L'obligation de remboursement des indemnités de chômage au fonds pour l'emploi est d'application non seulement en cas de licenciement pour motif grave jugé abusif, mais aussi en cas de licenciement avec préavis jugé abusif.
Arrêt de la Cour de Cassation du 21/01/1999 n° 07/99. Numéro 1533 du registre. Audience publique du jeudi, vingt et un janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.
Composition:
Marc THILL, président de la Cour, Raoul GRETSCH, conseiller à la Cour de cassation, Jean KIPGEN, conseiller à. la Cour de cassation, Carlo HEYARD, conseiller à la Cour d'appel, Josiane SCHROEDER, conseiller à la Cour d'appel, Pierre SCHMIT, premier avocat général, Ernest BEYER, greffier à la Cour.
Entre
l'ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, représenté par son Ministre d'Etat, établi à L-1352 Luxembourg, 4, rue de la Congrégation, sinon par son Ministre du Travail, établi à L-2939 Luxembourg, 26, rue Zithe, demandeur en cassation, comparant par Maître Georges PIERRET, avocat inscrit à la liste I du tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, en l'étude duquel domicile est élu,
et:
XX, employé privée, demeurant à L-..., défenderesse en cassation,
la société à responsabilité limitée MAISON CARINA s.à r.L, établie et ayant son siège social à L-4011 Esch-sur-Alzette, 77-79 rue de l'Alzette, représentée par son gérant actuellement en fonctions, défenderesse en cassation, comparant par Maître Alain RUKAVINA, avocat inscrit à la liste I du tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, en l'étude duquel domicile est élu.
LA COUR DE CASSATION:
Ouï Monsieur le président THILL en son rapport et sur les conclusions de Monsieur le procureur général d'Etat adjoint KLOPP ;
Vu l'arrêt attaqué, rendu le 15 mai 1997 par la Cour d'appel, huitième chambre, siégeant en matière de droit du travail ;
Vu le mémoire en cassation, signifié le 13 juillet 1998 par l'ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG (l'ETAT) et déposé au greffe de la Cour le 22 juillet 1998;
Vu le mémoire en réponse, signifié les 27 et 28 août 1998- par la société à responsabilité limitée MAISON CARINA s.à r.L (MAISON CARINA) et déposé au greffe de la Cour le 3 septembre 1998 ;
Attendu que le pourvoi est régulier en la forme ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que saisi d'une demande en dommages-intérêts pour licenciement abusif dirigée par XX contre son ancien employeur, l'ETAT intervenant dans le litige en sa qualité de gestionnaire du fonds pour l'emploi conformément à l'article 14.7
de la loi modifiée du 30 juin 1976, le tribunal du travail d'Esch-sur-Alzette avait, par jugement du 1er octobre 1996, dit le licenciement abusif au motif que la lettre de motivation du licenciement ne correspondait pas au critère de précision exigé par l'article 22 (2)
de la loi du 24 mai 1989 sur le contrat de travail, condamné la société défenderesse à payer à la requérante différents montants indemnitaires, mais déclaré non fondée la demande en remboursement des indemnités de chômage formée par l'ETAT en la susdite qualité contre l'employeur MAISON CARINA sur base de l'article 14.5 de la loi précitée, au motif que cet article ne visait que le cas du licenciement pour motif grave ; que sur appel de l'ETAT, l'arrêt attaqué a confirmé le jugement du tribunal du travail relativement à la demande de remboursement de l'ETAT ;
Sur le premier et unique moyen de cassation,
tiré « de la contravention à la loi, in specie de la violation de la fausse interprétation et de la fausse application de l'article 14.5 de la loi modifiée du 30 juin 1976 portant 1) création d'un fonds pour l'emploi, 2) réglementation de l'octroi des indemnités de chômage complet, en ce que la Cour d'appel a faussement ou de façon erronée exclu par l'application du texte légal précité le remboursement à l'ETAT des indemnités de chômage versées au salarié, par l'employeur, en cas de licenciement intervenu pour des motifs illégitimes ou constituant un acte économiquement ou socialement anormal, donc un licenciement avec préavis, jugé abusif, et limité le remboursement des indemnités de chômage au fonds pour l'emploi au cas de licenciement pour motif grave, de rupture anticipée du contrat conclu à durée déterminée ou du licenciement avec préavis mais uniquement en cas de non-respect de la période de préavis légalement prescrite, alors que par son caractère de généralité, le texte de loi visé s'applique également au licenciement opéré avec préavis étant entendu que la période de préavis légalement prescrite ait été respectée » ;
