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10/06/2025 | LUXEMBOURG | N°49666

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 10 juin 2025, 49666


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 52650C ECLI:LU:CADM:2025:52650 Inscrit le 4 avril 2025 Audience publique du 10 juin 2025 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 4 mars 2025 (n° 49666 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 52650C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 4 avril 2025 par la société à responsabilité limitée WH AVOCATS SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège

social à L-1630 Luxembourg, 46, rue Glesener, inscrite au registre de c...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 52650C ECLI:LU:CADM:2025:52650 Inscrit le 4 avril 2025 Audience publique du 10 juin 2025 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 4 mars 2025 (n° 49666 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 52650C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 4 avril 2025 par la société à responsabilité limitée WH AVOCATS SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1630 Luxembourg, 46, rue Glesener, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B 265326, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, en l’étude duquel domicile est élu, au nom de Madame (A), déclarant être née le … à … (Côte d’Ivoire) et être de nationalité ivoirienne, demeurant actuellement à L-…, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 4 mars 2025 (n° 49666 du rôle), par lequel ledit tribunal a déclaré non fondé son recours tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 4 octobre 2023 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 2 mai 2025 par le délégué du gouvernement ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 20 mai 2025.

1Le 5 janvier 2022, Madame (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Madame (A) fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Toujours le même jour, Madame (A) fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après « le règlement Dublin III ».

Une recherche menée par les policiers à la même date dans la base de données EURODAC révéla que Madame (A) y était enregistrée comme ayant franchi illégalement la frontière espagnole en date du 7 octobre 2021.

Le 7 janvier 2022, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues espagnols une demande de prise en charge de Madame (A) sur base de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par les autorités espagnoles le 4 février 2022.

Par décision du 20 avril 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », informa Madame (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de la transférer vers l’Espagne sur base de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III.

Par courrier du 27 juillet 2022, l’association sans but lucratif (AA) a demandé au ministre de réexaminer et d’annuler cette décision de transfert en raison de la vulnérabilité de Madame (A).

Par courrier du 4 août 2022, le ministre informa Madame (A) que la décision de transfert du 20 avril 2022 avait été rapportée et que le Grand-Duché de Luxembourg avait décidé d’examiner sa demande de protection internationale en vertu des dispositions de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III.

Par décision du 4 octobre 2023, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé expédié le 9 octobre 2023, le ministre informa Madame (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 5 janvier 2022 sur base de la loi modifiée du 218 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos motifs de fuite En mains votre fiche manuscrite, le rapport du Service de Police Judiciaire ainsi que le rapport d'entretien « Dublin III » du 5 janvier 2022, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 9 novembre et 6 décembre 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Avant tout progrès en cause, il convient de rappeler qu'une demande de prise en charge a été adressée aux autorités espagnoles de la part des autorités luxembourgeoises en date du 7 janvier 2022. La prise en charge a été accordée le 4 février 2022. A cet égard, une décision de transfert vous a été notifiée le 20 avril 2022. L'association (AA) a.s.b.1 a demandé un réexamen du dossier en date du 27 juillet 2022 afin d'annuler ladite décision de transfert pour cause d'extrême vulnérabilité. Après réévaluation du dossier, les autorités luxembourgeoises ont décidé d'analyser votre demande de protection internationale en date du 29 juillet 2022.

Lors de l'introduction de votre demande de protection internationale vous déclarez être née le … à …, être de nationalité ivoirienne, être célibataire, d'ethnie Mahouka, de confession musulmane et avoir vécu dans la commune de … qui fait partie du district d'….

Vous évoquez tout d'abord le fait que vous auriez été contrainte d'épouser, par le biais d'un mariage arrangé, organisé par vos oncles, un homme que vous ne connaissiez pas. A ce sujet vous déclarez avoir vécu chez votre tante à … et que vous auriez décidé de retourner dans votre village natal à … après son décès. Vous y auriez vécu avec vos oncles qui auraient amorcé un mariage à votre insu. Après que vos tantes vous en auraient informé, vous auriez attendu que la crise post-électorale s'apaise afin de demander à vos oncles la permission de rentrer à …. Un de vos ondes vous aurait fait comprendre que vous devriez à tout prix épouser cet homme que vous ne connaitriez pas. Vous lui auriez alors expliqué être en relation avec une autre personne et vous vous seriez finalement rendu à … (page 12 du rapport d'entretien).

