En déclarant la demande tendant à l'allocation de dommages-intérêts pour licenciement abusif fondée en principe, alors que les motifs fournis par l'employeur permettaient au juge d'apprécier s'ils n'étaient pas illégitimes ou si le congédiement ne constituait pas un acte économiquement et socialement anormal, et à l'employée de rapporter la preuve de la fausseté des griefs invoqués, la Cour d'appel a ajouté des exigences de précision non requises par la loi.
Arrêt de la Cour de Cassation du 22/06/1989 n° 20 /89. Audience publique du jeudi, vingt-deux juin mil neuf cent quatre-vingt-neuf. Numéro 833 du registre.
Composition:
Prosper JACQUES, président de la Cour, Numa WAGNER, conseiller à la Cour de cassation, Fernand HESS, conseiller à la Cour de cassation, Guy REILAND, premier conseiller à la Cour d'appel, Marc SCHLUNGS, conseiller à la Cour d'appel, Jean-Pierre KLOPP, premier avocat général, Marcel LANNERS, greffier en chef.
Entre :
l'ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, représenté par son Ministre de l'Economie et des Classes Moyennes, ayant son bureau à Luxembourg, 19-21, boulevard Royal, et pour autant que de besoin par son Ministre des Finances, ayant son bureau à Luxembourg, 3, rue de la Congrégation, demandeur en cassation, comparant par Maître Marc BADEN, avocat-avoué, demeurant à Luxembourg, en l'étude duquel domicile est élu;
et :
Madame Nelly HAMEN, ci-avant employée de l'Etat, actuellement en chômage, demeurant à Luxembourg, 38, rue Lamormesnil, défenderesse en cassation, comparant par Maître Alex KRIEPS, avocat-avoué, demeurant à Luxembourg, en l'étude duquel domicile est élu.
LA COUR DE CASSATION :
Ouï M. le conseiller HESS en son rapport et sur les conclusions de M.WAMPACH, procureur général d'Etat;
Vu l'arrêt attaqué, rendu le 5 mai 1988 par la Cour d'appel, troisième chambre, siégeant en matière arbitrale;
Attendu que la défenderesse oppose le moyen de déchéance tiré de ce que le demandeur n'a pas précisé les dispositions attaquées;
Attendu qu'après avoir dans son mémoire reproduit le dispositif de l'arrêt, le demandeur a déclaré l'attaquer dans son intégralité;
Qu'ainsi il a satisfait aux exigences de l'article 10 de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation;
D'où il suit que le moyen de déchéance n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen,
"tiré de la violation de l'article 89 de la Constitution pour insuffisance de motifs valant absence de motifs, ainsi que de la violation des articles 1134 et 1984 du code civil, en ce que l'arrêt attaqué, par dénaturation du contenu de la lettre du litismandataire de la défenderesse en cassation du 11 octobre 1984, par méconnaissance du principe que les conventions légalement formées entre parties leur tiennent lieu de loi, et par méconnaissance de la définition légale du mandat, a affirmé qu'il était constant que Mme Hamen n'avait pas personnellement émis l'intention d'acquiescer au jugement de première instance et qu'à défaut d'un pouvoir spécial et exprès donné à son litismandataire pour acquiescer en son nom il n'y avait pas acquiescement de sa part,
alors cependant qu'il résultait des termes non équivoques de cette lettre qu'au contraire la défenderesse en cassation avait émis personnellement cette intention d'acquiescer et qu'à la suite de cette intention clairement manifestée à son litismandataire et transmise par celui-ci au litismandataire du demandeur en cassation, ce dernier à son tour avait accepté le jugement de première instance en l'exécutant par l'envoi de l'indemnité en principal et intérêts à laquelle il avait été condamné en première instance au litismandataire de la défenderesse en cassation sur base du décompte présenté par ce dernier majoré des intérêts courus jusqu'à la date du paiement (1re branche),
et alors qu'il résultait des termes non équivoques de cette même lettre que le litismandataire de la défenderesse en cassation ne faisait pas un acquiescement au nom de sa partie, mais informait son adversaire du fait de l'acquiescement manifesté par sa cliente elle-même ( 2ème branche)" :
Sur la première branche:
Attendu, d'une part, que les juges d'appel ont constaté, par une appréciation souveraine, que la lettre n'était pas l'?uvre personnelle de Mme HAMEN et qu'il n'était pas non plus prouvé que son avoué l'avait rédigée, muni d'un pouvoir exprès et spécial, pour en conclure que dans ces conditions, la missive ne pouvait être considérée comme acquiescement régulier; que dans la mesure où il est affirmé que Mme HAMEN aurait personnellement acquiescé, le grief manque en fait;
Que d'autre part, il ne résulte ni de l'arrêt ni d'une autre pièce à laquelle la Cour peut avoir égard que le litismandataire du demandeur en cassation "avait accepté le jugement de première instance en l'exécutant par l'envoi de l'indemnité en principal et intérêts à laquelle il avait été condamné en première instance au litismandaire de la défenderesse en cassation sur base du décompte présenté par ce dernier majoré des intérêts courus jusqu'à la date du paiement" ; qu'en tant qu'il se fonde sur ces faits qui n'ont pas été considérés par la Cour d'appel pour arrêter sa décision, le moyen tend à entraîner la Cour dans des recherches et vérifications qui ne se dégagent pas de l'arrêt attaqué et est irrecevable comme mélangé de fait et de droit;
Sur la deuxième branche:
