Arrêt de la Cour de Cassation du 19/05/1983 n° 410. Audience-publique du dix-neuf mai mil neuf cent quatre-vingt-trois.
Présents Messieurs:
Prosper JACQUES, président de la Cour-, Numa WAGNER, conseiller à la Cour de cassation; Jean WEBER, président de chambre à la Cour d'appel, Arthur BIEV/SR et Roger EVERLING, : conseillers à la Cour d'appel, Robert BIEVER, avocat général, Pierre. SCHROEDER, greffier en chef
Entre :
la société anonyme de droit français SECO,' ayant son siège à Les Mureaux, 7815o France, agissant par son conseil d'administration actuellement en fonctions, demanderesse en cassation , comparant par Maître Fernand ENTRINGER,avocat-avoué, demeurant à Luxembourg en l'étude duquel domicile est élu
et:
l'Etablissement d'Assurance contre la Vieillesse, et l'Invalidité, ayant son siège à Luxembourg, 1 rue Zithe, représenté par le président de son comité-directeur, Monsieur André Thill, docteur en droit, président de l'Office des assurances sociales, demeurant à Luxembourg, défendeur en cassation, comparant par Maître Jacques LOESCH,avocat-avoué, demeurant à Luxembourg,-en l'étude duquel domicile est élu.
La' Cour de cassation :
Ouï Monsieur le Président JACQUES en son rapport et sur les conclusions de Monsieur BIEVER, avocat général;
Vu l'arrêt attaqué rendu le 8 novembre 1979 par le Conseil supérieur des assurances sociales sous le N° I 45/79 ; "
Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 26 février 193, N° 11/31 par lequel il a été sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de Justice des Communautés européennes eût statué, à titre préjudiciel, sur les questions suivantes :
Les dispositions de l'article 60 du Traité de Rome sont-elles à interpréter en ce sens qu'un Etat membre des Communautés européennes peut exiger, selon.sa loi nationale, le paiement de la part, patronale des cotisations sociales de l'assurance vieillesse et invalidité, tout comme de ses propres .ressortissants, d'une personne physique ou morale étrangère, ressortissante d'un pays membre des Communautés, exécutant temporairement des travaux dans l'Etat premier nommé en y occupant des ouvriers ressortissant d'Etats qui n'ont aucun lien avec la Communauté, ou cette exigence est-elle contraire aux dispositions communautaires précitées, ou à toutes autres comme constituant une pratique discriminatoire et préjudiciable à la libre circulation des services, ce .prestataire communautaire étant soumis une première fois, dans son pays d'origine et d'établissement, au paiement, entre autres, de la part patronale pour ses ouvriers étrangers, et, une seconde fois, au paiement de la part patronale dans l'Etat où il effectue temporairement ses prestations au moyen de la main d'?uvre étrangère? ;
Si la réponse à la première question va dans le sens que la pratique prédécrite constitue en principe une pratique discriminatoire prohibée, la solution sera-t-elle nécessairement la même, ou peut-elle être différente, si le prestataire compense en fait le désavantage du " double paiement de la part patronale par d'autres facteurs économiques, tels que salaires payés à sa main d'?uvre étrangère inférieurs au salaire social minimum fixé dans le pays où les prestations de services sont fournies ou aux salaires imposés par les conventions collectives de travail en vigueur dans ce pays? ,
Vu l'arrêt interprétatif, rendu à titre préjudiciel, par la Cour de Justice des Communautés européennes le . 5 février 1982;
Sur l'unique moyen, de cassation tiré de la violation et mauvaise application de la loi, en l'espèce des articles 59 à 66 et spécialement 6b, de l'article 177 du Traité de Rome du 25/5/1957, instituant la Communauté Economique Européenne, de l'article 174 du code des assurances sociales et plus précisément de l'alinéa 5 de ce texte, de l'article de la Constitution, pour défaut de base légale, absence de motivation.
Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué, que la société anonyme française SECO pour effectuer au cours de l'année 1977 des travaux sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, a occupé temporairement des ouvriers de nationalité marocaine, algérienne et portugaise, partant des travailleurs qui d'une part n'étaient pas des ressortissants d'un pays membre de la Communauté économique européenne et, d'autre part, n'avaient pas la qualité de réfugiés dont la situation est régie par les articles 2 et 4- du règlement N° 1408/71
de la Communauté économique européenne, et que cette société, dont les ouvriers étaient régulièrement restés affiliés à la sécurité sociale française, était de ce chef obligée de payer la part patronale sur les salaires à l'organisme de sécurité sociale étranger compétent;
Attendu que l'arrêt interprétatif du 3 février 1982 dit pour droit que le, droit communautaire fait obstacle à ce qu'un Etat membre oblige un employeur, établi dans un autre Etat membre et exécutant temporairement, par le moyen de travailleurs ressortissants de pays tiers, des travaux dans le premier Etat, à verser la part- patronale des cotisations de sécurité sociale du chef de- ces travailler alors que cet employeur est déjà redevable de cotisations comparables du chef des mêmes travailleurs et pour les mêmes périodes d'activité, en vertu de la législation de son Etat d'établissement, et que les cotisations versées dans l'Etat où s'effectue cette prestation n'ouvrent droit à aucun avantage social pour ces travailleurs, et qu'une telle obligation ne serait pas non plus justifiée au cas où elle aurait pour objet de compenser les avantages économiques que l'employeur .aurait pu tirer de l'inobservation de la réglementation en matière de salaire social minimum de l'Etat où s'effectue la prestation ;
Attendu qu'il en résulte qu'en décidant sur la base des faits par lui retenus que la société ?. était, en vertu de l'article 174
du Code des assurances sociales, redevable à l'Etablissement d'assurance contre la Vieillesse et l'invalidité, de la part patronale des cotisations sur les salaires des ouvriers occupés temporairement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg l'arrêt attaqué, qui ne constate pas que le versement de la part patronale avait pour contrepartie un avantage social pour ces travailleurs, a, en faisant application de cet article 174, violé l'article 60 du Traité de Rome;
d'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs
casse et annule l'arrêt n° I 45 /79 rendu le 8 novembre 1979 par le Conseil supérieur des assurances sociales;
remet en conséquence la cause et les parties au même et semblable état où elles étaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant le Conseil supérieur des assurances sociales autrement composé;
met les frais du rescindant et de la décision annulée à charge. du défendeur en cassation avec distraction au profit de Maître Fernand ENTRINGER, avoué concluant qui la demande, affirmant avoir fait l'avance des frais;
ordonne qu'à la diligence de Monsieur le Procureur général d'Etat le présent arrêt sera transcrit sur le registre du Conseil supérieur des assurances sociales et qu'une mention renvoyant à cette transcription sera consignée en marge de la minute de l'arrêt cassé.