GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 52638C du rôle ECLI:LU:CADM:2025:52638 Inscrit le 3 avril 2025
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Audience publique du 20 mai 2025 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 3 mars 2025 (n° 49961 du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 52638C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 3 avril 2025 par la société à responsabilité limitée WH AVOCATS SARL, établie et ayant son siège social à L-1630 Luxembourg, 46, rue Glesener, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 265326, représentée aux fins des présentes par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Colombie), de nationalité colombienne, demeurant à L-…, …, dirigée contre le jugement rendu le 3 mars 2025 (n° 49961 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a débouté de son recours tendant à la réformation de la décision du ministre des Affaires intérieures du 19 décembre 2023 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et ordre de quitter le territoire;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 2 mai 2025;
1Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;
Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 13 mai 2025.
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Le 30 mars 2022, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après la « loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.
Les 9 janvier, 18 avril et 3 mai 2023, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 19 décembre 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après le « ministre », l’informa que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :
« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite en date du 30 mars 2022, sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
2 1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 30 mars 2022, le rapport d’entretien de l’agent ministériel du 9 janvier, du 18 avril et du 3 mai 2023 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande.
Il ressort de votre dossier que vous êtes né le … à … en Colombie, de nationalité colombienne, célibataire et que vous avez vécu à … avant votre départ, où vous auriez travaillé en tant qu’aide-pharmacien.
Concernant vos craintes en cas de retour en Colombie, vous expliquez que vous auriez été menacé à cause de votre orientation sexuelle et dû à votre activisme LGBTI. En cas d’un retour en Colombie, vous craindriez d’être tué.
En ce qui concerne les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, vous racontez que vous auriez été activiste pour les droits de l’Homme et les droits de la communauté LGBTI. Dans ce cadre, vous auriez adhéré à plusieurs groupes comme « Colombia Diversa », « Colectivo de Hombres Gay » ou encore « Caribe Affirmativo » avec l’ambition de défendre les droits de la communauté LGBTI et de donner une certaine visibilité aux personnes assassinées à cause de leur orientation sexuelle. Vous expliquez qu’en décembre 2021, vous auriez commencé à recevoir des menaces de mort par SMS, par email, sur Facebook et par des appels téléphoniques de la part d’un certain (B) qui se serait présenté comme un représentant d’un groupe armé dirigé par l’Etat colombien. Vous ne savez cependant jusqu’à ce jour pas de quel groupe il s’agirait. Ce dénommé (B) vous aurait envoyé une demande d’amitié sur Facebook que vous auriez naïvement acceptée. Vous auriez alors découvert qu’il serait membre de certains groupes sur Facebook tels que celui de la police colombienne et, de groupes nationalistes et homophobes. Vous l’auriez alors tout de suite bloqué mais étant donné que vous auriez publié toutes vos coordonnées sur votre page Facebook, vous auriez commencé à recevoir des menaces de mort et ceci à plusieurs reprises entre le 15 décembre 2021 et le 21 mars 2022. Vous ajoutez que vous auriez reçu des SMS, des emails et des messages sur Facebook et que plusieurs personnes se déplaçant en motos vous auraient rendu visite sur votre lieu de travail et vous auraient prévenu que si vous continuiez à publier des messages en faveur de la communauté LGBTI sur Facebook, ils n’hésiteraient pas à vous torturer et à vous tuer.
Vous auriez déposé une plainte en ligne contre (B) en date du 21 mars 2022 càd un jour avant de quitter votre pays le 22 mars 2022.
