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19/06/2025 | LUXEMBOURG | N°105/25

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 19 juin 2025, 105/25


N° 105 / 2025 du 19.06.2025 Numéro CAS-2024-00143 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-neuf juin deux mille vingt-cinq.

Composition :

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Gilles HERRMANN, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par MaÃ

®tre Julien KINSCH, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et...

N° 105 / 2025 du 19.06.2025 Numéro CAS-2024-00143 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-neuf juin deux mille vingt-cinq.

Composition :

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Gilles HERRMANN, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par Maître Julien KINSCH, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et PERSONNE2.), demeurant à L-ADRESSE2.), défenderesse en cassation, comparant par Maître Luc JEITZ, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.

Vu l’arrêt attaqué numéro 150/24-I-DIV (aff. fam.) rendu le 3 juillet 2024 sous le numéro CAL-2024-00098 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, première chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 24 septembre 2024 par PERSONNE1.) à PERSONNE2.), déposé le 25 septembre 2024 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 12 novembre 2024 par PERSONNE2.) à PERSONNE1.), déposé le 15 novembre 2024 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint Marie-Jeanne KAPPWEILER ;

Entendu Maître Julien KINSCH, Maître Luc JEITZ et Madame Simone FLAMMANG, procureur général d’Etat adjoint.

Sur la recevabilité du pourvoi La défenderesse en cassation soulève l’irrecevabilité du pourvoi au motif que les moyens produits à son appui se limiteraient à rediscuter l’appréciation factuelle du caractère partageable en nature de l’immeuble, sans soulever des questions de droit.

La formulation de moyens de cassation portant sur des questions de fait est susceptible d’affecter la recevabilité des moyens en question. Une éventuelle irrecevabilité d’un moyen de cassation est sans incidence sur la recevabilité du pourvoi.

Le pourvoi, introduit dans les forme et délai de la loi, est recevable.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, un juge aux affaires familiales près le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, après avoir dans un premier jugement prononcé le divorce entre les parties à l’instance, mariés sous le régime de la séparation de biens, et dit qu’il sera procédé à la liquidation et au partage de l’indivision conventionnelle portant sur un immeuble d’habitation, avait dans un second jugement ordonné la licitation dudit immeuble et dit irrecevable la demande du demandeur en cassation en annulation de l’article 2 de la convention préalable au mariage. La Cour d’appel a confirmé le jugement sur ces points, sauf à préciser que la demande en annulation de l’article 2 de la convention préalable au mariage était irrecevable en l’état de la procédure de liquidation et de partage de l’indivision.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré l’appel de PERSONNE1.) non fondé et d’avoir confirmé le jugement entrepris, d’avoir rejeté la demande de PERSONNE1.) en allocation d’une indemnité de procédure et d’avoir condamné PERSONNE1.) aux frais et dépens de l’instance d’appel, en retenant ce qui suit dans la motivation du rejet des conclusions de PERSONNE1.) tendant à ce que la licitation de l’immeuble soit subordonnée à l’établissement préalable d’un compte de l’indivision et qu’en attendant la demande de licitation soit déclarée :

que PERSONNE1.) évalue actuellement à 130.000 € » (page 11 de l’arrêt) mais aussi :

l’indivision, celles-ci, à les supposer établies, font partie du passif de l’indivision et elles sont donc, en principe, à payer au moyen du produit de vente de l’actif et leur potentielle existence milite en faveur d’une licitation de l’immeuble litigieux en l’absence d’autres actifs de l’indivision » (page 12 de l’arrêt), étant entendu que les créances invoquées par PERSONNE1.) sont décrites à la page 4 de l’arrêt comme suit :

1.100.000 euros, que par acte de vente du 27 novembre 2008, il a vendu sa maison sise à ADRESSE3.) pour la somme de 525.000 euros, que le 3 août 2010 il a bénéficié d’une pension complémentaire sous forme de capital de 399.675,10 euros et que sur ces deux sommes, il a utilisé 500.000 et 350.000 euros pour rembourser le prédit prêt immobilier. Ces investissements de fonds propres ne seraient pas contestés par PERSONNE2.). Il s’ajouterait que, pendant la période de juillet 2008 à septembre 2010, il a remboursé 48.080 euros du chef d’échéances du prêt, alors que PERSONNE2.) n’a remboursé que 40.780 euros et en octobre 2010, la partie intimée aurait arrêté tout paiement des échéances dudit prêt.».

alors que l’appréciation de la Cour d’appel selon laquelle le passif potentiel de l’indivision est uniquement représenté par le solde du prêt immobilier (p. 11) est en contradiction avec l’appréciation ultérieure que les créances invoquées par PERSONNE1.), et décrites dans le passage ci-dessus cité de la page 4 de l’arrêt, à l’égard de l’indivision, , font partie du passif de celle-

ci (p.12) ;

que la contradiction de motifs vaut violation de l’article 249, 1er alinéa du nouveau Code de procédure civile, en combinaison avec l’article 587 du même code. ».

Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel de s’être contredits sur la consistance du passif de l’indivision conventionnelle à partager.

Aux termes de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, le mémoire en cassation doit préciser les dispositions attaquées de l’arrêt et les moyens de cassation. Les moyens de cassation doivent partant viser à mettre à néant les dispositions attaquées.

L’arrêt attaqué a confirmé le jugement de première instance dans la mesure où il avait été entrepris, ce jugement s’étant limité, concernant les points pertinents pour l’instance en cassation, à ordonner la licitation de l’immeuble indivis, sans se prononcer sur l’existence et le quantum du passif de l’indivision, et à déclarer irrecevable la demande en annulation de l’article 2 de la convention préalable au mariage, sauf aux juges d’appel à préciser que cette demande en annulation était irrecevable en l’état de la procédure.

L’arrêt attaqué ne s’est partant prononcé dans ses dispositions ni sur l’existence ni sur l’étendue d’un passif à charge de l’indivision conventionnelle, de sorte que le moyen ne se trouve pas en lien avec une disposition prise par l’arrêt attaqué.

Il s’ensuit que le moyen est irrecevable.

