GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50746C ECLI:LU:CADM:2025:50746 Inscrit le 15 juillet 2024
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Audience publique du 13 mai 2025 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 5 juin 2024 (n° 47171 du rôle) dans un litige l’opposant à des bulletins d’impôt et à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts
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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 50746C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 15 juillet 2024 par Maître Charles MULLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 5 juin 2024 (n° 47171 du rôle), par lequel ledit tribunal - déclara irrecevable son recours en ce qu’il est dirigé directement contre les bulletins rectificatifs de l'impôt sur le revenu des années 2011 à 2018, les bulletins de la base d'assiette de la contribution à l'assurance dépendance des années 2011, 2012, 2014, 2015, 2017 et 2019, les bulletins rectificatifs de la base d'assiette de la contribution à l'assurance dépendance des années 2013, 2016 et 2018, le bulletin de l'impôt d'équilibrage budgétaire temporaire de l’année 2015, le bulletin rectificatif de l'impôt d'équilibrage budgétaire temporaire de l’année 2016 et le bulletin de l'impôt sur le revenu de l’année 2019, émis en date du 17 mars 2021, - reçut en la forme le recours principal en réformation dirigé contre la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 13 décembre 2021, référencée sous le numéro (1) du rôle, ayant rejeté sa réclamation du 14 juin 2021 dirigée contre ces mêmes bulletins et, au fond, le déclara non fondé et en débouta, - dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation et - mit les frais et dépens de l’instance à charge du demandeur ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 15 octobre 2024 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 8 novembre 2024 par Maître Charles MULLER pour compte de Monsieur (A) ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Charles MULLER et Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 janvier 2025.
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Le 24 septembre 2014, le bureau d’imposition … de l’administration des Contributions directes, ci-après le « bureau d’imposition » émit à l’égard de Monsieur (A) les bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2011 et 2012. Le 23 décembre 2015, le bureau d’imposition émit à l’égard de Monsieur (A) le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2013. Les bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2014 à 2018 furent émis ultérieurement à l’égard de Monsieur (A).
Par courrier du 9 février 2021, le bureau d’imposition informa Monsieur (A) qu’il envisageait de s’écarter des déclarations de l’impôt sur le revenu des années 2011 à 2019 sur le fondement du § 205, alinéa (3), de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », tout en l’invitant à formuler ses objections pour le 26 février 2021 au plus tard, ledit courrier étant libellé comme suit :
« (…) Après vérification (§§204 et 205 AO) de vos déclarations mentionnées sous rubrique, et conformément au § 205(3) AO (principe du contradictoire), je dois vous communiquer, préalablement à l'émission des bulletins d'imposition les points sur lesquels le bureau d'imposition entend s'écarter des déclarations en question :
Concernant l'immeuble sis … :
Considérant que vous pratiquez une sous-location de cet immeuble et que vous avez omis de déclarer ce revenu dans vos déclarations fiscales, le bureau va procéder à des impositions rectificatives des années en cause. Le revenu de location pour chaque année va se chiffrer comme suit :
Recettes :
Logement 1 : utilisation personnelle 0 Logement 2 : locataire (C) … Logement 3 : locataire (D) … Logement 4 : locataire (E) … R-d-ch. :
locataire (F) … …€ Dépenses :
Loyer (AA) SARL : …€ pour l'immeuble entier moins le loyer pour votre utilisation privée du logement 1, taxé à …€/an Revenu de location imposable par année :
… -… … Je vous prie de me communiquer, de préférence par écrit, vos objections quant aux redressements envisagés pour le 26 février 2021 au plus tard.
Ce délai passé, je me permets d'admettre votre approbation et les impositions des années 2011 à 2019 seront établies en tenant compte des modifications susmentionnées.
(…) ».
