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06/08/2025 | LUXEMBOURG | N°52690C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 06 août 2025, 52690C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 52690C ECLI:LU:CADM:2025:52690 Inscrit le 10 avril 2025

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Audience publique du 6 août 2025 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 28 février 2025 (n° 48008 du rôle) en matière de police des étrangers

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Vu l’acte d’appel, inscrit

sous le numéro 52690C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 10 avril...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 52690C ECLI:LU:CADM:2025:52690 Inscrit le 10 avril 2025

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Audience publique du 6 août 2025 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 28 février 2025 (n° 48008 du rôle) en matière de police des étrangers

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 52690C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 10 avril 2025 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Syrie), de nationalité syrienne, demeurant à L-…, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 28 février 2025 (n° 48008 du rôle), par lequel ledit tribunal l’a débouté de son recours tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 20 juin 2022 portant rejet de la demande de regroupement familial dans le chef de sa mère, Madame (B), ainsi que d’une décision ministérielle confirmative sur recours gracieux du 22 août 2022, tout en le condamnant aux frais et dépens de l’instance ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 12 mai 2025 par Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO pour compte de l’Etat ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 1er juillet 2025.

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En date du 7 décembre 2020, Monsieur (A) introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après le « ministère », une demande de protection internationale sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après la « loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 1er décembre 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après le « ministre », accorda à Monsieur (A) le statut de réfugié au sens de la Convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 30 novembre 2026.

Par courrier de son mandataire du 10 mai 2022, réceptionné par le ministère le 12 mai 2022, Monsieur (A) fit introduire une demande de regroupement familial dans le chef de sa mère, Madame (B).

Par décision du 20 juin 2022, le ministre refusa de faire droit à cette demande dans les termes suivants :

« (…) J’accuse bonne réception de vos courriers reprenant l’objet sous rubrique qui me sont parvenus en date du 12 mai 2022 et du 9 juin 2022.

Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, conformément à l’article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration et tel que soulevé dans mon courrier du 16 mars 2020 « l’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leurs pays d’origine ».

Or, vous ne m’apportez pas la preuve que Madame (B) est à charge de votre mandante, qu’elle est privée du soutien familial dans son pays d’origine et qu’elle ne peut pas subvenir à ses besoins par ses propres moyens. Quatre virements d’un total de …€ depuis février 2022 ne sont pas suffisants afin de prouver que Madame (B) est à charge de votre mandant.

Par ailleurs, votre mandant a mentionné et certifié exact lors de ses entretiens qui ont eu lieu en date du 31 mai 2021 et 1er juillet 2021 dans le cadre de sa demande de protection internationale que sa mère « est … » et qu’« elle travaille dans le village ». Il n’est donc pas prouvé qu’elle ne peut pas subvenir à ses besoins par ses propres moyens.

Subsidiairement, Madame (B) ne remplit aucune condition afin de bénéficier d’une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l’article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

L’autorisation de séjour lui est en conséquence refusée conformément aux articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée.

(…) Néanmoins, vu l’état de santé de la mère de votre mandant, je tiens à vous informer qu’il lui est loisible de solliciter une autorisation de séjour afin de se soumettre à un traitement médical. En application de l’article 90 de la loi du 29 août 2008 précitée, sous réserve des conditions fixées à l’article 34, paragraphes (1) et (2) de la loi, le ressortissant de pays tiers qui se propose de séjourner sur le territoire, afin de se soumettre à un traitement médical, doit produire les pièces suivantes :

a) des certificats médicaux attestant de la nécessité de se soumettre à traitement médical avec spécification du genre de traitement et indication de sa durée prévisible;

b) une attestation des autorités médicales du pays de provenance indiquant que le malade ne peut pas recevoir sur place les soins appropriés à son état, et en particulier le traitement médical préconisé;

c) un accord écrit de l’établissement de santé pour l’admission du malade à une date donnée, signé du chef du service qui doit accueillir le malade;

d) un devis prévisionnel des frais du traitement médical établi par l’établissement accueillant le malade et la preuve que le financement du traitement médical et des frais de séjour sont garantis.

La preuve visée au point d) peut être rapportée par la production d’une attestation d’une prise en charge ou d’une garantie bancaire du montant du devis prévisionnel des frais de traitement et de séjour. (…) ».

