N° 45 / 12.
du 5.7.2012.
Numéro 3011 du registre.
Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, cinq juillet deux mille douze.
Composition:
Georges SANTER, président de la Cour, Léa MOUSEL, conseillère à la Cour de cassation, Marc KERSCHEN, président de chambre à la Cour d’appel, Camille HOFFMANN, premier conseiller à la Cour d’appel, Odette PAULY, conseillère à la Cour d’appel, Serge WAGNER, avocat général, Marie-Paule KURT, greffière à la Cour.
E n t r e :
la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER LUXEMBOURGEOIS, société inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro B 59025, dont le siège est situé à L-1116 Luxembourg, 9, Place de la Gare, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, demanderesse en cassation, comparant par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, e t :
1) X.), demeurant à L-(…), (…), défenderesse en cassation, comparant par Maître Eyal GRUMBERG, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 2) la CAISSE NATIONALE DE SANTE, établie et ayant son siège social à L-1471 Luxembourg, 125, route d’Esch, représentée par le président de son comité-directeur actuellement en fonction, défenderesse en cassation.
LA COUR DE CASSATION :
Sur le rapport de la conseillère Léa MOUSEL et les conclusions du premier avocat général Jeanne GUILLAUME ;
Vu le jugement attaqué rendu le 22 février 2011 sous le numéro 127369 du rôle par le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, troisième chambre, siégeant en matière civile et en instance d’appel ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 27 mai 2011 par la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER LUXEMBOURGEOIS à X.) et à la CAISSE NATIONALE DE SANTE, déposé le 30 mai 2011 au greffe de la Cour supérieure de justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 27 juillet 2011 par X.) à la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER LUXEMBOURGEOIS et à la CAISSE NATIONALE DE SANTE, déposé le 4 août 2011 au greffe de la Cour supérieure de justice ;
Sur les faits :
Attendu, selon le jugement attaqué, que le tribunal de paix de Luxembourg, siégeant en matière civile, avait débouté X.) de sa demande dirigée contre la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER LUXEMBOURGEOIS, en abrégé CFL, aux fins de se voir indemniser du préjudice subi, suite à un incendie criminel dont elle fut victime dans le train Luxembourg - (…) ; que sur appel de X.) le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, par réformation, dit la demande fondée et alloua à X.) certains montants indemnitaires ;
Sur l’unique moyen de cassation :
« Il est fait grief au jugement attaqué d’avoir, par réformation du jugement de première instance, déclaré la demande de X.) en réparation de son préjudice subi du fait de l’incendie du wagon de train dans lequel elle avait pris place, fondée à concurrence de 3.494,18 euros du chef de dommages subis et de 2.000.- euros du chef de frais d’expertise, d’avoir condamné la demanderesse en cassation à payer ces sommes et de l’avoir condamnée à payer des indemnités de procédure ainsi que les frais et dépens des deux instances, aux motifs que les CFL, tenus d’une obligation de sécurité de résultat, étaient présumés responsables du préjudice subi par X.) et qu’il leur appartenait de s’exonérer en établissant une cause étrangère ; que Y.), auteur de l’incendie criminel, était un tiers identifié extérieur aux CFL dont le fait pouvait les exonérer s’il présentait le caractère de la force majeure, imprévisibilité et irrésistibilité ; que le fait commis par Y.) – mettre volontairement le feu à une voiture à l’aide de journaux imbibés d’essence mis sur des sièges qu’il allumait avec un briquet – constituait un geste violent, anormal et exceptionnel que les CFL n’avaient pu raisonnablement prévoir ; que cependant, les CFL auraient dû prévoir la possibilité du déclenchement accidentel d’un incendie ; qu’ils n’avaient pas pris toutes les procédures appropriées pour éviter les effets dommageables de l’événement qui s’était produit ; ; que ces mesures n’avaient pas été prises, si bien que les CFL ne s’étaient pas exonérés de la présomption de responsabilité pesant sur eux ;
alors qu’en matière d’exonération du débiteur contractuel par la force majeure, un événement doit être jugé inévitable ou irrésistible s’il s’est produit malgré le fait que toutes les mesures requises pour parer aux risques normalement prévisibles avaient été prises ; que l’étendue des mesures de précaution est à juger par référence au standard du débiteur normalement prudent et diligent ;
que, première branche, le tribunal, après avoir retenu que pas raisonnablement pu prévoir les faits précis commis par Y.) en date du 14 juillet 2006, même si elle aurait dû prévoir la possibilité du déclenchement accidentel d’un incendie », aurait dû rechercher si un incendie accidentel – et non criminel – aurait normalement été susceptible de dégager les mêmes effets en termes de quantité de fumée dégagée, que l’incendie criminel imprévisible déclenché par Y.) ;
