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15/05/2025 | LUXEMBOURG | N°52463C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 15 mai 2025, 52463C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 52463C ECLI:LU:CADM:2025:52463 Inscrit le 4 mars 2025 Audience publique du 15 mai 2025 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 5 février 2025 (n° 49567 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 52463C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 4 mars 2025 par Maître Edévi AMEGANDJI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Togo), de n

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 52463C ECLI:LU:CADM:2025:52463 Inscrit le 4 mars 2025 Audience publique du 15 mai 2025 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 5 février 2025 (n° 49567 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 52463C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 4 mars 2025 par Maître Edévi AMEGANDJI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Togo), de nationalité togolaise, demeurant à L-…, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 5 février 2025 (n° 49567 du rôle), par lequel ledit tribunal a déclaré non fondé son recours tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 septembre 2023 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 2 avril 2025 par le délégué du gouvernement pour compte de l’Etat ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 6 mai 2025.

Le 5 novembre 2021, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 1relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date des 28 janvier et 28 février 2022, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 15 septembre 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée en date du 21 septembre 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur (A), tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 5 novembre 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos motifs de fuite En mains votre fiche des motifs manuscrite ainsi que le rapport du Service de Police Judiciaire du 5 novembre 2021, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 28 janvier et 28 février 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande.

Monsieur, il ressort de votre dossier administratif que vous vous nommez (A), que vous êtes né le … à … au Togo, que vous êtes de nationalité togolaise, d'ethnie Ewé et de confession chrétienne. Vous déclarez également être marié et avoir trois enfants, avec lesquels vous auriez dernièrement vécu à … dans le « quartier …, lieu … » jusqu'à votre départ (p.2/19 du rapport d'entretien).

Le 5 novembre 2021, vous indiquez, à la fois sur votre fiche des motifs manuscrite que lors de votre audition auprès du Service de Police Judiciaire, avoir quitté votre pays d'origine, alors que vous seriez « ciblé » et « recherché » par « certaines personnes de [votre] famille », tout en précisant à cet égard que ces personnes voudraient vous « tuer » parce que vous seriez « doué intellectuellement » et que vous auriez « réussi l'école » (p.2/2 du rapport du Service de Police Judiciaire et p.1/1 de votre fiche des motifs manuscrite).

Cependant, lors de votre entretien individuel auprès de l'agent ministériel en date des 28 janvier et 28 février 2022, vous avancez d'autres motifs de fuite, notamment le fait que vous seriez « persécuté au pays par les autorités politiques du pouvoir (…) suite aux manifestations 2de 2017 » (p.12/19 du rapport d'entretien), lesquelles auraient été organisées par le leader du Parti National Panafricain (ci-après « PNP »), le dénommé (B).

Vous précisez, d'une part, que vous auriez été « personnellement accusé de financer les jeunes pour faire les mobilisations » (p.12-13/19 du rapport d’entretien) tout en expliquant, d’autre part, ne jamais avoir pris part aux manifestations et ne jamais être parti sur le terrain (p.14/19 du rapport d'entretien).

Vous continuez en expliquant que le 12 septembre 2017 le maire de …, ville qui se situe dans la région de … au Nord du Togo et où vous auriez été affecté en tant que comptable-

gestionnaire auprès du Ministère de la Santé et de la Protection Sociale depuis 2012, vous aurait mis en garde de cesser d'encourager toutes activités entrainant les jeunes à se mobiliser et à manifester contre le gouvernement togolais, auquel cas il serait dans l'obligation de remonter les informations à sa hiérarchie (p.14-15/19 du rapport d'entretien).

Le 21 septembre 2017, la gendarmerie nationale se serait présentée à votre domicile à …. Ayant eu peur, vous n'auriez pas ouvert la porte et auriez pris la fuite « en escaladant la clôture arrière », pour finalement quitter la région de … quelques jours plus tard et rejoindre votre famille à … (p.15-16/19 du rapport d'entretien).

D'octobre 2017 à janvier 2020, vous auriez travaillé en tant que comptable pour votre propre compte à votre domicile à …. Vous auriez espéré que « les choses allaient se calmer » (p.16/19 du rapport d'entretien), or, vous auriez reçu des convocations pour vous présenter au poste de police en avril et mai 2019, lesquelles vous avez ignorées. Un avis de recherche aurait ensuite été émis à votre encontre le 4 juin 2019 (p.17/19 du rapport d'entretien). Ainsi, vous n'auriez plus vu d'autre échappatoire que de définitivement quitter votre pays d'origine, ce que vous avez fait en date du 15 janvier 2020 après avoir obtenu un visa russe.