Par courrier de son mandataire du 18 août 2022, réceptionné par le ministère le 22 août 2022, Monsieur (A) fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision, précitée, du 20 juin 2022.

Par décision du 22 août 2022, le ministre confirma sa décision de rejet du 20 juin 2022 dans les termes suivants :

« (…) J’accuse bonne réception de votre courrier reprenant l’objet sous rubrique qui m’est parvenu en date du 18 août 2022.

Vous joignez des virements de votre mandant Monsieur (A) en faveur de sa mère datant de juin et juillet 2022. Je tiens à vous informer que ces virements ne peuvent pas être pris en considération étant donné qu’ils ont été effectués postérieurement à la décision ministérielle du 20 juin 2022.

Concernant l’état de santé de Madame (B), je me permets de vous rappeler que l’introduction en bonne et due forme d’une autorisation de séjour afin de se soumettre à un traitement médical lui a été proposée.

Par conséquent et à défaut d'éléments pertinents nouveaux, je ne peux que confirmer ma décision du 20 juin 2022 dans son intégralité. (…) ».

Par requête déposée au tribunal administratif en date du 5 octobre 2022, inscrite sous le numéro 48008 du rôle, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 20 juin 2022 portant rejet de la demande de regroupement familial dans le chef de sa mère, Madame (B), ainsi que de la décision confirmative de refus du ministre du 22 août 2022.

Dans son jugement du 28 février 2025, le tribunal administratif reçut ce recours en annulation en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta le demandeur, tout en le condamnant aux frais et dépens de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 10 avril 2025, Monsieur (A) a fait régulièrement relever appel de ce jugement du 28 février 2025.

Moyens des parties Après avoir rappelé les faits tels que résumés ci-avant, l’appelant s’empare, en droit, de l’article 4, paragraphe (2), point « c) » de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, ci-après la « directive 2003/86/CE », et de l’article 70, paragraphe (5), point a), de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après la « loi du 29 août 2008 », pour soutenir que deux conditions légales cumulatives devraient être remplies dans le chef de l’ascendant désirant bénéficier d’un regroupement familial avec un membre de sa famille résidant au Luxembourg, à savoir celle de dépendre du soutien matériel du regroupant et celle de ne pas disposer du soutien familial dans son pays d’origine.

Quant à la première condition, il estime avoir rapporté la preuve que sa mère ne disposerait pas des moyens nécessaires pour subvenir seule, en Syrie, à ses besoins élémentaires, dans la mesure où elle serait atteinte d’infirmités graves, telles que documentées par les certificats médicaux établis par ses médecins traitants en dates des 14 et 22 février 2022, attestant qu’elle souffrirait d’une cardiopathie valvulaire, d’une hypertension artérielle, d’une hypothyroïdie, accompagnée de nodules hypothyroïdiens avec polyneuropathie, d’une arthrose dégénérative du genou et des douleurs radiculaires lombaires, soit un ensemble d’infirmités l’empêchant, selon une « attestation testimoniale établie par les habitants du village », de s’adonner à une activité professionnelle.

L’appelant énumère ensuite les transferts d’argent qu’il aurait d’ores et déjà effectués en faveur de sa mère entre le 3 février et le 28 juillet 2022, pour soutenir qu’à l’heure actuelle, sa mère serait à sa charge pour ne pouvoir subvenir à ses besoins élémentaires que grâce aux sommes d’argent qu’il lui verserait, malgré le fait qu’il serait lui-même sans emploi et dans une situation financière précaire. Il ajoute que l’état de dépendance de sa mère ne saurait se déduire de la seule considération relative aux montants des sommes virées mais qu’il faudrait tenir compte du contexte particulier dans lequel ces virements sont effectués par une personne qui s’est vu octroyer la protection internationale et qui ne dispose pas encore nécessairement de ressources financières suffisantes.