Sur le second moyen de cassation Enoncé du moyen « Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré l’appel de PERSONNE1.) non fondé et d’avoir confirmé le jugement entrepris, d’avoir rejeté la demande de PERSONNE1.) en allocation d’une indemnité de procédure et d’avoir condamné PERSONNE1.) aux frais et dépens de l’instance d’appel, en motivant comme suit le rejet des conclusions de PERSONNE1.) tendant à ce que la licitation de l’immeuble soit subordonnée à l’établissement préalable d’un compte de l’indivision et qu’en attendant la demande de licitation soit déclarée :

l’indivision, celles-ci, à les supposer établies, font partie du passif de l’indivision et elles sont donc, en principe, à payer au moyen du produit de la vente de l’actif et leur potentielle existence milite en faveur d’une licitation de l’immeuble litigieux en l’absence d’autres actifs de l’indivision.

Les créances réciproques existant, le cas échéant, entre PERSONNE1.) et PERSONNE2.) sont indépendantes de l’indivision qu’il s’agit de partager et procèdent d’autres rapports d’obligations qui ont pu exister entre les deux ex-époux.

Elles relèvent de l’opération finale consistant à établir un décompte entre les parties et non pas de la formation de lots dans le cadre du partage de l’indivision, tel que soutenu par PERSONNE1.).

Au vu de tous ces éléments, le moyen tiré par PERSONNE1.) de la commodité d’un partage en nature par la formation de lots en raison de l’existence dans son chef de créances à l’égard de l’indivision ainsi qu’à l’égard de PERSONNE2.), n’est pas fondé et les développements faits par l’appelant au sujet de l’existence de créances ne sont pas pertinentes pour la solution à apporter au présent litige.

Concernant l’arrêt de cassation du 25 mars 2023, dont PERSONNE1.) se borne à citer l’énoncé des moyens du demandeur en cassation dans ses conclusions, il convient de préciser que la Cour de cassation a cassé un arrêt d’appel au visa de l’article 1470 du Code civil qui dispose que « si, balance faite, le compte présente un solde en faveur de la communauté, le conjoint en rapporte le montant à la masse commune. S’il présente un solde en faveur du conjoint, celui-ci a le choix ou d’en exiger le paiement ou de prélever à son choix des biens parmi ceux qui sont entrés en communauté de son chef ce jusqu’à concurrence de la somme qui lui est due ».

Dans cet arrêt (n° 57/2023), il est reproché à la Cour d’appel d’avoir retenu que le prélèvement n’était possible que dans la limite du montant de la créance de l’époux qui, même restant encore à déterminer, serait nécessairement inférieur à la valeur totale de l’immeuble indivis que l’époux avait évalué lui-même à 2,6 millions d’euros et que lorsque la valeur du bien à prélever était trop importante par rapport à la créance de l’époux, il convenait de procéder à la licitation alors qu’en se déterminant ainsi, sans qu’il n’eût été procédé, au préalable, à l’établissement d’un compte des récompenses, les juges d’appel ont violé l’article 1470 du Code civil.

Le juge de première instance a correctement retenu que l’article 1470 du Code civil s’applique exclusivement à la liquidation et au partage de la communauté en ce qu’il prévoit un droit de prélèvement au profit d’un époux qui, en vertu du compte des récompenses, dispose d’une créance à l’égard de la communauté, à exercer sur les biens qui sont entrés en communauté de son chef et il en a conclu, à juste titre, que cette jurisprudence n’était d’aucune pertinence dans le cadre du présent litige se rapportant à la liquidation d’une indivision.

Contrairement aux conclusions de l’appelant, cette déduction ne se heurte pas au principe constitutionnel d’égalité des Luxembourgeois devant la loi, étant donné que la loi prévoit divers régimes matrimoniaux, dont notamment la communauté et la séparation de biens, avec des règles différentes quant à la propriété et à la gestion des biens des époux, régimes entre lesquels les époux peuvent choisir librement au moment du mariage et même pendant le mariage. Le régime des biens des époux découle donc de leur propre choix et non pas d’une inégalité devant la loi » (p. 12-13) ;

et en reconnaissant par ailleurs, dans la suite de la motivation de son arrêt, qu’ (p. 13, dernier alinéa), alors que, première branche, ce faisant, la Cour d’appel a violé l’article 815-

17, alinéa 1° du Code civil, dont il résulte que les créanciers dont la créance résulte de la conservation et de la gestion des biens indivis seront payés par prélèvement sur l’actif avant partage ;

que le remboursement d’un emprunt ayant financé l’acquisition d’un bien indivis est une créance envers l’indivision conformément à l’article 815-13 (alinéa 1°) du Code civil, ce qui permet à l’indivisaire-créancier de prélever sa créance sur les actifs de l’indivision avant le partage conformément à l’article 815-17 (alinéa 1°) du même Code, qu’en conséquence PERSONNE1.) était en droit d’insister sur l’établissement préalable d’un compte de l’indivision avant la licitation, opération qui lui permettait de faire établir le montant de ses créances à l’égard de l’indivision, et donc de lui permettre de faire valoir ces créances en compensation partielle ou totale avec le prix d’acquisition de l’immeuble lors de la licitation ultérieure de l’immeuble, s’il s’y portait acquéreur de l’immeuble ;

qu’en confirmant le jugement ayant ordonné la licitation avant de procéder à l’établissement du compte de l’indivision et en déclarant que les développements faits par PERSONNE1.) au sujet de ses créances à l’égard de l’indivision , la Cour d’appel a violé l’article 815-17 alinéa 1° du Code civil en combinaison avec l’article 815-13 (alinéa 1°) du même Code, que, second branche (subsidiaire par rapport à la première), il incombait à la Cour d’appel de requalifier la demande de M. PERSONNE1.) pour le cas où celui-

ci ne l’aurait pas saisie de conclusions invoquant avec une précision suffisante l’article 815-17, alinéa 1° du Code civil ; que le juge est obligé de requalifier les faits expressément invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions ou de relever d’office les moyens de droit applicables ; qu’en omettant d’analyser le litige au regard de l’article 815-17, alinéa 1° du Code civil, l’arrêt attaqué a violé le principe de juridiction, consacré à l’article 61, alinéas 1 et 2, du Nouveau Code de procédure civile. ».

Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir ordonné la licitation du bien indivis avant l’établissement du compte des créances des coindivisaires sur l’indivision, excluant ainsi la possibilité pour lui de se faire payer sur base de l’article 815-17, paragraphe 1, du Code civil par prélèvement sur l’actif de l’indivision au titre d’une créance résultant de la conservation ou de la gestion du bien indivis telle que visée à l’article 815-13, paragraphe 1, du Code civil, alors que l’établissement du compte de l’indivision devrait précéder l’examen de la demande en licitation, ce par analogie avec l’article 1470 du Code civil tel qu’appliqué par un arrêt de la Cour de cassation du 25 mai 2023.

Il résulte des actes de procédure auxquels la Cour peut avoir égard que le demandeur en cassation avait fait état en instance d’appel de l’article 815-13, paragraphe 1, du Code civil pour illustrer d’une façon générale la possibilité d’une créance d’un coindivisaire sur l’indivision au titre des impenses réalisées sur le bien indivis ayant entraîné un appauvrissement de son patrimoine personnel au profit de l’indivision. Il n’en résulte pas qu’il ait fait valoir de façon concrète que les créances dont il faisait état à l’égard de l’indivision relèveraient de cette disposition légale et qu’elles devraient profiter du droit au prélèvement avant partage prévu à l’article 815-17, paragraphe 1, du Code civil.

Le moyen est dès lors nouveau et, en ce qu’il comporterait un examen des circonstances de fait, notamment quant à l’existence et à la nature des créances alléguées par le demandeur en cassation, mélangé de fait et de droit.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa première branche, est irrecevable.

Sur la seconde branche du moyen Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel de ne pas avoir rempli leur office en ayant omis de qualifier juridiquement ses demandes par référence à l’article 815-17, paragraphe 1, du Code civil.

Il résulte de la réponse donnée à la première branche du moyen que le demandeur en cassation n’avait pas invoqué devant les juges d’appel des faits précis permettant de relier son argumentaire à la notion d’impenses nécessaires faites pour la conservation du bien indivis au sens de l’article 815-13, paragraphe 1, du Code civil et au droit au prélèvement avant partage prévu à l’article 815-17, paragraphe 1, du Code civil pour obtenir paiement de pareilles créances.

Il s’ensuit que le moyen, pris en sa seconde branche, n’est pas fondé.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure Le demandeur en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

Il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 5.000 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation reçoit le pourvoi ;

le rejette ;

rejette la demande du demandeur en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

le condamne à payer à la défenderesse en cassation une indemnité de procédure de 5.000 euros ;

le condamne aux frais et dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Luc JEITZ, sur ses affirmations de droit.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence de l’avocat général Christian ENGEL et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) contre PERSONNE2.) (CAS-2024-00143) Le pourvoi en cassation, introduit par PERSONNE1.) (ci-après « PERSONNE1.) ») par un mémoire en cassation signifié le 24 septembre 2024 à PERSONNE2.) (ci-après « PERSONNE2.) ») et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 25 septembre 2024, est dirigé contre un arrêt n°150/24 rendu par la Cour d’appel, première chambre, siégeant en matière civile, statuant contradictoirement, en date du 3 juillet 2024 (n° CAL-2023-00098 du rôle). Il ressort du mémoire en cassation que cet arrêt a été signifié au demandeur en cassation en date du 25 juillet 20241.

Le pourvoi en cassation a dès lors été interjeté dans les forme et délai prévus aux articles 7 et 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

La partie défenderesse en cassation a signifié un mémoire en réponse le 12 novembre 2024 et l’a déposé au greffe de la Cour le 15 novembre 2024.

Ayant été signifié et déposé au greffe de la Cour dans le délai de deux mois à compter du jour de la signification du mémoire en cassation, conformément aux articles 15 et 16 de la loi précitée du 18 février 1885, ce mémoire est à considérer.

Sur les faits et antécédents :

En date du 5 décembre 2003, les parties se sont mariées après avoir adopté le régime matrimonial de la séparation de biens par convention préalable du 3 décembre 2003.

Par acte de vente du 6 juin 2008, les parties ont acquis chacune pour une moitié indivise un immeuble (ci-après « l’immeuble indivis »).

Après avoir prononcé le divorce entre parties dans un premier jugement n°2023TALJAF/003636 du 27 octobre 2023, le juge aux affaires familiales près le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, a, par jugement du 22 décembre 2023 n°2023TALJAF/004583, ordonné, entre autres, la licitation de l’immeuble indivis et a commis un notaire à ces fins.

Sur appel relevé par PERSONNE1.) contre le jugement du 22 décembre 2023, la Cour d’appel a rendu en date du 3 juillet 2024 un arrêt dont le dispositif se lit comme suit :

1 Aucun acte de signification n’a été versé au dossier « reçoit l’appel, sauf en ce qui concerne les frais et dépens de la première instance, le dit non fondé, partant confirme le jugement du 22 décembre 2023 dans la mesure où il est entrepris, sauf à préciser que la demande de PERSONNE1.) en annulation de l’article 2 du contrat de mariage du 3 décembre 2003 est irrecevable en l’état actuel de la procédure de liquidation et de partage de l’indivision existant entre PERSONNE1.) et PERSONNE2.), dit non fondées les demandes respectives de PERSONNE1.) et de PERSONNE2.) en allocation d’une indemnité de procédure, condamne PERSONNE1.) aux frais et dépens de l’instance. » Cet arrêt fait l’objet du présent pourvoi.

Sur le premier moyen de cassation :

Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 249, alinéa 1er, du Nouveau Code de procédure civile (ci-après NCPC), en combinaison avec l’article 587 du même code, pour contradiction de motifs.

Le demandeur en cassation fait grief à l’arrêt entrepris d’avoir retenu d’une part que :

« Le passif de l’indivision est représenté par le solde du prêt immobilier que PERSONNE1.) évalue actuellement à 130.000 euros. »2 et d’autre part que :

« Concernant les créances invoquées par PERSONNE1.) à l’égard de l’indivision, celles-

ci, à les supposer établies, font partie du passif de l’indivision et elles sont donc, en principe, à payer au moyen du produit de la vente de l’actif et leur potentielle existence milite en faveur d’une licitation de l’immeuble litigieux en l’absence d’autres actifs de l’indivision. » 3 Le demandeur en cassation fait valoir que les juges du fond ne sauraient valablement retenir dans un premier temps que le passif de l’indivision est uniquement représenté par le solde du prêt immobilier puis dans un second temps que les créances invoquées par PERSONNE1.) constituent également le passif de l’indivision.

