Si le banquier n'est pas libéré vis-à-vis du client qui lui avait confié des fonds quand il se défait de ces derniers sur présentation d'un pseudo-ordre de paiement revêtu, dès l'orgine, d'une signature falsifiée dudit client et n'ayant eu, par suite, à aucun moment, le caractère légal d'un chèque, la perte résultant du paiement indû peut cependant être reportée, totalement ou partiellement, à la charge du client, tireur apparent, si le paiement est le résultat d'une faute qui est imputable à ce dernier et en relation de cause à effet avec le préjudice subi par le banquier.
Arrêt de la Cour de Cassation du 10 mars 1983. Numéro du registre : 483.
Audience publique du dix mars mil neuf cent quatre-vingt-trois.
Entre:
la CAISSE D'EPARGNE DE L'ETAT, établissement de droit public, établie à Luxembourg, 1, place de Metz, poursuites et diligences du président de son conseil d'administration actuellement en fonction, Monsieur XX, demeurant à Luxembourg, demanderesse en cassation, comparant par Maître Joseph GUILL, avocat-avoué deumeurant à Luxembourg, en l'étude duquel domicile est élu;
Et :
le sieur YY, employé, demeurant à Luxembourg-Beggen, ..., défendeur en cassation, comparant par Maître Vic GILLEN, avocat-avoué, demeurant à Luxembourg, en l'étude duquel domicile est élu.
LA COUR DE CASSATION
Ouï Monsieur le président Jacques en son rapport et sur les conclusions de Monsieur Klopn, avocat général;
Vu le jugement attaqué rendu le 2 décembre 1980 par le tribunal d'arrondissement de Luxembourg, troisième chambre, siégeant comme juridiction d'appel en matière civile;
Quant au mémoire en réponse:
Attendu qu'aux termes des articles 15 et 16 de la loi du 18 février 1885 sur les pouvoirs et la procédure en cassation la partie défenderesse a, pour répondre, un délai de deux mois à compter du jour de la signification du mémoire de la partie demanderesse et le mémoire de défense doit, dans ce délai, être signifié à la partie adverse à son domicile élu et déposé au greffe;
Attendu que, le mémoire de la partie demanderesse ayant été signifié à YY le 4 décembre 1981, le mémoire en réponse de celui-ci, signifié le 17 mars 1982 et déposé au greffe le 23 mars 1982, partant en dehors du délai imparti, est à rejeter du procès;
Sur le premier moyen pris de la violation ou de la fausse application de la loi notamment des articles 1927, 1928 et 1929 du code civil et de l'article 1315
du même code, du défaut et de l'insuffisance de motifs, article 89 de la Constitution, ainsi que du manque de base légale :
Attendu, selon les énonciations du jugement attaqué et du jugement par lui confirmé, que, YY ayant été victime d'un vol de formulaires de chèques délivrés par la Caisse d'Epargne de l'Etat, celle-ci a, sur présentation de deux chèques munis d'une signature grossièrement falsifiée, payé à un inconnu deux montants de 20.000.- et 8.000.- francs et débité le compte de YY de ces montants;
Attendu qu'il est fait grief au jugement attaqué d'avoir condamné la Caisse d'Epargne de l'Etat à payer à YY le montant de 28.000.- francs avec les intérêts à 6% l'an à partir de la demande en justice, au motif qu'elle n'avait pas réussi à établir le cas de force majeure, seul susceptible de l'exonérer de son obligation de restituer la chose déposée, alors, selon le moyen, que les juges du fond en statuant ainsi, après avoir analysé la nature juridique du contrat existant entre parties en un dépôt de fonds, ont imposé au banquier dépositaire des obligations dépassant celles découlant des textes applicables en la matière, ont omis de considérer les obligations réciproques entre parties, mais s'en sont tenus exclusivement à celles incombant au banquier et ont à tort jugé que le banquier ayant effectué un paiement sur présentation d'un chèque à vue apparemment régulier doit supporter la perte résultant du paiement fait à un tiers non titulaire du compte, à moins de prouver que le paiement est dû à un évènement précis, imprévisible et insurmontable auquel il n'a pu résister;
Attendu que, si le banquier n'est pas libéré vis-à-vis du client qui lui avait confié des fonds quand il se défait de ces deniers sur présentation d'un pseudo-ordre de paiement revêtu, dès l'orgine, d'une signature falsifiée dudit client et n'ayant eu, par suite, à aucun moment, le caractère légal d'un chèque, la perte résultant du paiement indû peut cependant être reportée, totalement ou partiellement, à la charge du client, tireur apparent, si le paiement est le résultat d'une faute qui est imputable à ce dernier et en relation de cause à effet avec le préjudice subi par le banquier;
Attendu qu'il ensuit que les juges de fond ont décidé à tort que seul un cas de force majeure à établir par la Caisse d'Épargne de l'Etat pouvait exonérer celle-ci de son obligation de restituer;
d'où il résulte que le jugement attaqué doit encourir la cassation.
Par ces motifs,
écarte des débats le mémoire en réponse de YY;
casse et annule le jugement rendu entre parties le 2 décembre 1980 par le tribunal d'arrondissement de Luxembourg; remet, en conséquence, la cause et les parties au même et semblable état où elles étaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d'arrondissement de Luxembourg, autrement composé; met les frais du rescindant et de la décision annulée à charge du défendeur en cassation avec distraction au profit de Maître Joseph Guill, avoué concluant, qui la demande, affirmant avoir fait l'avance des frais; ordonne qu'à la diligence de Monsieur le Procureur général d'Etat le présent arrêt sera transcrit sur le registre du tribunal d'arrondissement de Luxembourg et qu'une mention renvoyant à la transcription de cet arrêt sera consignée en marge de la minute du jugement cassé.