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18/03/2004 | LUXEMBOURG | N°2053

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 18 mars 2004, 2053


A un intérêt légitime juridiquement protégé celui qui peut se prévaloir de la lésion d'un droit. La lésion du droit au secret bancaire est un droit d'autant plus légitime qu'il est d'ordre public. (...) La responsabilité d'une banque ne peut être que contractuelle. Dans l'exécution des contrats conclu avec ses clients, la banque en tant que personne morale agit à travers ses préposés de sorte que l'acte répréhensible commis par le préposé est à considérer comme acte commis par la personne morale elle-même. Le fait que des agissements criminels et délictueux de certains d

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A un intérêt légitime juridiquement protégé celui qui peut se prévaloir de la lésion d'un droit. La lésion du droit au secret bancaire est un droit d'autant plus légitime qu'il est d'ordre public. (...) La responsabilité d'une banque ne peut être que contractuelle. Dans l'exécution des contrats conclu avec ses clients, la banque en tant que personne morale agit à travers ses préposés de sorte que l'acte répréhensible commis par le préposé est à considérer comme acte commis par la personne morale elle-même. Le fait que des agissements criminels et délictueux de certains des préposés de la banque sont à l'origine de la violation du secret bancaire ne peut être invoqué par la banque pour s'exonérer. (...) L'obligation au secret de la banque est une obligation de résultat parce qu'il est dans le cours normal des choses que les renseignements confiés lors de la conclusion d'un contrat de dépôt avec une banque puissent être gardés secrets et qu'il n'y a pas d'aléa particulier que ce résultat, qui entre dans les prévisions des parties au contrat et que le législateur protège par des sanctions pénales, ne soit atteint. En cas d'inexécution d'une obligation de résultat, le débiteur est présumé responsable sans que le créancier ait à prouver l'existence d'une faute dans le chef du débiteur. Le débiteur ne pceut s'exonérer en prouvant son absence de faute. (...) Par la violation du secret bancaire il est porté atteinte à l'intimité de la vie privée des clients de la banque. Ceux-ci sont déçus dans leur attente légitime de voir la banque respecter l'obligation au secret. Ces désagréments ainsi subis leur cause un préjudice moral.

Arrêt de la Cour de Cassation n° 23 / 04 du 18 mars 2004. Numéro du registre : 2053.

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-huit mars deux mille quatre.

Composition:

Marc THILL, président de la Cour,

Marc SCHLUNGS, conseiller à la Cour de cassation,

Jean JENTGEN, conseiller à la Cour de cassation,

Julien LUCAS, premier conseiller à la Cour d'appel,

Marie-Anne STEFFEN, conseiller à la Cour d'appel,

Martine SOLOVIEFF, avocat général,

Marie-Paule KURT, greffier à la Cour.

Entre :

la KREDIETBANK S.A. LUXEMBOURGEOISE, en abrégé KREDIETBANK LUXEMBOURG S.A., société anonyme, établie et ayant son siège social à L-2955 Luxembourg, 43, boulevard Royal, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonction, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B6395, demanderesse en cassation, comparant par Maître André ELVINGER, assisté de Maître Marc ELVINGER, avocats à la Cour, en l'étude desquels domicile est élu,

et :
WW, employée privée, demeurant à ...,

XX, sans profession, demeurant à ...,

YY, retraité, demeurant à ...,

ZZ, pensionné, demeurant à ..., défendeurs en cassation, comparant par Maître Dean SPIELMANN, avocat à la Cour, en l'étude duquel domicile est élu.