Il conteste le motif avancé par le ministre concernant l’exercice, par sa mère, du métier d’…, alors qu’en raison de ses infirmités, elle ne serait plus apte au travail et ne prodiguerait des soins qu’à titre bénévole, au sein de la communauté … largement démunie du fait des persécutions subies. Tout en admettant que lors de son audition dans le cadre de sa demande de protection internationale, il aurait déclaré que sa mère travaillerait en tant qu’… dans son village d’origine, mais en se référant encore à l’attestation testimoniale prévisée, il insiste pour dire qu’il n’aurait néanmoins pas visé une activité professionnelle rémunérée de sa mère, laquelle serait impossible au vu des graves pathologies dont elle souffrirait, mais plutôt son activité bénévole pour les habitants du village.

Quant à la seconde condition, sa mère serait, par ailleurs, encore privée du soutien familial en Syrie du fait d’être veuve, respectivement parce que son seul autre enfant, resté en Syrie, serait étudiant et s’adonnerait en outre à l’exploitation de terres agricoles ne générant cependant aucun revenu.

L’appelant en déduit que sa mère satisferait à toutes les conditions légales imposées par l’article 70, paragraphe (5), point a), de la loi du 29 août 20, sans que cette conclusion ne soit énervée par l’argumentation du ministre tirée de la tardivité des virements intervenus après sa décision du 20 juin 2022, alors que ces virements, en l’occurrence ceux datés des 30 juin, 22 et 28 juillet 2022, seraient antérieurs à la décision ministérielle du 22 août 2022, rendue sur recours gracieux, recours dont le but aurait justement été de permettre de verser des pièces complémentaires. Il critique encore l’interprétation excessivement restrictive des conditions susvisées adoptée par le ministre et le tribunal en ce qu’elle reposerait sur une appréciation des faits tendant à limiter anormalement l’effet utile de la directive 2003/86/CE.

Il conteste finalement la motivation du ministre consistant à refuser, en l’espèce, le regroupement familial en raison de la possibilité, dans le chef de sa mère, de solliciter une autorisation de séjour en vue d’un traitement médical, en qualifiant ladite possibilité de totalement irréaliste, alors qu’il serait peu imaginable que les autorités syriennes, respectivement sa mère prennent en charge les frais d’un traitement médical, tout en considérant que les critères légaux gisant à la base d’un droit au regroupement familial « ne [permettraient] pas de conditionner la consécration d’un tel droit à l’accomplissement des soins médicaux visés à l’article 90 » de la loi du 29 août 2008.

Le délégué du gouvernement conclut en substance à la confirmation pure et simple du jugement a quo sur base des motifs y contenus.

Analyse de la Cour Les premiers juges ont correctement situé le cadre légal pertinent en se référant aux dispositions des articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008, aux termes desquels :

« [art.69] (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :

1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;

2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;

3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

(2) Sans préjudice du paragraphe (1) du présent article, pour le regroupement familial des membres de famille visés à l’article 70, paragraphe (5) le regroupant doit séjourner depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois.

(3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale ».

« [art. 70] (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :

a) le conjoint du regroupant ;

b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;

c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la 7 charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.

(2) Les personnes visées aux points a) et b) du paragraphe (1) qui précède, doivent être âgées de plus de dix-huit ans lors de la demande de regroupement familial.

(3) Le regroupement familial d’un conjoint n’est pas autorisé en cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un autre conjoint vivant avec lui au Grand-Duché de Luxembourg.

(4) Le ministre autorise l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.

(5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre :

a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine ;

b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont objectivement dans l’incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;

c) au tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, lorsque celui-ci n’a pas d’ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés ».

Tel que cela a été relevé à juste titre par les premiers juges, ces dispositions règlent les conditions dans lesquelles un ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement au Luxembourg, peut rejoindre celui-ci, l’article 69 de la loi du 29 août 2008 fixant les conditions à remplir par le regroupant pour être admis à demander le regroupement familial et l’article 70 de ladite loi définissant les conditions à remplir par les différentes catégories de personnes y visées pour être considérées comme membres de famille susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial.

Les premiers juges ont pareillement relevé à bon droit que les dispositions précitées de l’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 permettent à un bénéficiaire d’une protection internationale d’être rejoint, au titre du regroupement familial, par un membre de sa famille, tel que défini à l’article 70 de cette loi, notamment avec un ascendant en ligne directe au premier degré, si la demande de regroupement familial est introduite dans un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale, sans qu’il ne doive remplir les conditions du paragraphe (1) de l’article 69, à savoir celles de rapporter la preuve qu’il dispose (i) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, (ii) d’un logement approprié pour recevoir le membre de sa famille et (iii) de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

La Cour constate, à la suite des premiers juges, que le regroupant, bénéficiaire du statut de réfugié, a introduit sa demande de regroupement familial dans le chef de sa mère dans le délai prévu par l’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, de sorte qu’il est dispensé du respect des conditions du paragraphe (1) de cette même disposition.