3 Vous racontez ensuite qu’en 2003, vous auriez été violé par un groupe armé nommé « Autodefensia Unidad Colombia » (AUC) appartenant à la police colombienne dans votre ville natale à …. Vous ajoutez qu’à l’époque, la police et les groupes paramilitaires auraient contrôlé le pays et que ces derniers vous auraient violé et torturé de sorte que vous auriez décidé de quitter … pour vous installer à …. Vous précisez cependant que ce groupe n’existerait plus aujourd’hui. Après ces actes d’agressions sexuelles, vous auriez rejoint un centre d’accueil pour victimes de violences ayant été contraintes de quitter leur domicile. Vous auriez déposé plainte contre vos agresseurs mais d’après vos propos il n’y aurait pas eu d’investigation pénale car I’AUC aurait contrôlé la police à l’époque. En 2018, le gouvernement en place se serait cependant rendu compte qu’aucune suite n’aurait été donnée à votre plainte et vous aurait, en guise de compensation, accordé une indemnisation correspondant à vingt-cinq salaires minimum en Colombie.
A l’appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les documents suivants :
- Votre passeport colombien ;
- des captures d’écran :
➢ de menaces qui vous auraient été envoyées sur votre compte Facebook par un dénommé (B) ;
➢ d’un email qui vous aurait été envoyé par un dénommé (B) ;
➢ d’un SMS qui vous aurait été envoyé par un dénommé (B) ;
➢ de la réponse automatique de la Fiscalia qui vous aurait été envoyée après le dépôt de votre plainte ;
➢ d’un email vous demandant des informations complémentaires par rapport à votre plainte ;
➢ d’un email reprenant des informations de références de votre plainte.
Les documents relatifs aux menaces que vous auriez reçus sont accompagnés d’une traduction assermentée. Concernant votre passeport, celui-ci a été déclaré comme étant un document authentique par l’Unité de Police à l’Aéroport.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
4• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée. Or, en l’espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.
Tout d’abord et tel que développé ci-après, il y a lieu de relever que le seul fait d’être homosexuel en Colombie ne suffit pas pour établir dans votre chef une crainte fondée de persécution d’autant plus que vous ne présentez aucun élément personnel portant à croire que vous seriez personnellement ciblé par les autorités colombiennes à cause de votre orientation sexuelle.
En effet, il convient de noter que si des faits ou des problèmes liés à l’orientation sexuelle tombent à priori dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015, force est toutefois de constater que votre seule supposée homosexualité combinée à des menaces qui vous auraient été envoyées sur les réseaux sociaux, par SMS, par email ou à des menaces verbales de la part de quelques personnes que vous n’auriez pas identifiées ne revêtent pas un caractère de gravité tel à pouvoir justifier dans votre chef une crainte fondée de persécution au sens des textes précités.
De plus, il échet de noter que concernant les dernières menaces que vous auriez reçues avant votre départ de Colombie, vous ne faites à aucun moment état d’une agression ou ne 5serait-ce que d’un quelconque incident concret dans lequel vous auriez été impliqué à cause de votre homosexualité, ni de quelconques discriminations que vous auriez vécues. Or, des seules menaces proférées en ligne ou par le passage d’un groupe d’hommes inconnus, au vu de leur manque de gravité manifeste, ne sauraient être perçues comme des actes de persécution tels que définis par la Convention de Genève et la Loi de 2015.
Ce constat vaut d’autant plus que la situation légale de la communauté LGBTI en Colombie est une des plus avancées des Amériques, sinon du monde. En effet, les relations homosexuelles y sont légales, tout comme l’est le mariage entre personnes du même sexe ou la reconnaissance du genre, tandis que des dispositions contre la discrimination de la communauté LGBTI sont en place :
« LGBTIQ people enjoy strong protection under the law; however, there are still barriers to full equality. Same-sex marriage has been legal in Colombia since 2011, and in 2016, Colombia’s Constitutional Court made it illegal to refuse marriage registration for same-sex couples. Since 2015, same-sex couples have been allowed to adopt, and the process for legal gender recognition has been simplified. Colombia has legal protections against discrimination and harassment on the grounds of sexual orientation and gender identity; however, these legal protections have yet to translate into better investigation and sentencing of perpetrators of hate crimes. Public opinion and treatment of LGBTIQ people vary greatly across Colombia. The 2022 congressional election was a historic victory for representation as a record number of LGBT candidates won, increasing the number from two to seven. Additionally, in March 2022, the Colombian Constitutional Court recognized third-gender classifications for nonbinary individuals ».
