N° 1 / 12.
du 2.2.2012.
Numéro 2952 du registre.
Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, deux février deux mille douze.
Composition:
Marie-Paule ENGEL, présidente de la Cour, Georges SANTER, conseiller à la Cour de cassation, Romain LUDOVICY, président de chambre à la Cour d’appel, Astrid MAAS, première conseillère à la Cour d’appel, Roger LINDEN, conseiller à la Cour d’appel, Martine SOLOVIEFF, premier avocat général, Marie-Paule KURT, greffière à la Cour.
E n t r e :
la société à responsabilité limitée SOC1.), établie et ayant son siège social à L-
(…), (…), représentée par son gérant actuellement en fonction, inscrite au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B (…), demanderesse en cassation, comparant par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, e t :
la société anonyme de droit belge la compagnie d’assurances SOC2.), anciennement la compagnie d’assurances (…), établie et ayant son siège social à B-
(…), (…), représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, inscrite au registre de commerce de Bruxelles sous le numéro (…), défenderesse en cassation, comparant par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.
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LA COUR DE CASSATION :
Sur le rapport du conseiller Georges SANTER et sur les conclusions du premier avocat général Jeanne GUILLAUME ;
Vu l’arrêt attaqué rendu le 11 mars 2009 sous le numéro du rôle 32710 par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, première chambre, siégeant en matière civile ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 2 février 2011 par la société à responsabilité limitée SOC1.) à la société anonyme de droit belge la compagnie d’assurance SOC2.), déposé le 4 mars 2011 au greffe de la Cour supérieure de justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 13 avril 2011 par la société anonyme de droit belge la compagnie d’assurance SOC2.) à la société à responsabilité limitée SOC1.), déposé le 15 avril 2011 au greffe de la Cour supérieure de justice ;
Vu le nouveau mémoire signifié le 14 octobre 2011 par la société à responsabilité limitée SOC1.) à la société anonyme de droit belge la compagnie d’assurance SOC2.), déposé le 21 octobre 2011 au greffe de la Cour supérieure de justice ;
Sur les faits :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, saisi par la compagnie d’assurances SOC2.) d’une demande en remboursement d’une somme versée à la société à responsabilité limitée SOC1.) à titre d’indemnisation du préjudice subi suite à un accident de la circulation, retenant que SOC2.) était forclose, en application de l’article 189 du Code de commerce, à faire valoir ses prétentions, avait déclaré la demande irrecevable ; que sur appel de SOC2.), la Cour d’appel, première chambre, a, par arrêt du 11 mars 2009, par réformation, retenu qu’aucune prescription n’est acquise et que la demande est recevable, et a condamné SOC1.) au paiement du montant réclamé ;
Sur la recevabilité du pourvoi incident qui est contestée :
Attendu que le pourvoi incident de la défenderesse en cassation SOC2.) est dirigé exclusivement contre les motifs de l’arrêt attaqué, qui n’ont eu aucune influence sur le dispositif, dès lors que la demande de la défenderesse en cassation a été déclaré recevable et fondée ;
D’où il suit que le pourvoi incident est irrecevable ;
Sur le premier moyen de cassation :
« Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir condamné la demanderesse en cassation à payer à la défenderesse en cassation le montant de 40.255,33 EUR avec les intérêts légaux du 18 février 1994 jusqu’à solde, et d’avoir condamné la demanderesse en cassation aux dépens, en écartant, pour ce faire, la fin de non recevoir tirée de la prescription décennale de l’article 189 du Code de commerce, prescription qui était acquise selon la demanderesse en cassation, le paiement ayant eu lieu en février 1994 et l’action en répétition de l’indu n’ayant été introduite que le 24 février 2006, aux motifs que commerciales et la dette et la créance dont s’agit sont de nature commerciale pour être nées à l’occasion du commerce, pour la SOC1.) à la suite d’un accident de la circulation dans lequel était impliqué un de ses salariés et pour la compagnie d’assurances dans le cadre de son objet social. La prescription applicable est donc bien, en principe, la prescription décennale.
L’appelante fait valoir qu’elle aurait payé sous condition de sorte qu’aucune prescription n’aurait couru. Aux termes de l’article 2257 du Code civil, la prescription ne court point à l’égard d’une créance qui dépend d’une condition.
