N° 15 / 09.
du 12.3.2009.
Numéro 2605 du registre.
Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, douze mars deux mille neuf.
Composition:
Marie-Paule ENGEL, présidente de la Cour, Andrée WANTZ, conseillère à la Cour de cassation, Nico EDON, premier conseiller à la Cour d’appel, Marianne PUTZ, conseillère à la Cour d’appel, Pierre CALMES, conseiller à la Cour d’appel, Martine SOLOVIEFF, premier avocat général, Marie-Paule KURT, greffière à la Cour.
E n t r e :
1) l’association sans but lucratif A.), établie et ayant son siège social à (…), représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, 2) B.) demeurant à (…), 3) C.) demeurant à (…), demandeurs en cassation, comparant par Maître Ferdinand BURG, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, e t :
la société anonyme D.), établie et ayant son siège social à (…), représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro (…), défenderesse en cassation, 2 comparant par Maître Claude BLESER, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.
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LA COUR DE CASSATION :
Ouï la présidente Marie-Paule ENGEL en son rapport et sur les conclusions de l’avocat général John PETRY ;
Vu l’arrêt attaqué rendu par la Cour d’appel, deuxième chambre, siégeant en matière civile, le 20 juin 2007, et signifié le 4 mars 2008 ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 25 avril 2008 par l’association sans but lucratif A.), B.) et C.) à la société anonyme D.)et déposé le 30 avril 2008 au greffe de la Cour supérieure de justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 19 juin 2008 par la société anonyme D.) à l’association sans but lucratif A.), B.) et C.) et déposé le 20 juin 2008 au greffe de la Cour ;
Vu le mémoire en réplique signifié le 24 octobre 2008 par les demandeurs en cassation et déposé le 6 novembre 2008 au greffe de la Cour, mémoire qui est recevable pour autant qu’il répond aux exceptions et fins de non-recevoir opposées par la défenderesse en cassation ;
Sur la recevabilité du pourvoi :
Attendu que l’erreur matérielle quant à la date de l’arrêt attaqué, figurant sous l’intitulé « Dispositions attaquées », erreur qui, selon la défenderesse en cassation, entraînerait l’irrecevabilité du pourvoi, est sans incidence sur la recevabilité du recours en cassation, l’arrêt attaqué étant clairement désigné dans le mémoire en cassation de la demanderesse de sorte qu’aucune méprise n’était possible ;
Attendu que la défenderesse en cassation oppose encore l’irrecevabilité du pourvoi en tant qu’exercé par l’association A.) au motif que cette association ne constituerait pas un ordre professionnel « regroupant obligatoirement tous les membres de la profession, sans exception », et qu’elle ne saurait de ce fait prétendre exercer une action en justice pour la défense des intérêts généraux de la profession ;
3 Mais attendu que les juges de la première instance ont reçu la demande de l’association et l’ont déclarée non fondée; que cette décision faisant grief à l’association, celle-ci a intérêt à se pourvoir en cassation contre l’arrêt du 20 juin 2007 ;
Sur les faits :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le tribunal d’arrondissement avait débouté les demandeurs en cassation de leurs demandes tendant à voir interdire à la société D.) de faire procéder à des expertises en dégâts automobiles par son propre service technique et à la voir condamner à leur payer des dommages et intérêts pour le préjudice matériel et moral qu’ils auraient subi du chef des agissements de la défenderesse ; que sur appel des demandeurs, la Cour confirma la décision entreprise ;
Sur le premier moyen de cassation :
tiré « de la violation des articles 89 de la Constitution et de l'article 249 du Nouveau Code de Procédure civile en ce que l'arrêt attaqué du 20 juin 2007 a au fond dit les appels principaux non fondés et confirmé les jugements déférés en ce qu'ils ont débouté les actuels demandeurs en cassation de leurs prétentions tendant à voir établir dans le chef de la société D.) une faute au sens des articles 1382 et suivants du Code Civil pour entretenir au sein de la compagnie d'assurances un service d'expertise technique, aux motifs :
