N° 99 / 2025 du 05.06.2025 Numéro CAS-2024-00144 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, cinq juin deux mille vingt-cinq.
Composition :
Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Gilles HERRMANN, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.
Entre la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-ADRESSE1.), représentée par le gérant, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), demanderesse en cassation, comparant par Maître Andreas KOMNINOS, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et 1) PERSONNE1.), et 2) PERSONNE2.), les deux demeurant ensemble à L-ADRESSE2.), 3) PERSONNE3.), demeurant à L-ADRESSE3.), défendeurs en cassation, comparant par Maître Stéphanie STAROWICZ, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu.
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Vu le jugement attaqué numéro 2024TALCH14/00081 rendu le 10 juillet 2024 sous le numéro TAL-2023-04525 du rôle par le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en matière de bail commercial et en instance d’appel ;
Vu le mémoire en cassation signifié par la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) à PERSONNE3.) le 19 septembre 2024, et à PERSONNE1.) et à PERSONNE2.) le 20 septembre 2024, déposé le 27 septembre 2024 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 14 novembre 2024 par PERSONNE1.), PERSONNE2.) et PERSONNE3.) à la société SOCIETE1.), déposé le 18 novembre 2024 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions de l’avocat général Anita LECUIT ;
Vu le mémoire en réplique signifié le 2 mai 2025 par la société SOCIETE1.) à PERSONNE1.), à PERSONNE2.) et à PERSONNE3.), déposé le 6 mai 2025 au greffe de la Cour ;
Entendu Maître Anne Sophie BOUL, en remplacement de Maître Andreas KOMNINOS, Maître Stéphanie STAROWICZ et Madame Marie-Jeanne KAPPWEILER, procureur général d’Etat adjoint.
Sur la recevabilité du pourvoi Le Ministère public soulève l’irrecevabilité du pourvoi pour avoir été introduit en dehors du délai légal.
Aux termes de l’article 7 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation (ci-après « la loi du 18 février 1885 »), le délai pour l’introduction du recours en cassation, qui courra pour les arrêts et jugements contradictoires du jour de la signification ou de la notification à personne ou à domicile, et pour ceux par défaut, du jour de l’expiration du délai pour y former opposition, est fixé à deux mois pour la partie demanderesse en cassation qui demeure dans le Grand-Duché.
Selon l’article 10, alinéa 1, de la même loi, pour introduire son pourvoi, la partie demanderesse en cassation devra, sous peine d’irrecevabilité, dans les délais prescrits à l’article 7 précité, déposer au greffe de la Cour un mémoire signé par un avocat à la Cour et signifié à la partie adverse.
Il résulte des actes de procédure auxquels la Cour peut avoir égard que le jugement attaqué a été signifié à la demanderesse en cassation le 24 juillet 2024.
Le délai pour déposer le mémoire en cassation au greffe de la Cour a partant expiré le mardi 24 septembre 2024.
Le mémoire en cassation, signifié aux défendeurs en cassation les 19 et 20 septembre 2024, a été déposé au greffe de la Cour en date du 27 septembre 2024.
La demanderesse en cassation fait plaider que l’article 10, alinéa 1, de la loi du 18 février 1885 serait contraire à l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « la Convention ») consacrant le droit d’accès à un tribunal. Le mémoire en cassation ayant été signifié aux défendeurs en cassation dans le délai de deux mois, exiger en outre qu’il soit déposé au greffe de la Cour dans le même délai, serait constitutif d’un formalisme excessif portant atteinte à son droit d’accès au juge et écourterait le délai de deux mois dans lequel elle doit introduire son pourvoi.
A titre subsidiaire, elle fait valoir que l’article 10, alinéa 1, de la loi du 18 février 1885 serait contraire à l’article 110 de la Constitution, qui garantit le respect des droits de la défense, et au principe général du droit relatif à la sécurité juridique.
Elle demande partant à la Cour de déclarer inconstitutionnel l’article 10, alinéa 1, précité, sinon de poser à la Cour constitutionnelle les questions préjudicielles suivantes :
« L’article 10 alinéa 1er de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, en ce qu’il impose que le mémoire en cassation signifié soit déposé dans le délai de 2 mois imparti par l’article 7 alinéa 1er de la prédite loi, est-il conforme au droit à un procès équitable et aux droits de la défense tels qu’ils sont protégés par l’article 110 de la nouvelle Constitution ? » et « L’article 10 alinéa 1er de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, en ce qu’il impose que le mémoire en cassation signifié soit déposé dans le délai de 2 mois imparti par l’article 7 alinéa 1er de la prédite loi, est-il conforme au principe général du droit relatif à la sécurité juridique ? » Le droit d’accès au juge, garanti par l’article 6 de la Convention, n’est pas absolu. Les Etats peuvent édicter des prescriptions destinées à réglementer les recours qu’ils organisent et à en fixer les conditions d’exercice.
