N°45 / 13. du 6.6.2013. Numéro 3184 du registre. Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, six juin deux mille treize. Composition:
Georges SANTER, président de la Cour, Edmée CONZEMIUS, conseiller à la Cour de cassation, Monique BETZ, conseiller à la Cour de cassation, Joséane SCHROEDER, premier conseiller à la Cour d’appel, Michel REIFFERS, premier conseiller à la Cour d’appel, Serge WAGNER, avocat général, Marie-Paule KURT, greffier à la Cour.
Entre:
la société anonyme SOC1.), établie et ayant son siège social à L-(…), (…), (…), représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B (…), demanderesse en cassation, comparant par Maître Arsène KRONSHAGEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu,
et:
la société anonyme SOC2.), établie et ayant son siège social à L-(…), (…), (…), représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B (…), défenderesse en cassation, comparant par Maître Paul MOUSEL, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.
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LA COUR DE CASSATION : Sur le rapport du président Georges SANTER et sur les conclusions du
procureur général d’Etat adjoint Georges WIVENES ; Vu l’arrêt attaqué rendu le 20 juin 2012 sous le numéro 35871 du rôle par
la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 26 septembre 2012 par la société
anonyme SOC1.) à la société anonyme SOC2.), déposé au greffe de la Cour le 27 septembre 2012 ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 22 novembre 2012 par la société
anonyme SOC2.) à la société anonyme SOC1.), déposé au greffe de la Cour le 26 novembre 2012 ;
Sur les faits :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le tribunal d’arrondissement de
Luxembourg, siégeant en matière commerciale, avait été saisi d’une demande de la société en commandite simple SOC3.) visant à voir condamner la société anonyme SOC2.) à lui payer un certain montant à titre de commission d’agence immobilière ;
Que le tribunal avait été saisi par SOC2.) d’une demande en intervention
contre la société anonyme SOC1.) aux fins de voir condamner cette dernière à la tenir quitte et indemne des éventuelles condamnations pouvant intervenir à son encontre ;
Que le tribunal avait, par jugement du 19 mars 2004, condamné SOC2.)
au paiement de la somme réclamée à SOC3.), la jonction de l’instance d’intervention avec l’instance principale ayant au préalable été déclinée ;
Que la Cour d’appel, par arrêt du 15 mars 2006, tout en confirmant pour
le surplus le jugement entrepris, a, par réformation, réduit le montant de la condamnation prononcée à l’encontre de SOC2.) ;
Qu’au préalable, le tribunal avait, par jugement du 10 février 2006,
ordonné la surséance dans le cadre de l’instance d’intervention toujours pendante, en attendant l’issue de l’instance d’appel pendante entre SOC2.) et SOC3.) ;
Que suite au susdit arrêt, le tribunal, statuant, en les joignant, sur la
demande en intervention et sur une demande nouvelle de SOC2.) contre SOC1.) visant à voir prononcer la résolution du contrat d’agence immobilière entre ces parties et à voir ordonner la restitution par SOC1.) à SOC2.) de toute somme payée par cette dernière en exécution dudit contrat, avait, par jugement du 15
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janvier 2010, condamné SOC1.) à payer à SOC2.) la somme de 124.235,11 euros + TVA à 15%, sur la base de la répétition de l’indu ;
Que sur l’appel de SOC1.), la Cour d’appel a, par arrêt du 20 juin 2012,
confirmé le jugement entrepris ; Sur le premier moyen de cassation : tiré, première branche, « de la violation de l’article 95 de la
Constitution, en ce que la Cour d’appel de Luxembourg a violé le texte précité en faisant application pour soutenir sa décision de condamnation de la défenderesse en cassation du règlement grand-ducal du 20 janvier 1972, publié au Mémorial A n° 4 du 1er février 1972, fixant le barème des commissions d’intermédiaire pour vente d’immeubles (ci-après Le Règlement du 20 janvier 2012) en énonçant que : << c’est dès lors à bon droit que le Tribunal a fait application des dispositions d’ordre public du règlement grand-ducal du 20 janvier 1972 pour apprécier et fixer le montant de la commission >> de la partie demanderesse en cassation et affirmer que : « la Cour partage l’avis des juges de première instance qui ont dit qu’étant donné qu’en cas de paiement partagé, le montant total des paiements ne peut dépasser un mois de loyer, ceci en application de l’article 5 du règlement grand-ducal du 20 janvier 1972 ;