En 2011, votre partenaire et vous auraient décidé d'avoir un enfant afin de lutter contre le mariage forcé imposé par vos oncles. Dans les années précédentes, personne ne se serait plus exprimé sur ledit mariage, ce qui vous aurait amené à conclure que vos oncles auraient changé d'avis à ce titre (page 12 du rapport d'entretien).

En 2016, après avoir obtenu votre BTS, vous auriez souhaité poursuivre vos études supérieures dans une école privée. Par manque de moyens financiers, vous auriez étonnamment décidé de retourner à … en vue de demander du soutien financier à vos oncles. Ces derniers vous auraient explicité que les femmes n'auraient pas le droit à l'éducation et vous auraient en outre relancé par rapport au mariage. Après que vous auriez à nouveau exprimé votre contrariété à ce 3sujet, ils vous auraient frappé et enfermé dans la maison. Vous précisez que votre tante vous aurait aidé à vous échapper du village pendant la nuit afin que vous puissiez retourner à … (page 12 du rapport d'entretien).

En mars 2019, vos cousins seraient partis à votre recherche à … par ordre de votre oncle afin de vous emmener avec eux dans leur village. Malgré le fait que vous auriez essayé de les raisonner, ils vous auraient agressé et frappé après vous avoir trouvé (page 12 du rapport d'entretien).

Le 23 mars 2019, vous auriez finalement pris la décision de quitter la Côte d'Ivoire pour le Maroc ensemble avec votre partenaire. Après avoir passé un laps de temps considérable au Maroc, vous auriez décidé de traverser la Méditerranée avec votre fille qui serait décédée de soif.

Vous déclarez encore que les parents de votre partenaire vous auraient incité à l'excision avant de vous marier à leur fils. A cet égard, vous précisez qu'ils auraient affirmé qu'une femme non excisée porterait malheur à la famille. Vous évoquez ensuite qu'après avoir été informée que vous étiez enceinte d'une fille, vous auriez craint que votre enfant soit également exposé à l'excision après sa naissance (page 12 du rapport d'entretien).

A l'appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les documents suivants :

- Une copie de votre brevet de Technicien Supérieur émis le … 2016 par le Lycée … ;

- deux photographies avec votre fille ;

- un rapport médical du Centre Hospitalier de Luxembourg datant du 20 juin 2022.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Madame, avant tout autre progrès en cause, il convient de relever que des doutes persistent quant à votre réelle identité, alors que vous restez en défaut de verser le moindre document officiel et authentique qui permettrait de prouver votre véritable identité, respectivement votre nationalité ivoirienne.

En effet, il convient de noter que vous avez déclaré être née le … après votre arrivée en Espagne en octobre 2021, alors que vous changez de version auprès des autorités luxembourgeoises lors de l'introduction de votre demande de protection internationale en … en affirmant être née le ….

Ceci étant dit, il échet de constater que d'autres déclarations ayant trait à votre récit sont entachées de contradictions manifestes. En effet, force est de relever que vos propos concernant votre famille sont antinomiques à certaines reprises, si bien que vos déclarations lors de l'entretien « Dublin III » ne correspondent pas à celles que vous avez faites lors du rapport d'entretien sous-tendant vos motifs de fuite. A titre d'exemple, vous affirmez, d'une part, « je ne connais pas le nom de mon père » alors que d'autre part vous révélez subitement le nom ainsi que le prénom de votre père.

4Dans une moindre mesure, le même constat s'impose en ce qui concerne vos dires relatifs aux circonstances du décès de votre père. En effet, vous déclarez dans un premier temps « ma mère m'a toujours dit qu'il a été assassiné quand j'étais petit » avant de changer de version en avançant dans un deuxième temps « ma tante m'a dit qu'il était décédé quand j'avais deux ans ».

Ainsi, il ne ressort pas de manière claire et équivoque qui vous aurait procuré cette information.

Dans cette même lignée, il appert que vous ne gardez pas non plus une version unique à l'égard de votre trajet étant donné que vous déclarez auprès du Service de Police Judiciaire en date du 5 janvier 2022 que vous vous seriez déplacée en train de … à … (p. 2 du rapport du Service de Police Judiciaire) alors que vous indiquez « J'ai pris le bus de … vers … » lors de votre entretien avec l'agent ministériel en date du 9 novembre 2022.