On peut pareillement noter que : « Colombia is a country that embraces diversity.
Colombia is one of the countries where same-sex marriage is legal and where adoption for same-sex couples is permitted. We have nation-wide anti-discrimination laws that protect our LGBT population in the different spheres of society. Trans people can also change their gender in all their identity documents as well as get a sex reassignment surgery through the public universal health system. And many other signs of progress that are too extensive for us to talk about here. Moreover, the Colombian national police has been certified as a friendly biz organization, which means this entity has a friendly relationship with the LGBT community.
All these efforts have not gone unseen by the travel industry. Colombia was named the best emerging LGBT destination in FITUR 2017, one of the world’s biggest international tourism trade fairs ».
A cela s’ajoutent que plusieurs grandes villes de Colombie accueillent notamment des marches et des manifestations annuelles en soutien de la communauté LGBTI, notamment les villes de Barranquilla, Carthagène, Medellin et …, votre ville de résidence où se situe en outre le plus grand club gay d’Amérique latine. A noter que votre ville de … est par ailleurs réputée pour la présence d’une grande communauté LGBTI, pour ses organisations de pride parades 6ou d’autres événements en faveur de cette communauté, tel l’Iberoamerican Theatre Festival en avril, la Bogotà Pride en juin et juillet, la Equality week également en juin et juillet, le Pink cinema en septembre, ou encore les Gay international festival et les LGBT trade en novembre.
De plus, la mairie de … s’est dotée d’un secrétariat à l’intégration sociale, s’occupant entre autres de la défense et de la promotion des droits de la communauté LGBTI et mène une politique publique active en vue de pousser davantage l’inclusion de cette communauté.
Enfin, on peut soulever que la Colombie connaît une multitude d’associations et d’organisations œuvrant activement et visiblement pour la défense ou la promotion des droits de la communauté LGBTI.
Au vu de tout ce qui précède, il ne saurait manifestement pas être retenu qu’il ne vous serait pas possible de continuer à vivre en tant que personne prétendument homosexuelle à …, voire, de façon plus générale en Colombie. Les seules menaces qui auraient été proférées contre vous ne sauraient du coup pas suffire pour justifier dans votre chef des craintes fondées de persécution au sens des textes précités mais se traduisent tout au plus par des craintes totalement hypothétiques. Vos motifs de fuite traduisant plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution.
Il y a également lieu de rappeler que vous ne soumettez pas le moindre élément de preuve que les agressions dont vous auriez été victime et les menaces que vous auriez ressenties auraient été proférées par des membres de groupes armés ayant un quelconque lien avec l’Etat colombien. Or, un acte de persécution commis par des tiers ne peut être considéré comme fondant une crainte légitime au sens desdits textes qu’en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.
Il n’est par ailleurs nullement démontré que vous n’auriez pas pu compter sur la protection des autorités colombiennes, voire, que celles-ci n’auraient pas pu ou pas voulu vous venir en aide ou vous permettre de faire valoir vos droits en Colombie. En effet, dans ce contexte il ressort uniquement de vos dires, qu’en date du 21 mars 2022 vous auriez déposé une plainte en ligne alors que le lendemain vous auriez quitté votre pays. Vous seriez par conséquent d’avis que la police ne voudrait pas vous protéger, voire, que le parquet aurait ignoré votre plainte.
Or, le seul constat de votre part estimant que le système judiciaire colombien serait lent et défaillant, ne saurait évidemment pas suffire pour permettre de conclure à un défaut de protection ou de volonté de protection de la part des autorités colombiennes. Dans ce contexte, on peut d’ailleurs ajouter que des policiers colombiens, dont une centaine stationnée à …, ont 7suivi des formations d’inclusion de la communauté LGBTI.