Alors que le Règlement du 20 janvier 1972 est illégal dans son intégralité
pour avoir été pris sur base de l’article 5 de la loi du 30 juin 1961, publié au Mémorial A n° 24 du 7 juillet 1961, ayant pour objet d’habiliter le Grand-Duc à réglementer certaines matières et d’abroger et de remplacer l’arrêté grand- ducal du 8 novembre 1944 portant création d’un office des prix (ci-après La Loi du 30 juin 1961) ;
La Loi du 30 juin 1961 a été modifiée et abrogée par une loi du 7 juillet
1983, publiée au Mémorial A n° 52 du 12 juillet 1983, portant création d’un office des prix (ci-après La Loi du 7 juillet 1983) ;
La Loi du 7 juillet 1983 précitée a été elle-même abrogée ; La Cour d’appel a fait application du Règlement du 20 janvier 1972
privé de base légale ; En statuant ainsi et en faisant application d’un règlement illégal, les
juges de première instance et la Cour d’appel ont violé les dispositions de l’article 95 de la Constitution » ;
deuxième branche, « de la violation des articles 14 et 95 de la
Constitution et article 2 du Code pénal, en ce que la Cour d’appel de Luxembourg a violé les textes précités en appuyant sa décision sur les dispositions du Règlement du 20 janvier 1972 pour condamner la partie demanderesse en cassation à restituer une partie de sa rémunération en sa qualité d’agent immobilier perçue dans le cadre d’un contrat d’agence institué entre elle et SOC2.);
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En retenant ainsi l’application d’un règlement grand-ducal illégal, car
privé de base légale du fait de l’abrogation de la loi qu’il réglemente, la Cour d’appel a violé les textes précités » ;
Attendu que le premier moyen de cassation et son développement se
réfèrent aux textes légaux et réglementaires suivants : 1) Loi du 30 juin 1961 ayant pour objet : 1° d’habiliter le Grand-Duc à
réglementer certaines matières ; 2° d’abroger et de remplacer l’arrêté grand-ducal du 8 novembre 1944 portant création d’un Office des prix,
2) Règlement grand-ducal du 20 janvier 1972 fixant le barème des
commissions maxima pouvant être facturées par les agents immobiliers,
3) Loi du 7 juillet 1983 modifiant la loi du 30 juin 1961 ayant pour
objet, entre autres, d’abroger et de remplacer l’arrêté grand-ducal du 8 novembre 1944 portant création d’un office des prix,
4) Loi du 17 mai 2004 relative à la concurrence, Sur la première branche : Attendu que la demanderesse en cassation soutient que la loi du 30 juin
1961, sur base de laquelle avait été pris le règlement grand-ducal du 20 janvier 1972, a été abrogée par la loi du 7 juillet 1983, qui à son tour a été abrogée par la loi du 17 mai 2004, de sorte que le susdit règlement grand-ducal est privé de base légale ;
Mais attendu que, selon l’arrêt attaqué, les faits à l’origine du litige, à
savoir la conclusion du contrat, se situent à une date antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 17 mai 2004 ;
Que les droits et obligations des parties ont donc été fixés au moment de
la conclusion du contrat au regard des dispositions légales et réglementaires en vigueur à cette date, et qu’en vertu du principe de la non-rétroactivité des lois civiles, tel qu’inscrit à l’article 2 du Code civil, la susdite loi du 17 mai 2004 ne pouvait s’appliquer aux faits survenus avant son entrée en vigueur ;
Attendu que le règlement grand-ducal du 20 janvier 1972 a été pris sur la
base de l’article 5 de la loi du 30 juin 1961 qui dispose : « Les prix d’achat et de vente, les prix de production, fabrication,
préparation, détention, transformation, emploi, répartition, exposition, livraison et transport de tous produits, matières, denrées ou marchandises, ainsi que les rémunérations de toutes prestations à l’exception des honoraires, traitements et
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salaires et des prix, dont la fixation est attribuée à des organes déterminés par des loi spéciales, pourront être fixés, contrôlés et surveillés.