Partant, force est de constater que vous changez de version à plusieurs reprises, ce qui ne saurait appuyer la crédibilité de vos dires, alors que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités luxembourgeoises.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée la « Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

De prime abord, il convient de noter que vous êtes arrivée en Espagne le 26 août 2021 et que vous y auriez vécu environ cinq mois sans y introduire une demande de protection internationale au motif que « Les autorités m'ont jamais parlé de demander asile. Je ne le savais pas » (page 5 de votre rapport d'entretien Dublin III).

Or, Madame ce comportement est incompatible avec celui d'une personne réellement à la recherche d'une protection et dont on peut légitimement s'attendre à ce qu'elle fasse tout son possible afin d'obtenir une telle protection dès qu'elle en a l'occasion. Vos explications selon lesquelles les autorités espagnoles ne vous auraient pas informé sur la possibilité d'introduire une protection internationale n'excuse en rien votre inaction alors qu'il échet de constater que vous 5êtes bel et bien à même de vous débrouiller au sujet de procédures administratives, ce qui est, à titre d'exemple, établi par le fait que vous avez sollicité un visa en France en date du 3 octobre 2018.

Notons également qu'avant d'arriver au Luxembourg, vous seriez passée par la France, sans toutefois y introduire une demande de protection internationale au motif que « La France est comme l'Espagne. Il y a plus de sécurité au Luxembourg » (page 6 de votre rapport d'entretien « Dublin III »). Partant, il convient de conclure qu'il est indéniable que vous abusez des procédures de protection internationale en voyageant illégalement de pays en pays en vue d'introduire votre demande de protection internationale dans le pays de votre choix.

Ceci étant dit, il ressort premièrement de vos déclarations que vous auriez été contrainte d'épouser, par le biais d'un mariage arrangé, organisé par vos oncles, un homme que vous ne connaissiez pas. A cet égard, vous expliquez que vos oncles auraient amorcé un mariage à votre insu. Ils vous auraient également menacé, frappé et enfermé dans une maison afin de vous intimider et inciter à accepter ce mariage.

Force est de constater que les faits dont vous faites état ne relèvent pas du champ d'application de la Convention de Genève, étant donné qu'il n'existe aucune crainte de persécution en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Quand bien même, les faits invoqués auraient un lien avec la Convention de Genève, quod non, force est de relever que les problèmes respectivement les faits que vous décrivez ne revêtent pas non plus un degré de gravité suffisant tels qu'ils puissent être assimilés à un acte de persécution ou une crainte fondée de persécution au sens des dispositions précitées de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

En effet, vous déclarez que vos oncles ainsi que vos cousins vous auraient enfermé pendant une nuit, menacé et frappé à deux reprises étant donné que vous auriez refusé de marier l'homme qu'ils auraient choisi pour vous. Vous précisez également que vos cousins seraient venus à votre recherche à … et que vous auriez décidé de quitter votre pays d'origine par après. Or, il convient de noter que vous auriez vécu dans le quartier … à … encore cinq ans après que vos oncles auraient évoqué le mariage pour la première fois en votre présence, sans qu'il ne vous arrive le moindre problème. Le même constat s'impose en ce qui concerne la période de 2016 à 2019 pendant laquelle aucun membre de famille ne vous aurait importuné et vous auriez vécu en toute sécurité à environ 700 kilomètres de vos oncles et cousins.

Madame, si la gravité de votre situation dans votre pays d'origine avait été telle que vous n'auriez plus pu y vivre, vous n'auriez certainement pas pu vous rendre à … en 2011 et mener une vie en toute tranquillité jusqu'en 2016. En outre, vous ne seriez certainement pas retournée dans votre village natal auprès de vos oncles, et par conséquent auriez mis en péril votre vie paisible, aux seules fins de « demander de l'aide financière, et de les convaincre de l'importance des études que j'aillais faire », alors que vous auriez été bien consciente des intentions de votre famille.

Finalement, vos oncles n'auraient pas non plus attendu trois ans avant d'envoyer vos cousins à votre recherche à … après votre fuite de 2016.