LA COUR DE CASSATION :

Ouï Monsieur le conseiller SCHLUNGS en son rapport et sur les conclusions de Monsieur le premier avocat général WIVENES ;

Vu l'arrêt attaqué rendu le 2 avril 2003 par la Cour d'appel, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale, tel que rectifié par l'arrêt du 7 mai 2003 et signifié le 3 juillet 2003 ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 29 août 2003 par la KREDIETBANK s.a. LUXEMBOURGEOISE (la KREDIETBANK) et déposé le 2 septembre 2003 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 23 octobre 2003 par WW, XX, YY et ZZ et déposé le 27 octobre 2003 au greffe de la Cour ;

Vu le nouveau mémoire signifié le 12 décembre 2003 par la KREDIETBANK et déposé le 17 décembre 2003 au greffe de la Cour ;

Sur la recevabilité du pourvoi qui est contestée :

Attendu que les défendeurs en cassation concluent à la déchéance, sinon à l'irrecevabilité du pourvoi au motif que les actes de signification des huissiers étrangers n'auraient été accomplis qu'après l'expiration du délai de cassation ;

Mais attendu que la remise effective de l'acte à son destinataire à l'étranger est un élément extrinsèque aux formalités prévues à l'article 156(2) du Code de procédure civile qui constituent la signification proprement dite et qui en l'espèce ne sont pas contestées en tant que telles ;

D'où il suit que le pourvoi est régulier ;

Sur les faits :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le tribunal d'arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, avait débouté les consorts WW, XX, YY et ZZ d'une action en dommages-intérêts introduite contre la KREDIETBANK sur base de la responsabilité contractuelle du chef de violation du secret bancaire ; que sur appel, les juges du second degré, par réformation partielle, dirent les demandes des consorts WW, XX, YY et ZZ fondées pour autant qu'elles portent sur le préjudice moral et condamnèrent la KREDIETBANK au paiement de montants indemnitaires ;

Sur le premier moyen de cassation,

tiré, en sa première branche, « de la violation de l'article 89 de la Constitution et de l'article 249 du Nouveau code de procédure civile, pour défaut de réponse à conclusions,

sinon, en sa deuxième branche, du manque de base légale au regard des articles 1142

et 1147

du Code civil, et en ordre subsidiaire des articles 1382, 1383 et 1384 du même Code,

sinon, en sa troisième branche, de la violation des dispositions des articles 1142 et 1147 du Code civil, et en ordre subsidiaire des articles 1382, 1383 et 1384 du même Code, en ce que l'arrêt, réformant le jugement de première instance, a déclaré la demande des défendeurs en cassation, pour autant qu'elle porte sur le préjudice moral, fondée pour le montant de 4 x 25.000 EUR et a condamné la demanderesse en cassation à payer ce dernier montant aux défendeurs en cassation, et en tant qu'il a condamné la demanderesse en cassation à supporter 4/12 des frais de première instance et d'appel, aux motifs qu'il ressortait des pièces versées que grâce aux renseignements obtenus suite à la violation du secret bancaire, le fisc belge a, en raison des avoirs détenus par les consorts WW, XX, YY et ZZ auprès de la demanderesse en cassation, imposé chacun d'eux pour un certain montant ; que, si le préjudice matériel invoqué par les défendeurs en cassation était soit légalement inexistant (paiement d'impôts, paiement d'amendes), soit non documenté par pièces (frais de défense), il en allait autrement du préjudice moral, en raison du fait que " les désagréments (?) subis par les consorts WW, XX, YY et ZZ (en raison de la violation du secret bancaire imputable à la demanderesse en cassation et ayant amené le fisc belge à exiger des consorts WW, XX, YY et ZZ le paiement d'impôts avec intérêts et amendes) leur ont causé un préjudice moral (?) ",

