N° 86 / 2025 du 15.05.2025 Numéro CAS-2024-00134 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, quinze mai deux mille vingt-cinq.
Composition :
Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Gilles HERRMANN, conseiller à la Cour de cassation, Sonja STREICHER, conseiller à la Cour d’appel, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.
Entre PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par Maître Christian BOCK, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et l’établissement public SYNDICAT INTERCOMMUNAL DES VILLES DE DIEKIRCH ET D’ETTELBRUCK, représenté par le bureau syndical, établi et ayant son siège social à L-9202 Diekirch, 27, avenue de la Gare, inscrit au registre de commerce et des sociétés sous le numéro J100, défendeur en cassation, comparant par Maître Jean-Luc GONNER, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu.
Vu l’arrêt attaqué numéro 73/24-III-TRAV rendu le 16 mai 2024 sous le numéro CAL-2023-00433 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, troisième chambre, siégeant en matière de droit du travail ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 30 août 2024 par PERSONNE1.) à l’établissement public SYNDICAT INTERCOMMUNAL DES VILLES DE DIEKIRCH ET D’ETTELBRUCK (ci-après « SYNDICAT INTERCOMMUNAL »), déposé le 2 septembre 2024 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 21 octobre 2024 par le SYNDICAT INTERCOMMUNAL à PERSONNE1.), déposé le 29 octobre 2024 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint Marie-Jeanne KAPPWEILER.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal du travail de Diekirch avait débouté le demandeur en cassation de la demande en paiement de salaires pour la période au cours de laquelle le défendeur en cassation lui avait refusé l’accès au lieu de travail, faute d’avoir présenté un certificat de vaccination, un certificat de rétablissement ou un certificat de test Covid-19, et au cours de laquelle il n’avait partant pas presté le travail sans avoir pris des jours de congé, au motif qu’il avait perdu de plein droit la rémunération correspondante. La Cour d’appel a confirmé le jugement.
Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « En sa première branche :
Tiré de la violation, sinon mauvaise application, sinon mauvaise interprétation, sinon pour motif dubitatif valant défaut de motifs, de l’article 109 de la Constitution (anciennement l’article 89), de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, des articles 249 et 587 du nouveau Code de procédure civile (ci-
après ), lesquels disposent :
L’article 109 de la Constitution :
prononcé en audience publique. » Article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne :
indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l’effectivité de l’accès à la justice. » L’article 249 du nouveau Code de procédure civile :
jugements contiendra les noms des juges, du procureur d’Etat, s’il a été entendu, ainsi que des avoués ; les noms, professions et demeures des parties, leurs conclusions, l’exposition sommaire des points de fait et de droit, les motifs et le dispositif des jugements. (…). » L’article 587 du même code :
tribunaux inférieurs sont observées en instance d’appel ».
L’article 6 § 1 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales du 4 novembre 1950 et telle que ratifiée par le Grand-duché de Luxembourg par une loi du 29 août 1953 :
publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. ».
En ce que, l’arrêt attaqué s’est contenté d’ériger la Loi Covid en tant que et de citer de surcroit 3 arrêts de la Cour constitutionnelle (nos 00170, 00172 et 00178 du rôle) pour en conclure que cette dernière aurait déjà "Dans la mise en œuvre de la conciliation nécessaire des droits et libertés invoqués avec les exigences de la protection de la vie et de la santé publique, la Cour constitutionnelle ne sera amenée à conclure à la violation de la Constitution que s’il apparaît une rupture du juste équilibre, devant être préservé entre les risques existants et les moyens nécessaires pour y pallier par la mise en place d’une mesure inadéquate au regard de la situation, par nature évolutive, à laquelle le législateur avait à faire face.
Il ne résulte pas des éléments dont la Cour constitutionnelle a été saisie que la dangerosité liée à la propagation du virus Covid-19, dans la période au cours de laquelle les mesures de vaccination commençaient à être proposées à être proposées à la population en son ensemble, mais n’avaient pas encore produit les effets escomptés, ait été exagérée par les autorités publiques. Il ne saurait pas non plus être reproché à celles-ci d’avoir privilégié, face aux incertitudes avérées des connaissances scientifiques au moment où les mesures législatives discutées ont été prises, la prévention des risques, qui étaient rendus plausibles par les données disponibles tant au vu du nombre de décès qu’en terme de surcharge du système hospitalier mettant en danger l’accès aux soins pour toutes les catégories de la population." » Alors que, que le sujet, et la problématique, en l’espèce avaient pour thématique, un problème d’envergure sociétale, d’ordre sanitaire, mais aussi inexorablement lié à l’exercice des libertés fondamentales, dont celle d’aller et venir, celle de travailler, à titre exemplatif, et non exhaustif, l’arrêt attaqué s’est résolument figé dans un traitement laconique de la demande qui lui a été soumise, se faisant, exclusivement le porte-voix des motivations de la Cour Constitutionnelle qui n’a pourtant pas rendu d’avis ou de jugement dans une affaire similaire.