A titre principal :

Il ressort de la discussion du moyen que le demandeur en cassation formule ledit moyen « par précaution, pour éviter que selon une lecture ultérieure du passage en question, 2 Page 10, paragraphe 2 de l’arrêt attaqué 3 Page 11, paragraphe 7 de l’arrêt attaqué l’interprétation adopté par les juges du fond serait celle d’une énumération limitative des dettes de l’indivision. »4 En l’espèce, les juges d’appel ont statué sur le fondement de la demande en licitation en constatant tout d’abord sommairement que les parties sont propriétaires par indivis d’un seul immeuble et que le passif de l’indivision est représenté par le solde du prêt immobilier que PERSONNE1.) évalue actuellement à 130.000 euros, puis ils ont déterminé si l’immeuble indivis était partageable en nature :

« « Lorsque l’indivision, (…) ne comprend qu’un seul immeuble, qui est en outre impartageable en nature, (…) l’article 827 du Code civil en prévoit la licitation judiciaire si les parties ne parviennent pas à s’accorder sur un partage amiable.5 (…) Il y a donc lieu de confirmer le jugement de première instance en ce que le juge aux affaires familiales a retenu que la maison unifamiliale n’est pas commodément partageable en nature.6 puis ils ont analysé le régime applicable aux créances de PERSONNE1.) à l’encontre de l’indivision:

« Concernant les créances invoquées par PERSONNE1.) à l’égard de l’indivision, celles-

ci, à les supposer établies, font partie du passif de l’indivision et elles sont donc, en principe, à payer au moyen du produit de la vente de l’actif et leur potentielle existence milite en faveur d’une licitation de l’immeuble litigieux en l’absence d’autres actifs de l’indivision. »7 puis celui des créances réciproques des parties:

« Les créances réciproques existant, le cas échéant, entre PERSONNE1.) et PERSONNE2.) sont indépendantes de l’indivision qu’il s’agit de partager et procèdent d’autres rapports d’obligations qui ont pu exister entre les deux ex-époux. Elles relèvent de l’opération finale consistant à établir un décompte entre les parties et non pas de la formation de lots dans le cadre du partage de l’indivision, tel que soutenu par PERSONNE1.). »8 pour enfin confirmer, quoique pour des motifs en partie différents, le jugement de première instance :

4 Page 6 du mémoire en cassation 5 Page 9, paragraphe 6 de l’arrêt attaqué 6 Page 11, paragraphe 6 de l’arrêt attaqué 7 Page 11, paragraphe 7 de l’arrêt attaqué 8 Page 11, paragraphe 8 de l’arrêt attaqué « Il découle de tous les éléments ci-dessus que c’est à bon droit, quoique pour des motifs en partie différents, que le juge de première instance a considéré l’immeuble […], comme n’étant pas commodément partageable en nature et qu’il en a ordonné la licitation9. »10 Les juges d’appel ont, à suffisance de droit, justifié leur décision et les motifs critiqués par le moyen n'étaient pas indispensables à son soutien.

Il ressort de ce qui précède que le moyen soulevé par le demandeur en cassation est dirigé contre les seuls motifs de l’arrêt attaqué11 et non pas contre une partie du dispositif.

Or, « un arrêt ne peut être cassé que s’il décide contrairement à la loi ; quelles que soient les erreurs de doctrine que contiennent les motifs, il doit être maintenu si la loi n’a pas été violée dans le dispositif ».12 « Le pourvoi en cassation n'est ouvert que contre le dispositif des décisions rendues en dernier ressort et non contre leurs motifs qui ne valent que dans la mesure où ils sont le soutien nécessaire du dispositif »13 Le moyen est inopérant et ne saurait dès lors être accueilli.

A titre subsidiaire :

Selon la jurisprudence constante de votre Cour, le grief tiré de la contradiction de motifs, équivalant à un défaut de motifs, ne peut être retenu que si les motifs incriminés sont contradictoires à un point tel qu’ils se détruisent et s’annihilent réciproquement, aucun ne pouvant être retenu comme fondement de la décision.14 Le moyen tiré d’une contradiction de motifs est accueilli si plusieurs conditions sont remplies.15 Il doit notamment y avoir une contradiction réelle et profonde, affectant la pensée du juge, entre des motifs de fait16. Votre Cour a jugé:

« Le grief tiré de la contradiction de motifs, équivalant à un défaut de motifs, ne peut être retenu que si les motifs incriminés sont des motifs de fait. La contradiction entre motifs de 9 C’est nous qui soulignons 10 Page 13, paragraphe 2 de l’arrêt attaqué 11 J. et L. Boré précité, n°83.26, page 521 12 J. et L. BORÉ, précité, n° 83.40, page 521 13Cass. n°2/13 du 17 janvier 2013, n°3096 du registre 14 Cass. n°137/2022 du 17 novembre 2022, , n° CAS-2022-00015 du registre (sur le premier moyen), Cass.

n°127/2023 du 16 novembre 2023, n°CAS-2023-00014 du registre (sur le premier moyen), Cass. n°184/2024 du 12 décembre 2024, n°CAS-2024-00027 du registre, Cass. n°24/2025 du 6 février 2024, n°CAS-2024-00090, Cass. n°23/2025 du 6 février 2025, n°CAS-2024-00076 15 Jacques et Louis BORÉ, La cassation en matière civile, Paris, Dalloz, 6e édition, 2023/2024, n° 77.111 à 77.151 16 J. et L. Boré précité n° 77.132 à 77.134 pages 424 droit ou entre un motif de droit et un motif de fait, ne relève pas du grief de contradiction de motifs. »17 En l’espèce, les deux motifs contradictoires visés par le moyen ont trait à la composition du passif de l’indivision et à deux opérations de qualification juridique effectuées par les juges du fond. Etant donné qu’il s’agit de deux motifs de droit, leur éventuelle contradiction ne relève pas du grief de la contradiction de motifs.

Le moyen est partant irrecevable.