L’article 10, alinéa 1, de la loi du 18 février 1885 fait partie des dispositions réglant les modalités de saisine des juridictions, et notamment celles relatives à l’exercice des voies de recours, qui constituent des règles d’ordre public.
Il résulte des termes clairs et univoques des articles 7 et 10, alinéa 1, précités que le délai pour introduire un pourvoi en cassation est de deux mois et que l’introduction d’un pourvoi en cassation se fait par le dépôt au greffe d’un mémoire en cassation signé par un avocat à la Cour et signifié à la partie adverse.
La demanderesse en cassation, qui se base sur la prémisse erronée que le recours en cassation est introduit par la signification du mémoire à la partie défenderesse en cassation, reste en défaut de justifier en quoi les modalités, claires et prévisibles, d’exercice du recours prescrites par l’article 10, alinéa 1, de la loi du 18 février 1885 écourteraient le délai pendant lequel elle doit introduire son pourvoi, ni en quoi elles seraient préjudiciables au principe de sécurité juridique ou à la bonne administration de la justice.
Les questions préjudicielles soulevées étant dénuées de tout fondement, il n’y a pas lieu d’en saisir la Cour constitutionnelle.
Il s’ensuit que le pourvoi est irrecevable pour être tardif.
Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure La demanderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.
Il serait inéquitable de laisser à charge des défendeurs en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de leur allouer une indemnité de procédure de 5.000 euros.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation déclare le pourvoi irrecevable ;
rejette la demande de la demanderesse en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne la demanderesse en cassation à payer aux défendeurs en cassation une indemnité de procédure de 5.000 euros ;
la condamne aux frais et dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Stéphanie STAROWICZ, avocat à la Cour, sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Agnès ZAGO en présence de l’avocat général Claude HIRSCH et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation Société à responsabilité limitée SOCIETE1.) sàrl c/ 1. PERSONNE1.) 2. PERSONNE2.), née PERSONNE4.) 3. PERSONNE3.), née PERSONNE5.) (affaire n° CAS-2024-00144 du registre) Le pourvoi en cassation, introduit par Maître Andreas KOMNINOS, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, au nom et pour le compte de la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) sàrl par un mémoire en cassation signifié les 19 et 20 septembre 2024 à PERSONNE1.), PERSONNE2.), née PERSONNE4.) et PERSONNE3.), née PERSONNE5.) et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 27 septembre 2024, est dirigé contre un jugement n° 2024TALCH14/00081, numéro TAL-2023-04525 du rôle, rendu le 10 juillet 2024 par le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en matière de bail commercial, statuant contradictoirement.
Les parties défenderesses PERSONNE1.), PERSONNE2.), née PERSONNE4.) et PERSONNE3.), née PERSONNE5.) ont signifié un mémoire en réponse en date du 14 novembre 2024 et l’ont déposé au greffe de la Cour en date du 18 novembre 2024. Ce mémoire en réponse peut être pris en considération pour avoir été déposé dans les forme et délai prévus aux articles 15 et 16 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.
Dans le cadre de son pourvoi, la demanderesse en cassation indique que le jugement d’appel lui aurait été signifié en date du 24 juillet 2024. Elle ne communique toutefois pas l’acte de signification et aucune autre pièce à laquelle Votre Cour peut avoir égard, ne paraît de nature à établir la réalité de la date ainsi avancée.
Dans leur mémoire en réponse, les défenderesses en cassation s’en remettent à « la prudence de la Cour pour ce qui est de la recevabilité en la pure forme du mémoire de cassation » – formulation qui, sans comporter d’observation spécifique sur la date de signification alléguée, peut toutefois s’entendre comme une contestation implicite générale sur la régularité du mémoire en cassation.
Principalement, la soussignée se limite à l’examen de la recevabilité du pourvoi en formulant les observations suivantes :
Aux termes de l’article 10, alinéa 1er, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, la demanderesse en cassation, pour introduire son pourvoi, doit, sous peine d’irrecevabilité, dans les délais prescrits à l’article 7 de la même loi, déposer au greffe de la Cour supérieure de justice un mémoire signé par un avocat à la Cour et signifié aux parties adverses.