Que, le corpus de l’arrêt attaqué est d’autant plus structurellement limité, qu’il s’est simplement fait l’écho des arrêts rendus par la Cour Constitutionnelle, (i.e. n°00170 du 30 septembre 2022 ; n°00172 du 25 novembre 2022 et n°00178 du 3 mars 2023 rendus à propos de la problématique du port obligatoire du masque) Alors qu’en ce faisant, la motivation des juges d’appel est insuffisante pour justifier en quoi les trois arrêts de la Cour constitutionnelle auraient déjà statué sur la conformité constitutionnelle de certaines mesures de lutte contre la pandémie du Covid-19, alors que les faits gisant à la base des trois arrêts précités ne sont absolument pas identiques au cas d’espèce dont furent saisi le juge de première instance et les juges d’appel, mais surtout, en quoi une déclaration d’inconstitutionnalité a posteriori d’une ou de plusieurs dispositions de la Loi Covid (applicable à l’époque), ni d’une violation d’une norme découlant de la CEDH .
En sa deuxième branche :
Tiré de la violation, sinon mauvaise application, sinon mauvaise interprétation, de l’article 109 de la Constitution (anciennement l’article 89) et des articles 53 et 54 du Nouveau Code de Procédure Civile, violant les conditions essentielles à l’existence légale de la décision en statuant infra petita.
L’article 53 du NCPC dispose que :
les prétentions respectives des parties. » L’article 54 du NCPC dispose que :
qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé. » En ce que la Cour d’appel a retenu que la Cour constitutionnelle, dans ses arrêts n°00170 du 30 septembre 2022, n°00172 du 25 novembre 2022 et n°00178 du 3 mars 2023 aurait conclu que les mesures gouvernementales visées n’étaient pas contraires aux dispositions constitutionnelles visées, Alors qu’en ce faisant, sans se prononcer sur tout ce qui lui a été demandé et sans analyser les articles de la Constitution invoquées, notamment en expliquant en quoi les questions préjudicielles posées, se rapportant à une autre loi, à savoir la loi du 11 janvier 2022 portant modification de la loi modifiée du 17 juillet 2020 sur les mesures de lutte contre la pandémie Covid-19, applicable à partir du 15 janvier 2022, et non pas les lois anciennement mis en cause pardevant la Cour constitutionnelle du 9 janvier 2021 modifiant la loi modifiée du 17 juillet 2020 sur les mesures de lutte contre la pandémie Covid-19, du 14 septembre 2021 et du 15 juillet 2021, n’étaient pas pertinentes pour rendre un jugement dans le cadre du litige, la Cour d’appel a violé les textes de loi susmentionnés. ».
Réponse de la Cour Sur la première branche du moyen Aux termes de l’article 51, paragraphe 1, première phrase, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), « Les dispositions de la présente Charte s’adressent [..] aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union ».
La demande en paiement de salaires introduite par le demandeur en cassation n’appelle pas la mise en œuvre du droit de l’Union européenne, de sorte que les dispositions de la Charte sont étrangères au litige.
Il s’ensuit que le moyen est irrecevable en ce qu’il est tiré de la violation de l’article 47 de la Charte.
Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel, d’une part, de n’avoir répondu ni aux questions d’ordre sociétal, sanitaire et d’exercice des libertés fondamentales en s’étant limités à renvoyer à trois arrêts de la Cour constitutionnelle, auxquels il dénie toute pertinence au regard de la législation applicable ratione temporis et des contraintes imposées aux citoyens par la législation en discussion, ni au moyen tiré de l’inconstitutionnalité de la législation applicable à son action, et, d’autre part, de ne pas avoir motivé leur conclusion selon laquelle une déclaration d’inconstitutionnalité a posteriori d’une ou de plusieurs dispositions de cette législation ne changerait rien au constat que le défendeur en cassation n’aurait pas commis de faute engageant sa responsabilité en respectant les dispositions législatives obligatoires.
Une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, fût-elle viciée ou incomplète, sur le point considéré.
En retenant « La Cour n’a pas à prendre et ne prendra pas position par rapport aux commentaires et critiques générales formulés par l’appelant à l’encontre de la politique gouvernementale en matière de lutte contre la pandémie du Covid-19 et l’efficacité des vaccins.
Suivant l’article 6 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, lorsqu’une partie soulève une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution devant une juridiction, celle-ci est dispensée de saisir la Cour constitutionnelle lorsqu’elle estime soit qu’une décision sur la question soulevée n’est pas nécessaire pour rendre son jugement, soit que la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement, soit que la Cour constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet.
La loi du 17 juillet 2020 portant introduction d’une série de mesures de lutte contre la pandémie Covid-19 constitue une loi d’ordre public impérative.
L’article 11 de cette loi, dans sa version applicable au moment des faits, punit par ailleurs d’une amende administrative d’un montant maximum de 4.000 euros, “l’employeur qui ne respecte pas son obligation de contrôle visée à l’article 3septies”.
Les dispositions d’une loi ne perdent leur effet juridique qu’à la suite d’un arrêt de la Cour constitutionnelle les déclarant non conformes à la Constitution. La Cour constitutionnelle détermine en outre les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause (cf. article 112, paragraphe (8), actuel de la Constitution, ancien article 95ter, paragraphe (6), au moment des faits).