A titre plus subsidiaire :

Lorsque les juges d’appel écrivent que «[l]e passif de l’indivision est représenté par le solde du prêt immobilier que PERSONNE1.) évalue actuellement à 130.000 euros »18, il s’agit là d’un premier constat, qui sera affiné par les développements ultérieurs concernant les créances invoquées par PERSONNE1.) à l’encontre de l’indivision :

« Concernant les créances invoquées par PERSONNE1.) à l’égard de l’indivision, celles-

ci, à les supposer établies, font partie du passif de l’indivision et elles sont donc, en principe, à payer au moyen du produit de la vente de l’actif et leur potentielle existence milite en faveur d’une licitation de l’immeuble litigieux en l’absence d’autres actifs de l’indivision. »19 Les deux motifs invoqués par le demandeur en cassation ne concernent pas la même partie du raisonnement des juges du fond et sont en fait complémentaires, de sorte qu’il y a lieu de déclarer le premier moyen non fondé.

Sur le deuxième moyen de cassation Le deuxième moyen de cassation est tiré en sa première branche de la violation de l’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil en combinaison avec l’article 815-13, alinéa 1er, du même code et en sa deuxième branche de la violation de l’article 61, alinéas 1 et 2, du NCPC.

Le moyen reproche aux juges d’appel d’avoir retenu que les créances invoquées par PERSONNE1.) à l’égard de l’indivision font partie du passif de l’indivision et sont donc à payer au moyen du produit de la vente de l’actif et que les créances réciproques des parties relèvent de l’opération finale consistant à établir un décompte entre les parties et non pas de la formation de lots dans le cadre du partage de l’indivision, déboutant ainsi PERSONNE1.) de son moyen tiré de la commodité d’un partage en nature par la formation de lots en raison de l’existence dans son chef desdites créances, après avoir écarté l’application de l’article 1470 17 Cass. 17.10.2024, n°CAS-2023-00188 du registre 18 Page 10, paragraphe 2 de l’arrêt attaqué 19 Page 11, paragraphe 7 de l’arrêt attaqué du Code civil invoqué par le demandeur en cassation en s’appuyant sur un arrêt n°57/2023 rendu par votre Cour20.

Dans la première branche, le moyen reproche aux juges d’appel d’avoir violé l’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil, dont il résulte que les créanciers dont la créance résulte de la conservation et de la gestion des biens indivis seront payés par prélèvement sur l’actif avant partage. Le remboursement d’un emprunt ayant financé l’acquisition d’un bien indivis serait une créance envers l’indivision conformément à l’article 815-13, alinéa 1er, du Code civil, ce qui permettrait à l’indivisaire-créancier de prélever sa créance sur les actifs de l’indivision avant le partage conformément à l’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil. En conséquence le demandeur en cassation aurait été en droit d’insister sur l’établissement d’un compte de l’indivision avant la licitation, lui permettant de faire valoir ces créances en compensation partielle ou totale avec le prix d’acquisition de l’immeuble lors de la licitation ultérieure de l’immeuble, s’il s’y portait acquéreur de l’immeuble. En confirmant le jugement ayant ordonné la licitation avant de procéder à l’établissement du compte de l’indivision et en déclarant que les développements du demandeur en cassation au sujet de ses créances à l’égard de l’indivision « ne sont pas pertinents pour la solution à apporter au présent litige », l’arrêt dont pourvoi aurait violé l’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil en combinaison avec l’article 815-13, alinéa 1er, du même code.

Dans la seconde branche (subsidiaire par rapport à la première), le demandeur en cassation soutient qu’à supposer que les juges d’appel auraient considéré avoir été saisis de conclusions n’invoquant pas avec une précision suffisante l’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil, ils auraient dû requalifier sa demande et l’analyser au regard de l’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil. En omettant d’analyser le litige au regard de l’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil, l’arrêt entrepris aurait violé le principe de juridiction consacré à l’article 61, alinéas 1 et 2, du NCPC.

Sur la première branche, A titre principal :

Le demandeur en cassation fait valoir dans la discussion du moyen qu’il aurait implicitement soulevé le moyen tiré de l’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil en appel, rendant ainsi son moyen recevable.

20 Cass. n°57/2023 du 25 mai 2025, n°CAS-2022-00095 ayant cassé un arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article 1470 du Code civil : « Vu l’article 1470 du Code civil qui dispose « Si, balance faite, le compte présente un solde en faveur de la communauté, le conjoint en rapporte le montant à la masse commune. S'il présente un solde en faveur du conjoint, celui-ci a le choix ou d'en exiger le paiement ou de prélever à son choix des biens parmi ceux qui sont entrés en communauté de son chef ce jusqu'à concurrence de la somme qui lui est due. » En se déterminant par les motifs reproduits dans le cadre de la réponse au troisième moyen pour rejeter la demande du demandeur en cassation en prélèvement du terrain apporté en communauté par lui et pour ordonner la licitation du bien immobilier constitué par le terrain à bâtir et la maison d’habitation, sans qu’il n’eût été procédé au préalable à l’établissement d’un compte des récompenses, les juges d’appel ont violé l’article 1470 du Code civil visé au moyen. » C’est au demandeur au pourvoi qu’incombe la charge de justifier de la recevabilité du moyen qu’il présente et d’établir son défaut de nouveauté.21 L’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil consacrant le principe du prélèvement sur l’actif avant le partage et applicable à l’ensemble des créanciers potentiels d’une indivision, n’a pas été invoqué par le demandeur en cassation en instance d’appel. Il y a lieu d’ajouter que le demandeur en cassation n’avait pas non plus expressément invoqué l’article 815-13 du Code civil pour faire valoir que ses créances nées du remboursement du prêt immobilier seraient des créances résultant de la gestion ou de la conservation de l’immeuble indivis, mais il n’a évoqué ledit article que de manière très générale 22. Nulle part le demandeur en cassation n’a fait valoir que les créances invoquées à l’encontre de l’indivision devaient être analysées comme créances résultant de la gestion ou de la conservation d’un bien indivis, que ce soit au sens de l’article 815-13 ou au sens de l’article 815-17 du Code civil.

Si le demandeur en cassation s’est opposé à la licitation du seul immeuble indivis, c’est tout d’abord au motif que le juge n’aurait pas été saisi par un procès-verbal de difficultés établi par le notaire, et, ensuite, au motif que l’immeuble serait commodément partageable en nature.