En date du 17 mars 2021, le bureau d’imposition émit à l’égard de Monsieur (A) les bulletins rectificatifs de l'impôt sur le revenu des années 2011 à 2018, les bulletins de la base d'assiette de la contribution à l'assurance dépendance des années 2011, 2012, 2014, 2015, 2017 et 2019, les bulletins rectificatifs de la base d'assiette de la contribution à l'assurance dépendance des années 2013, 2016 et 2018, le bulletin de l'impôt d'équilibrage budgétaire temporaire de l’année 2015, le bulletin rectificatif de l'impôt d'équilibrage budgétaire temporaire de l’année 2016 et le bulletin de l'impôt sur le revenu de l’année 2019 indiquant que l’imposition tenait compte des modalités retenues dans le courrier précité du 9 février 2021 suivant le § 205, alinéa (3), AO.
Par courrier de son mandataire du 14 juin 2021, réceptionné par la direction de l’administration des Contributions directes le lendemain, Monsieur (A) fit introduire auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après le « directeur », une réclamation contre l’ensemble des bulletins d’impôt précités.
Par décision du 13 décembre 2021, référencée sous le numéro (1) du rôle, le directeur rejeta la réclamation de Monsieur (A) pour ne pas être fondée. Ladite décision est basée sur les considérations et motifs suivants :
« (…) Vu la requête introduite le 15 juin 2021 par Maître Charles Müller, au nom du sieur (A), demeurant à L-…, pour réclamer contre les bulletins rectificatifs de l'impôt sur le revenu des années 2011, 2012, 2013, 2014, 2015, 2016, 2017 et 2018, les bulletins de la base d'assiette de la contribution à l'assurance dépendance des années 2011, 2012, 2014, 2015 et 2017, les bulletins rectificatifs de la base d'assiette de la contribution à l'assurance dépendance des années 2013, 2016 et 2018, le bulletin de l'impôt d'équilibrage budgétaire temporaire de l'année 2015, le bulletin rectificatif de l'impôt d'équilibrage budgétaire temporaire de l'année 2016, le bulletin de l'impôt sur le revenu de l'année 2019, et le bulletin de la base d'assiette de la contribution à l'assurance dépendance de l'année 2019, tous émis en date du 17 mars 2021 ;
Vu le dossier fiscal ;
Vu les §§ 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;
Considérant que l'introduction par une requête unique de plusieurs demandes distinctes, mais néanmoins semblables, empiète sur le pouvoir discrétionnaire du directeur des contributions de joindre des affaires connexes, mais n'est pas incompatible en l'espèce avec les exigences d'une procédure ordonnée ni dommageable à une bonne administration de la loi ; qu'il est, en principe, loisible au directeur des contributions de joindre ou non des affaires qui lui paraissent suffisamment connexes ;
Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit (§ 238 AO), dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu'elles sont partant recevables ;
Considérant que le réclamant fait grief au bureau d'imposition de ne pas avoir correctement déterminé le revenu net provenant de la location de biens au sens de l'article 98 de la loi concernant l'impôt sur le revenu (L.I.R.) généré par « la sous-location des différents logements » ;
Considérant qu'en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens du réclamant, la loi d'impôt étant d'ordre public ;
qu'à cet égard, le contrôle de la légalité externe de l'acte doit précéder celui du bien-fondé ;
qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;
Considérant que à la suite nouvelles informations qu’il a recueillies, le bureau d’imposition a procédé à une instruction au sens des §§ 204 et 205 AO qui a révélé que le réclamant a réalisé des revenus provenant de la sous-location de différents logements situés dans l’immeuble sis …, depuis au moins l’année 2009 ; que ces revenus n’ont jamais été déclarés par le réclamant ;
Quant à la forme Considérant que le bureau d'imposition a procédé à des impositions rectificatives pour les années d'imposition 2011 à 2018, sur pied du § 222, alinéa 1er, n° 1 AO ; qu'un bulletin d'impôt ne peut être rectifié en vertu du § 222, alinéa 1er AO que dans la mesure où, comme en l'espèce, le bureau d'imposition a pris connaissance de faits ou de moyens de preuve nouveaux justifiant une augmentation de la cote d'impôt pour autant que l'impôt ne soit pas atteint par la prescription, celle-ci voyant son délai prorogé de 5 à 10 ans, conformément à l'article 10 de la loi du 27 novembre 1933 concernant entre autres le recouvrement des contributions directes dans les cas visés justement par le § 222 AO ; que le bureau d'imposition a en outre procédé à l'imposition des revenus de l'année 2019 ;