L’employeur souligne à juste titre qu’il n’a fait qu’appliquer les dispositions légales en vigueur.
En respectant les dispositions légales obligatoires relatives au “Covid-Check 3G”, l’intimé n’a pu commettre une faute de nature à engager sa responsabilité.
Il ne saurait lui être reproché de s’être conformé aux dispositions d’une loi et de ne pas s’être exposé à des sanctions pécuniaires lourdes.
Une déclaration d’inconstitutionnalité a posteriori d’une ou de plusieurs dispositions de la loi du 17 juillet 2020 portant introduction d’une série de mesures de lutte contre la pandémie Covid-19 ne changerait rien à ce constat.
Il en serait de même en cas de constatation éventuelle d’une violation par ces dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme.
Il s’ensuit qu’une décision sur les questions préjudicielles posées n’est pas nécessaire pour la solution du présent litige et il n’y partant pas lieu d’en saisir la Cour constitutionnelle. », les juges d’appel ont motivé leur décision sur les points considérés.
Il s’ensuit que le moyen, pris en sa première branche, n’est pas fondé.
Sur la seconde branche du moyen Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel de ne pas avoir statué sur l’intégralité de la demande qui leur était soumise en omettant de se prononcer sur la constitutionnalité de la législation applicable au litige.
Le principal, ou l’objet du litige au sens de l’article 53 du Nouveau Code de procédure civile, est déterminé par les prétentions respectives des parties, c’est-à-dire leurs demandes principales, reconventionnelles et incidentes, et non par les moyens soulevés de part et d’autre.
L’objet de la demande soumise par le demandeur en cassation aux juridictions du travail portait sur le paiement de salaires pour une période déterminée, demande qu’il entendait voir aboutir en soulevant le moyen d’inconstitutionnalité des dispositions légales invoquées par la défenderesse en cassation à l’appui de sa défense.
Les juges d’appel ont statué sur la demande en paiement des salaires.
Il s’ensuit que le moyen, pris en sa seconde branche, n’est pas fondé.
Sur le second moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation, sinon mauvaise application, sinon mauvaise interprétation de l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, ainsi que des principes constitutionnels découlant des anciens articles 10bis, 11 (4), 11 (5) de la Constitution, l’article 14 de la CEDH, l’article 1er du protocole n°12, et à la résolution 2361 du Conseil de l’Europe et de l’article L.312-1 du Code du travail.
En ce que, c’est à tort que la Cour d’appel a validé la régularité du / sur le lieu de travail, appliqué sur base de l’article 3septies, paragraphe (1), alinéa 1er, de la Loi Covid qui disposait ce qui suit :
de présenter sur son lieu de travail un certificat tel que visé aux articles 3bis, 3ter et 3 quater. Tout salarié, agent public et travailleur indépendant, titulaire d’un certificat de contre-indication à la vaccination contre la Covid-19 tel que visé à l’article 3bis, paragraphe 5, doit être en mesure de présenter sur son lieu de travail son certificat ainsi qu’un certificat de test tel que visé à l’article 3quater ou le résultat négatif d’un test autodiagnostique servant au dépistage du SARS-CoV-2 réalisé sur place. Cette obligation est contrôlée par l’employeur ou le chef de l’administration ou une autre personne désignée par eux. Le salarié, l’agent public ou le travailleur indépendant qui refuse ou est dans l’impossibilité de présenter l’un des certificats visés ci-dessus n’a pas le droit d’accéder à son lieu de travail. » En effet, la Cour d’appel a motivé sa décision en précisant que la Loi Covid constituait une loi d’ordre public impérative, punissant, dans son article 17 de sa version applicable au moment des faits, l’employeur par une amende administrative en cas de violation, pour rejeter la demande en paiement des arriérés de salaire et les questions préjudicielles de constitutionnalité posées.
Alors que ce faisant, le Tribunal de première instance et la Cour d’appel, ont indirectement remis en cause l’essence et l’utilité même de toute question préjudicielle à déférer à la Cour constitutionnelle en refusant de faire droit à la demande de la partie demanderesse en cassation à voir poser des questions préjudicielles à cette dernière sur la comptabilité d’une ou plusieurs dispositions de la Loi Covid (applicable à l’époque) avec des dispositions constitutionnelles, de nature à trancher des questions de droit pertinents et décisoires pour la solution du litige, et a dénaturé l’obligation même incombant à tout employeur, i.e. celle de garantir la sécurité et la santé des salariés dans tous les aspects liés au travail, alors pourtant que l’article L.312-1 du Code de travail, correctement appliqué, aurait dû amener la Cour d’appel à vérifier que tous les salariés étaient effectivement protégés. ».
Réponse de la Cour Il résulte des conclusions du Ministère public, non contredites par le demandeur en cassation, que la référence dans le moyen à « l’article 1er du protocole n°12 » vise le protocole n° 12 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Le renvoi à la « résolution 2361 du Conseil de l’Europe » vise la résolution 2361 de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Une résolution de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est un acte sans effet juridique qui n’a pas de caractère contraignant à l’égard des Etats membres. Elle ne peut à ce titre être invoquée à l’appui d’un pourvoi en cassation.