A l'appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les documents suivants :

− Une enveloppe DHL envoyée depuis le Togo par un ami, le dénommé (C) ;

− votre carte d'identité périmée, émise le … mars 2016 et valable jusqu'au … mars 2021 ;

− votre acte de mariage, émis le … 2015 par la commune de … ;

− votre certificat de nationalité togolaise, émis à … le … août 2017 ;

− les trois actes de naissances de vos trois enfants mineurs ;

− les copies des passeports de votre femme et de deux de vos enfants mineurs ;

− huit photos de votre maison et de votre famille ;

− votre carte étudiante de l'Université de …, émise le … décembre 2010 ;

− votre diplôme de Licence en sciences économiques et de gestion, Spécialité finance et contrôle de gestion, émis par l'université de … le … août 2017 ;

− votre relevé de notes pour la 3e année académique universitaire 2009-2010 ;

− votre diplôme de baccalauréat obtenu le … juillet 2006 ;

− votre relevé de notes de la session de juin 2006, année du baccalauréat ;

− une attestation de prise de service, datée au … avril 2012 et émise par le directeur préfectoral de la santé d'… ;

− une attestation de prise de congé, datée au … septembre 2016 et émise par le directeur préfectoral de la santé d'… ;

3− un ordre de mission pris le … novembre 2016 par le directeur préfectoral de la santé d'… ;

− un ordre de mission pris le … mars 2017 par le directeur préfectoral de la santé d'… ;

− des documents concernant les activités du Ministère de la Santé et de la Protection Sociale concernant la formation sur CPS dans le district d'… ;

− des documents de financement de la Direction Régionale de la Santé de … ;

− un chèque de banque de la Direction Régionale de la Santé de … ;

− une note d'information émise par le préfet d'… le … mars 2016 ;

− quatre photos de votre bureau personnel ;

− des documents concernant la création d'une entreprise à … avec deux versements d'espèces au centre de dépôt des impôts ;

− une invitation d'études du Federal State Budget Higher Education Institution PSINS valable du 5 septembre 2019 jusqu'au 4 septembre 2024 ;

− la photo de l’obtention d’un visa russe émis du … novembre 2019 au … février 2020 dans votre passeport ;

− la photo du prolongement de votre visa russe émis du … février 2020 au … janvier 2021 dans votre passeport ;

− une « migration card » russe valable du 16 janvier 2020 au 9 février 2020 ;

− une copie de vos billets d'avion pour les vols d'… vers … et inversement du . janvier, .

février et . février 2020 ;

− un certificat universitaire russe du Federal State Budget Higher Education Institution PSINS ;

− votre carte membre du Pari National Panafricain ;

− une attestation de membre, émise par le PNP à … le 18 août 2016 ;

− une attestation de l'association togolaise pour la défense et la promotion des Droits Humains, émise à … le 10 décembre 2019 ;

− trois convocations du 17 avril, 24 avril et 10 mai 2019, émises par le Ministère de la défense et des anciens combattants, gendarmerie nationale, première région, groupement …, brigade territoriale … ;

− deux avis de recherche datés au 4 juin 2019 et émis par le Ministère de la défense nationale, gendarmerie nationale, compagnie maritime, … ;

− trois photos des avis de recherches placardés sur un mur et sur un poteau ;

− le journal du peuple « ATOPANI Infos n°… » du … au … mars 2020, dont l'article « … » à la page 2.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Il y a lieu de rappeler qu'il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui alléguées, sur base d'un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l'administration en mesure de saisir l'intégralité de sa situation personnelle.

Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l'analyse d'une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur 4de protection internationale, mais il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d'évaluation fondamental dans l'appréciation du bien-fondé d'une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu'il y a lieu de constater que vos motifs de fuite ne sont pas intelligibles, que votre comportement ne reflète manifestement pas celui d'une personne qui serait réellement en danger dans son pays d'origine, que nombreuses de vos allégations sont tout simplement dérisoires et que plusieurs de vos documents sont ambigus et laisse[ent] à penser qu'il s'agit de documents de complaisance ou encore falsifiés.

Premièrement, force est de constater que l'analyse approfondie de votre dossier administratif a permis de considérablement mettre en cause vos motifs de fuite.

En effet, l'on peut légitimement s'attendre que vous soyez à même de retracer avec uniformité les problèmes dont vous faites l'objet lors des différentes phases de procédure de votre demande de protection internationale, étant donné que ceux-ci auraient été déterminants à entrainer votre fuite et votre départ de votre pays d'origine. Dans cette même optique, bien qu'il est évident qu'on ne saurait attendre de votre part que votre fiche des motifs soit exhaustive, il est néanmoins légitime de s'attendre à ce que votre fiche soit cohérente avec le reste de vos allégations sur les éléments principaux.