alors que, première branche, en ne se prononçant pas sur le moyen tiré par la demanderesse en cassation, suivant conclusions expresses et écrites, de ce que, si préjudice il y avait eu dans le chef des défendeurs en cassation, celui-ci était exclusivement imputable à leur propre faute, consistant dans l'omission de faire les déclarations requises à l'attention de l'administration fiscale belge, voire dans la remise de fausses déclarations à celle-ci, ce en présence des conclusions d'appel du 3 avril 2002 dans lesquelles la demanderesse en cassation faisait valoir, sous le titre " Défaut de fondement de la demande pour faute de la victime "; que c'était à juste titre que les premiers juges avaient, superfétatoirement, jugé la demande non fondée au motif qu'il n'existait pas de relation causale entre le préjudice allégué et la faute reprochée à la banque, la demanderesse en cassation ayant plus spécialement fait valoir qu'il était " indiscutable que c'est une faute commise par les appelants- faute consistant dans l'abstention de faire les déclarations requises à l'attention de l'administration fiscale belge, voire dans le fait d'avoir fait de fausses déclarations à l'attention de celle-ci ? qui justifie les redressements fiscaux dont ils ont fait l'objet " (conclusions, pages 5 et 6), et des conclusions d'appel du 10 juin 2002 dans lesquelles la demanderesse en cassation faisait valoir, sous le titre " Faute de la victime, défaut de lien de causalité et défaut de préjudice ", que " toute faute de la victime, du moment qu'elle présente un lien de causalité avec le préjudice dont la réparation est recherchée, peut être invoquée par le défendeur à une action en responsabilité civile, la caractéristique de la faute imputable aux appelants, et retenue à leur charge par le tribunal, résid(ant) dans le fait qu'elle se situe en amont de celle qui est alléguée à charge de l'intimée, en ce sens qu'en l'absence de cette faute des appelants, la divulgation des informations les concernant n'aurait pas eu d'incidence sur leurs relations avec l'administration fiscale belge " et que " en droit, c'est la faute des appelants qui constitue la cause véritable et exclusive du ''préjudice'' dont ceux-ci voudraient obtenir réparation " (conclusions, page 4), et nonobstant le fait que l'arrêt lui-même, à la suite de ces conclusions, en se prononçant sur le moyen tiré par la demanderesse de l'adage nemo auditur, a constaté que " ce moyen (tiré de l'adage nemo auditur ?) peut être et a d'ailleurs été introduit dans les débats par le biais de l'examen du lien de causalité " (p. 24 de l'expédition de l'arrêt), la Cour a entaché son arrêt d'un défaut de réponse à conclusions et que, ce faisant, elle a violé les articles 89 de la Constitution et 249 du Nouveau code de procédure civile,

alors que, deuxième branche (subsidiaire à la première), en statuant ainsi qu'il l'a fait, l'arrêt a omis de rechercher dans quelle mesure la faute des consorts WW, XX, YY et ZZ, consistant dans la méconnaissance de leurs obligations de déclaration à l'égard du fisc belge (faute invoquée par la demanderesse en cassation dans ses conclusions d'appel du 3 avril 2002, p. 5-6 et ses conclusions du 10 juin 2002, p. 4) avait pu contribuer à la genèse du préjudice dont les défendeurs en cassation poursuivent réparation ; qu'en omettant toute constatation pertinente à l'appréciation de l'existence d'une éventuelle faute des victimes et d'un lien de causalité ayant pu exister entre cette faute et le préjudice, les juges du fond ont mis la Cour de cassation dans l'impossibilité de procéder au contrôle de la légalité de l'arrêt d'appel ; qu'il s'ensuit que l'arrêt encourt la cassation pour manque de base légale, principalement au regard des articles 1142 et 1147 du Code civil (ayant trait à la responsabilité contractuelle), subsidiairement au regard des articles 1382, 1383 et 1384 du même Code (ayant trait à la responsabilité délictuelle pour le cas où, pour la Cour de cassation, la nature de la responsabilité serait délictuelle),

et que, troisième branche (subsidiaire aux deux premières), dans la mesure où les désagréments allégués par les défendeurs en cassation étaient la conséquence d'une procédure de redressement fiscal trouvant sa cause dans des déclarations fiscales incomplètes déposées par les défendeurs en cassation, et où la Cour a retenu la responsabilité de la demanderesse en cassation pour des désagréments dont la cause, en droit, n'était pas la faute reprochée à la demanderesse en cassation, mais une faute imputable aux défendeurs en cassation, la Cour d'appel a violé les dispositions des articles 1142 et 1147 du Code civil (ayant trait à la responsabilité contractuelle), subsidiairement celles des articles 1382, 1383 et 1384 du même Code (ayant trait à la responsabilité délictuelle pour le cas où, pour la Cour de cassation, la nature de la responsabilité serait délictuelle) ; qu'à supposer même que la faute retenue à charge de la demanderesse en cassation puisse être considérée comme l'une des causes du préjudice allégué par les défendeurs en cassation, quod non, la Cour ne pouvait, eu égard à la faute commise par les défendeurs en cassation eux-mêmes, mettre l'intégralité du préjudice à charge de la demanderesse en cassation sans violer les mêmes dispositions légales » ;

