GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50862C ECLI:LU:CADM:2025:50862 Inscrit le 5 août 2024
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Audience publique du 15 mai 2025 Appel formé par Monsieur (A), … (Portugal), contre un jugement du tribunal administratif du 15 juillet 2024 (n° 49126 du rôle) en matière de police des étrangers
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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 50862C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 5 août 2024 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Cap Vert), de nationalité capverdienne, demeurant à … (Portugal), n° …, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 15 juillet 2024 (n° 49126 du rôle), par lequel ledit tribunal se déclara incompétent pour statuer sur la demande tendant à se voir accorder un « report de l’éloignement » ainsi que pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre principal contre la décision ministérielle du 6 avril 2023 portant refus d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié, reçut, en la forme, le recours subsidiaire en annulation dirigé contre cette même décision, au fond le déclara non justifié et en débouta le demandeur, tout en le condamnant aux frais de l’instance ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative par Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO le 26 août 2024 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 25 septembre 2024 par Maître Nicky STOFFEL au nom de l’appelant ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 5 novembre 2024.
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Par courrier du 20 octobre 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après le « ministre », informa Monsieur (A) qu’il avait vraisemblablement perdu son droit au séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne en raison de la fin de son mariage avec Madame (B), lui pria de présenter, dans un délai d’un mois, ses observations et pièces pour justifier le maintien dans son chef d’un tel droit de séjour conformément aux dispositions de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après la « loi du 29 août 2008 », et l’informa qu’à défaut, il perdrait ledit droit.
Par décision du 12 décembre 2022, le ministre l’informa de la perte de son droit de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne et lui ordonna de quitter le territoire endéans un délai de trente jours, cette décision étant libellée comme suit :
« (…) En date du 20 octobre 2022, je vous ai informé que j’avais constaté que vous aviez vraisemblablement perdu votre droit de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union en application de l’article 17, paragraphe (3) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, sauf preuve du contraire de votre part.
Je regrette de devoir constater qu’aucune observation de nature à justifier le maintien d’un droit de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union dans votre chef ne m’a été communiquée dans le délai indiqué dans le courrier précité.
Je vous informe partant que vous avez perdu le droit de séjour d’un membre de famille d’un citoyen de l’Union en raison de votre divorce avec Madame (B), conformément à l’article 17 (3) précité et votre carte de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union vous est retirée conformément à l’article 25 (1) de la même loi.
Je vous invite à bien vouloir remettre votre carte de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union aux guichets de la Direction de l’Immigration.
Au vu de la perte susmentionnée de votre droit de séjour et en application de l’article 111 de la même loi, vous êtes obligé de quitter le territoire endéans un délai de trente jours à destination du pays dont vous avez la nationalité, le Cap-Vert, soit à destination du pays qui vous a délivré un document de voyage en cours de validité, soit à destination d’un autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. A défaut, l’ordre de quitter sera exécuté d’office et vous serez éloigné par la contrainte. (…) ».
Par courrier du 4 janvier 2023 de son mandataire de l’époque, Monsieur (A) fit introduire, à titre principal, une demande d’autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié, tout en demandant, à titre subsidiaire, à se voir accorder un « report de l’éloignement », ainsi qu’une autorisation temporaire de travail « en attente de la possible régularisation de sa situation administrative ».
Par décision du 6 avril 2023, le ministre rejeta la demande d’autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié sur base de l’article 42, paragraphe (4), de la loi du 29 août 2008 dans les termes suivants :
« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié qui m’est parvenue en date du 6 janvier 2023.
Je tiens à vous informer que la demande d’autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié conformément à l’article 42, paragraphe (4) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ne saurait être délivrée à votre mandant, étant donné que votre mandant n’est plus affilié auprès de son employeur depuis le 11 janvier 2023.
J’attire également votre attention sur le fait que l’ordre de quitter le territoire du Grand-Duché de Luxembourg est toujours en vigueur à l’encontre de votre mandant. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 juillet 2023, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant, aux termes de son dispositif, d’une part, principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la seule décision ministérielle, précitée, du 6 avril 2023 portant rejet de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié, ainsi que, d’autre part, à se voir octroyer un report pour une durée de six mois de l’éloignement prononcé à son encontre à travers la décision ministérielle du 12 décembre 2022.
Par jugement du 15 juillet 2024, le tribunal administratif se déclara incompétent pour statuer sur la demande tendant à se voir accorder un « report de l’éloignement » ainsi que pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre principal contre la décision ministérielle du 6 avril 2023 portant refus d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié, reçut, en la forme, le recours subsidiaire en annulation dirigé contre cette même décision, au fond le déclara non justifié et en débouta le demandeur, tout en le condamnant aux frais de l’instance.
Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 5 août 2024, Monsieur (A) a relevé appel de ce jugement.