Considérant qu'aux termes du § 234 AO, une réclamation contre un bulletin rectificatif n'est recevable que pour autant qu'elle vise la rectification intervenue ; que le § 234 AO dispose que « Bei Steuerbescheiden, die frühere Steuerbescheide ändern, zum Beispiel in den Fällen des § 92, Absatz 3 und der §§ 94, 222 und 225 AO, ist der neue Bescheid selbständig anfechtbar, soweit die Änderung reicht » ; qu'il y a d'abord lieu de retenir qu'une telle réclamation est en principe recevable, mais uniquement dans la limite des moyens de droit et de fait dirigés à l'encontre des éléments rectifiés, sans que puissent être attaquées les bases d'imposition retenues dans le bulletin d'impôt d'origine ;
Considérant en effet que le paragraphe 234 AO concerne le cas où un bulletin rectificatif, attaqué par voie d'une réclamation, a remplacé un premier bulletin qui, tel qu'en l'espèce, a déjà acquis autorité de chose décidée au moment de l'émission du bulletin rectificatif, condition d'application fondamentale (v. p. ex. : Cour administrative du 11 janvier 2007, n° 21679C du rôle, d'ailleurs jurisprudence constante) ; que le sens de cette disposition consiste à empêcher le contribuable, auquel le bureau d'imposition réclame par bulletin rectificatif un surplus d'impôt, de pouvoir contester dans sa réclamation dirigée contre ce bulletin la cote d'impôt fixée à l'origine, ayant acquis force de chose décidée ;
Considérant qu'en l'espèce, les bulletins rectificatifs attaqués ont été émis à un moment où les bulletins originaires étaient déjà coulés en force de la chose décidée - le bulletin de l'impôt sur le revenu, et le bulletin de la base d'assiette de la contribution à l'assurance dépendance de l'année 2018 ayant été émis en date du 5 août 2020 -, de sorte que les réclamations du 15 juin 2021 ont été valablement introduites, endéans le délai légal, à l'égard des bulletins (rectificatifs) précités des années 2011, 2012, 2013, 2014, 2015, 2016, 2017 et 2018, tous émis en date du 17 mars 2021 et attaquables dans la mesure seulement où les cotes d'impôt rectifiées dépassent les cotes initiales (§ 234 AO) ;
Quant au fond Considérant que dans un avenant au contrat de bail conclu entre le réclamant, preneur du bail, et le sieur (B), bailleur, il a été retenu ce qui suit : « le Preneur loue au Bailleur (sic) […] Une maison de commerce et d'habitation sise à … » ; qu'en date du 1er janvier 2009, le réclamant a conclu un contrat de bail commercial avec la société à responsabilité limitée (BB), qui a pour objet l'exploitation d'un débit de boissons alcoolisées et non alcoolisées avec petite restauration, et dont le réclamant est associé-gérant administratif depuis le 17 novembre 2008 ; que le commerce du réclamant se trouve au rez-de-chaussée de l'immeuble sis … ;
Considérant que le mandataire du réclamant s'exprime comme suit au sujet des impositions rectificatives : « A titre liminaire, mon mandant précise qu'il ne conteste pas le principe des impositions rectificatives pour les années en cause.[…] Si le principe des impositions n'est pas contesté, mon mandant conteste cependant le montant du revenu net de la location de biens appliqué dans les Bulletins. […] D'une part, le revenu de location calculé inclut à tort les charges locatives comme constituant un revenu imposable […] D'autre part, le « loyer pour l'utilisation privée du logement 1 », taxé à hauteur de … EUR en déduction des dépenses exposées, est contesté en son principe, sinon subsidiairement en son quantum » ;
Considérant que sur base des informations recueillies dans le cadre de son instruction, le bureau d'imposition a procédé à une imposition par voie de taxation des revenus dégagés par la sous-location des différents logements en tant que revenu net provenant de la location de biens au sens de l'article 98 L.I.R. ;