Quant à la recevabilité du moyen :

Attendu que les défendeurs en cassation concluent à l'irrecevabilité du moyen pour cause de contradiction intrinsèque ;

Mais attendu que le moyen est subdivisé en branches qui en raison de leur caractère subsidiaire peuvent, sans encourir le grief invoqué, fonder sur des prémisses même contraires ;

D'où il suit que le moyen est recevable ;

Quant à la première branche :

Mais attendu que cette branche est tirée de la violation des seuls articles 89 de la Constitution et 249 du Code de procédure civile qui sanctionnent l'absence de motifs dont le défaut est un vice de forme ;

Qu'en retenant que par la violation du secret bancaire il a été porté atteinte à l'intimité de la vie privée des consorts WW, XX, YY et ZZ qui ont été en outre déçus dans leur attente légitime de voir la banque respecter son obligation de secret et que ces désagréments leur ont causé un préjudice moral, les juges d'appel ont implicitement mais nécessairement répondu aux conclusions de la KREDIETBANK suivant lesquelles la cause exclusive du préjudice serait à rechercher dans la faute des titulaires des comptes ayant enfreint leur devoir de déclaration auprès des autorités fiscales belges ;

D'où il suit que ce grief est à rejeter ;

Quant aux deuxième et troisième branches :

Mais attendu qu'en constatant que la banque a violé une obligation contractuelle de résultat et que cette violation est à l'origine du préjudice des victimes, les juges d'appel, contrairement à l'objectif du moyen, n'avaient à toiser ni sur le plan contractuel ni sur le plan aquilien une éventuelle faute contributive des consorts WW, XX, YY et ZZ empêchant de mettre l'intégralité de la réparation du préjudice à charge de la demanderesse en cassation ;

D'où il suit que les griefs ne sont pas fondés ;

Sur le deuxième moyen de cassation,

tiré « de la violation de la loi, in specie de l'article 6 du Code civil, ensemble l'article 41

de la loi du 5 avril 1993 relative au secteur financier et de l'adage Nemo auditur propriam turpitudinem allegans (première branche)