Or, ceci n'est manifestement pas votre cas en l'espèce, puisque vos motifs de fuite initiaux, lesquels vous avez avancés sur votre fiche des motifs manuscrite et lors de votre entretien auprès du Service de Police Judiciaire, sont diamétralement opposés de ceux que vous avez pu décrire lors de votre entretien individuel. A cet égard vous avez notamment, d'une part, expliqué être recherché et ciblé par certains membres de votre famille étant donné que vous seriez doué intellectuellement, alors que, d'autre part, vous avez expliqué être recherché par les autorités de votre pays en raison de votre appartenance au parti politique togolais d'opposition, le PNP.

Force est dès lors de constater que dans le cadre de votre entretien sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale vous revenez clairement sur vos motifs de fuite initiaux d'ordre privés et personnels en inventant une toute autre histoire dont les éléments relèvent de la Convention de Genève – à savoir des motifs ayant trait à vos opinions politiques. Par conséquent, vous faites en l'espèce un usage abusif de la procédure de protection internationale puisque vous aggravez sciemment votre situation dans le but de vous voir accorder une protection internationale au Luxembourg.

Ainsi, il n'en demeure pas moins de s'interroger sur la crédibilité de vos motifs de fuite sous-tendant votre demande de protection internationale, alors que la question se pose avec certitude de savoir pourquoi les autorités luxembourgeoises croiraient à l'une de vos deux versions totalement discordantes.

Deuxièmement, force est de constater que votre comportement ne correspond indubitablement pas au comportement qu'une personne pourrait avoir si elle était réellement en danger, respectivement, recherchée dans son pays d'origine.

5En effet, force est de constater qu'une personne qui aurait été « ciblé[e] » et « recherché[e] » par les autorités de son pays, comme vous prétendez l'être, n'aurait visiblement pas quitté son pays d'origine uniquement en janvier 2020, alors que ses problèmes remonteraient à 2017. Interrogé à ce sujet par l'agent ministériel, vous ne répondez pas clairement à la question, respectivement, restez évasif en affirmant que vous penseriez que la situation allait s'améliorer (p.15/19 et 16/19 du rapport d'entretien).

De plus, il n'est pas crédible qu'en tant que personne persécutée vous ayez, d'une part, subordonné votre fuite à l'obtention d'un visa russe et que, d'autre part, votre fuite ne soit intervenue que le 15 janvier 2020 alors que le visa vous aurait déjà été accordé en date du 20 novembre 2019. Vos explications n'emportant d'ailleurs aucune conviction à cet égard, hormis le fait que votre situation ne semblerait pas être aussi grave que vous le laissez entendre.

Pareil constat s'impose lorsque vous dites avoir fait la demande de visa russe pour « sauver votre vie », alors qu'il est évident, de part vos pièces et vos dires, que votre première intention aurait été d'étudier la langue russe (p.9-10/19 du rapport d'entretien). Or, un tel comportement ne correspond clairement pas à celui d'une personne qui aurait sincèrement voulu sauver sa vie.

Toujours concernant votre comportement, il convient de noter que si votre situation dans votre pays d'origine avait réellement été aussi grave que vous le sous-entendez, vous auriez manifestement introduit une demande de protection internationale dans le premier pays sûr rencontré, en l'occurrence la Russie, contrairement à ce que vous avez fait Monsieur. Vous affirmez certes que vous vous seriez renseigné sur l'introduction d'une demande de protection internationale en Russie en juin 2020, mais sans pour autant concrétiser votre désir de demande et tout en continuant à profiter de votre visa étudiant valable (p.11-12/19 du rapport d'entretien). Ensuite, vous n'avez une nouvelle fois pas effectué le choix le plus judicieux, puisque vous avez préféré quitter et traverser la Pologne, puis l'Allemagne pour rejoindre le Luxembourg, sans y introduire une demande de protection internationale ni en Pologne, ni en Allemagne, au contraire, votre but ayant clairement été d'arriver au Luxembourg pour y introduire votre demande, alors que vous auriez fait des recherches sur le pays et que vous auriez « vu que c'était un pays où les droits de l'hommes étaient respectés » (p.12/19 du rapport d'entretien).

Toujours est-il qu'une telle attitude ne saurait appuyer le comportement d'une personne réellement à risque dans son pays d'origine.

Vous n'êtes clairement toujours pas une personne réellement persécutée, voire, recherchée par les autorités de votre pays d'origine, alors que vous vous êtes vu délivr[er] un passeport togolais, n°…, en date du … septembre 2019 avec une validité jusqu'au … septembre 2024. Or, l'émission d'un passeport par les autorités togolaises, laquelle est a posteriori des convocations datant d'avril et mai 2019 et de l'avis de recherche datant du 4 juin 2019, est manifestement incompatible avec les supposés problèmes que vous avancez. En effet, il n'est pas crédible que les autorités togolaises, qui vous auraient prétendument activement recherché en tant qu'opposant politique vous délivre[nt] ledit passeport sans que cela vous cause le moindre problème, alors que vous êtes prétendument recherché.