Même lorsque le demandeur en cassation a demandé l’application de l’arrêt de la Cour de cassation luxembourgeoise n° 57/2023 du 25 mai 2023, il l’a invoqué à l’appui de sa thèse que l’immeuble serait commodément partageable23et il conclut que, « les créances dont peut se faire prévaloir l’appelant sont tellement importantes que si soulte il devait y avoir, quod non, elle sera tout à fait raisonnable de sorte que par réformation, l’immeuble est commodément partageable en nature ».

Il ressort de ce qui précède qu’en appel le demandeur en cassation n’a à aucun moment fait valoir que ses créances à l’égard de l’indivision constitueraient des créances résultant de la gestion ou de la conservation de l’immeuble indivis, ni demandé à pouvoir effectuer un prélèvement sur l’actif avant partage. Même en ce qui concerne la chronologie des opérations de partage, les critiques du demandeur en cassation n’ont visé en instance d’appel que la répartition des compétences entre le juge aux affaires familiales et le notaire liquidateur. Le moyen consistant à exiger l’établissement du compte de l’indivision antérieurement à la licitation de l’immeuble indivis n’a été invoqué ni de manière expresse ni de manière implicite en instance d’appel.

Le deuxième moyen, pris en sa première branche, est partant nouveau et il doit être déclaré irrecevable pour être mélangé de fait et de droit.

A titre subsidiaire :

Il ressort de la discussion de la première branche du deuxième moyen de cassation que PERSONNE1.) soutient qu’il incombait aux juges du fond, avant d’ordonner la licitation, d’ordonner l’établissement d’un compte de l’indivision et ce afin de lui permettre d’effectuer 21 J. et L. Boré précité n° 82.101.134 page 500 22 L’article 815-13 du Code civil est seulement mentionné de manière assez vague à la page 8 de la requête d’appel (paragraphe 4) et à la page 10 des conclusions de synthèse (paragraphe 2) 23 Pages 7 à 10 de la requête d’appel et pages 8 à 12 des conclusions récapitulatives un prélèvement conformément aux articles 815-13 et 815-17 du Code civil en raison des créances invoquées par lui à l’encontre de l’indivision.

Le demandeur en cassation soumet à votre Cour la question de savoir si l’article 815-17 du Code civil entraîne un droit pour le créancier indivisaire d’obtenir un compte de l’indivision avant toute licitation et soutient que l’article 815-17 du Code civil lui permettrait d’obtenir un tel compte de l’indivision, obligeant ainsi le juge à surseoir à statuer sur la demande en licitation dans l’attente de l’établissement d’un tel compte.

Il y a lieu de rappeler que les juges du fond étaient saisis d’une demande en liquidation de l’indivision, plus précisément une demande en licitation de la part de PERSONNE2.), s’inscrivant dans le cadre d’une demande en divorce.

Si l’article 826 du Code civil pose le principe du partage en nature :

« Chacun des cohéritiers peut demander sa part en nature des meubles et immeubles de la succession ; néanmoins, s'il y a des créanciers saisissants ou opposants, ou si la majorité des cohéritiers juge la vente nécessaire pour l'acquit des dettes et charges de la succession, les meubles sont vendus publiquement en la forme ordinaire », l’article 827 alinéa 1er du Code civil prévoit la licitation dès lors que les parties ne parviennent pas à s’accorder sur un partage amiable et que les immeubles ne peuvent pas se partager commodément :

« Si les immeubles ne peuvent pas se partager commodément, il doit être procédé à la vente par licitation devant le tribunal. » Si le partage en nature est la règle et la licitation l’exception, les termes impératifs de l’article 827 du code civil s’opposent à ce que le juge sursoie à statuer sur la demande en licitation, sauf le cas où toutes les parties le demanderaient. En effet aucune disposition légale dérogatoire à l’article 827 alinéa 1er du Code civil ne permet aux juges de refuser la licitation de l’immeuble indivis dont ils constatent le caractère impartageable par nature 24 ou de surseoir à statuer sur ladite demande en licitation, sauf en cas d’accord des parties, de même que le juge ne peut substituer aux seuls modes de partage prévus par la loi un procédé différent, sauf le cas où toutes les parties y donneraient leur consentement.

Les juges du fond ont dès lors statué en conformité avec les dispositions légales applicables en matière de partage d’un immeuble en indivision.

La seule appréciation à effectuer par les juges du fond est celle de savoir si les immeubles ne peuvent pas se partager commodément et ce point, qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, ne fait d’ailleurs pas l’objet de reproche de la part du demandeur en cassation, qui a pris soin de préciser que « [d]’autres aspects de l’arrêt, et notamment la décision de rejeter le moyen de PERSONNE1.) tiré de ce que l’immeuble est, en réalité, partageable en nature restent critiquables de l’avis du demandeur en cassation, mais puisqu’il s’agit de décisions en fait, la Cour de cassation ne peut pas en être saisie »25.

24 Panorama de droit des successions et des libéralités (années judiciaires 2021-2022 et 2022-2023), Annales du droit luxembourgeois, Volume 32-2022, page 401-683 25 Page 5, paragraphe 5 du mémoire en cassation Le demandeur en cassation soutient toutefois que la conclusion retenue par les juges d’appel serait contraire aux termes de l’article 815-17 du Code civil qui dispose:

« 1° Les créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu'il y eût indivision, et ceux dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis, seront payés par prélèvement sur l'actif avant le partage. Ils peuvent en outre poursuivre la saisie et la vente des biens indivis. » L’article 815-13, alinéa 1er, du Code civil traite également des créances résultant de la conservation ou de l’amélioration d’un bien indivis et est rédigé comme suit :

« 1° Lorsqu'un indivisaire a amélioré à ses frais l'état d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l'équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l'aliénation. Il doit lui être pareillement tenu compte des impenses nécessaires qu'il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu'elles ne les aient point améliorés. » La Cour de cassation française a eu l’occasion de juger que l’indivisaire qui a fait des dépenses d’amélioration ou de conservation rentrant dans le champ d’application de l’article 815-13 du Code civil devient créancier de l’indivision et sa créance doit être déduite de l’actif net à partager26. Dans le même contexte, la Cour de cassation française a encore précisé dans son avis n° 23-70007 du 5 juillet 2023 que tant le paiement des échéances d’un prêt que son règlement anticipé tombaient sous la qualification de dépense nécessaire à la conservation.