d'une part :
que le législateur luxembourgeois, à la différence du droit français, n'a pas prévu de disposition générale visant à favoriser l'indépendance de la profession d'expert en automobiles par rapport à la profession d'assureur et qu'il n'appartient certes pas aux tribunaux luxembourgeois d'introduire des restrictions là où le législateur n'en a pas prévues de telle sorte que l'exercice par D.) dans les circonstances susvisées, du métier d'expert en automobiles, qu'il s'agisse d'expertises internes ou externes, n'est pas fautif ;
et d'autre part :
que les rapports d'évaluation des dégâts automobiles réalisés par D.) indiquent clairement qu'il s'agit de rapports internes à son entreprise et que D.) ne prétend aucunement leur conférer dans ses relations avec les assurés, la valeur d'une expertise réalisée d'après les prescriptions du Code Civil ;
4 alors que :
tant dans leurs actes d'appel des 26 août 2005 (pages 3, 4, 5 et 6) (pièces n° 61, 66 et 71 du bordereau de pièces) que dans leurs conclusions du 13 octobre 2006 (pages 9, 10, 11, 12 et 13) (pièce n° 80 du bordereau de pièces), les actuels demandeurs en cassation ont invoqué les articles 432 et suivants du Nouveau Code de Procédure Civile et 6.1. de la Convention Européenne des Droits de l'Homme combinés dont il résulte que toute expertise (qu'elle soit judiciaire ou extrajudiciaire, interne ou externe) doit impérativement répondre aux critères d'impartialité et d'indépendance, exclusifs d'un lien de subordination juridique ou économique, qui en constituent les fondements d'ordre public universellement reconnus, de telle sorte qu'en se déterminant comme elle l'a fait et plus particulièrement en se basant pour rejeter les prétentions des parties de Maître BURG sur la seule absence de texte spécial luxembourgeois identique à la loi française du 12 février 2003 n° 2003-
495 visant à favoriser l'indépendance de la profession d'expert en automobiles par rapport à la profession d'assureur sans aucunement répondre aux conclusions claires et pertinentes des sieurs C.) et B.) ainsi que de A.) tirées des articles 432 et suivant du Nouveau Code de Procédure Civile et 6.1. de la Convention Européenne des Droits de l'Homme combinés, la Cour d'Appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions, partant d'une absence de motifs, sinon d'une insuffisance de motifs équivalente à l'absence de motifs et partant a méconnu les exigences des articles 89 de la Constitution et 249 du Nouveau Code de Procédure Civile ; » Attendu que la société D.) conclut au rejet du moyen au motif que le moyen d’appel auquel, selon les demandeurs en cassation, la Cour d’appel n’a pas répondu, n’aurait pas exigé de réponse puisqu’il n’aurait pas été formulé dans le dispositif des conclusions d’appel des appelants ;
Mais attendu que le juge est tenu de répondre non seulement aux moyens figurant au dispositif des conclusions des parties mais également à ceux présentés dans les motifs qui en sont le soutien nécessaire ;
Attendu, quant à la substance du moyen, que la Cour d’appel a considéré que le législateur luxembourgeois n’a pas prévu de dispositions générales visant à favoriser l’indépendance de la profession d’expert en automobiles par rapport à la profession d’assureur et qu’il n’appartient pas aux tribunaux d’introduire des restrictions là où le législateur n’en a pas prévu ; qu’elle a également retenu qu’une compagnie d’assurance n’est pas en faute lorsque, dûment autorisée, elle exerce le métier réglementé d’expert en automobiles en indiquant clairement que les rapports d’évaluation des dégâts automobiles réalisés par la compagnie sont des rapports internes et ne prétend nullement leur conférer, dans ses relations avec les assurés, la valeur d’une expertise réalisée d’après les prescriptions du Nouveau code de procédure civile ;
5 Attendu que par cette motivation la Cour d’appel a rejeté le principe d’incompatibilité invoqué par les demandeurs en cassation et répondu à leurs conclusions d’appel basées sur la combinaison des articles 432 et suivants du Nouveau code de procédure civile et 6 paragraphe 1 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen de cassation :