Concernant les agressions sexuelles dont vous auriez été victime en 2003, il y a lieu de noter que les actes que vous déclarez avoir subis sont trop éloignés dans le temps pour justifier l’octroi d’une protection internationale en 2023. En effet, les incidents en question remontent à il y a plus de vingt ans. De plus, il échet de constater que la Colombie d’aujourd’hui n’est absolument plus comparable à celle de 2003. Vous affirmez d’ailleurs vous-même que le groupe auquel aurait appartenu les hommes qui vous auraient violé n’existerait plus à ce jour et vous n’avez donc plus aucune raison fondée de craindre un quelconque acte de persécution par ce groupe. Ainsi ces craintes sont à qualifier de purement hypothétiques et non pas de crainte fondée de persécution. A cela s’ajoute que le fait que les autorités colombiennes, qui n’auraient pas donné suite votre plainte en 2003, aient reconnu avoir omis leurs obligations en vous accordant une indemnisation financière considérable plus de quinze ans après les faits, démontre clairement que la situation légale de la communauté LGBTI en Colombie n’est pas aussi précaire que vous souhaitez le faire croire.
Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi. L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il y a toutefois lieu de retenir qu’il n’existe manifestement pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir 8reconnaître le statut de réfugié, qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que courriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi de 2015.
En effet, vous omettez d’établir qu’en cas de retour en Colombie, vous risqueriez la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre votre vie ou votre personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Vos seules craintes de vous faire tuer par des personnes inconnues qui vous auraient menacé, ne sauraient en tout cas pas suffire pour contrebalancer cette conclusion et doivent, comme susmentionné, être définies comme étant totalement hypothétiques. Ce constat vaut d’autant plus qu’il ne saurait nullement être retenu comme avéré que vous n’ayez pas pu rechercher une protection auprès des autorités colombiennes, respectivement, que celles-ci ne voudraient ou ne pourraient pas vous aider ou vous permettre de faire valoir vos droits.
Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.
Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Colombie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2024, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision ministérielle du 19 décembre 2023 portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Par jugement du 3 mars 2025, le tribunal administratif déclara non fondé ce recours en ses deux volets, partant en débouta, le tout en condamnant le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 3 avril 2025, Monsieur (A) a régulièrement fait entreprendre le jugement du 3 mars 2025.
9 L’appelant réitère l’exposé de son vécu en Colombie et les déboires qu’il y aurait connus du fait de son homosexualité et de son activisme en faveur de la communauté LGBTQI+, spécialement de la part d’un dénommé (B), extrémiste de droite qui l’aurait menacée de mort s’il continuait à défendre les droits des LGBTQI+, et de personnes inconnues qui se seraient renseignées sur lui et seraient venues à son domicile.
En droit, il reproche aux premiers juges d’avoir mal appréciés la nature et la gravité des persécutions qu’il aurait subies et versé dans une erreur manifeste d'appréciation.
Ainsi, les premiers juges auraient erronément réduit son récit à l’exposé d’une « simple » appartenance à la communauté LGBTQI+, alors qu’il aurait précisé ses engagements et activités en tant que militant pour la défense des intérêts de cette communauté.
Ses persécutions et craintes trouveraient leur origine donc non seulement dans son orientation sexuelle, mais encore dans sa position exposée en tant que militant actif.
Il s’y ajouteraient le viol et les tortures qu'il aurait dû subir par des membres des forces de l'ordre et d'une milice dénommée « AUC - Autodefensia Unidad Colombia ».
Ensuite, ce serait à tort que le ministre et les premiers juges auraient mis en balance une protection suffisante en Colombie des membres de la communauté LGBTQI+ contre des persécutions, au motif que des discriminations et des violences contre les membres de la communauté LGBTQI+ resteraient à l’ordre du jour, tel que cela se dégagerait de rapports du US Department of State, de l'organisation « Human Rights Watch » et du « UNHCR » et que les démarches des autorités colombiennes en vue de la poursuite et de la répression des actes de violences commis seraient inefficaces.
