N° 16 / 12.
du 22.3.2012.
Numéro 2971 du registre.
Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-deux mars deux mille douze.
Composition:
Marie-Paule ENGEL, présidente de la Cour, Georges SANTER, conseiller à la Cour de cassation, Michel REIFFERS, premier conseiller à la Cour d’appel, Eliane ZIMMER, première conseillère à la Cour d’appel, Pierre CALMES, conseiller à la Cour d’appel, Serge WAGNER, avocat général, Marie-Paule KURT, greffière à la Cour.
E n t r e :
l’ASSOCIATION D’ASSURANCE ACCIDENT, établie à L-1471 Luxembourg, 125 route d’Esch, représentée par le président de son comité-
directeur actuellement en fonction, demanderesse en cassation, comparant par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, e t :
X.) veuve Y.), (…), demeurant à D-(…), (…), défenderesse en cassation, comparant par Maître Alex PENNING, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.
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LA COUR DE CASSATION :
Sur le rapport du conseiller Georges SANTER et sur les conclusions du premier avocat général Jeanne GUILLAUME ;
Vu l’arrêt attaqué rendu le 18 février 2011 par le Conseil supérieur de la sécurité sociale dans la cause inscrite sous le numéro 2010/0016 du registre ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 20 avril 2011 par l’ASSOCIATION D’ASSURANCE ACCIDENT (anciennement ASSOCIATION D’ASSURANCE CONTRE LES ACCIDENTS) à X.), veuve Y.), déposé le 22 avril 2011 au greffe de la Cour supérieure de justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 9 juin 2011 par X.), veuve Y.), à l’ASSOCIATION D’ASSURANCE ACCIDENT, déposé le 15 juin 2011 au greffe de la Cour ;
Sur les faits :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le conseil arbitral des assurances sociales avait, par réformation d’une décision du comité-directeur de l’ASSOCIATION D’ASSURANCE CONTRE LES ACCIDENTS, dit que le décès de Y.), époux de la défenderesse en cassation X.), survenu le 8 mars 2007, était la suite d’un accident du travail donnant lieu à indemnisation par la demanderesse en cassation ; que le Conseil supérieur de la sécurité sociale, par arrêt du 11 janvier 2011, confirma le jugement entrepris par l’ASSOCIATION D’ASSURANCE ACCIDENT ;
Sur le premier moyen de cassation :
« Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir dit l’appel non fondé et confirmé le jugement attaqué, malgré le moyen de la demanderesse en cassation qui faisait observer que le certificat du médecin urgentiste ayant constaté le décès avait été pièce objective telle un rapport d’autopsie et aucun examen complémentaire tel que par exemple un tracé d’ECG ou un bilan biologique qui permet d’affirmer formellement que le décès de Y.) est dû à une défaillance cardiaque. La preuve formelle de la cause du décès n’est partant pas rapportée en l’espèce. S’il est possible que le décès soit dû à une défaillance cardiaque ou un infractus du myocarde, il convient toutefois de souligner que bon nombre d’autres causes de mort subite sont, d’un point de vue médical, également possibles » (requête d’appel, p. 2) ;
alors que, première branche, l’obligation de motiver les jugements et arrêts constitue une obligation à la fois constitutionnelle et légale ; que la non-
réponse à conclusions constitue un cas de violation de l’obligation de motivation ;
que l’arrêt attaqué n’a pas répondu au passage précité des conclusions de l’AAA ;
qu’il a, au contraire, dans sa motivation proprement dite (contenue à la p. 3, trois premiers alinéas) immédiatement supposé acquis que la cause du décès était effectivement un arrêt cardiaque () ; que l’arrêt viole ainsi l’article 89 de la Constitution et l’article 249, en combinaison avec l’article 587 du Nouveau code de procédure civile ;
que par ailleurs, deuxième branche (subsidiaire par rapport à la première), et pour autant que par la référence aux qui , l’arrêt attaqué serait censé avoir répondu au moyen précité de l’AAA, il y a lieu de constater que cette motivation constitue une motivation par simple affirmation, violant là encore l’article 89 de la Constitution et l’article 249, en combinaison avec l’article 587 du Nouveau Code de procédure civile ;
que, troisième branche, dans l’hypothèse visée à la deuxième branche où il serait considéré que par une simple référence aux le Conseil supérieur aurait répondu aux conclusions précitées de l’AAA, il y a lieu de constater qu’il s’agit d’une motivation par simple affirmation, qui ne met pas la Cour de cassation en mesure de vérifier la manière dont les juges du fond se sont assurés de la cause exacte du décès ; que les juges du fond ont, ainsi, privé leur arrêt de base légale au regard de la notion d’accident du travail telle qu’elle résulte de l’article 92 du Code de la sécurité sociale » ;
Mais attendu que les juges d’appel ont d’abord retenu que le médecin, appelé sur le lieu où le camion conduit par Y.) se trouvait à l’arrêt, a constaté le décès du conducteur, dû à un arrêt cardiaque, pour dire ensuite que si la cause de l’accident survenu pendant le travail reste inconnue, il n’appartient pas à l’assuré de rapporter la preuve d’un lien de causalité entre l’accident et le travail, mais à l’ASSOCIATION D’ASSURANCE ACCIDENT d’établir que le dommage a une origine étrangère au travail ;
Qu’en retenant ainsi que quelle que soit la cause du décès au lieu de travail, il incombe à l’ASSOCIATION D’ASSURANCE ACCIDENT de renverser la présomption de causalité et de rapporter la preuve de l’origine étrangère au travail du décès, les juges d’appel ont répondu aux conclusions de la demanderesse en cassation visées au moyen, qui, pris en ses première et deuxième branches, n’est pas fondé ;
Attendu que dans la mesure où le moyen, en sa troisième branche, vise la violation de l’article 92 du Code de la sécurité sociale par défaut de base légale, il est à déclarer non fondé, les juges d’appel ayant, en constatant que le décès de Y.) est survenu pendant le travail, sans insuffisance légalement justifié leur décision ;
Sur le deuxième moyen de cassation :
« Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir dit l’appel de la demanderesse en cassation non fondé et d’avoir confirmé le jugement attaqué, aux motifs que jurisprudence abondante et constante. Dans l’arrêt Kisch rendu le 22 avril 1993, la Cour de cassation a retenu qu’on ne saurait imposer au demandeur de rapporter la preuve d’un lien de causalité entre l’accident et le travail. L’auteur du mémoire du parquet général expose que l’organisme de sécurité sociale peut certes renverser la présomption de causalité en rapportant la preuve que l’intégralité du dommage soit dû à une cause étrangère au travail. Des arrêts récents du Conseil supérieur des assurances sociales (Melao Nascimento, Cartus, Brocker, Minnes et Pater) ont confirmé cette façon de voir en décidant que si la cause de l’accident reste inconnue, l’assurance accidents doit rapporter la preuve que le dommage a une origine totalement étrangère au travail.