Aux termes de l’article 7 de la même loi, le délai pour l’introduction du recours en cassation, qui court pour les arrêts et jugements contradictoires du jour de la signification ou de la notification à personne ou à domicile, et pour ceux par défaut, du jour de l’expiration du délai pour y former opposition, est fixé à deux mois pour la demanderesse en cassation qui, comme en l’espèce, demeure dans le Grand-Duché.
Si donc la date de signification du 24 juillet 2024 avancée par la demanderesse en cassation devait être retenue pour exacte, il en résulterait que le délai pour déposer au greffe de la Cour supérieure de justice le mémoire en cassation aurait expiré le 24 septembre 2024. Etant donné que le dernier jour du délai était un mardi, qui n’était pas un jour férié légal, ce délai n’a pas été prorogé.
Il en résulterait que le pourvoi en cassation déposé le vendredi 27 septembre 2024 l’aurait été hors du délai de deux mois impartis par les articles 7 et 10, alinéa 1er précités, de sorte qu’il encourrait l’irrecevabilité.1 Dans la mesure où, en l’occurrence, le dossier ne recèle aucune pièce de nature à corroborer expressément la date de signification mentionnée par la demanderesse en cassation, il appartiendra à Votre Cour, - soit de constater, -sur base des affirmations de la demanderesse concernant la date de la signification du jugement entrepris-, l’irrecevabilité du pourvoi en cassation au vu du dépôt tardif, - soit, si Vous le jugez opportun, de solliciter la production de l’acte de signification invoqué.
Sur ce point -les droits de la défense n’étant pas impactés-, la soussignée s’en remet à la sagesse de Votre Cour.
1 Voir en ce sens, Cour de cassation, civil, 5 juillet 2018, numéro 78/2018, n°3988 du registre ; Cour de cassation, civil, 17 mars 2022, n° 40/2022, numéro CAS-2021-00011 du registre Subsidiairement, dans un souci d’exhaustivité, une analyse au fond est proposée :
Faits et rétroactes En date du 17 octobre 2017, PERSONNE1.), PERSONNE2.) et PERSONNE3.) ont conclu un contrat de bail commercial avec la société SOCIETE1.) pour un loyer mensuel de 22.000, -
EUR.
Par requête déposée le 6 décembre 2022, ils ont sollicité la condamnation de la société SOCIETE1.) au paiement de la somme de 324.358,74 EUR à titre d’arriérés de loyers et de charges, ainsi que la résiliation du contrat de bail et la condamnation de la société SOCIETE1.) au déguerpissement des lieux.
Par jugement n° 835/23 rendu le 14 mars 2023, le tribunal de paix de et à Luxembourg, siégeant en matière de bail commercial, a, entre autres, dit fondée la demande en paiement des arriérés de loyers à concurrence de 264.000,- EUR, condamné la société SOCIETE1.) au paiement de la somme de 264.000,- EUR avec les intérêts légaux à partir du 6 décembre 2022 jusqu’à solde, prononcé la résiliation du contrat de bail conclu entre les parties, condamné la société SOCIETE1.) à quitter les lieux endéans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et dit non fondées la demande en paiement des arriérés de charges locatives ainsi que la demande reconventionnelle.
La société SOCIETE1.) a régulièrement interjeté appel contre ce jugement par exploits d’huissiers signifiés le 23 avril 2025 à PERSONNE1.), PERSONNE2.) et PERSONNE3.).
Par réformation partielle de la décision de première instance, le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg a, suivant jugement n° 2024TALCH14/00081, numéro TAL-2023-04525 du rôle, rendu le 10 juillet 2024, siégeant en matière de bail commercial et en instance d’appel, retenu que, « […] Par réformation du jugement entrepris, Condamne la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) sàrl à déguerpir des lieux loués avec tous ceux qui s’y trouvent de son chef au plus tard dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent jugement, Condamne la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) sàrl à payer à PERSONNE1.), à PERSONNE2.) et à PERSONNE3.) la somme de 52.742,34 EUR à titres des arriérés de charges locatives pour les années 2018 à 2021, avec les intérêts légaux à partir du 6 décembre 2022, jusqu’à solde, Pour le surplus confirme le jugement entrepris, […] » Ce jugement fait l’objet du présent pourvoi.