La Cour constate ensuite que les liens familiaux entre l’appelant et sa mère, Madame (B), ne sont pas contestés par l’Etat. La Cour rappelle encore que l’octroi d’une autorisation de séjour sur la base de l’article 70, paragraphe (5), point a), de la loi du 29 août 2008, visant les ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant, est en tout état de cause subordonné à la réunion de deux conditions cumulatives, à savoir que lesdits ascendants sont (i) à la charge du regroupant et (ii) privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine.

Les premiers juges ont analysé à juste titre la question de savoir si Madame (B) est financièrement dépendante de son fils, Monsieur (A).

A ce titre, c’est à bon droit qu’ils ont rappelé qu’il se dégage de la jurisprudence constante des juridictions administratives et des travaux parlementaires relatifs à la loi du 29 août 2008, et plus particulièrement du commentaire de l’article 12 de cette loi, qu’il faut entendre par « être à charge », « le fait pour le membre de la famille (…) de nécessiter le soutien matériel de ce ressortissant ou de son conjoint afin de subvenir à ses besoins essentiels dans l’Etat d’origine ou de provenance de ce membre de la famille au moment où il demande à rejoindre ledit ressortissant (…) La preuve de la nécessité d’un soutien matériel peut être faite par tout moyen approprié, alors que le seul engagement de prendre en charge ce même membre de la famille, émanant du ressortissant communautaire ou de son conjoint, peut ne pas être regardé comme établissant l’existence d’une situation de dépendance réelle de celui-

ci (CJCE du 9 janvier 2007, affaire C-1/05). » (doc. parl. n° 5802, commentaire des articles, p. 61).

Ainsi, la notion d’être « à charge » est essentiellement à entendre dans le sens d’un soutien matériel, fourni par le regroupant et nécessaire au membre de la famille pour subvenir à ses besoins essentiels dans son pays d’origine ou de provenance, respectivement l’absence de ce soutien qui aurait pour conséquence de priver le membre de la famille des moyens pour subvenir à ses besoins essentiels.

En l’espèce, au vu des éléments du dossier soumis à la Cour, elle rejoint le tribunal dans sa conclusion que l’appelant n’établit pas qu’au moment des décisions ministérielles déférées, sa mère se serait trouvée, à son égard, à un tel point dans un lien de dépendance financière que sans son soutien matériel, elle ne serait pas en mesure de subvenir à ses besoins essentiels en Syrie.

Ainsi, en premier lieu, la Cour rejoint les premiers juges dans leur analyse relative à la cessation de toute occupation professionnelle rémunérée dans le chef de Madame (B) en raison de ses multiples problèmes de santé telle qu’avancée actuellement par l’appelant. En effet, même si l’appelant tente actuellement de suggérer une autre interprétation de ses déclarations lors de son audition du 31 mai 2021, les premiers juges les ont pourtant pertinemment examinées pour en déduire que l’appelant a affirmé que sa mère travaille tous les jours comme … au village (« Oui. Elle est …. Elle travaille au village », le rapport d’entretien portant sur les motifs de la demande de protection internationale de Monsieur (A), p. 4) et que le caractère rémunéré de cette activité de la mère doit être supposé au vu de la réponse de l’appelant à la question subséquente de l’agent de savoir si ses oncles et tante paternels, restés en Syrie, eux aussi, s’adonnaient à une activité professionnelle, question par rapport à laquelle le demandeur a répondu : « Ils sont âgés. Ils ont fini de travailler » (ibidem), cette dernière réponse étant valablement interprétée par les premiers juges comme opposée à celle que sa mère travaille effectivement.