A cet égard force est d'ailleurs également de relever que la consultation de la base de données « AE.VIS » par le Service de Police Judiciaire en date du … novembre 2021 a permis de découvrir que vous aviez déjà effectué une demande de visa en juin 2017, soit avant lesdites 6manifestations d'opposition qui ont débutées le 19 août 2017. A noter que vous avez d'ailleurs introduite cette demande de 2017 avec un autre passeport togolais, n°…, émis le … mars 2016 et valable jusqu'au … mars 2021 (page annexée au rapport du Service de Police Judiciaire).

Ainsi, tout en rappelant le fait que vous avez initialement indiqué des motifs de fuite purement personnels et d'ordre privés, et en tenant compte de la demande de visa de 2017 précité, force est de s'interroger si vous n'aviez pas eu l'intention de quitter votre pays d'origine bien avant vos supposés problèmes d'opposant politique. Quoiqu'il en advienne, votre comportement ne correspond clairement pas au comportement qu'aurait pu avoir une personne persécutée et recherchée dans son pays d'origine.

Il convient encore de souligner que vous avez ouvertement menti aux autorités luxembourgeoises au sujet de vos documents d'identité et que vous avez donc eu un comportement intempestif. En effet, force est de relever que vous avez une première fois expliqué avoir perdu votre sac dans lequel se trouvaient vos documents d'identité en Russie à Moscou (p.2/2 du rapport du Service de Police Judiciaire), pour ensuite globalement confirmer la même chose lors de votre entretien ministériel, notamment en précisant avoir perdu vos effets personnels en Russie (p.4/19 du rapport d'entretien). Or, lors d'un appel téléphonique en date du 21 août 2023, le Ministère a été informé par un membre du personnel de la Caritas que vous seriez en possession de votre carte d'identité togolaise expirée. Ainsi, Monsieur, non seulement vous avez ouvertement menti au sujet de la perte de vos documents, mais encore, vous avez sciemment et en connaissance de cause ignoré une obligation qui vous incombait de remettre vos documents d'identité selon l'article 12 de la Loi de 2015. L'explication avancée par votre mandataire selon laquelle il n'aurait pas été dans votre intention de vous soustraire volontairement aux dispositions de l'article 12 de la prédite loi « alors que dans [votre] entendement, la carte d'identité togolaise, étant expirée, elle ne pouvait plus être d'une utilité quelconque à titre de preuve dans [votre] dossier », ne saurait aucunement constituer une excuse valable. En effet, il est évident que tout document d'identité constitue non seulement un élément fondamental pour la bonne instruction d'une demande de protection internationale, mais permet également de déterminer l'identité et l'origine d'un demandeur, et ce peu importe si les documents en question sont périmés ou non. D'autant plus, il convient de noter que si vous étiez encore en possession de votre carte d'identité, rien ne permet d'exclure que vous ne seriez pas également encore en possession de votre passeport togolais.

Force est encore de noter que lorsque vous dites avoir perdu vos documents d'identité en Russie et que l'agent vous interroge pour quelles raisons vous n'auriez pas effectué les démarches pour l'obtention d'un nouveau passeport, vous répondez « parce que le Togo n'a pas d'ambassade en Russie » (p.4/19 du rapport d'entretien). Or, une telle justification ne correspond manifestement pas à une réponse qu'on attendrait d'une personne réellement recherchée et à risque d'être persécutée par les autorités de son pays, alors qu'une telle personne n'oserait à aucun moment se présenter à l'ambassade de son pays.

Troisièmement, force est de constater que plusieurs de vos documents, lesquels vous avez remis afin d'étayer et d'appuyer vos affirmations sont entachés d'erreurs manifestes et tendent à penser qu'il s’agirait de documents de complaisance ou encore de documents falsifiés.

Tout d'abord, concernant les documents que vous avez remis pour étayer le fait que vous seriez recherché par les autorités de votre pays en raison de votre opposition politique, 7notamment les convocations de la gendarmerie, l'avis de recherche et le journal d'Atopani Infos n°…, force est de totalement réfuter lesdits documents.

En effet, une analyse détaillée desdites pièces a permis de relever que le tampon figurant sur les trois convocations, comme également sur l'avis de recherche est identique, alors qu'il retrace à chaque fois la même erreur d'encre lors du tamponnage au niveau des lettres « c » et « h » pour le mot « recherches » et « n » et « e » pour le mot « gendarmerie ». De plus, le tampon est entaché d'une faute d'orthographe manifeste, puisqu'il mentionne le mot « Brigardes des Recherches ». Or, on ne saurait considérer comme justifiée le fait qu'un tampon d'une institution officielle telle que la gendarmerie nationale du Togo comporte une telle erreur flagrante. Concernant ces documents toujours, il convient également de relever que les entêtes des convocations et de l'avis de recherche sont différents, alors même que, selon vos dires, il s'agit de la même institution qui aurait émis les différents documents en question. Ainsi, il est très peu compréhensible pourquoi, d'une part, l'entête mentionnerait « Ministère de la défense et des anciens combattants, gendarmerie nationale, première région, groupement …, compagnie … sud, Brigade territoriale … » et d'autre part, « Ministère de la défense nationale, gendarmerie nationale, compagnie maritime, … ».