6 A ce sujet, il convient notamment de s'interroger pour quelles raisons vous seriez restée dans votre pays d'origine pendant tout ce laps de temps et sans rechercher une quelconque forme d'aide ou encore une échappatoire à votre situation, alors même que vous auriez largement eu la possibilité de le faire.

Votre inaction est d'autant plus incompréhensible alors que les autorités de votre pays dénoncent fermement la pratique du mariage forcé, notamment à l'article 4 du code civil ivoirien, qui énonce ce qui suit à propos des conditions pour contracter un mariage : « Chacun des futurs époux doit consentir personnellement au mariage. Le consentement n'est pas valable s'il a été extorqué par la violence ou s'il n'a été donné que par suite d'une erreur sur l'identité physique ou civile de la personne. Le consentement n'est pas non plus valable, si celui qui l'a donné ignorait l'incapacité physique de consommer le mariage ou l'impossibilité de procréer de l'autre époux, connue par ce dernier avant le mariage […] ».

En ce qui concerne l'article 439 du code pénal ivoirien, celui-ci prévoit également des peines de prison et des amendes et dispose qu'« est puni d'un emprisonnement d'un à cinq ans et d'une amende de 360.000 à 1.000.000 FCFA ou de l'une de ces deux peines seulement, quiconque : 1° contraint une personne à entrer dans une union matrimoniale de nature civile, coutumière ou religieuse ; […] ».

Ainsi, il ressort de ces informations que selon la loi ivoirienne, l'arrangement de mariages forcés est interdit et que vous auriez donc pu refuser le mariage, respectivement obtenir une protection en vous adressant aux autorités.

Dans le cas où vous estimez avoir été victime de violences basées sur le genre, il convient encore de noter que : « [d]eux types de services à destination des victimes de violences basées sur le genre sont structurés sur une majeure partie du territoire ivoirien. Il s'agit des gender desks et des « plates-formes VBG ». A l'initiative de l'Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (ONUCI), et avec l'appui de l'ambassade des Etats-Unis d'Amérique, les gender desks ont été installés dans 32 commissariats de police et les brigades de gendarmerie. Le rôle de ces bureaux est notamment la prise en charge des cas de violence basée sur le genre. […] Par ailleurs, […], des plates-formes VBG existent au niveau des départements. Elles sont chargées d'améliorer la prévention ainsi que la prise en charge des violences basées sur le genre, dont les mariages forcés. Elles sont composées de représentants des structures étatiques impliquées dans la lutte contre ces violences, d'agences onusiennes, d'ONG nationales et internationales ainsi que d'organisations de la société civile. (BB) (fondation Djigui) estime que ces plates-formes permettent « une prise en charge holistique et rapide des victimes ». Au total, 52 plates-formes sont réparties dans le pays. […]. Il convient de noter que le district d'… compte douze plates-formes ».

Au vu de ces informations, Madame, il convient de constater qu'au sein des autorités ivoiriennes, des structures dédiées à la problématique des mariages forcés, existent et se concentrent principalement à … dont … en est un quartier. Partant on peut légitimement en conclure que vous auriez pu et pourriez d'ailleurs toujours trouver de l'aide à vos problèmes en 7Côte d'Ivoire et porter plainte contre les agissements de vos oncles et vos cousins. On ne peut dès lors mettre en évidence un défaut de protection de la part des autorités ivoiriennes, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

Madame, vous évoquez deuxièmement que vous auriez quitté la Côte d'Ivoire étant donné que les parents de votre partenaire vous auraient incité à l'excision avant de vous marier à leur fils. Vous évoquez ensuite qu'après avoir été informée que vous étiez enceinte d'une fille, vous auriez craint que votre enfant soit également excisé après sa naissance (page 12 du rapport d'entretien).

Concernant l'incitation des parents de votre partenaire selon lequel vous devriez procéder à l'excision avant de marier leur fils afin de ne pas porter malheur à la famille (p.12 du rapport d'entretien), il échet de noter qu'aucune menace concrète n'aurait été formulée à votre encontre et que rien ne vous est jamais arrivé, de sorte que les faits que vous invoquez ne sont pas d'une gravité suffisante au sens de l'article 42.