et de la violation des articles 1142 et 1147 du Code civil, et en ordre subsidiaire des articles 1382, 1383 et 1384 du même Code (deuxième branche), en ce que, par réformation du premier jugement, la Cour a déclaré l'action des défendeurs recevable, et, quant à la demande en paiement d'un dommage moral, également fondée, aux motifs ? s'agissant de la recevabilité ? que " A intérêt légitime juridiquement protégé celui qui peut se prévaloir de la lésion d'un droit " et que " En faisant grief à la société KREDIETBANK LUXEMBOURG S.A. de lui avoir causé un préjudice par la violation du secret bancaire, les consorts WW, XX, YY et ZZ se prévalent de la lésion de leur droit au secret bancaire (?) qui est un droit (?) d'autant plus légitime qu'il est d'ordre public " et encore que l'adage Nemo auditur n'aurait pas sa place dans un litige en responsabilité civile au motif que la question du comportement de la victime " peut (y) être (?) introduit dans les débats par le biais de l'examen de lien de causalité ", et ? s'agissant du bien-fondé de la demande en réparation d'un préjudice moral ? que les défendeurs en cassation avaient subi des " désagréments " leur ayant causé un préjudice moral réparable, alors que, première branche, la lésion d'un droit ne confère pas un intérêt légitime à agir, condition de recevabilité de toute action en justice, lorsque, comme en l'occurrence, l'action des défendeurs en cassation a pour objet la réparation du préjudice que ceux-ci déclaraient avoir subi à la suite d'un comportement (non-déclaration à l'administration fiscale de leur pays de résidence de leurs avoirs auprès de la demanderesse en cassation et des revenus qu'ils en retiraient) qui, dans leur chef, était illicite et contraire à l'ordre public et lorsque le préjudice allégué ? consistant d'une part dans les montants exposés par eux au titre de leur imposition en vertu de la loi de leur pays de résidence (préjudice matériel) et d'autre part dans les désagréments prétendument subis par l'assujettissement aux procédures d'imposition prévues par la même loi (préjudice moral) ? n'était que la conséquence normale et prévisible de pareil comportement illicite et que c'est faire une fausse application de l'article 41 de la loi du 5 avril 1993 que de vouloir en conclure qu'il pourrait conférer des droits contraires à l'ordre public, en méconnaissance à la fois de l'article 6 du Code civil et de l'adage Nemo auditur propriam turpitudinem allegans visé au moyen, adage qui, contrairement à ce que la Cour a jugé, n'est pas étranger au droit de la responsabilité civile, et que, deuxième branche, en supposant même que la demande des défendeurs en cassation n'aurait pas dû être déclarée irrecevable, la Cour aurait dû déclarer non fondée la demande en réparation d'un préjudice moral consistant dans des désagréments qui n'étaient que la conséquence normale et prévisible d'un comportement illicite et contraire à l'ordre public dans le chef des défendeurs en cassation et qui, à ce titre, ne constituait pas un préjudice réparable au titre des articles 1142 et 1147 du Code civil (ayant trait à la responsabilité contractuelle), subsidiairement des articles 1382, 1383 et 1384 du même Code (ayant trait à la responsabilité délictuelle pour le cas où, pour la Cour de cassation, la nature de la responsabilité serait délictuelle) » ;

Quant à la première branche :

Mais attendu que dans le cadre de la responsabilité l'incidence du comportement fautif de la victime ne ressortit pas à l'intérêt à agir mais au fond de l'action indemnitaire ;

Quant à la deuxième branche :

Mais attendu que les désagréments reconnus indemnisables par les juges du fond ne sont pas ceux en relation directe avec la dette fiscale, mais ceux issus de l'attente légitime de voir la banque respecter son obligation au secret ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli en ses deux branches ;

Sur le troisième moyen de cassation,

tiré « de la violation de la loi, in specie des articles 1142 et 1384 alinéa 3 du Code civil, en ce que l'arrêt attaqué a dit qu'il n'y avait pas lieu de surseoir à statuer sur le fondement de la règle que le criminel tient le civil en état, et a refusé d'admettre l'offre de preuve formulée par la banque, et a prononcé contre celle-ci les condamnations reprises au dispositif de l'arrêt, aux motifs que la responsabilité de la banque ne pouvait être que contractuelle ; qu'en conséquence l'article 1384, alinéa 3 du Code civil ne pouvait trouver application ; que dans l'exécution des contrats conclu avec ses clients, la banque en tant que personne morale agit à travers ses préposés de sorte que l'acte répréhensible commis par le préposé est à considérer comme acte commis par la personne morale elle-même ; et que le fait que des agissements criminels et délictueux de certains des préposés de la banque étaient à l'origine de la violation du secret bancaire ne pouvait être invoqué par la banque pour s'exonérer, alors que le prétendu fait dommageable, à savoir la divulgation de données par infraction au secret professionnel, n'a pas été commis en exécution d'un contrat par la banque en tant que personne morale, ni par les préposés de la banque dans l'accomplissement de leurs fonctions, mais par ces préposés en dehors de leurs fonctions, agissant sans autorisation, à des fins étrangères à leurs fonctions, et que, dès lors que ces agissements se situaient en dehors de tout contrat existant entre la banque et ses clients, la responsabilité de la banque, si responsabilité il y avait, ne pouvait être de nature contractuelle, mais tout au plus délictuelle, et, à ce titre, être une responsabilité du fait des préposés régie par l'article 1384, alinéa 3 du Code civil, et qu'au regard de cette disposition, cette responsabilité n'était pas donnée si ces préposés agissaient en dehors de leurs fonctions et sans autorisation, mais encore à des fins étrangères à ces fonctions, et qu'en décidant, comme il l'a fait, que l'article 1384, alinéa 3, était inapplicable de sorte que la banque ne pouvait s'exonérer suivant les conditions de cette disposition, l'arrêt a violé l'article 1384, alinéa 3, tout comme, en appliquant les règles régissant la responsabilité contractuelle, l'arrêt a violé l'article 1142 qui en est le siège, dès lors que cette disposition était inapplicable » ;