Ainsi, les conditions pour pouvoir prétendre au statut de réfugié seraient remplies dans son chef et, par réformation du jugement entrepris, ledit statut devrait lui être accordé.
En ordre subsidiaire, les mêmes faits seraient à qualifier d'atteintes graves au sens de l'article 48, point b), de la loi du 18 décembre 2015, la communauté LGBTQI+ étant à considérer comme étant en danger malgré les protections légales, étant relevé que les sources internationales disponibles renseigneraient de nombreux cas d’homicides, violences, abus de la police et de menaces à l'encontre de la communauté LGBTQI+.
10En effet, faisant état de menaces concrètes dont il aurait été victime, son récit permettrait de dégager une situation de risque aggravée suffisante au sens de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015 justifiant la réformation du jugement a quo et l’octroi, à titre subsidiaire, d’une protection subsidiaire.
En conséquence directe, l'ordre de quitter le territoire serait à son tour à réformer, sinon pour le moins pour se heurter à l'article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l'immigration dans la mesure où son retour en Colombie l’exposerait à des traitements inhumains et dégradants.
De son côté, le délégué du gouvernement conclut en substance à la confirmation intégrale du jugement entrepris et de la décision ministérielle litigieuse, les deux tablant sur des appréciations justes tant en droit qu’en fait.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Il se dégage de la lecture combinée des articles 2, sub h), 2, sub f), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d'origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l'article 48 », ledit article 48 loi énumérant en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des 11menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ». L'octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
Il s’y ajoute que la définition du réfugié contenue à l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2, sub g), de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur de protection internationale ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du juge devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
L’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
Ceci étant rappelé, la Cour, à l’instar des premiers juges, arrive à la conclusion que les motifs de persécution essentiellement mis en avant par l’appelant, à savoir divers incidents dont il aurait été la victime du fait de son orientation sexuelle et de son rôle de militant pour la communauté LGBTQI+, en l’occurrence des actes de viol et de torture perpétrés par des membres des forces de l'ordre et de la milice « AUC » en 2003, d’une part, et des menaces de 12mort proférées à son encontre par un dénommé (B), ainsi que de personnes non autrement identifiées, d’autre part, ne sont pas de nature à justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef, ni par ailleurs une protection subsidiaire.
La Cour rejoint en premier lieu les premiers juges et fait siennes leurs considérations pertinentes que les actes de violences qui seraient survenus en 2003 remontent à pratiquement 20 ans avant l’introduction de la demande de protection internationale dont examen, de sorte que l’agression survenue -intrinsèquement d’une gravité incontestable, mais restée isolée- doit être considérée comme située à une période trop éloignée dans le temps pour refléter la situation telle qu’elle se présente actuellement en Colombie, spécialement eu égard à l’indemnisation perçue par lui de la part de l’Etat colombien de ce chef, de la disparition du groupe paramilitaire « AUC » et des efforts des autorités colombiennes d’intégrer la communauté LGBTQI+ dans la société civile, et elles ne sauraient dès lors justifier une crainte de persécution actuelle et sérieuse dans le chef de l’appelant en cas de retour dans son pays d’origine.
Pour la même raison d’un défaut d’actualité, les mêmes faits ne justifient pas non plus la reconnaissance d’un statut de protection subsidiaire.
Pour ce qui est des différentes menaces notamment de mort dont l’appelant déclare avoir été victime, l’analyse des craintes de persécution avancées par l’appelant sous ce rapport amène la Cour à rejoindre et à entériner celle des premiers juges les ayant fait conclure que le vécu de l’appelant et, plus particulièrement, les différents incidents dont il fait état ne permettent pas de dégager et de retenir dans son chef une crainte fondée de persécution, respectivement un risque réel de subir une atteinte grave au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, les faits ne revêtant pas un degré de gravité suffisante, critère inhérent aux deux régimes de la protection internationale.