Vous affirmez d'ailleurs vous-même à cet égard explicitement que « personne n'avait le droit de m'exciser, mais il y aurait eu le risque pour mon futur enfant » (p.15 du rapport d'entretien). Ainsi vous n'avez manifestement subie aucune persécution concrète personnelle ou encore individuelle. A cela s'ajoute que vous êtes majeure et que rien, ni personne ne vous forcerait à retourner auprès des parents de votre partenaire en cas de retour dans votre pays d'origine.

Concernant la crainte d'excision que vous évoquez par rapport à votre enfant, force est de relever que celle-ci ne saurait plus être retenue en l'espèce alors que, malheureusement et aussi regrettable soit-il votre enfant serait décédé lors de la traversée de la mer méditerranéenne vers l'Espagne.

A toutes fins utiles, il ressort clairement des informations consultées que les autorités ivoiriennes ne sont clairement pas inactives face au phénomène d'excision. En effet, d'une part, elles encadrent et répriment strictement les cas d'excision et d'autre part elles mettent à disposition des structures d'accueil et de soutien pour les femmes victimes d'une telle pratique.

A cet égard, « [l]’article 1 de la loi n°98-757 définit les MGF comme « l'atteinte à l'intégrité de l'organe génital de la femme, par ablation totale ou partielle, infibulation, insensibilisation ou par tout autre procédé ». L'article 2 interdit les MGF et définit les infractions pénales liées à leur pratique. L'article 4 indique clairement qu'il n'y a pas d'exception à l'interdiction des MGF : celle-ci inclut les parents ou les proches (jusqu'au quatrième degré inclusivement) qui ont commandité la MGF, ou qui la sachant imminente, ne l'ont pas empêchée ».

Quant à l'application des peines, il convient de noter qu'en « [j]uillet 1012 : Le premier procès pour MGF en Côte d'ivoire vise neuf exciseuses (leur âge variant entre … et … ans), au nord, dans la région de …. Quatre d'entre elles ont été reconnues coupables de perpétration de MGF, et les cinq autres coupables de "complicité" lors d'une cérémonie rituelle d'excision pour 30 filles. Elles ont été condamnées à un an d'emprisonnement et à une amende de 50 000 francs CFA (90 US$). Au vu de l'âge de ces femmes, leur incarcération est peu probable.

8[En] [m]ars 2013 : Deux femmes et deux hommes ont été condamnés à six mois de prison et 30 000 francs CFA (54 US$) chacun, par le tribunal de Danané (dans l'ouest du pays), pour avoir participé l'excision d'une petite fille, pratiquée par une exciseuse guinéenne.

[En] [m]ars 2015: A …, une mère a été jugée coupable pour « complicité » dans l'excision de sa fille de … ans et condamnée à un an de prison. La même peine, assortie d'une amende de 360000 francs CFA (649 US$), a été infligée à l'un des proches qui l'avait accompagnée ».

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Madame, il ressort en l'espèce à suffisance de votre dossier administratif que vous fondez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande en obtention du statut de réfugié.

Or, et tout en renvoyant aux arguments développés précédemment, il appert que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité, respectivement, que les autorités ivoiriennes seraient dans l'impossibilité de vous offrir une quelconque forme de protection.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.

9Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Côte d'Ivoire, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 novembre 2023, Madame (A) fit introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision ministérielle du 4 octobre 2023 portant refus d’octroi du statut conféré par la protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par jugement du 4 mars 2025, le tribunal débouta la demanderesse de son recours dirigé contre le refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire et la condamna aux frais et dépens de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 4 avril 2025, Madame (A) a régulièrement relevé appel de ce jugement du 4 mars 2025.

L’appelante rappelle en premier lieu les faits l’ayant poussée à quitter la Côte d’Ivoire, essentiellement liés à des actes de séquestration, des menaces et des violences subies en raison de son refus de se plier à un mariage forcé avec un homme qu’elle ne connaissait pas. Suite à ce refus, elle serait partie se réfugier chez son petit-ami à … duquel elle serait tombée enceinte, ce qui aurait déshonoré sa famille et provoqué de nouvelles menaces à son égard. En outre, la famille de son petit-ami, au moment où ce dernier l’aurait présentée, aurait exigé qu’elle se fasse exciser avant le mariage, l’appelante craignant à l’époque que cela risquerait également d’être exigé de sa fille.

Cette pratique de l’excision serait particulièrement répandue dans la région originaire de la famille de son petit-ami pour laquelle le rituel de l’excision correspondrait à un trait culturel de référence.