tiré « de la violation des articles 432, 434, 435, 437 et 446 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi que de l'article 6.1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme. ensemble les articles 89 de la Constitution et 249 du Nouveau Code de Procédure Civile, en ce que l'arrêt du 20 juin 2007 a au fond dit les appels principaux non fondés et confirmé les jugements déférés en ce qu'ils ont débouté les actuels demandeurs en cassation de leurs prétentions tendant à voir établir dans le chef de la société D.) une faute au sens des articles 1382 et suivants du Code Civil pour entretenir au sein de la compagnie d'assurances un service d'expertise technique, aux motifs :
a) d'une part que le législateur luxembourgeois à la différence du droit français, n’a pas prévu de disposition générale visant à favoriser l’indépendance de la profession d’expert en automobiles par rapport à la profession d'assureur et qu'il n'appartient certes pas aux tribunaux luxembourgeois d'introduire des restrictions là où le législateur n'en a pas prévues, de telle sorte que l'exercice par D.) dans les circonstances susvisées, du métier d'expert en automobiles, qu'il s'agisse d'expertises internes ou externes, n'est pas fautif ;
b) et d'autre part que les rapports d'évaluation des dégâts automobiles réalisés par D.) indiquent clairement qu’il s’agit de rapports internes à son entreprise et que D.) ne prétend aucunement leur conférer dans ses relations avec les assurés, la valeur d’une expertise réalisée d’après les prescriptions du Code Civil ;
a lors que :
6 a) d'une part, il résulte des textes combinés des articles 432, 434, 435, 437 et 446 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi que de l'article 6.1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme que toute expertise répond nécessairement, pour être valable aux critères d'impartialité et d'indépendance qui en constituent les fondements d'ordre public universellement reconnus et excluent nécessairement tout lien de subordination juridique ou économique de l'expert par rapport à l'une des parties, de telle sorte que la Cour d'Appel en motivant sa décision par la seule absence de texte législatif luxembourgeois spécial visant à favoriser l'indépendance de la profession d'expert en automobiles par rapport à la profession d'assureur a violé les textes susvisés à portée générale par refus d'application sinon et en s'abstenant de vérifier comme il lui avait été demandé l'application et l'incidence de ces mêmes textes au problème de l'exercice par une compagnie d'assurances du métier d'expert en automobiles, a entaché son arrêt d'un défaut sinon d'un manque de base légale sinon d'une absence de motifs, sinon d'une insuffisance de motifs équivalente à l'absence de motifs de telle sorte que l'arrêt du 20 juin 2007 encourt la cassation ;
b) d'autre part :
les articles 432, 434, 435, 437 et 446 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi que l’article 6.1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme posant le principe général de l’indépendance et de l’impartialité de toute expertise s’appliquent tant aux expertises judiciaires qu’extrajudiciaires et plus généralement à tout rapport technique tendant à départager deux parties aux intérêts opposés de telle sorte qu’en refusant d’appliquer les textes susvisés aux rapports établis par le service technique de D.) tendant notamment à chiffrer l’indemnisation de ses assurés, la Cour d’Appel a violé les articles précités par fausse application sinon refus d’application ; » Mais attendu que pour autant que le moyen vise la violation des articles 89 de la Constitution et 249 du Nouveau code de procédure civile en invoquant un grief d’absence ou d’insuffisance de motifs, la Cour renvoie à l’examen du premier moyen pour retenir que ce grief n’est pas fondé ;
Attendu qu’il résulte des constatations souveraines de la Cour d’appel que les rapports d’évaluation des dégâts automobiles réalisés par la société D.) indiquent clairement qu’il s’agit de rapports internes au sujet desquels il n’est pas prétendu qu’ils auraient, dans les relations avec les assurés, la valeur d’une expertise judiciaire ;