Concernant ensuite le journal Atopani Infos n°… que vous avez remis, force est de constater que vous avez très clairement essayé de duper les autorités luxembourgeoises avec l'article vous concernant figurant à la page 2, tentative qui a manifestement échouée, étant donné que la même édition du Journal Atopani Infos n°… a pu être retrouvée, à la fois sur le profil Facebook « Miabe Togo Actu », qui promeut la sortie dudit journal bimensuel, que dans une vidéo, qui met en avant la une des journaux parus au Togo le mardi … 2020. Or, il s'avère que la page de couverture n'est pas la même que l'exemplaire que vous avez remis, ce qui démontre clairement que vous avez truqué vous-même le journal en question ou éventuellement payé une personne pour le faire à votre place. Cette pratique de corruption étant notamment très courante dans les pays africains, comme en témoigne un article au sujet du Cameroun et les informations recueillies concernant le Togo, à savoir : « the Asylum Court dismissed the applicant's request for the re-opening of the asylum proceedings. With regard to the newspaper article from "Le Patriote", it found that it was unlikely that a newspaper would report on events about food distribution in a camp for flood victims half a year after that occurrence.

Furthermore, it was well known to the court that such articles could be easily bought in Togo and that the applicant had only presented the printout of an internet download of the page, which was again an indication of it being a falsification (…) ».

Le constat que le Journal Atopani Infos n°… est une falsification de votre part est encore soutenu par le fait que d'autres éditions, la n°… et la n°…, ont pu être retrouvées sur le profil Facebook précité et sur le site internet « www.republicoftogo.com » en format « pdf ». Or, la comparaison des deux éditions publiées sur les deux sites différents démontre très clairement que les versions sont identiques.

Ainsi, force est sérieusement de s'interroger pour quelles raisons l'édition n°…, laquelle vous concerne prétendument, serait la seule à être différente. Toujours concernant le Journal du peuple Atopani n°…, il a également pu être noté que la première et quatrième de couverture ont été imprimées en couleur, alors que le reste des pages ont été imprimées en noir et blanc.

Pareil constat s'impose concernant le papier qui est différent, plus lisse et plus gros pour la première et quatrième de couverture que pour les autres pages. Or, il est clair, Monsieur, que tout ceci corrobore le fait que ledit document a été falsifié, chose qui est inacceptable et 8intolérable, alors que vous vous faites passer pour une victime que vous n'êtes manifestement pas.

Une réserve doit encore être émise quant à la véracité d'autres de vos documents, alors que la mise en page, les entêtes et les tampons varient d'un document à l'autre, notamment concernant les pièces attestant de votre emploi auprès du Ministère de la Santé, dont à titre d'exemple, les deux ordres de missions du 21 novembre 2016 et du 30 mars 2017 sont divergents. Pareille conclusion s'impose concernant la note d'information du préfet d'… que vous avez transmis et où la date y figurant du 24 mars 2016 ne correspond pas à vos dires.

Quatrièmement, d'autres nombreuses incohérences entachent clairement la crédibilité de votre version et votre réelle intention de départ de votre pays d'origine.

Tout d'abord, force est de noter qu'une personne qui aurait réellement été à risque, comme vous prétendez l'être et qui aurait été recherchée par les autorités de son pays, n'aurait manifestement pas pris la fuite en laissant sa famille au Togo, sans prendre la moindre précaution ou encore sans se soucier de ce qu'elle pourrait advenir (p.2/19 du rapport d'entretien). Dans le même sens, il n'est pas crédible non plus que vous ayez pris la fuite sans votre famille, alors même que votre femme et vos enfants auraient également potentiellement été à risque de subir des représailles futures, ce potentiel risque s'étant notamment concrétisé selon vos dires, puisque la police serait intervenue à votre domicile pour faire des enquêtes au moins trois fois en 2020 (p.5/19 du rapport d'entretien). Il est donc légitime de s'interroger pour quelles raisons vous auriez laissé votre femme et vos enfants au Togo, alors même que ceux-ci auraient également été en danger par ricochet en raison de vos prétendus problèmes.

De plus, et pas des moindres, il convient de mettre en cause la crédibilité de votre récit alors que vous auriez vécu à … d'octobre 2017 à janvier 2020, que vous auriez travaillé à votre compte et ce à votre domicile de … sans que rien ne vous arrive jamais, mise à part l'envoi des trois convocations en avril-mai 2019 et l'émission de l'avis de recherche en juin 2019. Or, Monsieur, si les autorités togolaises vous avaient réellement recherché, celles-ci auraient manifestement eu aucun mal à vous retrouver pendant tout ce laps de temps – trois ans –, étant donné que vous vous seriez trouvé à l'adresse connue par leur service, notamment à …, adresse qui se trouve également renseignée sur les passeports de vos enfants, lesquels ont été émis en septembre 2017, respectivement, en août 2018. Il n'est ainsi aucunement crédible que les autorités aient émis des convocations et un avis de recherche en juin 2019 sans ne jamais s'être présenté à votre domicile avant.