Considérant qu'en date du 9 février 2021, le bureau d'imposition avait, avant de procéder aux impositions rectificatives et conformément aux dispositions du § 205, alinéa 3 A0, informé le réclamant de ce qui suit : « Considérant l'immeuble sis … Considérant que vous pratiquez une sous-location de cet immeuble et que vous avez omis de déclarer (sic) ce revenu dans vos déclarations fiscales, le bureau va procéder à des impositions rectificatives des années en cause. Le revenu de location pour chaque année va se chiffrer comme suit :
Recettes :
Logement 1 : utilisation personnelle 0 Logement 2 : locataire (C) … Logement 3 : locataire (D) … Logement 4 : locataire (E) … R-d-ch. :
locataire (F) … …€ Dépenses :
Loyer (AA) SARL : …€ pour l'immeuble entier moins le loyer pour votre utilisation privée du logement 1, taxé à …€/an Revenu de location imposable par année : …€ -…€ …€ » En ce qui concerne les recettes provenant de la sous-location des différentes habitations Considérant que dans sa requête, le réclamant exprime son désaccord avec le montant taxé de … euros, représentant le montant estimé des recettes provenant de la sous-location des différents logements : « Les montants listés ci-dessus comprennent non seulement les loyers, mais également les charges locatives. Ces dernières ne constituent pas une recette dans le chef de mon mandant et ne sont dès lors pas à prendre en compte. […] Au vu de ce qui précède, les recettes provenant de la sous-location de l'immeuble s'élèvent à … EUR au lieu de … EUR. » ;
Considérant que suite à la lettre du 9 février 2021, adressée par le bureau d'imposition au réclamant, conformément aux dispositions du § 205, alinéa 3 AO, le réclamant a présenté au bureau d'imposition un certain nombre de pièces concernant des frais prétendument en relation avec la sous-location ; que, toutefois, selon les informations recueillies et vérifiées par l'instance contentieuse auprès du bureau d'imposition, les pièces et explications présentées par le réclamant (principalement des extraits bancaires) n'étaient pas concluantes et ne permettaient pas au bureau d'imposition de déterminer de manière certaine et précise les dépenses en relation avec la sous-location des différents logements, de sorte que le bureau d'imposition, admettant toutefois que la sous-location précitée a donné naissance à un certain nombre de frais à charge du réclamant, a taxé lesdits frais à … euros, et que, dès lors, le montant retenu à titre de revenu net provenant de la location de biens tel que déterminé par le bureau d'imposition s'établit à (… euros, recettes provenant de la sous-location - … euros, loyer annuel payé par le réclamant à la (AA) S.à r.l., diminué d'un montant taxé de … euros « pour utilisation privée du logement 1 » - … euros, montant taxé des frais directement provoqués par la sous-location, i.e.) … euros pour chacune des années d'imposition litigieuses ;
Considérant que dans le cadre de sa requête, le réclamant a fourni les contrats de bail conclus entre lui et les locataires ; que selon le réclamant, le revenu pour les différentes habitations données en sous-location, déterminé sur base des stipulations des différents contrats de bail, s’établit comme suit :
Partie concernée Recettes Charges invoquées Revenu net « Logement 2 » … € … € … € « Logement 3 » … € … € … € « Logement 4 » … € … € … € R-d-ch. ((BB) S. à r.l.) … € … € … € Totaux:
… € … € … € Considérant que lorsque les charges locatives font l'objet d'un décompte en due forme entre les parties, les avances sur charges payées par le locataire constituent des postes transitoires qui restent sans influence sur le revenu proprement dit ; qu'en l'absence d'un tel décompte toutefois, il est impossible de déterminer de manière objective et précise le montant définitivement à charge de chacune des parties contractantes ;
Considérant que dans le contrat de bail conclu entre le réclamant et la dame (C) pour le « Logement 2 », il a été retenu ce qui suit : « Le loyer mensuel s'élève à … € (… euro) plus … € (… euro) de charges, qui ne varient pas, où il n'y a pas de décompte en fin d'année. » ;
que le montant de (… € x 12 mois, i.e.) … euros versé au réclamant à titre de charges est dès lors à considérer comme étant définitivement acquis au réclamant ;