Attendu que cette branche du moyen est basée sur la prémisse que Mme HANSEN avait en personne manifesté son acceptation du jugement et se heurte, dès lors, aux constatations souveraines des juges d'appel selon lesquelles il résultait de la lettre que Mme HAMEN n'avait pas personnellement acquiescé au jugement;
D'où il suit que le grief manque en fait et ne saurait non plus être accueilli en sa deuxième branche;
Sur le deuxième moyen:
Vu l'article 22 de la loi du 12 novembre 1971 portant réforme du règlement légal du louage de service des employés privés;
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que Mme HAMEN, congédiée moyennant préavis le 28 septembre 1982, a été informée, sur sa demande, par lettre du 21 octobre 1982 des motifs de son congédiement dans les termes suivants: "Nous ne voyons pas la possibilité de renouveler ce contrat étant donné qu'en raison du recours accru à l'informatique, les travaux correspondant à votre niveau de qualification sont en voie de disparition. Or vous n'avez pas su profiter de l'expérience professionnelle des années passées pour améliorer vos connaissances. Nous avons dû constater particulièrement au cours de l'année écoulée un déclin certain de votre rendement ce qui nous a finalement amené à prendre la décision que vous connaissez. Si à ce sujet je n'entre pas dans les détails, c'est bien dans votre intérêt" ;
Attendu que les juges d'appel, ayant estimé que les motifs indiqués par l'employeur n'étaient pas suffisamment précisés pour que leur énoncé en révèle la nature et la portée exacte et permette de vérifier l'existence des faits invoqués ou d'en prouver l'inexistence, et ayant conclu que le congédiement de Mme HAMEN était abusif, il leur est fait grief d'avoir ainsi statué, alors que "l'abus du droit de congédier défini par l'article 22 susvisé est le congédiement qui intervient pour des motifs illégitimes ou qui constituent un acte économiquement et socialement anormal et que par conséquent la précision exigée dans l'énoncé des motifs du congédiement ne saurait dépasser la précision indispensable pour permettre, d'une part, au juge saisi d'apprécier si le congédiement est intervenu pour des motifs illégitimes ou s'il constitue un acte socialement anormal et pour permettre, d'autre part, à l'employé congédié, qui a la charge de la preuve, de prouver que les motifs invoqués ne sont pas vrais", et alors que l'employeur n'est pas obligé, en plus, "d'expliciter et d'illustrer les motifs du congédiement par des faits ou des fautes à l'instar de l'hypothèse prévue par l'article 16 de la loi susvisée en ce qui concerne la résiliation avec effet immédiat pour motifs graves";
Attendu qu'après avoir constaté que l'Etat avait avancé deux motifs de licenciement, à savoir la disparition des travaux correspondant à la qualification de Mme HAMEN en raison du recours à l'informatique et le déclin de son rendement, les juges d'appel ont considéré, quant au premier motif invoqué, que l'Etat ne l'avait pas énoncé avec une précision suffisante et aurait dû "spécifier les nouveaux domaines et matières dans lesquelles il y a eu recours à l'informatique, décrire les travaux assumés jusque là par Mme HAMEN, déterminer avec précision l'incidence du recours à l'informatique sur son travail et expliquer les raisons qui ont conduit à la disparition des travaux correspondant à sa qualification" ;
qu'en ce qui concerne le deuxième motif, ils ont estimé qu'en se limitant à invoquer un déclin certain du rendement de Mme HAMEN, sans spécifier de façon détaillée les circonstances exactes et les faits précis autorisant l'employeur à invoquer un rendement insuffisant au travail de son employée, l'Etat a encore négligé de renseigner avec la précision requise tant son employée que les juridictions devant connaître du litige sur les motifs exacts du licenciement;
Attendu qu'en déclarant ainsi la demande de Mme HAMEN tendant à l'allocation de dommages-intérêts pour licenciement abusif fondée en principe, alors que les motifs fournis par l'employeur permettaient au juge d'apprécier s'ils n'étaient pas illégitimes ou si le congédiement ne constituait pas un acte économiquement et socialement anormal, et à l'employée de rapporter la preuve de la fausseté des griefs invoqués, la Cour d'appel a ajouté des exigences de précision non requises par la loi, et a violé la disposition susvisée;
D'où il suit que la cassation est encourue;
Par ces motifs
casse et annule l'arrêt rendu entre parties le 5 mai 1988 par la Cour d'appel;
remet en conséquence la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel, autrement composée;
condamne la défenderesse aux frais et dépens de l'instance en cassation et aux frais de la décision cassée, avec distraction au profit de Maître Marc BADEN, avoué concluant, qui la demande, affirmant avoir fait l'avance des frais;
ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général d'Etat le présent arrêt sera transcrit sur le registre de la Cour d'appel, et qu'une mention renvoyant à la transcription de cet arrêt sera consignée en marge de la minute de l'arrêt cassé.
La lecture du présent arrêt a été faite en la prédite audience publique par Monsieur Fernand HESS, conseiller à la Cour de cassation, délégué à ces fins par Monsieur le Président, en présence de Messieurs Jean-Pierre KLOPP, premier avocat général et Marcel LANNERS, greffier en chef.