En outre, il n'est toujours pas crédible que vous vous soyez donné autant de mal pour quitter votre pays d'origine, notamment en payant une personne qui se serait trouvée au Brésil pour que celle-ci vous réserve et envoie vos billets d'avion, alors même que vous n'auriez à aucun moment rencontré un souci quelconque (p.12/19 du rapport d'entretien).

Il est une énième fois totalement incohérent que vous n'ayez dit à personne que vous vous trouviez au Luxembourg, ni à votre femme, ni à personne, mais qu'une connaissance de quartier, le dénommé (C), vous aurait envoyé tous vos documents personnels à votre adresse au Luxembourg, documents qui ont nonobstant permis d'appuyer votre demande de protection internationale (p.5/19 du rapport d'entretien). De plus, il convient légitimement de s'interroger comment cette connaissance de quartier aurait obtenu toutes vos pièces documentaires personnelles, dont une grande partie se serait visiblement trouvée à votre domicile, comme par 9exemple : les convocations de la gendarmerie, les actes de naissances, les photocopies des passeports de vos enfants, vos documents concernant le travail, etc (p.2/19 du rapport d'entretien).

Finalement, concernant l'incident que vous relatez et qui se serait prétendument produit à …, force est de constater que vos allégations à cet égard sont étonnamment rocambolesques, alors que vous auriez pris la fuite en escaladant la clôture arrière de la maison sans ouvrir la porte aux officiers de police et sans que ceux-ci vous aperçoive[ent], pour ensuite aller vous réfugier à environ deux kilomètres de votre domicile au sein d'une auberge tout en y restant pendant quatre jours. Or, si vous aviez réellement été recherché par la gendarmerie nationale, tel que vous l'affirmez, il n'est pas crédible et totalement dérisoire que vous soyez encore resté quatre jours à … dans une auberge, qui plus est se serait trouvée à proximité de votre domicile à … tout en ne sachant pas si la gendarmerie avait continué à vous chercher. Toujours à cet égard, il est encore moins crédible que vous soyez retourné à votre domicile à … le lendemain au lieu de vous enfuir immédiatement (p.15-16/19 du rapport d'entretien).

Ainsi, eu égard à l'ensemble des développements effectués ci-avant, la crédibilité générale de votre récit est considérablement et légitimement remise en cause, alors qu'il est sans-équivoque que vous avez inventé toute votre histoire et fabriqué les documents en question afin d'aggraver votre situation dans votre pays d'origine.

Partant, aucune protection internationale ne saurait vous être accordé.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.

Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Togo, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 octobre 2023, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à la réformation de cette décision du ministre du 15 septembre 2023.

Par jugement du 5 février 2025, le tribunal débouta le demandeur de son recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire et le condamna aux frais et dépens de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 4 mars 2025, Monsieur (A) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Arguments des parties Après avoir résumé ses déclarations faites lors de ses auditions auprès du ministère, l’appelant reprend son moyen de légalité externe présenté en première instance, à savoir le reproche d’une mauvaise instruction de son dossier en violation des articles 10 et 15 de la loi du 18 décembre 2015, tout en reprochant aux premiers juges une mauvaise lecture de ces dispositions pour avoir retenu que ledit article 15 n’obligerait pas le ministre de demander des 10clarifications postérieurement à l’entretien. L’appelant est d’avis qu’il aurait incombé au ministre de le confronter, même après l’entretien, à des contradictions s’il en avait constaté qui l’empêcheraient de comprendre ses dires et souligne que l’article 15, précité, ne s’opposerait pas à de telles demandes de renseignement postérieures à l’entretien. Comme l’appréciation du ministre devrait se faire sur base d’un entretien détaillé et factuel, son rôle ne se résumerait pas à simplement enregistrer les déclarations du demandeur de protection internationale, mais il aurait l’obligation de demander des précisions ou compléments d’information.

L’appelant critique ensuite les premiers juges pour avoir confirmé le refus ministériel de lui accorder une protection internationale en raison d’un manque de crédibilité de son récit.

Ainsi, en se prévalant du bénéfice du doute, il insiste sur les difficultés qu’auraient les demandeurs de protection internationale pour fournir des preuves de leurs dires et fait valoir qu’il n’aurait pas eu l’intention d’induire le ministre en erreur ou de mentir et qu’il aurait fait ses déclarations « sans filtre ».