Il s’ensuit que le moyen est irrecevable en ce qu’il est tiré de la violation de la résolution 2361 de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel, d’une part, d’avoir violé l’article 6 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle pour ne pas avoir soumis à la Cour constitutionnelle les questions de constitutionnalité par lui proposées par rapport aux principes constitutionnels découlant des anciens articles 10bis, 11, paragraphe 4, et 11, paragraphe 5, de la Constitution et, d’autre part, d’avoir violé l’article L. 312-1 du Code de travail et l’obligation incombant à tout employeur de garantir la sécurité et la santé des salariés dans tous les aspects liés au travail, en omettant de vérifier que tous les salariés étaient effectivement protégés.
Le moyen articule ainsi deux cas d’ouverture distincts.
Il s’ensuit que le second moyen est irrecevable.
Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure Le demandeur en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.
Il serait inéquitable de laisser à charge du défendeur en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 2.000 euros.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;
rejette la demande du demandeur en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne le demandeur en cassation à payer au défendeur en cassation une indemnité de procédure de 2.000 euros ;
le condamne aux frais et dépens de l’instance en cassation.
Monsieur le président Thierry HOSCHEIT étant dans l’impossibilité de signer, la minute du présent arrêt est signée, conformément à l’article 82 de la loi modifiée du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire, par le conseiller le plus ancien en rang ayant concouru à l’arrêt.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Marie-Laure MEYER en présence de l’avocat général Bob PIRON et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) contre SYNDICAT INTERCOMMUNAL DES VILLES DE DIEKIRCH ET D’ETTELBRUCK ( CAS-2024-00134 ) Le pourvoi en cassation, introduit par PERSONNE1.) par un mémoire en cassation signifié le 30 août 2024 au défendeur en cassation et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 2 septembre 2024, est dirigé contre un arrêt n°073/24 rendu par la Cour d’appel, troisième chambre, siégeant en matière de droit du travail, statuant contradictoirement, en date du 16 mai 2024 (n° CAL-2023-00433 du rôle). Cet arrêt a été signifié au demandeur en cassation en date du 3 juillet 2024.
Le pourvoi en cassation a dès lors été interjeté dans les forme et délai prévus aux articles 7 et 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.
Le défendeur en cassation a signifié un mémoire en réponse le 21 octobre 2024 et il l’a déposé au greffe de la Cour le 29 octobre 2024.
Ayant été signifié et déposé au greffe de la Cour dans le délai de deux mois à compter du jour de la signification du mémoire en cassation, conformément aux articles 15 et 16 de la loi précitée du 18 février 1885, ce mémoire est à considérer.
Sur les faits et antécédents :
En date du 26 avril 2022 PERSONNE1.) a saisi le tribunal du travail de Diekirch d’une requête tendant à voir condamner son employeur, le SYNDICAT INTERCOMMUNAL DES VILLES DE DIEKIRCH ET D’ETTELBRUCK, à lui payer la somme de 3.110,62 euros à titre d’arriérés de salaires pour lui avoir refusé l’accès à son lieu de travail pendant la période d’application du « Covid-Check 3G » obligatoire.
L’article 3 septies, paragraphe (1), alinéa 1er, de la loi modifiée du 17 juillet 2020 portant introduction d’une série de mesures de lutte contre la pandémie Covid-19 (« Loi Covid »), applicable au 15 janvier 2022, disposait :
« Tout salarié, agent public et travailleur indépendant doit être en mesure de présenter sur son lieu de travail un certificat tel que visé aux articles 3bis, 3ter et 3quater. Tout salarié, agent public et travailleur indépendant, titulaire d’un certificat de contre-
indication à la vaccination contre la Covid-19 tel que visé à l’article 3bis, paragraphe 5, doit être en mesure de présenter sur son lieu de travail son certificat ainsi qu’un certificat de test tel que visé à l’article 3quater ou le résultat négatif d’un test autodiagnostique servant au dépistage du SARS-CoV-2 réalisé sur place. Cette obligation est contrôlée par l’employeur ou le chef de l’administration ou une autre personne désignée par eux. Le salarié, l’agent public ou le travailleur indépendant qui refuse ou est dans l’impossibilité de présenter l’un des certificats visés ci-dessus n’a pas le droit d’accéder à son lieu de travail. » Il est constant en cause que le demandeur en cassation ne disposait ni d’un certificat de vaccination, ni d’un certificat de rétablissement et qu’il a refusé de présenter un certificat de test Covid-19 négatif ou de prendre des jours de congé.
S’étant vu refuser l’accès à son lieu de travail pendant le temps d’application de la disposition précitée, il n’a pas reçu de salaire pour cette période.
Le paragraphe (3), alinéas 2 et 3, de l’article 3 septies précité disposait :
« Le salarié qui se voit refuser l’accès à son lieu de travail peut prendre, selon les dispositions de l’article L.233-10 du Code du travail, les jours de congé de récréation légaux ou conventionnels.
En l’absence d’accord ou si le salarié ne souhaite pas utiliser les jours de congé de récréation légaux ou conventionnels, il perd de plein droit la partie de sa rémunération correspondant aux heures de travail non prestées ».