Quant à la recevabilité Dans sa réponse, l’Etat soutient que, contrairement aux dispositions de l’article 41, paragraphe (1), de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, l’appelant se limiterait à adresser des reproches généraux à l’encontre de la décision ministérielle du 6 avril 2023 sans développer de moyen de droit, de sorte qu’il ne serait pas en mesure de prendre utilement position par rapport à la requête d’appel. Dès lors, le délégué du gouvernement affirme que cette rédaction de la requête d’appel entraînerait une violation des droits de la défense de l’Etat au sens de l’article 29 de la loi du 21 juin 1999 précitée et, partant, conclut à l’irrecevabilité de la requête d’appel pour libellé obscur.
L’appelant rétorque que si la partie étatique prétend qu’elle ne pourrait pas prendre utilement position, ce serait « à tort ou bien par manque de volonté », au motif que les reproches seraient clairs en ce qu’il satisferait aux critères pour bénéficier d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur mais que le ministre aurait « ignoré les éléments pertinents » et pris une décision de refus à son encontre.
L’appelant doit formuler ses prétentions, tant au regard du résultat escompté -
annulation ou réformation du jugement visé - que des moyens libellés à cette fin, avec une précision telle que la Cour appelée à en connaître soit mise en mesure de les analyser in concreto et les parties intimées mises en mesure de préparer et assurer utilement leur défense (Cour adm. 23 mars 2023, n° 48300C, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 1212).
En l’espèce, il est vrai que l’appelant ne renvoie pas, dans le cadre de sa requête d’appel, à un texte légal précis dont il invoquerait le non-respect. Cependant, son argumentation ci-après reprise revient à reprocher au ministre d’avoir considéré qu’il n’aurait plus été dans une relation de travail à la date de sa décision malgré les circonstances dans lesquelles il aurait mis un terme à l’exécution de son travail, de sorte à se prévaloir en substance d’une mauvaise application de l’article 42, paragraphe (1), point 4, de la loi du 29 août 2008 par le ministre par rapport à sa situation particulière.
Il s’ensuit que le délégué du gouvernement n’a pas pu se méprendre sur les moyens en droit invoqués par l’appelant et qu’il a été mis en mesure par le contenu de la requête d’appel de prendre utilement position, ce qu’il a d’ailleurs fait à travers son mémoire en réponse.
Par voie de conséquence, le moyen d’irrecevabilité est à rejeter et l’appel est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond A l’appui de son appel, l’appelant réitère en substance l’exposé des faits et rétroactes tels que repris ci-avant. Tout d’abord, il soutient que, contrairement à ce que mentionne le courrier du ministre du 12 décembre 2022, il aurait bien envoyé au ministre des documents attestant qu’il aurait pu prétendre à l’obtention d’un titre de séjour en qualité de travailleur salarié dans la mesure où il aurait travaillé légalement. Il aurait alors pris contact avec son ancien mandataire et ce dernier aurait introduit, en date du 3 janvier 2023, une demande d’autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié dans son chef, demande ayant été rejetée par la décision ministérielle du 6 avril 2023 au motif qu’il aurait cessé toute activité professionnelle au 11 janvier 2023. A cet égard, Monsieur (A) soutient qu’il aurait été contraint d’arrêter de travailler dans la mesure où cela ne lui aurait plus été permis selon le courrier du 12 décembre 2022, qu’il aurait été certain de faire l’objet de nouvelles remontrances en cas de poursuite, sans autorisation, de son activité salariée et que cela aurait pu amener son employeur à avoir des difficultés en vertu de l’article L. 572-1 du Code du travail.
En droit, l’appelant soutient que la décision du 6 avril 2023 lui causerait torts et griefs en ce qu’elle l’obligerait à quitter le territoire du Grand-Duché de Luxembourg alors même qu’il y aurait établi sa vie depuis plusieurs années. Il affirme être de bonne foi lorsqu’il aurait entrepris les démarches visant à mettre un terme à son contrat de travail afin que sa situation soit en conformité avec le courrier du 12 décembre 2022. Il estime ainsi que la décision du 6 avril 2023, se fondant sur la circonstance qu’il n’était plus affilié comme salarié pour justifier le refus de son titre de séjour, constituerait la démonstration d’une volonté du ministre qui chercherait à le sanctionner quel que puisse être son comportement. Partant, Monsieur (A) affirme que le ministre aurait fait preuve d’une sévérité absolue dans l’examen de sa demande d’autorisation de séjour et qu’il aurait pu statuer avec davantage de compréhension afin de lui permettre de reprendre l’emploi qu’il aurait exercé depuis près d’une année.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de l’appel et partant à la confirmation du jugement a quo.