Quant à la recevabilité du moyen :
Attendu que le moyen est recevable pour satisfaire à l'exigence de précision prévue par l'article 10, alinéa 1er, 2° de la loi sur les pourvois et la procédure en cassation ;
Quant à la substance du moyen :
Vu l'article 14.5 de la loi du 30 juin 1976 portant 1) création d'un fonds pour l'emploi, 2) réglementation de l'octroi des indemnités de chômage complet telle qu'elle a été modifiée par la loi du 26 février 1993 concernant le travail volontaire à temps partiel ;
Attendu que pour justifier la confirmation de la décision du tribunal du travail déclarant non fondée la demande de l'ETAT en remboursement des indemnités de chômage par lui versées, la Cour d'appel énonce que l'obligation de remboursement de ces indemnités au fonds pour l'emploi n'est d'application qu'en cas de licenciement pour motif grave, mais non pas en cas de licenciement avec préavis ;
Attendu cependant qu'en statuant ainsi, alors que le texte de loi susvisé dispose sans restriction que le jugement ou l'arrêt déclarant abusif le licenciement du travailleur condamne l'employeur à rembourser au fonds pour l'emploi les indemnités de chômage par lui versées au travailleur pour la ou les périodes couvertes par des salaires, traitements ou indemnités que l'employeur sera tenu de verser en application du jugement ou de l'arrêt, la Cour d'appel a violé par fausse interprétation ce texte ;
Sur la demande en saisine de la Cour Constitutionnelle de la question de la constitutionnalité de l'article 14 de la loi du 30 juin 1976 ;
Attendu que dans son mémoire en réponse, la défenderesse en cassation MAISON CARINA conclut en ordre subsidiaire, en application de l'article 6 de la loi du 27 juillet 1997, portant organisation de la Cour Constitutionnelle à voir saisir cette juridiction d'une exception d'inconstitutionnalité de l'article 14 de la loi du 30 juin 1976 par rapport au principe de l'égalité devant la loi garanti par l'article 11 de la loi fondamentale au motif essentiel que « l'article 14 est cependant muet sur le droit de l'ETAT d'exercer un recours en remboursement du chômage payé à l'encontre du salarié, si son licenciement avec respect du préavis a été déclaré régulier et/ou justifié » ;
Mais attendu que les hypothèses d'obligation de remboursement mis à charge soit de l'employeur soit du salarié prévues par cette disposition légale se fondent sur la notion de faute établie dans le chef de l'un ou de l'autre partenaire au contrat de travail, de sorte que celle-ci ne saurait créer une inégalité en laissant en dehors de son champ d'application une rupture non incriminable des liens contractuels ;
D'où il suit que la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement au regard de l'article 6, deuxième alinéa, b de la loi du 27 juillet 1997;
Par ces motifs:
déclare le pourvoi régulier et le moyen recevable ;
rejette la demande de renvoi devant la Cour Constitutionnelle ;
casse et annule l'arrêt rendu le 15 mai 1997 par la Cour d'appel, huitième chambre, siégeant en matière de droit du travail, sous les numéros 19 897 et 19 988 du rôle;
déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s'en sont suivis et remet les parties au même état où elles se sont trouvées avant l'arrêt du 15 mai 1997 et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel, autrement composée ;
condamne la société à responsabilité MAISON CARINA s.à r.l. aux dépens tant de l'instance en cassation que de la décision annulée ;
ordonne qu'à la diligence du procureur général d'Etat, le présent arrêt sera transcrit sur le registre de la Cour d'appel et qu'une mention renvoyant à la transcription de cet arrêt sera consignée en marge de la minute de l'arrêt annulé.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur le conseiller Raoul GRETSCH, délégué à ces fins, en présence de Messieurs Pierre SCHMTT, premier avocat général et Ernest BEVER, greffier à la Cour.