L’article 815-17 du Code civil permet au créancier indivisaire d’exiger le paiement de sa créance même pendant l’indivision, sans être tenu d’attendre l’issue des opérations de partage.

Toutefois ledit article ne mentionne pas l’établissement d’un compte de l’indivision, alors que la faculté des créanciers de se faire payer par prélèvement sur l’actif avant partage, en tant que mode de règlement d’une créance, suppose que la créance présente les caractères de certitude, d’exigibilité et de liquidité nécessaire au paiement27.

Le demandeur en cassation attire l’attention de votre Cour sur les similitudes entre la liquidation et le partage d’une communauté et la liquidation et le partage d’une indivision en écrivant que « [l]e facteur de comparaison des deux régimes permettant l’analogie n’est pas, comme l’a erronément considéré la Cour d’appel, le régime matrimonial, mais la propriété conjointe d’un ou de plusieurs biens. C’est donc le régime du partage avec l’opération de liquidation et le prélèvement qui doit précéder, c’est-à-dire l’établissement d’un compte de l’indivision, respectivement le compte des récompenses, qui représente un problème identique dans les deux cas, au-delà des différences des régimes matrimoniaux en cause ».

Si effectivement certaines similitudes peuvent être constatées, toujours est-il que les textes applicables ne sont pas les mêmes. Ainsi l’arrêt n°57/2023 de votre Cour du 25 mai 2023 a cassé un arrêt de la Cour d‘appel au visa de l’article 1470 du Code civil, qui régit la liquidation 26 Cass. fr. civ.1e 13 mars 2007, n° 05-13.320 27 JurisClasseur Notarial Formulaire - Encyclopédies - V° Indivision - Fasc. 70 : INDIVISION. – Droits des créanciers et le partage de la communauté, et qui requiert en des termes très explicites qu’il soit procédé au préalable à l’établissement d’un compte des récompenses avant de statuer sur une demande en prélèvement d’un bien entré en communauté du chef d’un des époux.28 De même, l’arrêt n°12-11.818, de la Cour de cassation française du 26 juin 2013 concerne la liquidation et le partage d’un immeuble d’habitation qui dépendait de la communauté des époux entre-temps divorcés. C’est pour cette raison que l’article 1476 du Code civil29 était applicable en ce qu’il renvoie aux règles qui sont établies au titre « Des successions » pour ce qui concerne les formes du partage de la communauté, le maintien de l’indivision et l’attribution préférentielle, la licitation des biens, les effets du partage, la garantie qui en résulte et les soultes. Or, si l’article 1476 du Code civil renvoie ainsi à certaines règles établies au titre « Des successions » pour le partage entre cohéritiers, l’inverse n’est pas vrai. Il s’agit d’un renvoi exprès, mais à sens unique, et non pas d’une application par analogie, comme l’affirme le demandeur en cassation. Les règles figurant au titre « Des successions » constituent des règles supplétives en matière de partage et de liquidation d’une communauté. Par contre, les règles régissant le partage et la liquidation d’une indivision ne comportent aucun renvoi aux règles spécifiques à la communauté.

En matière de partage d’une communauté, l’article 1470 du Code civil impose l’établissement d’un compte des récompenses avant de statuer sur une demande en prélèvement, tandis qu’en matière de partage d’une indivision aucune disposition légale n’impose cette même chronologie. Ni l’article 815-17 du Code civil invoqué par le demandeur en cassation à l’appui de la première branche du second moyen, ni l’article 827 du même code appliqué par les juges d’appel pour ordonner la licitation de l’immeuble jugé ne pas être commodément partageable en nature, ne mentionnent l’établissement du compte de l’indivision. Dès lors les dispositions visées au moyen ne sauraient être invoquées pour exiger l’établissement du compte de l’indivision avant qu’il ne soit statué sur une licitation.

Dans la mesure où le demandeur en cassation reproche aux juges du fond qu’il leur incombait, avant d’ordonner la licitation, d’ordonner l’établissement d’un compte de l’indivision30, les dispositions visées sont étrangères au grief invoqué.

Il s’ensuit que la première branche du second moyen est irrecevable.

A titre plus subsidiaire:

Comment s’exerce le droit de prélèvement invoqué par le demandeur en cassation? Une réponse est fournie dans l’article d’Olivier Gazeau « Créanciers et indivision »31 versé par le demandeur en cassation :

28 Article 1470 du Code civil : « Si, balance faite, le compte présente un solde en faveur de la communauté, le conjoint en rapporte le montant à la masse commune. S'il présente un solde en faveur du conjoint, celui-ci a le choix ou d'en exiger le paiement ou de prélever à son choix des biens parmi ceux qui sont entrés en communauté de son chef ce jusqu'à concurrence de la somme qui lui est due ».

29 L’article 1476 du Code civil français est identique à l’article 1476 du Code civil luxembourgeois 30 Page 14 , paragraphe 2, du mémoire en cassation 31 Défrénois n°26, 27 juin 2019, page 39 « [..c]omment s’applique ce prélèvement en l’absence de liquidités ? Il va de soi que l’exercice de ce droit suppose l’exercice de liquidités, et de liquidités suffisantes, dans la masse indivise pour régler les créances.

A défaut de liquidités, les créanciers de l’indivision n’auront pas d’autre choix que de saisir ou mettre en vente les biens indivis.

Il s’agit là de la seconde prérogative qui leur est accordée. » La notion de prélèvement a encore été analysée comme suit :

« La notion de prélèvement, telle qu’envisagée à l’article 815-17 du Code civil, se distingue nettement de celle traditionnellement utilisée dans les opérations de partage entre indivisaires.

Contrairement au prélèvement classique, qui consiste pour un indivisaire à retirer un bien ou une somme d’argent de la masse indivise pour satisfaire ses droits lors du partage, le prélèvement prévu par cet article ne constitue pas une opération de partage à proprement parler.

Il s’agit ici d’un mécanisme juridique autonome, spécifiquement conçu pour garantir le règlement des créances sur l’indivision, avant toute répartition des parts entre coïndivisaires.