Il apparaît qu’en l’occurrence les deux moyens de cassation tirés, respectivement, du défaut de réponse à conclusions et du défaut de motifs, bien que distinctement formulés, s’enracinent dans un même grief en ce qu’ils visent la même carence dans le raisonnement de la décision attaquée. Par conséquent, dans la mesure où leur appréciation implique une analyse identique, il convient de les examiner conjointement.
Sur le premier et le deuxième moyen de cassation pris ensemble Les deux moyens de cassation sont tirés de la violation de l’article 109 de la Constitution révisée, de l’article 249 alinéa 1er du Nouveau code de procédure civile, ainsi que de l’article 61 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour défaut de réponse à conclusion (premier moyen), pour défaut de motifs (deuxième moyen) ;
en ce que l’arrêt entrepris a retenu, sur la question de la nullité de certaines dispositions du contrat de bail commercial que « le moyen est dès lors à rejeter pour être non fondé tant en ce qu’il est basé sur le caractère léonin de l’article 2, paragraphe 8, sinon paragraphe 10 et de l’article 4 paragraphes 1 et 2 du contrat de bail, qu’en ce qu’il est basé sur l’arrêt Chronopost » ;
alors que, les juges d’appel n’ont pas répondu aux conclusions de la partie demanderesse en cassation sur le moyen de nullité fondé sur l’arrêt Chronopost soulevé par elle (premier moyen) ;
alors que, les juges d’appel n’ont pas motivé leur décision sur le moyen de nullité fondé sur l’arrêt Chronopost soulevé par la partie demanderesse en cassation (deuxième moyen) ;
qu’en statuant de la sorte, le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg siégeant en matière de bail commercial et en instance d’appel a violé l’article 109 de la Constitution révisée, l’article 249 alinéa 1er du Nouveau code de procédure civile ainsi que l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droit de l’homme et des libertés fondamentales.
L’unique moyen de cassation, lu ensemble avec la discussion qui le complète, revient en substance à faire grief aux magistrats d’appel de ne pas avoir satisfait à leur obligation de motivation en ce qu’ils n’auraient répondu qu’au reproche tiré du caractère léonin des clauses contractuelles litigieuses, tout en omettant de répondre au moyen tiré de la jurisprudence Chronopost fondé sur l’atteinte aux obligations essentielles du contrat. Or, la nullité basée sur le caractère léonin et celle basée sur l’arrêt Chronopost seraient deux bases légales distinctes qui appelleraient deux appréciations et motivations distinctes.
Il est rappelé que le défaut de réponse à conclusions est une des formes du défaut de motifs. En raison de la nature de vice de forme que revêtent le défaut de motifs et le défaut de réponse à conclusions, le juge a satisfait à la loi dès que la décision comporte un motif ou une réponse à conclusions, si incomplets, inopérants ou implicites soient-ils.2 Cela revient à dire qu’une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation expresse ou implicite, fût-elle incomplète ou viciée, sur le point considéré.3 En l’espèce, le tribunal a motivé sa décision de déclarer non fondée la nullité de certaines dispositions du contrat de bail commercial4 tant en ce qu’elle est basée sur le caractère léonin qu’en ce qu’elle est basée sur l’arrêt Chronopost, par les considérations suivantes :
« […] La société SOCIETE1.) fait ensuite valoir qu’il y aurait lieu à annulation de l’article 2, paragraphe 8, sinon paragraphe 10 et de l’article 4 paragraphes 1 et 2 du contrat de bail principalement pour constituer des clauses léonines, sinon subsidiairement en application de l’arrêt CHRONOPOST rendu par la Cour de cassation française en date du 22 octobre 1996.
Elle soutient que ces dispositions auraient pour conséquence de faire peser sur le bailleur comme seule obligation la remise des clés et la mise à disposition des lieux loués. Le bailleur serait ainsi déchargé de toutes les autres obligations typiques lui incombant en matière de bail.
A contrario, cela ferait peser sur le locataire toutes les obligations de mise en conformité des locaux et, partant, les risques éventuels qui en découleraient faisant obstacle à l’exploitation des lieux et plus particulièrement ceux dont les solutions relèveraient des seuls pouvoirs du bailleur.
L’article 2, paragraphe 8, sinon paragraphe 10 et de l’article 4 paragraphes 1 et 2 du contrat de bail créeraient dès lors un déséquilibre significatif entre les cocontractants, alors qu’ils procureraient un avantage exorbitant au bailleur. En effet, le bailleur serait exonéré de ses obligations tenant à la nature du contrat. Les dispositions précitées videraient le contrat de sa substance.