qu’à défaut d’avoir procédé à cette recherche, le tribunal ne justifie pas légalement sa décision selon laquelle d’autres mesures de précaution que celles qui ont en fait été prises par les CFL devaient être considérées comme du type d’événement (incendie accidentel) que les CFL auraient dû prévoir selon les juges du fond ; que le tribunal a privé son jugement de base légale au regard des dispositions des articles 1147 et 1148 du Code civil (définition légale de la force majeure) et de l’article 1784 du même Code (responsabilité des voituriers) ;
que, seconde branche, il aurait encore appartenu au tribunal de rechercher si les mesures de précaution supplémentaires qu’il considérait comme n’étaient pas des mesures qui, en engendrant un coût disproportionné par rapport à l’étendue réelle des risques prévisibles, ne pouvaient être considérées comme requises d’un débiteur normalement prudent et diligent ; que cette exigence de proportionnalité entre l’étendue (et les coûts) des mesures de précaution et l’étendue des risques prévisibles est inhérente à la définition légale de la force majeure ; que, faute de constater que les mesures par lui préconisées pouvaient être considérées, au regard de cette exigence de proportionnalité, comme des mesures véritablement requises par la visibilité d’un dommage, le tribunal a de ce chef privé son jugement de base légale au regard des articles 1147, 1148 et 1784 du Code civil » ;
Sur la première branche :
Mais attendu que les juges du fond, considérant qu’« il résulte des rapports d’expertise que la fumée opaque, qui a rapidement envahi tant le rez-de-chaussée que le premier étage, a été engendrée par la combustion du rembourrage des sièges », le revêtement n’ayant procuré qu’une très faible protection et « que les éléments du dossier ne permettent pas non plus de retenir qu’au cas où la surface primaire du foyer n’aurait pas été aussi importante, que les fumées ne se seraient pas dégagées aussi vite » ont, par des motifs suffisants, pu retenir que la CFL aurait dû prévoir la possibilité du déclenchement d’un incendie même non criminel entraînant des conséquences dommageables ;
Sur la deuxième branche :
Mais attendu que les juges du fond, considérant que « même en l’absence de réglementation spécifique, la conception même des véhicules à deux niveaux avec l’impossibilité d’ouvrir les fenêtres du premier étage et l’obligation pour les passagers du premier étage d’évacuer la voiture par l’étage en dessous, aurait dû inciter la CFL à prendre des mesures de précaution pour prolonger le temps d’inflammation des sièges, pour limiter la propagation des fumées et pour permettre leur évacuation rapide », retenant que d’après l’expert « un compartimentage entre les deux niveaux et un dispositif de désenfumage aurait limité les conséquences du sinistre, mesures qui ensemble avec la mise en place d’un isolant thermique entre le revêtement et le rembourrage du siège auraient été publiées en 2003, sous forme d’une recommandation, par l’institut d’essais autrichien » et constatant qu’« au vu de la vitesse de propagation des fumées dans un espace ouvert telle que la voiture dans laquelle avait pris place X.), la mise en place de deux extincteurs à l’avant et à l’arrière de la voiture ne saurait, en effet, être considérée comme une mesure suffisante pour freiner la propagation de la fumée » pour en conclure qu’« abstraction faite du coût exorbitant de l’installation de portes intermédiaires, qui laisse d’ailleurs d’être prouvé, il suit des considérations qui précèdent que la CFL n’a pas pris toutes les mesures appropriées pour éviter les effets dommageables de l’événement » ont, en appréciant, par des motifs suffisants, la proportion entre le coût des mesures supplémentaires préconisées et les risques prévisibles en cas d’incendie dans un train à deux niveaux, pu dire que le fait du sinistre n’était pas irrésistible pour la CFL ;
Attendu qu’il suit des développements qui précèdent que les juges du fond, sur base des éléments de fait recueillis, ont pu rejeter l’exonération par la force majeure, de sorte que le moyen n’est fondé dans aucune de ses deux branches ;
Sur l’indemnité de procédure :
Attendu que X.) ayant obtenu gain de cause, il y a lieu de lui allouer une indemnité de procédure de 2.000.- euros dès lors qu’il est inéquitable qu’elle supporte tout ou partie des frais et dépens ;
Par ces motifs :
rejette le pourvoi ;
condamne la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER LUXEMBOURGEOIS à payer à X.) une indemnité de procédure de 2.000.- euros ;
condamne la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER LUXEMBOURGEOIS aux frais et dépens de l’instance en cassation et en ordonne la distraction au profit de Maître Eyal GRUMBERG, avocat à la Cour, sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Madame la conseillère Léa MOUSEL, en présence de Monsieur Serge WAGNER, avocat général et de Madame Marie-Paule KURT, greffière à la Cour.