Pour toutes ces raisons, elle aurait décidé de quitter son pays d’origine avec l’aide de son petit-ami le 23 mars 2019 avant d’arriver au Luxembourg le 3 janvier 2022, après avoir transité via le Maroc, l’Espagne et la France.

En droit, elle conteste en premier lieu la légalité externe de la décision ministérielle du 4 octobre 2023 au motif que le ministre n’aurait pas procédé à une évaluation individuelle de sa demande de protection internationale en omettant de prendre en considération plus particulièrement sa détresse psychologique résultant du décès de sa fille survenu lors de son trajet pour venir en Europe, son état de santé fragile étant documenté par divers rapports. Ce coup du sort l’aurait empêchée d’effectuer des démarches pour obtenir ses papiers d’identité et pourrait expliquer ses déclarations troublantes au sujet du fait qu’elle ne pouvait indiquer le nom de son père et les dates de décès de sa mère et de sa tante. Partant, les erreurs se dégageant de son rapport d’entretien ne sauraient être considérées comme des incohérences ou contradictions justifiant l’attitude ministérielle de ne pas procéder à une appréciation concrète de sa situation personnelle.

Partant, la décision ministérielle serait entachée d’une illégalité externe.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.

10A l’instar des premiers juges, la Cour constate que Madame (A) a amplement été entendue lors de ses auditions respectives des 9 novembre et 6 décembre 2022 et que le ministre s’est fondé sur l’ensemble de ses déclarations faites à cette occasion pour examiner le bien-fondé de sa demande de protection internationale. La seule circonstance que le ministre a considéré que les déclarations de l’appelante n’étaient pas de nature à convaincre de la réalité de la crainte de persécution ou du risque de subir des atteintes graves invoqués ne permet pas de retenir qu’il n’aurait pas procédé à un examen approprié de la demande de protection internationale en méconnaissance de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015. Il convient en outre de noter que la décision déférée contient un résumé détaillé des déclarations de l’appelante tout en indiquant les raisons ayant amené le ministre à refuser sa demande de protection internationale, de sorte que celui-ci a bien procédé à une évaluation individuelle de cette demande, y compris en prenant plus particulièrement en compte sa détresse psychologique résultant du décès de sa fille en mer lors de son trajet pour venir en Europe.

Le moyen afférent est partant à rejeter.

L’appelante soutient ensuite que les faits subis ou redoutés seraient suffisamment graves, de par leur nature ou par leur répétition, et ne lui permettraient manifestement pas la poursuite de sa vie en Côte d’Ivoire. Concernant les pratiques des mariages forcés et de l’excision, elle renvoie à diverses décisions de la Cour nationale du droit d’asile de France retenant la persistance de la pratique des mariages forcés en Côte d’Ivoire, ainsi qu’à deux rapports du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides des 25 octobre 2018 et 24 octobre 2019. Tout en concédant que le mariage forcé serait pénalisé en Côte d’Ivoire, l’appelante fait valoir qu’il n’en demeurerait pas moins que ces pratiques existeraient toujours et continueraient à être pratiquées en toute impunité et que les conséquences d’un refus du mariage forcé pourraient être très graves, les femmes s’y opposant pouvant subir des châtiments assez lourds en raison du poids de la culture du déshonneur dans les pays musulmans. Partant, les femmes ivoiriennes s’opposant à un mariage forcé et à la pratique de l’excision devraient être considérées comme constituant un groupe social au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après « la Convention de Genève », et seraient susceptibles d’être exposées de ce fait à des persécutions. Finalement, l’appelante met encore en exergue l’absence de protection de la part de l’Etat ivoirien, renvoyant dans ce contexte à un arrêt de la Cour nationale du droit d’asile de France du 14 novembre 2022 (n° 22040868) d’après lequel le durcissement de la législation relative au mariage forcé en Côte d’Ivoire n’affecterait pas la présence de ce phénomène et elle affirme qu’il n’existerait aucune « bonne raison » de penser que les faits subis par elle ne se reproduiront pas en cas de retour dans son pays d’origine.