Dans sa réplique, l’appelant fait valoir qu’il remplirait les conditions prévues à l’article 42 de la loi du 29 août 2008 pour se voir accorder une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié et que le ministre, en prenant une décision de refus, aurait, de mauvaise foi, ignoré les éléments pertinents de sa demande, en violation du principe général du droit que serait le principe de cohérence. En effet, selon l’appelant, les décisions successives du ministre, et plus particulièrement celle du 6 avril 2023, auraient sciemment entravé la possibilité pour lui d’obtenir un titre de séjour en qualité de travailleur salarié en se basant sur le seul fait qu’il n’était plus affilié au Centre commun de la sécurité sociale au jour de sa demande, alors que le ministre, par courrier du 12 décembre 2022, l’aurait informé qu’il ne pouvait plus travailler au Luxembourg en raison de ce que son titre de séjour en tant que membre de la famille d’un citoyen de l’Union européenne lui avait été retiré. L’appelant conclut que de telles contradictions l’auraient placé dans l’incapacité de régulariser sa situation.
Tout d’abord, quant à la portée de l’appel, bien que l’appelant déclare entreprendre le jugement a quo en son entièreté, il n’a présenté aucune critique par rapport à la décision du tribunal de se déclarer incompétent pour statuer sur la demande tendant à se voir accorder un « report de l’éloignement » ni pour connaître du recours principal en réformation formé contre la décision de refus du 6 avril 2023. Par voie de conséquence, à défaut de moyens soumis par rapport à ces deux volets du jugement, il y a lieu de conclure que l’appel est limité à l’examen de la décision de refus du 6 avril 2023 et que les autres volets du jugement a quo ne sont pas contestés.
Comme rappelé à bon escient par les premiers juges, le cadre légal d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié, telle que sollicitée en l’espèce par l’appelant, est tracé par l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, qui, dans sa version applicable au litige, dispose comme suit :
« (1) L’autorisation de séjour et l’autorisation de travail dans les cas où elle est requise, sont accordées par le ministre au ressortissant de pays tiers pour exercer une activité salariée telle que définie à l’article 3, après avoir vérifié si, outre les conditions prévues à l’article 34, les conditions suivantes sont remplies :
1. il n’est pas porté préjudice à la priorité d’embauche dont bénéficient certains travailleurs en vertu de l’article L. 622-4, paragraphe (4) du Code du travail ;
2. l’exercice de l’activité visée sert les intérêts économiques du pays ;
3. il dispose des qualifications professionnelles requises pour l’exercice de l’activité visée ;
4. il est en possession d’un contrat de travail conclu pour un poste déclaré vacant auprès de l’Agence pour le développement de l’emploi dans les formes et conditions prévues par la législation afférente en vigueur ».
Le ministre, confirmé en cela par les premiers juges, a valablement dégagé de cette disposition que le demandeur d’une autorisation de séjour doit être en possession d’un contrat de travail pour le poste de travail sur lequel il se fonde pour obtenir le droit de séjour en tant que travailleur salarié au jour où le ministre statue sur sa demande.
En effet, il n’est pas contesté que l’appelant n’était plus affilié auprès de son employeur depuis le 11 janvier 2023. Si Monsieur (A) tente d’expliquer sa manière d’agir à la suite du retrait du droit de séjour en tant que membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne par la décision ministérielle du 12 décembre 2022, il n’est pas en mesure de fournir un document démontrant que la condition fixée au quatrième point du premier paragraphe de l’article 42 de la loi du 29 août 2008, précitée, était remplie dans son chef au jour de la prise de la décision contestée, l’appelant concédant au contraire ne pas avoir de contrat de travail en cours depuis le 11 janvier 2023, afin de ne pas faire l’objet de « nouvelles remontrances ».
C’est donc à bon droit que les premiers juges ont confirmé que le ministre pouvait refuser de faire droit à la demande d’autorisation de séjour de l’appelant en qualité de travailleur salarié.
L’argumentation de l’appelant consistant à soutenir que le ministre l’aurait placé dans une situation ne lui permettant pas de régulariser sa situation n’est pas de nature à mettre en échec la légalité du refus litigieux, fondé à suffisance sur le constat qu’une des conditions prévues par l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 n’était pas remplie dans la mesure où l’appelant a mis un terme à son emploi salarié suite à la décision ministérielle du 12 décembre 2022 ayant informé l’appelant de ce que sa carte de séjour en tant que membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne lui avait été retirée et lui ayant imposé l’obligation de quitter le territoire.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel n’est pas fondé et que le jugement entrepris est, par conséquent, à confirmer.
PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 5 août 2024 en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant, partant confirme le jugement entrepris du 15 juillet 2024, condamne la partie appelante aux frais et dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par:
Serge SCHROEDER, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu à l’audience publique du 15 mai 2025 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller, en présence de la greffière assumée à la Cour Carla SANTOS.
s. SANTOS s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 mai 2025 Le greffier de la Cour administrative 6