Considérant que dans les contrats de bail concernant les logements «3 » et «4 », il a été retenu ce qui suit : « Les locataires s'engagent d'accepter tous les décomptes annuels des charges locatives et communautaires, préalablement vérifiés et approuvés par l'assemblée générale des copropriétaires et consignés au procès-verbal. […] Les charges seront réparties suivant les millièmes attribués aux parties louées, c'est-à-dire, ( ) du total des charges communes. […] Les locataires verseront régulièrement et tous les mois au propriétaire une avance, adaptable annuellement, … flux. ( … flux. ) à titre d'acompte sur les frais communs leur incombant. Un décompte annuel sera établi périodiquement. » ; qu'il y a lieu de souligner qu'aucun décompte annuel des frais, pour aucun des locataires et pour aucune des années d'imposition, ne figure au dossier fiscal du réclamant ; que dans le cadre de la présente requête, le réclamant se limite à renvoyer aux contrats de bail prévisés - dont celui conclu avec la dame (C) exclut expressément l'établissement d'un décompte annuel, tandis que le contrat de bail commercial conclu avec la société à responsabilité limitée (BB) ne contient aucune mention relative à un décompte à effectuer - afin de justifier l'existence des charges invoquées, sans toutefois présenter de quelconques documents ou pièces, ni même des explications détaillées, relatives à un tel décompte ; qu'il y a encore lieu de remarquer que suivant les dires du réclamant, les contrats de bail relatifs au « Logement 3 » et au « Logement 4 » ont fait « l'objet d'une modification orale », tant en ce qui concerne le loyer qu'en ce qui concerne les avances sur charges, ce qui est plutôt inusuel, même si aucune forme particulière n'est prescrite en matière de forme du contrat de bail : « Le contrat de bail conclu entre le propriétaire et le locataire peut être oral ou écrit. Aucune forme particulière n'est exigée pour ce type de contrats. Toutefois, même si un contrat verbal est pleinement valable, il présente l'inconvénient qu'il sera très difficile - dans le cas d'un éventuel litige, par exemple - non seulement de prouver son existence, mais également de connaître son contenu et ses modalités (durée du contrat, modalités de résiliation, répartition des charges, etc.). » (source :
https://logement.public.lu) ;
Considérant qu'il ressort de tout ce qui précède que, faute de fournir des pièces probantes et éléments concluants en ce qui concerne les charges locatives invoquées, et notamment un décompte des charges entre le réclamant et les locataires, il y a lieu de confirmer la taxation des recettes provenant de la sous-location, s'élevant à … euros, ainsi que des frais y rattachés de … euros ;
En ce qui concerne la réduction des dépenses constituées par le loyer payé à la (AA) S.à r.l.
Considérant que le bureau d'imposition a procédé à la réduction de … euros des dépenses en relation avec la sous-location, constituées par le loyer versé par le réclamant à la société à responsabilité limitée (AA) : « Dépenses : Loyer (AA) SARL : …€ pour l'immeuble entier moins le loyer pour votre utilisation privée du logement 1, taxé à …€/an » ; qu'à l'endroit du « logement 1 » il s'agit, selon un plan du rez-de-chaussée, d'une « chambre/bureau » de 15,9 m2 et d'une « salle de bains » de 6,8 m2, soit d'une surface habitable totale de 22,7 m2; que le réclamant conteste la mise en compte du montant de … euros par an pour l' « utilisation privée du logement 1 » et que son mandataire invoque ce qui suit : « Tout d'abord, c'est à tort que la chambre et la salle de bains en question sont qualifiées de « logement ». Il s'agit d'une chambre et d'une salle de bains sans fenêtre et sans accès privatif situées au rez-de-chaussée de l'Immeuble […] Afin d'y accéder, il faut traverser le débit de boissons exploité par la société (BB) S.À R.L. […] la chambre en question […] sert également de bureau à la société (BB) S.À R.L. et n'a jamais été exclusivement à la disposition de mon mandant. » ;