Mais attendu qu'en constatant l'existence d'un contrat entre parties les juges du fond ont, en statuant comme ils l'ont fait, correctement appliqué la loi sans encourir le grief invoqué au moyen qui dès lors n'est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen de cassation,

tiré « du défaut de base légale et de la violation de la loi, in specie des articles 1142, 1147 et 1932 du Code civil, ensemble de l'article 41 de la loi du 5 avril 1993 relative au secteur financier (première branche)

et de la violation des articles 1142 et 1147 du Code civil (deuxième branche), en ce que l'arrêt attaqué a écarté l'offre de preuve de la demanderesse en cassation et, par réformation du jugement de première instance, a prononcé contre celle-ci les condamnations reprises au dispositif de l'arrêt, aux motifs que l'obligation au secret de la banque était une obligation de résultat parce qu'il serait " dans le cours normal des choses que les renseignements confiés lors de la conclusion d'un contrat de dépôt avec une banque puissent être gardés secrets " et qu'il n'y aurait " pas d'aléa particulier que ce résultat, qui entre dans les prévisions des parties au contrat et que le législateur protège par des sanctions pénales, ne soit atteint " ; et qu'en conséquence l'offre de preuve par expertise visant à prouver l'absence de faute dans le chef de la banque, telle que formulée par la demanderesse en cassation tant en première instance que dans ses conclusions en instance d'appel du 3 avril 2002, sub no 15, n'était pas pertinente au motif qu'" en cas d'inexécution (d'une) obligation de résultat, le débiteur est présumé responsable (?) sans que le créancier ait à prouver l'existence d'une faute dans le chef du débiteur " et que " le débiteur ne peut s'exonérer en prouvant son absence de faute ", de sorte qu'en l'occurrence il n'était pas admis à " faire état des mesures et mécanismes mis en place pour protéger le secret bancaire ", mécanismes qui faisaient l'objet de l'offre de preuve rejetée, alors que, première branche, d'une part, aucune disposition légale, autre que l'article 1932 du Code civil qui ne concerne que l'obligation de restitution de l'objet déposé, ne permet de qualifier d'obligation de résultat d'autres obligations découlant du contrat de dépôt, d'autre part, la Cour d'appel n'a pu juger de façon péremptoire et générale que l'obligation au secret qui pèse sur un établissement bancaire n'est affectée d'aucun aléa, dès lors que l'offre de preuve de la demanderesse en cassation avait précisément pour objet de prouver les mécanismes de protection du secret mis en place, et que, si cette preuve avait été rapportée, il en aurait résulté qu'un établissement n'est pas à l'abri d'agissements, criminels ou non, qu'ils soient le fait de tiers à l'établissement ou d'employés de celui-ci, qui pourraient aboutir à la divulgation d'informations qui devaient rester secrètes, et que par conséquent l'aléa dénié par l'arrêt attaqué existe bien ; de troisième part, en faisant état de ce que le résultat de l'obligation serait " dans le cours normal des choses " et entrerait " dans les prévisions des parties ", l'arrêt attaqué a appliqué, pour déterminer qu'il y avait obligation de résultat, des critères qui y sont étrangers, dès lors que le fait que le résultat d'une obligation rentre dans les prévisions des parties au contrat et le fait que ce résultat est dans le cours normal des choses sont communs aux obligations de moyens et aux obligations de résultat ; enfin, l'existence de sanctions pénales est nécessairement étrangère à la notion d'obligation de résultat dès lors que les infractions pénales, autres que certaines contraventions, requièrent le dol dit général et ne s'attachent jamais au seul résultat d'un acte qui pourrait être constitutif d'une infraction, de sorte que la qualification d'obligation de résultat, principalement intervient en violation des dispositions des articles 1142, 1147 et 1932 du Code civil, ensemble de l'article 41 de la loi du 5 avril 1993 relative au secteur financier légales, et subsidiairement manque de base légale au regard des mêmes dispositions, et que, deuxième branche, la qualification d'obligation de résultat n'exclut pas l'exonération d'une telle obligation par la preuve des diligences du débiteur, fût-il dépositaire, et de l'absence de faute de sa part, de sorte que la qualification d'obligation de résultat ne justifiait pas le rejet de l'offre de preuve faite par la défenderesse intimée tendant à son exonération par la preuve de son absence de faute, et que l'arrêt attaqué, en rejetant l'offre de preuve au motif que l'obligation en cause était une obligation de résultat, a violé les dispositions des articles 1142 et 1147 du Code civil » ;