En effet, au-delà de ce que le dénommé (B) appert constituer une personne privée ayant agi seule, une relation ou lien avec les autorités policières colombiennes restant essentiellement à l’état de simple spéculation, non concrètement soutenue par un faisceau d’indices concordants, force est de constater que les menaces simplement écrites émanant de lui n’ont pas été suivies d’un quelconque acte de violence concret et ne sont dès lors pas d’une gravité suffisante pour pouvoir être qualifiées d’actes de persécution au sens de la loi du 18 décembre 2015 et justifier l’octroi du statut de réfugié, respectivement pour fonder un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants et justifier une protection subsidiaire.
Quant aux risques ayant émané de personnes non autrement identifiées, qui seraient venues à plusieurs reprises, entre décembre 2021 et mars 2022, au lieu de travail de l’appelant ou à son domicile pour le pousser à cesser ses activités en faveur de la communauté LGBTQI+, les premiers juges ont relevé à bon escient que ce n’est que dans un seul cas de figure que 13l’intéressé a invoqué un fait personnel et concret de menace, en l’occurrence sur son lieu de travail et en présence de différents collègues de travail, de sorte que le caractère intimidant de cet incident reste somme toute très relatif. Par la suite, l’intéressé ne semble plus avoir été abordé personnellement par ces personnes et tous les autres incidents restent sans contact direct avec l’appelant.
Ainsi, comme à aucun moment, les prétendues menaces proférées à l’encontre de l’appelant n’apparaissent avoir été accompagnées ou suivies d’un quelconque acte concret contre sa vie ou sa personne, les faits ne sauraient être considérés comme atteignant le seuil de gravité requis pour pouvoir être qualifiées d’actes de persécution au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 ou ne serait-ce que d’atteinte grave au sens de l’article 48 de la même loi.
Il s’ensuit que les faits en question ne sont pas non plus de nature à justifier la reconnaissance d’une mesure de protection internationale.
Au regard de ce constat au niveau de la situation personnelle et individuelle de l'appelant, sa mise en balance d’une situation sécuritaire générale de la communauté LGBTQI+ en Colombie précaire ne saurait suffire pour ébranler les considérations qui précèdent, en tout cas dès lors que l’intéressé reste en défaut de démontrer à suffisance que la situation de la communauté LGBTQI+ en Colombie soit à l’heure actuelle telle que ses membres y risqueraient systématiquement de subir des actes homophobes ou discriminatoires, respectivement d’être arrêtés et emprisonnés ou de subir des actes susceptibles d’être qualifiés de persécutions du seul fait de leur orientation sexuelle, la Cour renvoyant et faisant sienne les considérations pertinentes des premiers juges y relativement, notamment en rapport avec les efforts de l’Etat colombien de sensibilisation de la population et de combattre les violences contre les membres de la communauté LGBTQI+.
Enfin, concernant l’ordre de quitter le territoire, dès lors que l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 dispose qu’« une décision du ministre vaut décision de retour.
(…) » et qu’en vertu de l’article 2, sub q), de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », l’ordre de quitter est à considérer comme constituant la conséquence automatique du refus de protection internationale, avec comme conséquence pour le cas d’espèce, où le rejet ministériel de la demande de protection internationale vient d’être déclaré justifié dans ses deux volets, que l’ordre de quitter n’est pas sérieusement critiquable ni critiqué, étant relevé qu’il vient d’être retenu ci-avant que les craintes invoquées par l’appelant ne véhiculent pas un risque réel et actuel de subir des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants.
14L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelant.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;
reçoit l’appel en la forme;
au fond, déclare l’appel non justifié et en déboute;
partant, confirme le jugement entrepris du 3 mars 2025;
donne acte à l’appelant de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire;
condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par :
Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.
s. SCHINTGEN s. CAMPILL 15