Considérant que le mandataire du réclamant ne s'exprime pas de manière claire et précise quant à l'utilisation effective du « Logement 1 » par le réclamant ; que suivant les informations recueillies par l'instance contentieuse auprès du bureau d'imposition, le réclamant aurait, lors d'une entrevue en date du 25 mars 2021, affirmé utiliser le « Logement 1 » en tant qu'habitation personnelle ; que le réclamant a encore « insisté sur le fait que le logement ne serait pas un appartement mais une chambre au r-d-ch. de l'immeuble dont le loyer serait moins élevé » ; qu'il s'en dégage que les affirmations faites dans la requête, et celles faites par le réclamant auprès du bureau d'imposition lors de l'entrevue du 25 mars 2021, ne se recoupent pas intégralement ;
Considérant que suivant le Registre national des personnes physiques (RNPP), l'adresse du réclamant s'est trouvée au « …, Étage rez, logement 1 » depuis le 5 juillet 1989 et ce jusqu'au 23 juillet 2019, jour à partir duquel l'adresse officielle du réclamant est le …, dans une maison d'habitation que le réclamant a acquise, ensemble avec son ex-épouse, la dame (G), en date du 10 septembre 2003 ; que dans l'acte de vente du 10 septembre 2003, il est entre autres stipulé ce qui suit : « Une maison d'habitation sise à L-… […] La partie acquéreuse demande le crédit d'impôt et s'engage à occuper personnellement l'immeuble dans les délais légaux (2 respectivement 4 années) pendant la durée légale de (5 ans minimum).
[…] L'entrée en jouissance de l'immeuble est fixée à ce jour. » ; qu'il y a encore lieu de remarquer que suivant les données du RNPP, l'épouse du réclamant n'a jamais habité au … à L-… ; qu'il est du moins étonnant que le réclamant ait, suivant ses propres déclarations, résidé dans le « Logement 1 » à …, qui, selon son mandataire, « ne remplit pas les critères fixés par la loi du 20 décembre 2019 relative aux critères de salubrité, d'hygiène, de sécurité et d'habitabilité des logements et chambres donnés en location ou mis à disposition à des fins d'habitation », alors qu'il avait à sa disposition, à partir de l'année d'imposition 2003, une maison d'habitation située dans cette même ville ;
Considérant dès lors qu'en partant de l'hypothèse que, contrairement aux déclarations du réclamant, ce dernier n'aurait pas personnellement habité le « Logement 1 », il y a lieu d'admettre, compte tenu de l'activité assidue de sous-location non déclarée du réclamant pendant toutes ces années, que la partie d'immeuble « Logement 1 » a été affectée à des fins pécuniaires, soit par voie de location à une tierce personne, soit par une quelconque autre voie ; qu'après considération de l'ensemble des informations, pièces et indices contenus dans le dossier fiscal, il y a lieu, compte tenu du principe de la prise en compte, par l'administration fiscale, d'une marge de sécurité lors de la taxation des revenus, de confirmer le revenu net provenant de la location de biens de … euros - partiellement déterminé par voie de taxation -
pour chacune des années d'imposition litigieuses ; (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 mars 2022, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du directeur précitée du 13 décembre 2021, ainsi que des bulletins d’impôt précités.
Par jugement du 5 juin 2024, le tribunal déclara irrecevable le recours dirigé directement contre les bulletins précités. En revanche, il reçut le recours principal en réformation dirigé contre la décision du directeur du 13 décembre 2021, au fond le dit non justifié et partant débouta le demandeur, tout en disant qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation contre ladite décision et en condamnant le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 15 juillet 2024, inscrite sous le numéro 50746C du rôle, Monsieur (A) a régulièrement relevé appel de ce jugement.
Moyens des parties A l’appui de son appel, l’appelant explique avoir été locataire d’un immeuble sis à L-…, ci-après l’« immeuble ». Il aurait sous-loué cet immeuble par différents contrats de bail, à savoir un contrat de bail commercial du 1er janvier 2009 portant sur le rez-de-chaussée, un contrat de bail du 17 décembre 1995 portant sur l’appartement au 1er étage de l’immeuble, côté droit, un contrat de bail du 11 mars 2009 portant sur l’appartement au 1er étage de l’immeuble, côté gauche, et un contrat de bail du 21 décembre 1995 portant sur l’appartement au 2e étage de l’immeuble.