Quant à la première branche :

Mais attendu que d'une part la Cour d'appel n'a pas tiré l'obligation de résultat de la seule disposition de l'article 1932 visant le devoir de restitution de l'objet déposé, mais de l'ensemble des obligations contractuelles s'attachant accessoirement au contrat spécifique de dépôt bancaire ;

Que d'autre part la constatation de l'absence d'aléa caractérisant l'obligation de résultat est une vérification factuelle opérée souverainement par les juges du fond et échappant au contrôle de la Cour de cassation ;

Que finalement la référence surabondante au « cours normal des choses » et aux « prévisions des parties » ainsi qu'au caractère délictueux des révélations n'a eu lieu que pour renforcer le constat d'absence d'aléa sans en faire des critères spécifiques ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli en sa première branche ;

Quant à la deuxième branche :

Mais attendu que la seule preuve de l'absence de faute dans le chef du débiteur est insuffisante à établir le caractère extrinsèque de la cause exonérant de l'obligation d'exécuter ;

D'où il suit qu'en refusant la mesure d'instruction proposée, les juges du fond ont correctement appliqué la loi sans encourir le grief formulé au moyen qui dès lors n'est pas fondé ;

Sur le cinquième moyen de cassation,

tiré (en sa première branche) « de la violation des articles 1142, 1147 et 1149

du Code civil, et en ordre subsidiaire des articles 1382, 1383 et 1384 du même Code,