A titre subsidiaire, la société SOCIETE1.) demande l’annulation de l’article 2, paragraphe 8, sinon paragraphe 10 et de l’article 4 paragraphes 1 et 2 du contrat de bail en application de jurisprudence issue de l’arrêt CHRONOPOST rendu par la Cour de cassation française en date du 22 octobre 1996.
Les parties intimées concluent au rejet de la demande en annulation au motif que l’article 2, paragraphe 8, sinon paragraphe 10 et de l’article 4 paragraphes 1 et 2 du contrat de bail auraient été librement négociés entre parties et que la société SOCIETE1.) aurait obtenu une gratuité de loyer à titre de contrepartie.
Elles font valoir que les clauses litigieuses ne présenteraient aucune disproportion, de sorte que la nullité ne serait pas justifiée.
2 Voir p.ex. Cass. 6 janvier 2011, n° 2810 du registre (premier moyen de cassation) 3 J. et L. BORÉ, La cassation en matière pénale, 6ème édition 2023/2024, n° 77.41 4 Point 2.1.1. du jugement attaqué, page 5 et ss Elles contestent encore l’application de l’arrêt CHRONOPOST au motif que la preuve d’un trouble de jouissance paisible dans le chef de la société SOCIETE1.) ne serait pas rapportée en l’espèce.5 Appréciation […] En ce qui concerne la demande en annulation pour cause de caractère léonin, il y a lieu de rappeler qu’une clause léonine a pour but de procurer, lors de l’exécution du contrat, à l’un des cocontractants un avantage exorbitant par rapport aux autres (JurisClasseur civil, archives antérieures au 1er octobre 2016, art. 1146 à 1155, fasc. 22).
De prime abord, le tribunal relève que l’article 2 du contrat de bail comporte plusieurs paragraphes et que ceux-ci ne sont pas numérotés. Ensuite, le tribunal ne parvient pas à retracer la numérotation des paragraphes telle que reprise par la société SOCIETE1.). Compte tenu du fait que les paragraphes dont l’annulation est demandée sont cités dans leur intégralité dans l’acte d’appel, le tribunal fera abstraction de toute numérotation en relation avec lesdits paragraphes.
Les paragraphes de l’article 2 du contrat de bail dont l’annulation est sollicitée se lisent comme suit :
« Le locataire s’engage à payer, outre le loyer ses frais de chauffage, d’eau, taxe de canalisation, d’électricité, de téléphone, frais d’entretien et de mise en conformité des locaux, des ascenseurs, etcetera, ses frais pour l’enlèvement et l’incinération des ordures ménagères ainsi que toutes les taxes des compteurs correspondants etcetera.
Le locataire s’engage aussi à payer tous les frais d’entretiens, de réparations et de remplacements des refroidissements chaud et froid, ses raccords, les câblages électriques, centrale électrique, alarme, raccords téléphoniques, les conduites à air, armoires de bureaux, toit, coupoles, faux planchers, peinture, porte électrique au sous-sol, double plafond avec ses lampes etcetera ».
L’article 4, paragraphes 1 et 2 du contrat de bail se lit comme suit :
« a) Le locataire déclare connaître parfaitement les locaux qui sont repris par lui dans lequel ils se trouvent actuellement. Le locataire s’engage à faire tous les travaux nécessaires selon les règlements de la Police des Bâtisses à la rénovation à ses propres frais et ne peut en aucun cas réclamer un remboursement aux propriétaires. Toutes les réparations, transformations, remplacement et modifications incombent au locataire.
Le locataire fera réparer et remplacer au besoin tout appareil ou installation détériorés pendant la durée du bail commercial y compris le remplacement éventuel de la chaudière à gaz, ascenseurs, air conditionné, fenêtres, toit, coupoles, portes, toilette, lavabo et cetera ».
L’article 1719 du code civil dispose :
5 Pour une meilleure lisibilité, il est précisé que les développements qui précèdent ont trait à l’exposé des prétentions des parties. La motivation du tribunal n’est articulée qu’à la suite, sous l’intitulé « Appréciation ».
« Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :
1. de délivrer au preneur la chose louée ;
2. d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ;
3. d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail. » L’article 1720 du même code continue : « Le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce. Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives. » Sont ainsi en principe à la charge du bailleur les réparations relatives aux égouts et aux canalisations, aux installations sanitaires et de chauffage, à l’électricité et au tableau électrique.