En substance, l’article 815-17 confère donc aux créanciers, y compris les tiers, un droit exclusif de prélèvement sur l’actif indivis. Cette prérogative leur permet de satisfaire leurs créances en priorité, avant que la masse indivise ne soit divisée et attribuée aux indivisaires.

Contrairement aux indivisaires, qui interviennent dans le cadre d’une opération de partage, les créanciers exercent un droit distinct, orienté non pas vers l’acquisition de droits sur les biens, mais vers leur liquidation en vue d’un paiement.

Ce prélèvement est ainsi un moyen de garantir la satisfaction des créanciers indépendamment des relations internes entre coïndivisaires. Ce principe reflète l’idée selon laquelle l’unité de la masse indivise doit subsister tant que les créanciers n’ont pas été payés, assurant ainsi une sécurité juridique renforcée pour ces derniers.

A cet égard, il est essentiel de souligner que le prélèvement prévu par l’article 815-17 ne confère pas au créancier un droit de propriété sur les biens indivis.

En effet, ce dernier n’est pas en mesure de « prélever » un bien comme s’il en était propriétaire. Il bénéficie plutôt d’un droit de gage indivisible sur l’ensemble des biens composant l’actif indivis.

Ce droit de gage repose sur le principe selon lequel les créances doivent être réglées sur la masse indivise dans son intégralité, sans fragmenter l’assiette du gage entre les parts des coïndivisaires.

Cette indivisibilité du gage garantit que les créanciers puissent obtenir le paiement de leurs créances soit par le biais des liquidités disponibles dans la masse indivise, soit, à défaut, par une procédure de saisie et de vente des biens indivis. Cette faculté de saisie s’exerce sur l’ensemble des biens indivis, sans qu’il soit nécessaire de déterminer au préalable la répartition des parts entre coïndivisaires. »32 Il découle de cette notion de prélèvement qu’en l’espèce, faute de liquidités suffisantes disponibles dans l’indivision à partager, la licitation de l’immeuble indivis s’imposait.

Le moyen est inopérant et ne saurait être accueilli.

A titre encore plus subsidiaire :

Les juges d’appel ont retenu, d’une part, que l’unique actif à partager était constitué par l’immeuble indivis33 et, d’autre part, que les créances de PERSONNE1.) n’étaient pas encore établies. Si les juges étaient certes saisis des demandes liées aux créances des parties à l’encontre de l’indivision et liées aux créances réciproques, ils n’étaient toutefois pas saisis d’une demande en prélèvement de la part de PERSONNE1.) sur la base de l’article 815-17 du Code civil, ni même d’une demande tendant à voir établir un compte de l’indivision préalablement à toute licitation.

En retenant que « [c]oncernant les créances invoquées par PERSONNE1.) à l’égard de l’indivision, celles-ci, à les supposer établies, font partie du passif de l’indivision et elles sont donc, en principe, à payer au moyen du produit de la vente de l’actif et leur potentielle existence milite en faveur d’une licitation de l’immeuble litigieux en l’absence d’autres actifs de l’indivision. »34, les juges du fond ont correctement appliqué l’article 815-13 du Code civil.35.

Etant saisis d’une demande en licitation de la part de PERSONNE2.) et, en l’absence de demande en prélèvement, les juges d’appel ne se sont pas fondés et n’avaient pas à se fonder sur l’article 815-17 du Code civil en combinaison avec l’article 815-13 du même Code.

Le moyen n’est pas fondé.

32 Aurélien Bamdé, « Créanciers de l’indivision : le droit de prélèvement sur l’actif avant partage », Le droit dans tous ses états, JuriDocs (nous soulignons) 33 Page 10, paragraphes 2 et 3 de l’arrêt attaqué 34 Page 11, paragraphe 7 de l’arrêt attaqué 35 cf. Cass. 1re civ., 13 mars 2007, n° 05-13.320 : JurisData n° 2007-037910 ; Bull. civ. I, n° 109 ; JCP G 2007, IV, 1812 ; JCP G 2007, I, 197, n° 4, obs. H. Périnet-Marquet ; RTD civ. 2007, p. 801, obs. B. Vareille De même, la créance doit être inscrite au passif de l’indivision et en aucun cas faire l’objet d’une condamnation pour la moitié de sa valeur contre le coïndivisaire (Cass. 1re civ., 23 nov. 2011, n° 10-18.315, n° 10-18.346 : JurisData n° 2011-026105. - Cass. 1re civ., 28 mai 2013, n° 12-13.638 : JurisData n° 2013-010925 ; RTD civ. 2013, 647, obs. W.

Dross. - Cass. 1re civ., 8 oct. 2014, n° 13-18.563: JurisData n° 2014-023364; Act. proc. coll. 2015, n° 11, alerte 167;

RTD civ. 2015, p. 107, obs. J. Hauser).

Sur la deuxième branche (qui est subsidiaire à la première) :

Le demandeur en cassation invoque le principe de juridiction consacré à l’article 61 du NCPC et soutient que les juges d’appel auraient dû requalifier juridiquement la demande du demandeur en cassation en ce qu’elle tendait à faire établir un compte de l’indivision avant de procéder à la licitation. Cette obligation de requalification s’appliquerait au cas où le demandeur en cassation n’aurait pas saisi la Cour d’appel de conclusions invoquant l’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil.

L’article 61 du NCPC dispose :

« Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.

Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d’un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l’ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat. » Or, pour les motifs exposés dans le cadre de la première branche du deuxième moyen, les juges d’appel n’étaient pas saisis d’une demande tendant à faire établir un compte de l’indivision avant de procéder à la licitation et ils n’étaient dès lors pas tenus de requalifier pareille demande ou d’appliquer les règles de droit appropriées. Non seulement le demandeur en cassation n’avait pas présenté de demande en ce sens et s’était abstenu d’exiger qu’un compte de l’indivision soit établi avant la poursuite des opérations de partage, mais il avait lui-même demandé à ce qu’il soit procédé à un partage en nature en faisant valoir que l’immeuble indivis était partageable en nature moyennant certains aménagements et en proposant la constitution de lots.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Conclusion Le pourvoi est recevable mais non fondé.

Pour le Procureur Général d’Etat, Le procureur général d’Etat adjoint Marie-Jeanne Kappweiler 21


Synthèse
Numéro d'arrêt : 105/25
Date de la décision : 19/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2025-06-19;105.25 ?

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