L’article 11 de la loi du 17 juillet 2020 portant introduction d’une série de mesures de lutte contre la pandémie Covid-19, dans sa version applicable au moment des faits, punit d’une amende administrative d’un montant maximum de 4.000 euros, « l’employeur qui ne respecte pas son obligation de contrôle visée à l’article 3 septies ».
Le tribunal du travail de Diekirch a, par jugement contradictoire du 6 mars 2023, déclaré non fondée la demande présentée par PERSONNE1.). Les demandes respectives des parties en obtention d’une indemnité de procédure ont également été déclarées non fondées.
PERSONNE1.) a interjeté appel du susdit jugement par exploit d’huissier du 12 avril 2023.
En date du 16 mai 2024, la Cour d’appel a rendu un arrêt dont le dispositif se lit comme suit :
« déclare les appels principal et incident recevables, dit l’appel principal non fondé et en déboute, dit l’appel incident partiellement fondé, par réformation, dit fondée la demande du SYNDICAT INTERCOMMUNAL DES VILLES DE DIEKIRCH ET D’ETTELBRUCK en obtention d’une indemnité de procédure pour la première instance jusqu’à concurrence du montant de 800 euros, condamne PERSONNE1.) à payer au SYNDICAT INTERCOMMUNAL DES VILLES DE DIEKIRCH ET D’ETTELBRUCK une indemnité de procédure de 800 euros pour la première instance, confirme le jugement déféré pour le surplus, dit fondée la demande du SYNDICAT INTERCOMMUNAL DES VILLES DE DIEKIRCH ET D’ETTELBRUCK en obtention d’une indemnité de procédure pour l’instance d’appel jusqu’à concurrence du montant de 1.500 euros, condamne PERSONNE1.) à payer au SYNDICAT INTERCOMMUNAL DES VILLES DE DIEKIRCH ET D’ETTELBRUCK une indemnité de procédure de 1.500 euros pour l’instance d’appel, condamne PERSONNE1.) aux frais et dépens de l’instance d’appel […] » Cet arrêt fait l’objet du présent pourvoi.
Sur le premier moyen de cassation:
Le premier moyen s’articule en deux branches :
Sur la première branche :
La première branche du premier moyen est tirée « de la violation, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation, sinon pour motif dubitatif valant défaut de motifs, de l’article 109 de la Constitution, de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, des articles 249 et 587 du Nouveau code de procédure civile ».
La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la Charte) ne s’applique pas dans une procédure du type de celle à l’origine du présent pourvoi.
En vertu de l’article 6 du Traité sur l’Union européenne, « 1. L'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu'adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités.
Les dispositions de la Charte n'étendent en aucune manière les compétences de l'Union telles que définies dans les traités.
Les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte sont interprétés conformément aux dispositions générales du titre VII de la Charte régissant l'interprétation et l'application de celle-ci et en prenant dûment en considération les explications visées dans la Charte, qui indiquent les sources de ces dispositions » L’article 51 de la Charte définit son champ d’application dans les termes suivants :
« 1. Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux États membres uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l'application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l'Union telles qu'elles lui sont conférées dans les traités.
2. La présente Charte n'étend pas le champ d'application du droit de l'Union au-delà des compétences de l'Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l'Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités. » Le présent litige entre le demandeur en cassation et son employeur ne présente pas de lien avec la mise en œuvre par le Luxembourg du droit de l’Union européenne.
La première branche du moyen est irrecevable en ce qu’elle est tirée de la violation de l’article 47 de la Charte.
Les autres dispositions visées au moyen sont applicables et imposent aux juridictions l’obligation de motiver leurs décisions.
Le moyen fait grief à l’arrêt entrepris de s’être contenté d’ériger la Loi Covid en tant que « loi d’ordre public impérative »1 et de citer 3 arrêts de la Cour constitutionnelle (numéros 00170, 00172 et 00178 du rôle) pour en conclure que cette dernière aurait «déjà statué sur la conformité constitutionnelle de certaines mesures de lutte contre la pandémie du Covid-19, notamment par les attendus de principe suivants :
« Dans la mise en œuvre de la conciliation nécessaire des droits et libertés invoqués avec les exigences de la protection de la vie et de la santé publique, la Cour constitutionnelle ne sera amenée à conclure à la violation de la Constitution que s’il apparaît une rupture du juste équilibre, devant être préservé entre les risques existants et les moyens nécessaires pour y pallier par la mise en place d’une mesure inadéquate au regard de la situation, par nature évolutive, à laquelle le législateur avait à faire face.
Il ne résulte pas des éléments dont la Cour constitutionnelle a été saisie que la dangerosité liée à la propagation du virus Covid-19, dans la période au cours de laquelle les mesures de vaccination commençaient à être proposées à la population en son ensemble, mais n’avaient pas encore produit les effets escomptés, ait été exagérée par les autorités publiques. Il ne saurait pas non plus être reproché à celles-ci d’avoir privilégié, face aux incertitudes avérées des connaissances scientifiques au moment où les mesures législatives discutées ont été prises, la prévention des risques, qui étaient rendus plausibles par les données disponibles tant au vu du nombre des décès qu’en termes de surcharge du système hospitalier mettant en danger l’accès aux soins pour toutes les catégories de la population.