Par créance conditionnelle on vise une créance soumise à une condition qui n’est pas échue. Si tel n’est pas le cas en l’espèce, c’est néanmoins à raison que l’appelante invoque l’article 2257 du Code civil sur lequel la jurisprudence base l’adage en vertu duquel une prescription ne peut courir si le droit n’est pas encore né. Cet adage qui est à rapprocher du principe fait de l’impossibilité d’agir un cas de suspension de la prescription qui joue avant même que la prescription n’ait commencé à courir de sorte que la fin de l’impossibilité d’agir marque en pratique le point de départ du délai de prescription. Ce principe a été clairement consacré par la Cour de cassation française : . En l’occurrence, l’impossibilité d’agir trouve sa cause aussi bien dans la convention que dans la loi, aucun paiement de l’indu n’ayant été établi jusqu’à l’arrêt de la Cour d’appel. La suspension de la prescription doit être admise toutes les fois que le créancier pouvait raisonnablement ignorer le fait qui donne naissance à son action. Quant au point de départ de la prescription de l’action en répétition de l’indu, il a été précisé que cette action ne peut être utilement engagée qu’à compter de la date où le paiement est devenu indu (Civ. 3e, 31 mai 2007, D. 2007. AJ. 1733, obs. Forest). En l’occurrence, l’assignation d’(…) du 20 juin 1994 a été vidée par un arrêt de la Cour le 15 juin 2005. C’est cet arrêt qui a révélé le paiement indu et qui a fait naître le droit en répétition de l’indu et qui dès lors constitue le point de départ de la prescription décennale, en l’espèce valablement interrompue par l’assignation en répétition de l’indu du 24 février 2006 de SOC2.).
Aucune prescription n’est donc acquise et la demande est recevable » (p.
6-7 de l’expédition), alors qu’il est de principe que le point de départ de la prescription de l’action en répétition de l’indu n’est pas le jour de la connaissance de l’indu par le solvens, mais la date du paiement effectué par le solvens entre les mains de l’accipiens ; qu’il n’en va autrement qu’au cas (étranger à la présente espèce) où ce serait suite à une fraude de l’accipiens que le solvens n’a découvert que tardivement le caractère indu de son paiement ; qu’en dehors de cette hypothèse de fraude, il est par conséquent possible que l’action en répétition de l’indu soit prescrite avant que le solvens ait eu connaissance du caractère indu du paiement ;
que cette solution se justifie tout particulièrement lorsque l’obligation de restitution fait partie des obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants, pour lesquelles l’article 189 du Code de commerce prévoit, dans un but de sécurité juridique, un délai de prescription qui permette de vider, avec une relative rapidité, le contentieux relatif aux actes de commerce comme aux actes mixtes ; qu’en décidant le contraire et en appliquant des maximes latines, et , en réalité inapplicables à la prescription de l’action en répétition de l’indu, l’arrêt attaqué a violé l’article 189 du Code de commerce ; qu’il a également violé l’article 2251 du Code civil, aucune cause de suspension de la prescription n’étant caractérisée par les motifs de l’arrêt, et l’article 2257 du même Code, auquel il a fait produire des effets que ce texte ne prévoit pas » ;
Vu les articles 189 du Code de commerce et 2251 et 2257 du Code civil ;
Attendu que c’est le paiement qui est le fait générateur de la créance indue et qui fait naître le droit à répétition ;
Que le délai de prescription de l’action en répétition de l’indu commence à courir le jour du paiement effectué par le solvens entre les mains de l’accipiens ;
Attendu qu’en retenant qu’ « en l’occurrence, l’assignation d’(…) du 20 juin 1994 a été vidée par un arrêt de la Cour le 15 juin 2005. C’est cet arrêt qui a révélé le paiement indu et qui a fait naître le droit en répétition de l’indu et qui dès lors constitue le point de départ de la prescription décennale, en l’espèce valablement interrompue par l’assignation en répétition de l’indu du 24 février 2006 de SOC2.) » la Cour d’appel a violé les textes légaux visés au moyen ;
D’où il suit que l’arrêt encourt la cassation sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner les deux autres moyens présentés en ordre subsidiaire par rapport au premier ;
Par ces motifs :
casse et annule l’arrêt rendu le 11 mars 2009 par la Cour d’appel, première chambre, siégeant en matière civile, sous le numéro 32710 du rôle ;
déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis et remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé et pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel, autrement composée ;
condamne la défenderesse en cassation aux frais de l’instance en cassation, dont distraction au profit de Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, sur ses affirmations de droit ;
ordonne qu’à la diligence du procureur général d’Etat, le présent arrêt sera transcrit sur le registre de la Cour d’appel et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt sera consignée en marge de la minute de l’arrêt annulé.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Madame la présidente Marie-Paule ENGEL, en présence de Madame Martine SOLOVIEFF, premier avocat général et de Madame Marie-Paule KURT, greffière à la Cour.