Partant, il conviendrait de lui accorder le statut de réfugié, sinon le statut conféré par la protection subsidiaire.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en renvoyant plus particulièrement aux développements, tant en fait qu’en droit, des premiers juges.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne 11peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Il se dégage de la lecture combinée des articles 2, sub h), 2, sub f), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 que doit être considérée comme réfugié toute personne qui a une crainte fondée d’être persécutée et que la reconnaissance du statut de réfugié est notamment soumise aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d'origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l'article 48 », ledit article 48 loi énumérant en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ». L'octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il s’y ajoute que la définition du réfugié contenue à l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2, sub g), de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur de protection internationale ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux 12termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du juge devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

L’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par l’appelante au cours de son entretien, ensemble les explications fournies par les parties à l’instance de part et d’autre, amènent la Cour à la conclusion que les premiers juges sont à confirmer en ce qu’ils ont rejeté le recours de l’appelante, et ce indépendamment de la question des quelques incohérences mises en avant par le ministre au sujet du récit de Madame (A).

En effet, la Cour dégage de l’examen des faits et motifs invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale et des pièces produites en cause que l’appelante est restée et reste en défaut d’établir des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécutions du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social susceptible de lui ouvrir droit au statut de réfugié au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015, respectivement de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, points a) et b), de ladite loi du 18 décembre 2015.

S’il est certes exact que les mariages forcés et la pratique de l’excision constituent des phénomènes qui sont encore répandues dans certaines régions de la Côte d’Ivoire, il n'en reste pas moins que les éléments d’appréciation soumis en cause ne permettent pas de conclure que toutes les femmes ivoiriennes, qui entendent se soustraire à un mariage imposé et à la pratique de l’excision, seraient regardées par tout ou partie de la société guinéenne comme transgressives à l’égard de ces coutumes encore en vigueur, de sorte qu’elles seraient susceptibles d’être exposées de ce fait à des persécutions contre lesquelles les autorités refuseraient ou ne seraient pas en mesure de les protéger.

Dans ce contexte, les premiers juges ont notamment relevé à bon escient que les prétendus auteurs des persécutions, respectivement des atteintes graves invoquées par l’appelante, à savoir ses oncles et la famille de son compagnon, n’ont aucun lien avec l’Etat ivoirien, de sorte qu’un statut de protection internationale ne saurait être accordé à Madame (A) qu’à condition qu’elle rapporte la preuve que les autorités ivoiriennes ne sont pas capables, respectivement pas disposées à lui fournir une protection suffisante contre un mariage forcé respectivement une excision, ce qu’elle reste, indépendamment de la question de la crédibilité de son récit, en défaut d’établir en l’espèce.

En effet, la condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire est celle de l’absence de protection dans le pays d’origine au sens des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015. Le demandeur de protection internationale doit fournir à cet égard la preuve que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou pas disposées à lui fournir une 13protection suffisante. Chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, elle n’a pas besoin de la protection internationale. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte.

Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exige par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou atteintes graves. Cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés des structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ou des atteintes graves ne sauraient être admises dès la commission matérielle d’un acte criminel mais seulement dans l’hypothèse où les actes de violence physique ou verbale commis par une personne seraient encouragés ou tolérés par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

A cet égard, il convient de souligner l’importance de rechercher la protection des autorités du pays d’origine puisqu’à défaut d’avoir au moins tenté de solliciter une forme quelconque d’aide, le demandeur de protection internationale ne saurait reprocher aux autorités étatiques une inaction volontaire ou un refus de l’aider.

En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection. Or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de menaces et violences, communément la forme d’une plainte.

Il convient de noter à ce stade, à l’instar des premiers juges, que la loi ivoirienne réprime pénalement les pratiques de mariages forcés et de mutilations génitales féminines et que l’Etat ivoirien a pris diverses mesures afin de lutter contre celles-ci. Ainsi, il se dégage d’un rapport du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides du 24 octobre 2019, intitulé « COI Focus – Côte d’Ivoire – Les mutilations génitales féminines (MGF) », que des « gender desks », destinés à prendre en charge les victimes de violences basées sur le genre, ont été installés dans 32 commissariats de police et les brigades de gendarmerie ivoiriens. Par ailleurs, il ressort du 14même rapport que 52 « plates-formes VBG1 », composées de représentants des structures étatiques impliquées dans la lutte contre ces violences, d’agences onusiennes, d’organisations non gouvernementales nationales et internationales, ainsi que d’organisations de la société civile, sont réparties en Côte d’Ivoire, dont 12 à …, afin d’améliorer la prévention ainsi que la prise en charge des violences basées sur le genre, y compris les mariages forcés.