»2 1 Arrêt du 16 mai 2024, page 4, 5e paragraphe 2 ibidem, page 5, paragraphes 1-3 Le demandeur en cassation reproche à la Cour d’appel de s’être fait le porte-voix des motivations de la Cour constitutionnelle qui n’aurait pourtant pas statué dans une affaire similaire, mais dont les trois arrêts cités auraient été rendus à propos du port obligatoire du masque. Il estime que la motivation des juges d’appel serait insuffisante pour justifier en quoi les trois arrêts en question auraient déjà statué sur la conformité constitutionnelle de certaines mesures de lutte contre la pandémie du Covid-19, alors que les faits gisant à la base de ces trois arrêts ne seraient absolument pas identiques au présent cas d’espèce, mais surtout en quoi une déclaration d’inconstitutionnalité a posteriori d’une ou de plusieurs dispositions de la Loi Covid ou de violation d’une norme découlant de la CEDH « ne changerait rien à ce constat ».
Le grief soulevé est difficile à cerner dans la mesure où l’exposé du moyen énonce un « motif dubitatif »3 avant de reprocher une motivation « insuffisante »4. La discussion du premier moyen de cassation évoque « une motivation insuffisante ou la contradiction des motifs »5 pour conclure que « la Cour d’appel s’est bornée à adopter la motivation des premiers juges, sans fournir une motivation suffisante à l’appui de l’arrêt intervenu en date du 16 mai 2024 ou sinon et à l’inverse, procédé à une dénaturation des motifs équivalant, par définition, à une absence de motivation »6.
Or, l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1889 sur les pourvois et la procédure en cassation exige, sous peine d’irrecevabilité, qu’un moyen ou une branche précise ce en quoi la décision encourt le reproche allégué.
S’y ajoute que la première branche reproche non pas une absence totale de motivation, mais une motivation jugée insuffisante correspondant à un défaut de base légale. Dès lors ce grief ne tombe pas dans le champ d’application des dispositions visées au moyen.
Au vu de l’amalgame de reproches formulés pêle-mêle sans autre précision, et du fait que les dispositions visées au moyen sont étrangères au grief soulevé, la première branche du premier moyen doit être déclarée irrecevable.
Subsidiairement :
Le défaut de motifs sanctionné par l’article 109 de la Constitution, l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et les articles 249 et 587 du Nouveau code de procédure civile, est un vice de forme, le jugement étant régulier en la forme dès qu’il comporte un motif, exprès ou implicite, si incomplet ou vicieux soit-il, sur le point considéré7. Les dispositions visées au moyen permettent seulement de sanctionner l’absence totale de motifs, et non pas une insuffisance de motifs qui serait constitutive d’un défaut de base légale ou un motif vicié d’une erreur de droit.
3 mémoire en cassation, page 6, pénultième paragraphe 4 ibidem, page 8, 4e paragraphe 5 ibidem, page 9, 4e paragraphe 6 ibidem, page 10, 2e paragraphe 7 J. et L. Boré, La cassation en matière civile, 6e édition, 2023/2024, n°77.41, page 415 Il ressort de l’extrait de motifs cité dans l’exposé du moyen8 que l’arrêt dont pourvoi comporte une motivation sur la question de la constitutionnalité de la Loi Covid.
La première branche du premier moyen n’est pas fondée.
Sur la deuxième branche :
La deuxième branche du premier moyen est tirée « de la violation, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 109 de la Constitution et des articles 53 et 54 du Nouveau code de procédure civile, violant les conditions essentielles à l’existence légale de la décision en statuant infra petita ».
La deuxième branche reproche à l’arrêt attaqué d’avoir omis de se prononcer sur tout ce qui lui était demandé et sans analyser les articles de la Constitution invoqués.
Le grief tiré de la violation des articles 53 et 54 du Nouveau code de procédure civile, en ce que les juges d’appel auraient omis de se prononcer sur sa demande, ne donne pas ouverture à cassation, mais, aux termes de l’article 617, point 5°, du même code, à requête civile.9 S’y ajoute que le grief soulevé est étranger à l’article 109 de la Constitution.
La deuxième branche du premier moyen est irrecevable.
Sur le deuxième moyen de cassation Le deuxième moyen est tiré de la violation, sinon de la mauvaise application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, ainsi que des principes constitutionnels découlant des anciens articles 10 bis, 11(4), 11(5) de la Constitution, de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 1er du Protocole n° 12, et de la résolution 2361 du Conseil de l’Europe et de l’article L.312-1 du Code du travail.
*Contrairement aux exigences posées par l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, le moyen sous examen met en œuvre plusieurs cas d’ouverture et doit être déclaré irrecevable.
*Non seulement le moyen énumère toute une série de dispositions légales très disparates qui auraient été violées par l’arrêt dont pourvoi, mais il reste en défaut de préciser en quoi certaines de ces dispositions auraient été violées. Il en est ainsi en ce qui concerne les anciens articles 11(4) et 11(5) de la Constitution, l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 1er du Protocole n° 1210, et la résolution 2361 du Conseil de l’Europe.