Les mesures d’ordre général relatives à l’alinéa précédent sont prises
par arrêtés grand-ducaux. Ces arrêtés sont dispensés de l’avis des chambres professionnelles ; ils ont publiés au Mémorial. »
Que si la loi du 7 juillet 1983 a abrogé, à son article 9, les articles 4 à 12
de la loi de 1961, elle prévoit cependant au deuxième alinéa du susdit article 9 que « resteront néanmoins en vigueur les mesures d’ordre général et individuel prises en exécution de l’article 5 de la loi du 30 juin 1961 » ;
Attendu que l’article 9 constitue la nouvelle base légale du règlement
grand-ducal du 20 janvier 1972 après suppression de la base légale que constituait l’article 5 de la loi du 30 juin 1961 ;
Que la première branche du moyen, en ce qu’elle fait grief aux juges
d’appel d’avoir fait application du règlement grand-ducal privé de base légale, n’est pas fondée ;
Sur la deuxième branche : Mais attendu que les juges d’appel, en confirmant les premiers juges en
ce qu’ils ont par application de l’article 5 du règlement grand-ducal du 20 janvier 1972 plafonné le montant de la commission litigieuse, se sont déterminés sur base d’une mesure de police, de nature civile, qui vient limiter la liberté contractuelle dans les contrats d’agence pour les ventes et les locations immobilières ;
Attendu que les articles 14 de la Constitution et 2 du Code pénal, dont la
violation est invoquée dans la deuxième branche du moyen, sont étrangers à la décision attaquée ;
D’où il suit que le moyen, en sa deuxième branche, est inopérant ; Sur le deuxième moyen de cassation : tiré « de la violation de l’article 10bis de la Constitution, en ce que la
Cour d’appel a violé le texte précité en appuyant sa décision de condamnation de la demanderesse en cassation sur base des motifs selon lesquels la commission maximum pour les locations privées et commerciales ne peut dépasser un mois de loyer en vertu du Règlement du 20 janvier 1972 » ;
Attendu que le moyen est nouveau, et qu’il est mélangé de fait et de
droit, dès lors que l’examen d’une inégalité requiert l’appréciation et la comparaison de situations d’ordre factuel ;
D’où il suit que le moyen est irrecevable ;
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Sur le troisième moyen de cassation : tiré « de la violation de l’article 11, alinéa 6, de la Constitution et
l’article 1134 du Code civil en ce que la Cour d’appel a violé le texte précité en retenant pour condamner la partie demanderesse en cassation à restituer une partie des sommes perçues au titre de rémunération de sa prestation de service en qualité d’agent immobilier à SOC2.) sur base du Règlement du 20 janvier 1972 en jugeant que le montant de la commission redue dans ce cadre ne saurait dépasser un mois de loyer en application de l’article 5 du règlement grand- ducal précité » ;
Attendu, selon le développement du moyen, que la demanderesse en
cassation tient grief à la Cour d’appel d’avoir, en appliquant le règlement grand- ducal du 20 janvier 1972, porté atteinte à l’économie générale du contrat d’agence conclu entre parties, et, en condamnant la demanderesse en cassation à rétrocéder à la défenderesse en cassation une partie de la commission d’agent immobilier convenue entre parties, méconnu le principe légal de la liberté contractuelle et le principe constitutionnel de la liberté d’entreprendre ;
Attendu que l’article 11, paragraphe 6 de la Constitution dispose que « la
liberté du commerce et de l’industrie … sont garantis, sauf les restrictions à établir par la loi » ;
Que les dispositions visées au moyen n’interdisent pas au législateur
d’intervenir dans la liberté contractuelle des parties par des lois de police, notamment en matière économique, et que le contrat ne fait la loi des parties que sous réserve des dispositions légales impératives ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ; Sur le quatrième moyen de cassation : tiré « de la violation des dispositions de l’article 1376 du Code civil en
ce que la Cour a violé le texte précité en condamnant la partie demanderesse en cassation sur la base subsidiaire invoquée par la partie défenderesse en cassation, de l’article 1376 du Code civil en retenant l’application de la répétition de l’indu » ;
Attendu qu’à la lecture du développement du moyen, il apparaît que la
demanderesse en cassation procède à une présentation des faits et des différentes étapes des relations contractuelles des parties pour conclure à l’existence d’une cause objective du paiement qui exclurait la condition de l’indu au sens de l’article 1376 du Code civil ;
Mais attendu que le caractère indu du paiement dont la restitution est
réclamée résulte de l’application des dispositions impératives du règlement grand-ducal du 20 janvier 1972 ;
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D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ; Sur le cinquième moyen de cassation : tiré « de la violation de l’article 5 du Règlement du 20 janvier 1972 en ce
que la Cour d’appel a violé le texte précité en condamnant la partie demanderesse en cassation sur base subsidiaire invoquée par la partie défenderesse en cassation, en retenant l’application des dispositions de l’article à la sous-location » ;
Mais attendu que la location visée par l’article 5 du règlement grand-
ducal du 20 janvier 1972 comprend la sous-location ; D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Par ces motifs,
rejette le pourvoi ;
condamne la société anonyme SOC1.) aux frais et dépens de l’instance en cassation.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par
Monsieur le président Georges SANTER, en présence de Monsieur Serge WAGNER, avocat général et de Madame Marie-Paule KURT, greffier à la Cour.