Cette preuve n’est pas rapportée en l’espèce. Il ressort certes des éléments du dossier que feu Y.) souffrait de problèmes cardiaques chroniques et prenait des médicaments contre la haute tension artérielle. Il était en outre en traitement chez un médecin allemand. Rien ne prouve cependant que si l’intéressé, né en 1941, avait déjà été à la retraite, il n’aurait pu vivre encore de nombreuses années malgré ses problèmes cardiaques. La profession de conducteur d’un poids-lourd est une profession difficile qui soumet le conducteur à un stress continu en raison du poids et du gabarit de l’engin qu’il pilote. Cet état de fait est d’autant plus vrai si le conducteur est âgé comme en l’espèce. A cela s’ajoute que l’employeur de l’intéressé avait sollicité de la part de tout le personnel une assiduité accrue.
Il suit des développements qui précèdent que l’appelante n’a pas prouvé que le décès de Y.) est totalement étranger à son travail de sorte que la juridiction du premier degré a décidé à raison que l’accident du 8 mars 2007 constitue un accident du travail au sens de l’article 92 du Code de la sécurité sociale », alors que, première branche, un arrêt cardiaque même subi sur les lieux du travail et pendant le temps de travail n’est pas ipso facto, et en l’absence de preuve par l’assuré social ou l’ayant-droit d’un fait dommageable précis qui est susceptible de causer la lésion cardiaque, présumé être un accident du travail ;
qu’en décidant que du seul fait que l’incident s’était passé pendant le temps de travail de Y.) qui se trouvait au bord de son camion, , l’arrêt a renversé la charge de la preuve, violant ainsi les articles 92 du Code de la sécurité sociale et 1315 du Code civil ;
que, seconde branche, pour qu’un accident cardiaque puisse être caractérisé d’accident du travail, il ne suffit pas non plus de retenir, par des motifs à portée générale, que la profession exercée par l’assuré, celle de conducteur de poids-lourds, , ; qu’en effet, il s’agit là, le cas échéant, d’une situation chronique, susceptible à ce titre d’être examinée sous l’angle de la maladie professionnelle mais en aucun cas sous celui de l’accident professionnel au sens de l’article 92 du Code de la sécurité sociale, atteinte au corps humain provenant de l’action soudaine et violente d’une force extérieure ;
qu’il n’en va pas différemment du motif selon lequel l’employeur de l’intéressé avait sollicité de la part de tout le personnel une assiduité accrue », qui est de même impropre, en raison de son imprécision, à caractériser le lien entre le travail et la lésion cardiaque ;
qu’en définitive, le Conseil supérieur a mis la Cour de cassation dans l’impossibilité de vérifier que la qualification d’accident du travail a été adoptée à bon droit, privant ainsi son arrêt de base légale au regard de l’article 92 du Code de la sécurité sociale » ;
première branche :
Mais attendu qu’il suffit que l’assuré ou à son ayant-droit établisse que l’accident a eu lieu au temps et au lieu de travail pour qu’il soit présumé imputable au travail ;
Attendu qu’en décidant « que si la cause de l’accident reste inconnue, l’assurance-accident doit rapporter la preuve que le dommage a une origine totalement étrangère au travail », les juges d’appel n’ont ni procédé à un renversement de la charge de la preuve ni violé les articles 92 du Code de la sécurité sociale et 1315 du Code civil ;
D’où il suit que le moyen en sa première branche n’est pas fondé ;
deuxième branche :
Mais attendu qu’il y a lieu de renvoyer à la réponse donnée à la troisième branche du premier moyen ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur l’indemnité de procédure :
Attendu que la défenderesse en cassation n’ayant pas justifié de la condition d’inéquité requise par l’article 240 du Nouveau code de procédure civile, elle est à débouter de sa demande en obtention d’une indemnité de procédure ;
Par ces motifs :
rejette le pourvoi ;
rejette la demande en paiement d’une indemnité de procédure présentée par la défenderesse en cassation ;
condamne la demanderesse en cassation aux frais et dépens de l’instance en cassation et en ordonne la distraction au profit de Maître Alex PENNING, avocat à la Cour, sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Madame la présidente Marie-Paule ENGEL, en présence de Monsieur Serge WAGNER, avocat général et de Madame Marie-Paule KURT, greffière à la Cour.