8 mémoire en cassation, trois derniers paragraphes de la page 7 et premier paragraphe de la page 8 9p.ex. : Cass. n° 76 / 2019 du 02.05.2019, n° CAS-2018-00030 du registre, 3e moyen ; Cass. n°77 / 2020 du 04.06.2020, n°CAS-2019-00063 du registre, 3e moyen 10 Le Protocole n°12 à la Convention européenne des droits de l’homme a été approuvé par une loi du 6 mars 2006 portant approbation du Protocole n° 12 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, fait à Rome, le 4 novembre 2000 (Mém. A n° 49, p. 1104) et est entré en vigueur au Luxembourg le 1er juillet 2006 Pour ce qui est des dispositions énumérées ci-avant, le moyen ne répond pas aux exigences de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1889 sur les pourvois et la procédure en cassation, qui exige que, sous peine d’irrecevabilité, chaque moyen ou chaque branche doit préciser:
-
le cas d'ouverture invoqué;
-
la partie critiquée de la décision;
-
ce en quoi celle-ci encourt le reproche allégué.
S’y ajoute, en ce qui concerne la dernière des dispositions visées, que les résolutions du Conseil de l’Europe n’ont aucun caractère contraignant pour les Etats membres. Ce sont des actes, sans effet juridique, destinés aux gouvernements nationaux ou même à l’opinion européenne.
Pareille résolution ne saurait partant être utilement invoquée à l’appui d’un moyen de cassation.
Le deuxième moyen doit partant être déclaré irrecevable en ce qu’il est tiré de la violation des anciens articles 11(4) et 11(5) de la Constitution, de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 1er du Protocole n° 1211, et de la résolution 2361 du Conseil de l’Europe.
*Le moyen de cassation est encore tiré de la violation de l’article L.312-1, 1er alinéa, du Code du travail qui dispose que «[l]’employeur est obligé d’assurer la sécurité et la santé des salariés dans tous les aspects liés au travail ».
Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir validé la régularité du « COVID CHECK »/ »régime 3G » sur le lieu de travail au motif que la Loi Covid constituait une loi d’ordre public impérative, punissant dans son article 17 de sa version applicable au moment des faits, l’employeur par une amende administrative en cas de violation, pour rejeter la demande en paiement des arriérés de salaire et les questions préjudicielles de constitutionnalité posées. Les juges d’appel auraient ainsi indirectement remis en cause l’essence et l’utilité même de toute question préjudicielle sur la constitutionnalité de plusieurs dispositions de la Loi Covid et auraient dénaturé l’obligation même incombant à tout employeur de garantir la sécurité et la santé des salariés dans tous les aspects liés au travail. L’article L.312-1 du Code du travail aurait toutefois dû amener la Cour d’appel à vérifier que tous les salariés étaient effectivement protégés.
Il y a lieu de relever que le demandeur en cassation n’avait pas invoqué l’article L.312-1 du Code du travail en instance d’appel. Il s’agit partant d’un moyen nouveau. L’analyse de ce moyen relatif à la sécurité et la santé des salariés requiert l’examen de questions de fait qui échappent à la compétence de votre Cour.
En ce qu’il est tiré de la violation de l’article L.312-1 du Code du travail, le moyen doit partant être déclaré irrecevable pour être nouveau et mélangé de fait et de droit.
11 Le Protocole n°12 à la Convention européenne des droits de l’homme a été approuvé par une loi du 6 mars 2006 portant approbation du Protocole n° 12 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, fait à Rome, le 4 novembre 2000 (Mém. A n° 49, p. 1104) et est entré en vigueur au Luxembourg le 1er juillet 2006 *Le moyen est encore tiré de la violation de l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, ainsi que du principe constitutionnel découlant de l’ancien article 10 bis de la Constitution garantissant l’égalité devant la loi. La référence à l’ancien article 10 bis de la Constitution doit être remplacée par la référence à l’article 15 de la Constitution telle qu’en vigueur à partir du 1er juillet 2023, donc au moment du prononcé de l’arrêt attaqué.
Le moyen reproche à l’arrêt entrepris de ne pas avoir fait droit à la demande de voir saisir la Cour constitutionnelle des questions relatives à la conformité de la Loi Covid (loi du 17 juillet 2020 portant introduction d’une série de mesures de lutte contre la pandémie Covid-19) à la Constitution. La Loi Covid aurait imposé une différence de traitement basée sur le statut vaccinal des personnes concernées, alors que les personnes présentant un schéma vaccinal complet et les personnes non-vaccinées se seraient trouvées dans des situations identiques. La condition de comparabilité des situations respectives étant donnée, il aurait appartenu aux juges d’appel de saisir la Cour constitutionnelle des questions proposées par le demandeur en cassation.