S’agissant de ses déclarations au moment du dépôt de sa demande, il fait valoir qu’il n’aurait pas été « dans tous ses états » à ce moment vu qu’il venait d’arriver au Luxembourg après son périple suite à son départ de son pays d’origine et estime que le fait de lui tenir rigueur du fait d’une contradiction entre ses déclarations au moment du dépôt de sa demande de protection internationale et celles faites lors de son audition relèverait d’une appréciation subjective et erronée du ministre et plus loin des premiers juges.

De même, les contradictions et incohérences, voire des erreurs sur des pièces relevées par le ministre ne seraient pas de nature à décrédibiliser l’essentiel de son récit, l’appelant faisant par ailleurs valoir que dans la mesure où il ne serait pas l’auteur de ces pièces, des anomalies les affectant ne pourraient pas lui être attribuées.

Il déclare réitérer ses développements quant aux doutes et incohérences avancés par le ministre.

Il souligne que ce seraient des raisons politiques, en l’occurrence, les persécutions et atteintes graves qu’il aurait subies de la part des autorités togolaises à la suite de manifestations en 2017, qui l’auraient contraint de quitter le Togo. Le fait qu’il a quitté son pays d’origine seulement en 2020 ne serait pas incohérent puisque le fait générateur de sa fuite aurait persisté jusqu’en 2020, lorsqu’il aurait finalement pu trouver un moyen pour fuir.

Ensuite, l’appelant insiste sur l’existence d’un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Enfin, il demande la réformation de l’ordre de quitter le territoire en raison des persécutions et atteintes graves qu’il déclare craindre et du risque pour sa vie qu’il en déduit.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de l’appel et à la confirmation du jugement a quo.

Analyse de la Cour 11A titre liminaire et s’agissant tout d’abord de la déclaration de l’appelant de réitérer ses développements de première instance quant aux doutes et incohérences relevées par le ministre, la Cour ne saurait donner une suite favorable à cette déclaration, étant donné que les moyens d’appel sont appelés à se diriger contre le jugement dont appel, de sorte à devoir être formulés concrètement par rapport aux dispositions dudit jugement faisant grief dans l’optique de l’appelant. Elle ne saurait dès lors tenir compte des moyens simplement réitérés par référence aux écrits de première instance, lesquels, par la force des choses, se dirigent contre la décision de l’administration initialement critiquée et non pas contre le jugement dont appel ayant statué par rapport à cette décision.

La Cour ne statuera partant que par rapport aux moyens, tels que développés par l’appelant dans le cadre de sa requête d’appel.

En ce qui concerne ensuite les moyens de légalité externe et fondés sur une violation des articles 10 et 15 de la loi du 18 décembre 2015, la Cour ne peut que confirmer, par adoption des motifs, l’analyse pertinente des premiers juges et leur conclusion selon laquelle le ministre n’a pas violé les dispositions afférentes, sans que cette conclusion ne soit énervée par les considérations avancées par l’appelant en instance d’appel qui se résument à l’affirmation selon laquelle le ministre aurait dû, en application de 15 de la loi du 18 décembre 2015, lui demander des explications complémentaires à la suite de l’entretien au lieu de le débouter de sa demande au motif d’un défaut de crédibilité de son récit.

A cet égard, les premiers juges ont retenu à juste titre, en se référant à un arrêt de la Cour du 18 janvier 2022, inscrit sous le n° 46644C du rôle, que cette disposition n’oblige pas le ministre de demander des clarifications au demandeur de protection internationale à la suite de l’entretien, mais qu’elle se situe dans le contexte de l’entretien lui-même et s’applique au demandeur qui a ainsi la faculté de compléter voire de préciser à cette occasion ses déclarations.

En tout état de cause, la Cour ne dégage d’aucun élément du dossier que l’appelant n’ait pas eu « la possibilité concrète de présenter les éléments nécessaires pour étayer sa demande de manière aussi complète que possible », tel que l’article 15 de la loi du 18 décembre 2025 le requiert, ou encore que la possibilité, garantie par cette même disposition, « de fournir une explication concernant les éléments qui pourraient manquer et toute incohérence ou contradiction dans [ses] déclarations » lui ait été déniée.

S’agissant ensuite du bien-fondé de la demande de protection internationale, la Cour relève que la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 sub f), de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Il se dégage de la lecture combinée des articles 2 sub f), 2 sub h), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 que doit être considérée comme réfugié toute personne qui a une crainte fondée d’être persécutée et que la reconnaissance du statut de réfugié est notamment soumise aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou 12l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d'origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l'article 48 », ledit article 48 loi énumérant en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ». L'octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il s’y ajoute que la définition du réfugié contenue à l’article 2 sub f), de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 sub g), de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur de protection internationale ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du juge devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Dans le cadre de l’examen au fond d’une demande de protection internationale, l’évaluation de la situation personnelle d’un demandeur d’asile ne se limite, tel que relevé par les premiers juges, point à la pertinence des faits allégués, mais elle implique un examen et une appréciation de la valeur des éléments de preuve et de la crédibilité des déclarations du 13demandeur d’asile, la crédibilité du récit de ce dernier constituant, en effet, un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé de sa demande de protection internationale, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Sous cet aspect, les premiers juges se sont référés de façon pertinente à l’article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015, dont il se dégage que le demandeur de protection internationale bénéficie du doute, à condition que son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, étant relevé que le principe du bénéfice du doute est, en droit des réfugiés, d’une très grande importance, alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécutions ou d’atteintes graves.

