été dépensé peu à peu pour les besoins de la communauté (version X.) soutenue en instance d'appel). Il s'ensuit qu'un encaissement du montant de 3.112.901 francs par la communauté laisse d'être prouvé. >> ;
alors qu'aux termes de l'article 1433 du Code civil, en son alinéa 1er, <<
La communauté doit récompense à l'époux propriétaire toutes les fois qu'elle a tiré profit de biens propres. >> ;
et que selon la jurisprudence issue du prédit article 1433 du Code civil,
<<c'est à celui qui conteste l'existence du droit à récompense d'établir une utilisation des deniers dont il ne résulte aucun profit pour la communauté >> (arrêt de la première chambre civile du 7 mars 2007, rôle 31744),
de telle sorte qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a violé le
texte applicable en imposant à la partie demanderesse d'établir l'affectation de la vente de son bien propre au profit de la communauté, alors qu'il appartient à la partie défenderesse, soit la partie Y.), de démontrer et d'établir que la communauté n'a tiré aucun profit du propre de Madame X.) » ;
le troisième, « de la violation de la loi et plus particulièrement de l’article
815-9 du Code civil, sinon du défaut de motifs, sinon encore du défaut de base légale,
en ce que la Cour a jugé que << Suivant l'ordonnance de référé du ler
juillet 2003, Y.) a été autorisé à résider, durant l'instance en divorce séparé de son épouse à L-(…), (…), (…), tandis que X.) a été autorisée à résider séparée de son époux à L-(…),(…),(…). Il est constant en cause que X.) a continué à habiter l'ancien domicile conjugal après le prononcé du divorce par jugement du 11 novembre 2004.
Il est suffisamment établi que X.) a la jouissance exclusive et privative de
l'ancien domicile conjugal à compter du 15 septembre 2001. >>, alors qu'aux termes de l'article 815-9 du Code civil, en son alinéa 2,
<<L'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité. >>,
et que, selon les principes légaux et doctrinaux établis, << l'obligation de
motiver les jugements est pour le justiciable la plus précieuse des garanties ; elle le protège contre l'arbitraire, lui fournit la preuve que sa demande et ses moyens ont été sérieusement examinés, et, en même temps, elle met obstacle à ce que le Juge puisse soustraire sa décision au contrôle de la Cour de Cassation >> (cf. FAYE, la Cour de Cassation, Traité de ses attributions et de sa compétence et de la procédure observée en matière civile, 1903, in Jcl. Fasc. 508) ;
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de telle sorte que la Cour d'Appel a violé les textes légaux applicables, plus particulièrement l'article 815-9 du Code civil, ainsi que les articles 249, alinéa ler, du Nouveau code de procédure civile, 89 de la Constitution et 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme édictant l'obligation de motivation des jugements. » ;
Attendu, selon l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les
pourvois et la procédure en cassation, qu’un moyen de cassation ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture ;
Attendu que le premier moyen articule, d’une part, une violation de l’article
53 du Nouveau code de procédure civile sinon de l’article 1134 du Code civil, constitutive d’un vice de fond, d’autre part, un défaut de motif, constitutif d’un vice de forme, et encore un défaut de base légale, constitutif d’un vice de fond ;
Que le deuxième moyen de cassation articule, d’une part, une violation de
l’article 1433 du Code civil, constitutive d’un vice de fond, d’autre part, un défaut de motifs, constitutif d’un vice de forme, et encore un défaut de base légale, constitutif d’un vice de fond ;
Que le troisième moyen de cassation articule, d’une part, une violation de
l’article 815-9 du Code civil, constitutive d’un vice de fond, d’autre part, un défaut de motifs, constitutif d’un vice de forme, et encore un défaut de base légale, constitutif d’un vice de fond ;
D’où il suit que les trois moyens sont irrecevables ;
Par ces motifs :
rejette le pourvoi ; condamne la demanderesse en cassation aux dépens de l’instance en cassation
et en ordonne la distraction au profit de Maître Marie-Pierre BEZZINA, avocat à la Cour, sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par
Monsieur le président Georges SANTER, en présence de Monsieur Jean ENGELS, avocat général et de Madame Marie-Paule KURT, greffier à la Cour.