Ce moyen procède d’une lecture erronée de la décision attaquée. Les juges d’appel n’ont pas refusé de saisir la Cour constitutionnelle d’une question relative au respect de la règle constitutionnelle d’égalité devant la loi au motif que la condition de comparabilité des situations respectives ferait défaut, mais ils ont retenu qu’une éventuelle déclaration d’inconstitutionnalité serait sans incidence sur le litige :
« La loi du 17 juillet 2020 portant introduction d’une série de mesures de lutte contre la pandémie Covid-19 constitue une loi d’ordre public impérative.
L’article 11 de cette loi, dans sa version applicable au moment des faits, punit par ailleurs d’une amende administrative d’un montant maximum de 4.000 euros, « l’employeur qui ne respecte pas son obligation de contrôle visée à l’article 3septies ».
Les dispositions d’une loi ne perdent leur effet juridique qu’à la suite d’un arrêt de la Cour constitutionnelle les déclarant non conformes à la Constitution. La Cour constitutionnelle détermine en outre les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause (cf. article 112, paragraphe (8), actuel de la Constitution, ancien article 95ter, paragraphe (6), au moment des faits).
L’employeur souligne à juste titre qu’il n’a fait qu’appliquer les dispositions légales en vigueur.
En respectant les dispositions légales obligatoires relatives au « Covid-Check 3G », l’intimé n’a pu commettre une faute de nature à engager sa responsabilité.
Il ne saurait lui être reproché de s’être conformé aux dispositions d’une loi et de ne pas s’être exposé à des sanctions pécuniaires lourdes.
Une déclaration d’inconstitutionnalité a posteriori d’une ou de plusieurs dispositions de la loi du 17 juillet 2020 portant introduction d’une série de mesures de lutte contre la pandémie Covid-19 ne changerait rien à ce constat.
Il en serait de même en cas de constatation éventuelle d’une violation par ces dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme.
Il s’ensuit qu’une décision sur les questions préjudicielles posées n’est pas nécessaire pour la solution du présent litige et il n’y partant pas lieu d’en saisir la Cour constitutionnelle. » En statuant ainsi, les juges d’appel ont correctement appliqué l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle. Pour arriver à cette solution, ils n’avaient pas à résoudre une question d’égalité devant la loi. L’article 15 de la Constitution (ancien article 10 bis) est étranger à la décision attaquée.
Le moyen n’est pas fondé.
Pour être complet, il y a encore lieu de relever que le moyen critique l’arrêt entrepris en ce qu’il s’appuierait sur trois arrêts de la Cour constitutionnelle du 30 septembre 2022 (n° 00170), du 25 novembre 2022 (n° 00172) et du 7 mars 2023 (n° 00178) ayant statué sur la conformité constitutionnelle de certaines mesures de lutte contre la pandémie de la Covid-19.
Effectivement l’arrêt attaqué comporte les motifs suivants :
« Il s’y ajoute que la Cour constitutionnelle, dans ses arrêts des 30 septembre 2022 (n°00170), 25 novembre 2022 (n°00172) et 7 mars 2023 (n°00178), a déjà statué sur la conformité constitutionnelle de certaines mesures de lutte contre la pandémie du Covid-19, notamment par les attendus de principe suivants :
« Dans la mise en œuvre de la conciliation nécessaire des droits et libertés invoqués avec les exigences de la protection de la vie et de la santé publique, la Cour constitutionnelle ne sera amenée à conclure à la violation de la Constitution que s’il apparaît une rupture du juste équilibre, devant être préservé entre les risques existants et les moyens nécessaires pour y pallier par la mise en place d’une mesure inadéquate au regard de la situation, par nature évolutive, à laquelle le législateur avait à faire face.
Il ne résulte pas des éléments dont la Cour constitutionnelle a été saisie que la dangerosité liée à la propagation du virus Covid-19, dans la période au cours de laquelle les mesures de vaccination commençaient à être proposées à la population en son ensemble, mais n’avaient pas encore produit les effets escomptés, ait été exagérée par les autorités publiques. Il ne saurait pas non plus être reproché à celles-ci d’avoir privilégié, face aux incertitudes avérées des connaissances scientifiques au moment où les mesures législatives discutées ont été prises, la prévention des risques, qui étaient rendus plausibles par les données disponibles tant au vu du nombre des décès qu’en termes de surcharge du système hospitalier mettant en danger l’accès aux soins pour toutes les catégories de la population.
», La Cour constitutionnelle en a conclu que les mesures visées n’étaient pas contraires aux dispositions constitutionnelles visées. » La Cour d’appel a ajouté ces motifs après avoir déjà conclu préalablement « qu’une décision sur les questions préjudicielles posées n’est pas nécessaire pour la solution du présent litige et il n’y partant pas lieu d’en saisir la Cour constitutionnelle».
Il s’agit partant de motifs surabondants. Un moyen de cassation dirigé contre ces motifs ne saurait aboutir à une cassation.
Etant donné que la Cour d’appel a correctement appliqué l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle en retenant qu’une décision sur les questions préjudicielles proposées n’est pas nécessaire pour la solution du litige, il n’appartient pas non plus à votre Cour de saisir la Cour constitutionnelle.
La demande afférente est à rejeter.
Conclusion Le pourvoi est recevable mais non fondé.
Pour le Procureur Général d’Etat, Le procureur général d’Etat adjoint Marie-Jeanne Kappweiler 19