Les dispositions susvisées ne sont toutefois pas d’ordre public, de sorte que les parties peuvent y déroger dans le contrat par une clause dispensant le bailleur de son obligation d’entretien ou de réparation. Si de telles clauses sont en principe licites, elles sont cependant d’interprétation stricte et à interpréter en faveur de celui qui s’oblige, donc du locataire. (Lex THIELEN, Le contrat de bail en droit luxembourgeois, n°92, p.83).
En l’espèce, il ne résulte d’aucun élément de la cause que les clauses litigieuses du contrat n’aient pas été librement négociées entre parties au moment de la conclusion du contrat de bail.
Il est constant en cause que les lieux loués nécessitaient des travaux afin que la société SOCIETE1.) puisse y exercer son activité commerciale.
Il résulte du contrat de bail que ces travaux ont été évalués à la somme de 400.000 euros et que la société SOCIETE1.) s’est vu allouer une gratuité de loyer de quatre mois en contrepartie de la réalisation de ces travaux. La société SOCIETE1.) s’est encore vu allouer une période de gratuité de cinq mois supplémentaires au titre de l’avenant au contrat de bail. Elle a donc bénéficié d’une gratuité de loyer de neuf mois.
Le tribunal retient que compte du fait que les clauses du contrat de bail ont été librement négociées entre parties et que la société SOCIETE1.) s’est vu allouer une contrepartie non négligeable en raison des travaux à réaliser à sa charge, l’article 2, paragraphe 8, sinon paragraphe 10 et de l’article 4 paragraphes 1 et 2 du contrat de bail n’accordent pas aux bailleurs un avantage exorbitant. Le simple fait que les travaux aient finalement coûtés plus chers qu’initialement évalués ne saurait entrainer une disproportion profitant aux bailleurs.
Par conséquent, le tribunal retient que l’article 2, paragraphe 8, sinon paragraphe 10 et de l’article 4 paragraphes 1 et 2 du contrat de bail constituent des clauses valables, de sorte qu’il n’y a pas lieu à annulation.
Le moyen est dès lors à rejeter pour être non fondé tant en ce qu’il est basé sur le caractère léonin de l’article 2, paragraphe 8, sinon paragraphe 10 et de l’article 4 paragraphes 1 et 2 du contrat de bail, qu’en ce qu’il est basé sur l’arrêt CHRONOPOST. » Les juges d’appel ayant ainsi respecté leur obligation de motivation, les critiques fondées sur l’irrégularité formelle de la décision entreprise ne sont pas fondées.
Il s’ensuit que ni le premier ni le deuxième moyen de cassation n’est fondé.
Dans un souci de complétude, la soussignée entend préciser que dans ses développements cités ci-dessus, le Tribunal, -après avoir mentionné les reproches articulés sur le fondement des clauses léonines et la jurisprudence Chronopost dans le cadre de l’exposé des prétentions de parties-, a répondu par une motivation globale à l’argumentation de la demanderesse en cassation, cette argumentation reposant sur une même situation de faits et un grief commun, à savoir la nullité des clauses contractuelles en raison de leur caractère déséquilibré et non conforme aux obligations essentielles du contrat de bail.
La Cour, dans une motivation unique, a ainsi rappelé que les articles 1719 et 1720 du Code civil ne sont pas d’ordre public et elle a ensuite, en se fondant sur la liberté de négociation et la réalité de la contrepartie concédée au locataire, conclu à l’absence d’avantage exorbitant au profit du bailleur. A partir de ce constat, le Tribunal a finalement rejeté tant la critique fondée sur le caractère léonin des clauses litigieuses que l’application de la jurisprudence Chronopost. Ce faisant il a conclu que les clauses n’étaient pas léonines et qu’elles ne vidaient pas les obligations essentielles du contrat de bail de leur substance, répondant ainsi à tous les reproches de la demanderesse en cassation de manière cohérente.
De l’avis de la soussignée il résulte dès lors de la motivation citée ci-dessus que le Tribunal a identifié et analysé l’argumentation tirée de la nullité des dispositions litigieuses du contrat en grief commun et qu’il y a répondu par une motivation unique. En procédant ainsi les juges du fond ont adéquatement motivé leur décision qui n’est donc pas entachée des vices de forme visés aux deux moyens de cassation sous analyse.
Conclusion Le pourvoi est irrecevable, sinon il est à rejeter.
Pour le Procureur général d’Etat L’avocat général Anita LECUIT 12