La Cour constate que le ministre s’est limité à examiner la crédibilité du récit de l’appelant et lui a, sur base du seul constat que le récit manque de crédibilité, refusé la protection internationale.

En l’espèce, la Cour partage entièrement et fait sienne l’analyse détaillée du récit de l’appelant telle que faite par les premiers juges et ayant abouti à la conclusion que ledit récit n’est pas crédible, les premiers juges ayant à juste titre relevé, à l’instar du ministre, (i) des versions divergentes s’agissant des motifs de fuite exposés devant le service de police judiciaire et sur la fiche des motifs remplie le 5 novembre 2021 (des problèmes d’ordre familial et en l’occurrence la crainte d’être tué par certains membres de sa famille en raison de ses capacités intellectuelles) et lors des entretiens auprès du ministère (craintes de représailles pour des considérations politiques, en l’occurrence au motif que les autorités lui reprocheraient d’avoir sensibilisé et mobilisé des jeunes afin de participer à des manifestations en 2017), (ii) un comportement globalement incohérent, qui ne correspond pas à celui d’une personne réellement recherchée dans son pays d’origine et y craignant pour sa vie (décalage dans le temps entre les faits de 2017 qui seraient à la base de la fuite et le départ du Togo en 2020 ; allégation d’un départ précipité vers la Russie en janvier 2020, bien que disposant déjà d’un visa étudiant depuis novembre 2019 ; défaut de dépôt d’une demande de protection internationale immédiatement après avoir quitté le Togo), (iii) le séjour entre octobre 2017 et janvier 2020 à une adresse connue par les autorités togolaises sans avoir été inquiété pendant ce temps, ce qui rend d’autant moins crédible les trois convocations qui auraient été adressées à cette même adresse immédiatement après son départ, (iv) la délivrance sans aucune difficulté d’un nouveau passeport à une époque où l’appelant a déclaré avoir reçu des convocation policières et fait l’objet d’un avis de recherche, (v) des déclarations mensongères au sujet d’une prétendue perte de documents d’identité en Russie et (vi) les erreurs flagrantes dont sont affectées les convocations de la police et l’avis de recherche, de même que les anomalies constatées au niveau de l’extrait de journal produit par l’appelant.

Sur base de ces seules considérations, mises en balance à leur juste mesure avec les explications fournies par l’appelant, les premiers juges sont à bon droit et sans analyser plus avant d’autres incohérences relevées par le ministre, arrivés à la conclusion d’un défaut de crédibilité du récit de l’appelant dans sa globalité, conclusion qui n’est pas remise en cause par les explications fournies en instance d’appel, qui se limitent à des pures affirmations et à des généralités, sans que l’appelant n’ait fait état d’explications précises et plausibles qui 14permettraient d’invalider les constats du ministre et la conclusion qu’il en a tirée, confirmée par les premiers juges.

Il suit des considérations qui précèdent que les premiers juges ont à bon droit rejeté le recours dirigé contre le refus d’octroi d’une protection internationale, prise en son double volet.

Quant à l'ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, force est de constater que dès lors que le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé à l’appelant le statut de la protection internationale - statut de réfugié et protection subsidiaire - et que le refus d’octroi de pareil statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer ledit ordre.

La Cour relève encore qu’au regard de ce qui vient d’être retenu par rapport au caractère non crédible des déclarations de l’appelant, impactant nécessairement sur le sérieux de ses craintes, et à défaut d’autres éléments, la conclusion ci-avant retenue par rapport au bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire n’est pas remise en cause par les craintes pour sa vie avancées par l’appelant et que celui-ci déduit justement d’un récit jugé comme étant non crédible.

Il suit de l'ensemble des considérations qui précèdent que le jugement du 5 février 2025 est à confirmer et que l’appelant est à débouter de son appel.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 4 mars 2025 en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant, partant, confirme le jugement entrepris du 5 février 2025, donne acte à l’appelant qu’il déclare bénéficier de l'assistance judiciaire, condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.

15s. SCHINTGEN s. SPIELMANN Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 mai 2025 Le greffier de la Cour administrative 16


Synthèse
Numéro d'arrêt : 52463C
Date de la décision : 15/05/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 20/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2025-05-15;52463c ?

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