Les premiers juges ont, dans ce cadre, légitimement considéré que la déclaration collective signée par le maire, le directeur de l’école primaire, une institutrice, le président de l’association agricole et deux habitants du village …, tendant à certifier l’absence de toute activité professionnelle de la mère de l’appelant, ne suffit pas pour énerver cette conclusion, étant donné que ladite déclaration mentionne que la mère travaille toujours en tant qu’… à son domicile sans en être empêchée par ses pathologies et que le choix y affirmé de cette dernière de proposer ses soins à titre gratuit se trouve contrebalancé par l’affirmation de l’appelant selon laquelle sa mère profiterait de la solidarité de son village et de l’exploitation de ses terres.

En outre, comme les premiers juges ont encore souligné à juste titre, les certificats médicaux établis par les docteurs … et … les 14 et 22 février 2022 ne font qu’attester les pathologies diagnostiquées chez Madame (B), sans pour autant conclure, à un quelconque moment, à une inaptitude, respectivement à une invalidité professionnelle dans son chef.

En deuxième lieu, en ce qui concerne le soutien financier que l’appelant affirme apporter à sa mère, et plus particulièrement les huit transferts d’argent, effectués entre les 3 février et 28 juillet 2022, qu’il invoque pour établir ce soutien, le tribunal a jugé à juste titre qu’il convient d’en tenir compte dans le cadre du recours en annulation sous analyse pour être intervenus avant la prise par le ministre de la décision confirmative déférée.

Pour le surplus, la Cour se doit de constater que la nécessité d’un soutien matériel doit nécessairement avoir existé avant l’introduction de la demande. Or, au moment de l’introduction de sa demande de regroupement familial, le 10 mai 2022, l’appelant avait effectué quatre transferts d’argent au bénéfice de sa mère, et notamment en dates des 3 février, 1er mars 2021, 1er et 28 avril 2022, soit pour la somme totale de … euros sur une période de trois à quatre mois. Or, suite à la décision ministérielle de refus du 20 juin 2022, l’appelant a soudainement envoyé, suivant les bordereaux de transfert versés en cause, un montant total de … euros à sa mère endéans un mois, soit entre le 30 juin et le 28 juillet 2022. Cette différence importante entre la période couverte et l’import des fonds envoyés par l’appelant à sa mère par rapport à la date-pivot de la décision ministérielle du 20 juin 2022 affecte la légitimité de son argumentation tendant à voir reconnaître que la subvention aux besoins essentiels de sa mère dépendrait uniquement de sa personne et qu’il faudrait tenir compte de la particularité de la situation financière dans laquelle il se trouverait du fait de son statut de bénéficiaire de protection internationale, respectivement de bénéficiaire du REVIS.

Au vu de ces éléments, la Cour partage la conclusion du tribunal que l’appelant reste en défaut de prouver que sa mère se trouvait à son égard, au moment de l’introduction de la demande de regroupement familial, dans un lien de dépendance financière tel que, sans son soutien matériel, elle ne pourrait pas subvenir à ses besoins essentiels dans son pays d’origine, de sorte que le ministre a pu retenir, sans violer la loi, ni commettre une erreur d’appréciation ou un excès de pouvoir, qu’en l’absence de preuve circonstanciée suffisante, la mère de Monsieur (A) n’était pas à considérer comme se trouvant à sa charge au sens de l’article 70, paragraphe (5), de la loi du 29 août 2008.

Dès lors, les premiers juges sont à confirmer dans leur conclusion qu’au vu de cette analyse selon laquelle la première des deux conditions cumulatives prévues par cette disposition ne se trouvait pas remplie en l’espèce, il devenait surabondant d’examiner la deuxième condition quant au soutien familial auquel la mère de l’appelant peut prétendre dans son pays d’origine et que le ministre pouvait valablement rejeter la demande de regroupement familial de la mère de Monsieur (A) basée sur les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008.

Il découle de l’ensemble de ces développements que l’appel sous analyse n’est justifié en aucun de ses moyens, de sorte qu’il y a lieu d’en débouter l’appelant et de confirmer le jugement entrepris.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 10 avril 2025 en la forme, au fond, le déclare non fondé et en déboute, partant, confirme le jugement entrepris du 28 février 2025, condamne l’appelant aux frais et dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu à l’audience publique du 6 août 2025 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller, en présence du greffier de la Cour Patrick WIES.

s. WIES s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 août 2025 Le greffier de la Cour administrative 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 52690C
Date de la décision : 06/08/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2025-08-06;52690c ?

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