Que les dispositions du Nouveau code de procédure invoquées ne se rapportent qu’à la consultation ou l’expertise judiciaires réalisées par un technicien nommé par un juge dans le cadre d’un litige ;
7 Que l’article 6 paragraphe 1 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales qui concerne le droit de tout un chacun de voir statuer équitablement sur ses contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil par un tribunal indépendant et impartial n’est pas applicable en dehors de tout procès ;
D’où il suit que les juges du fond n’ont pas violé les textes légaux visés au moyen ;
Sur le troisième moyen de cassation :
tiré « de la violation des articles 25.1.e) et 25.1.I) de la loi du 6 décembre 1991 sur le secteur des assurances telle que modifiée par la suite (qui n'est rien d'autre qu'une transposition dans le droit luxembourgeois des directives européennes 73/2391/CEE du 24 juillet 1973, 88/357/CEE du 22 juin 1988 et 92/49/CEE du 18 juin 1992 fixant le cadre légal des entreprises d'assurances) et des articles 1382 et suivants du Code Civil en ce que l'arrêt attaqué du 20 juin 2007 a au fond dit les appels principaux non fondés et confirmé les jugements déférés en ce qu'ils ont débouté les actuels demandeurs en cassation de leurs prétentions tendant à voir établir dans le chef de la société D.) une faute au sens des articles 1382 et suivants du Code Civil pour entretenir au sein de la compagnie d'assurance un service d'expertise technique, aux motifs :
que la loi sur le secteur des assurances ne prohibe pas l'exercice par les assureurs d'activités s'ajoutant aux opérations d'assurance proprement dites ;
alors que :
aux termes de l'article 25.1 e) de la loi du 6 décembre 1991 sur le secteur des assurances telle que modifiée par la suite, on entend par «entreprise d'assurances» les personnes morales agréées pour effectuer des opérations d'assurances et que l'article 25.1.1) de cette même loi définit les opérations d'assurances comme « l'activité de prospection d'une clientèle potentielle d'assurances, de la conclusion d'un contrat d'assurances et l'exécution d'un contrat d'assurances, à l'exclusion du simple règlement des sinistres » et que partant les opérations d'expertise ne sont pas visées comme faisant partie du champ d'activité d'une entreprise d'assurances telle que définie par la loi précitée du 6 décembre 1991, de telle sorte que la Cour d'Appel dans l'arrêt attaqué en étendant le champ d'activité de la loi du 6 décembre 1991 à des opérations non visées a nécessairement violé les dispositions précitées de la loi de 1991 par fausse application et en concluant par voie de conséquence à l'absence de faute dans le chef de D.), a violé les articles 1382 et suivants du Code 8 Civil par refus d'application ; » Mais attendu que les articles 25.1 sous e) et 25.1 sous 1 de la loi modifiée du 6 décembre 1991 sur le secteur d’assurance sont étrangers au grief invoqué ;
Attendu, pour autant que le moyen se rapporte à l’article 30, paragraphe 1, troisième alinéa, de la loi précitée, que les juges d’appel, en disant que les opérations d’expertise auxquelles la défenderesse se livre se réduisent à des rapports internes à son entreprise qui ont pour objet d’investiguer les sinistres pour lesquelles elle doit garantie, n’ont pas violé le susdit article qui dispose que l’objet social de l’entreprise d’assurance s’étend, outre à l’activité d’assurance, également aux opérations qui en découlent directement ;
Sur la demande en paiement d’une indemnité de procédure de la société D.) :
Attendu que la demande en paiement d’une indemnité de procédure de la défenderesse en cassation est à rejeter comme manquant de la justification de l’inéquité requise par l’article 240 du Nouveau code de procédure civile ;
Par ces motifs :
reçoit le pourvoi ;
le rejette ;
rejette la demande en paiement d’une indemnité de procédure de la société D.) ;
condamne l’association sans but lucratif A.),B.) et C.) aux dépens de l’instance en cassation et en ordonne la distraction au profit de Maître Claude BLESER sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Madame la présidente Marie-Paule ENGEL, en présence de 9 Madame Martine SOLOVIEFF, premier avocat général et de Madame Marie-Paule KURT, greffière à la Cour.
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