Cependant, il ne ressort pas des déclarations de l’appelante ni des pièces produites en cause que les autorités ivoiriennes compétentes aient refusé ou aient été dans l’incapacité de lui fournir une protection. Au contraire, il ressort de ses déclarations lors de l’entretien auprès du ministère qu’elle n’a pas dénoncé les agissements dont elle a fait état et qui ont été repris ci-dessus, ni demandé une protection quelconque auprès des autorités ivoiriennes, que ce soit contre le risque d’un mariage forcé et les menaces et violences subies dans ce contexte, ou encore le risque d’une excision.

Or, il aurait appartenu à Madame (A) au moins de tenter de porter plainte contre les prétendus agissements de ses oncles, ce qu’elle n’a pourtant pas fait – le même constat s’imposant concernant les agissements des parents de son compagnon. Hormis le fait de prétendre que les mesures prises par les autorités ivoiriennes pour lutter contre les pratiques du mariage forcé et d’excision ne seraient pas efficaces, il échet de constater que l’appelante est restée en défaut d’apporter des éléments concrets qui pourraient permettre d’établir que dans son cas précis, il aurait été vain de s’adresser aux forces de l’ordre de son pays d’origine.

Par conséquent, à défaut d’avoir concrètement recherché de l’aide auprès des autorités de son pays d’origine, mettant ces dernières dans l’incapacité d’accomplir leurs missions, aucune défaillance ou inefficacité ne saurait leur être reprochée, tel que relevé à juste titre par la partie étatique.

Pour le surplus, il échet encore de constater, d’un côté, que l’appelante, actuellement âgée de … ans, n’est pas obligée de vivre à proximité de ses oncles en cas de retour en Côte d’Ivoire – étant précisé qu’elle n’a habité auprès de ces derniers qu’en 2010 ou 2011 à l’âge de … ou … ans – et qu’elle ne se trouve plus dans la même situation de dépendance vis-à-vis de ceux-ci qu’à cette époque, ni n’est-elle obligée de rejoindre les parents de son compagnon, étant relevé que d’après les dires de Madame (A), ce dernier ne partage pas les vues de sa famille par rapport au phénomène de l’excision.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que les conditions d’octroi du statut du réfugié au sens de l’article 2, sub f) de la loi du 18 décembre 2015, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire au sens des articles 2, sub g), et 48, points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 ne sont pas remplies, de sorte que les premiers juges sont à confirmer en ce qu’ils ont rejeté le recours de l’appelante sur ces bases.

Enfin, concernant l’ordre de quitter le territoire, dès lors que l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 dispose qu’« une décision du ministre vaut décision de retour. (…) » et qu’en vertu de l’article 2, sub q), de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », l’ordre de quitter est à considérer comme constituant la conséquence automatique du refus de protection internationale, avec comme conséquence pour le cas d’espèce, 1 Violences basées sur le genre.

15où le rejet ministériel de la demande de protection internationale vient d’être déclaré justifié dans ses deux volets, que l’ordre de quitter n’est pas sérieusement critiquable ni critiqué, étant relevé qu’il vient d’être retenu ci-avant que les craintes invoquées par l’intimé ne véhiculent pas un risque réel et actuel de subir des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’invocation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 qui dispose que : « L'étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

En effet, dans la mesure où la Cour vient de constater que les craintes invoquées par l’appelante ne véhiculent pas un risque réel de subir des atteintes graves, le renvoi de celle-ci vers Côte d’Ivoire ne saurait être incompatible avec ledit article 129, précité.

Il s’ensuit que le jugement est encore à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer cet ordre.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelante.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel du 4 avril 2025 en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelante ;

partant, confirme le jugement entrepris du 4 mars 2025 ;

donne acte à l’appelante qu’elle déclare bénéficier de l'assistance judiciaire ;

condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Annick BRAUN, conseiller, 16et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence de la greffière assumée à la Cour Carla SANTOS.

s. SANTOS s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 juin 2025 Le greffier de la Cour administrative 17


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49666
Date de la décision : 10/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 17/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2025-06-10;49666 ?

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