et (en sa deuxième branche) du manque de base légale au regard des mêmes dispositions, en ce que l'arrêt, réformant le jugement de première instance, a déclaré la demande des défendeurs en cassation, pour autant qu'elle porte sur le préjudice moral, fondée pour le montant de 4 x 25.000 EUR et a condamné la demanderesse en cassation à payer ce dernier montant aux défendeurs en cassation, et en tant qu'il a condamné la demanderesse en cassation à supporter 4/12 des frais de première instance et d'appel, aux motifs qu'il ressortait des pièces versées que grâce aux renseignements obtenus suite à la violation du secret bancaire, le fisc belge a, en raison des avoirs détenus par les consorts WW, XX, YY et ZZ auprès de la demanderesse en cassation, imposé chacun d'eux pour un certain montant ; que, si le préjudice matériel invoqué par les défendeurs en cassation était soit légalement inexistant (paiement d'impôts, paiement d'amendes), soit non documenté par pièces (frais de défense), il en allait autrement du préjudice moral ; qu'en effet " par la violation du secret bancaire il a été porté atteinte à l'intimité de la vie privée des consorts WW, XX, YY et ZZ ; - par cette violation, les consorts WW, XX, YY et ZZ ont été en outre déçus dans leur attente légitime de voir la banque respecter l'obligation au secret ; - les désagréments ainsi subis par les consorts WW, XX, YY, et ZZ leur ont causé un préjudice moral que la Cour évalue ? compte tenu des éléments d'appréciation à sa disposition ? à 4 x 25.000.- (vingt-cinq mille) euros ", alors qu'en se bornant à affirmer que " par la violation du secret bancaire il a été porté atteinte à l'intimité de la vie privée des consorts WW, XX, YY, et ZZ ", l'arrêt ne justifie pas légalement la condamnation qu'il prononce ; que la révélation à l'autorité fiscale du pays de résidence d'un contribuable d'avoirs détenus par ce dernier auprès d'une banque ne constitue en effet pas en elle-même une atteinte à l'intimité de la vie privée du contribuable, puisque le contribuable est obligé de déclarer lesdits avoirs à l'autorité fiscale, et que cette autorité a partant un droit légitime d'obtenir les renseignements en question, lesquels ne sauraient être considérés comme relevant de " l'intimité de la vie privée " du contribuable à l'égard des autorités fiscales ; qu'en s'abstenant d'énoncer, dans leur arrêt, les faits dont il résulterait qu'il y a eu " atteinte à l'intimité de la vie privée des consorts WW, XX, YY et ZZ ", outre la circonstance ? inopérante à cet égard ? qu'il y a eu révélation des avoirs par eux détenus au fisc de leur pays de résidence, les juges du fond ont mis la Cour de cassation dans l'impossibilité de procéder au contrôle de la légalité de l'arrêt ; que la constatation selon laquelle " par cette violation, les consorts WW, XX, YY et ZZ ont été en outre déçus de leur attente légitime de voir la banque respecter l'obligation au secret " ne caractérise pas, elle non plus, une atteinte à l'intimité à la vie privée, ni un quelconque préjudice moral ; qu'au contraire, elle fait double emploi avec la constatation de la faute qu'aurait commise la banque et qu'en conséquence, première branche, l'arrêt, en constatant sur la base de pareilles considérations des " désagréments " qu'il a entendu réparer par l'octroi de dommages-intérêts, encourt la cassation pour violation , principalement des articles 1142, 1147 et 1149 du Code civil (ayant trait à la responsabilité contractuelle), subsidiairement des articles 1382, 1383 et 1384 du même Code (ayant trait à la responsabilité délictuelle pour le cas où, pour la Cour de cassation, la nature de la responsabilité serait délictuelle) ; et que, deuxième branche, l'arrêt, qui a constaté sur le fondement de pareilles considérations insuffisantes des " désagréments " qu'il a entendu réparer par l'octroi de dommages-intérêts, encourt pour le moins la cassation pour manque de base légale, principalement au regard des articles 1142, 1147 et 1149 du Code civil (ayant trait à la responsabilité contractuelle), subsidiairement au regard des articles 1382, 1383 et 1384 du même Code (ayant trait à la responsabilité délictuelle pour le cas où, pour la Cour de cassation, la nature de la responsabilité serait délictuelle) » ;

Mais attendu que, quant à la première branche, sous le couvert de la violation des articles 1147 et 1149 sinon des articles 1382, 1383 et 1384 du Code civil le moyen ne tend qu'à mettre en discussion devant la Cour de cassation le pouvoir souverain des juges du fond d'apprécier des causes et de l'existence du préjudice ;

que, quant à la seconde branche, en fondant les « désagréments » sur l'atteinte à l'intimité de la vie privée des défendeurs en cassation et sur « leur déception dans leur attente légitime de voir la banque respecter l'obligation au secret », la Cour d'appel a, par ces constatations exemptes d'insuffisance, légalement justifié sa décision sans encourir le grief du manque de base légale ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé en ses deux branches ;

Par ces motifs:

rejette le pourvoi;

condamne la KREDIETBANK S.A. LUXEMBOURGEOISE aux frais de l'instance en cassation, dont distraction au profit de Maître Dean SPIELMANN, avocat à la Cour, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur le président Marc THILL, en présence de Madame Martine SOLOVIEFF, avocat général et Madame Marie-Paule KURT, greffier à la Cour.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 2053
Date de la décision : 18/03/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2013
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2004-03-18;2053 ?
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