L’appelant explique encore que les recettes provenant de la sous-location des différents logements de l’immeuble auraient été estimées à … euros. Les dépenses en lien avec cette sous-location correspondraient au loyer qu’il aurait payé lui-même pour la location à hauteur d’un montant annuel de … euros. Or, le bureau d’imposition aurait décidé qu’il y aurait lieu de déduire de ces dépenses un « loyer pour l’utilisation privée du logement 1 » pour un montant de … euros et ce du chef de l’utilisation personnelle d’un local de 22,7 m2, composé d’une chambre et d’une salle de bains, situé au rez-de-chaussée de l’immeuble, ci-après le « local ».
Par conséquent, il aurait évalué le revenu de location de biens provenant de la mise en sous-location de l’immeuble à (… - … + … =) … euros. Ainsi, le revenu effectivement retenu s’élèverait à … euros, vu que le bureau d’imposition aurait fixé les autres frais en lien avec la sous-location à … euros.
L’appelant déclare faire appel du jugement entrepris uniquement afin de contester le quantum du « loyer pour l’utilisation privée du logement 1 » et qui a été taxé à … euros dans le cadre de la taxation d’office effectuée par le bureau d’imposition.
En droit, l’appelant affirme que le bureau d’imposition aurait violé la loi pour ne pas avoir fait usage de mesure et de modération en fixant la marge de sécurité. Il se réfère à ce titre à la jurisprudence de la Cour administrative qui aurait retenu dans son arrêt du 30 janvier 2001 (n° 12311C du rôle) que si le contribuable devrait s’imputer à lui-même les conséquences éventuellement désavantageuses de la taxation d’office, la prise en compte pour l’administration fiscale d’une marge de sécurité ne serait licite que si elle est faite avec mesure et modération. L’appelant cite également un arrêt de la Cour administrative du 27 juin 2019 (n° 41512 du rôle) dans lequel la Cour aurait retenu qu’en présence d’une taxation de revenus, le contribuable ne saurait prospérer dans son recours contentieux que s’il rapporte la preuve que ses revenus réels s’écartent de manière significative des bases d’imposition retenues dans le bulletin d’impôt ou dans la décision directoriale, mais qu’en revanche, le juge administratif serait alors appelé à examiner les arguments et les éléments de preuve lui soumis par le contribuable afin de vérifier si, globalement considérés, ils sont de nature à devoir entraîner une réduction approximative des bases d’imposition retenues dans l’imposition déférée afin de rapprocher davantage les bases d’imposition taxées de la situation de revenus telle que découlant des arguments et éléments de preuve du contribuable.
L’appelant conteste la qualification retenue par l’administration du local en tant que logement. D’après lui, cet ensemble ne correspondrait pas à un véritable logement, puisqu’il n’y aurait pas de fenêtre et pas d’accès privatif. L’accès à cet espace s’effectuerait par le débit de boissons exploité par la société (BB) s.à r.l. et ne remplirait pas les critères fixés par la loi du 20 décembre 2019 relative aux critères de salubrité, d’hygiène, de sécurité et d’habitabilité des logements et locaux donnés en location ou mis à disposition à des fins d’habitation. La valeur locative de ce local en tant qu’entité séparée serait partant inexistante, voire très faible.
En outre, l’appelant fait valoir qu’afin de fixer la valeur locative à attribuer à ce local, il y aurait lieu de prendre en considération les éléments suivants :
- la surface totale serait approximativement de 22,7 m2 ;
- la chambre ferait également office de bureau pour la société (BB) s.à r.l. ;
- d’après le rapport d’évaluation de l’architecte (H), datant du 11 juillet 2022, la valeur locative de cet espace se situerait entre … à … euros ;
- les prix des loyers annoncés entre les années 2013 et 2015 pour des appartements salubres serait inférieurs aux montants taxés ;
- les autres logements salubres de l’immeuble, avec une fenêtre, une surface plus importante, une chambre en plus et un accès privatif, et ne servant pas de bureau à la société (BB) s.à r.l., auraient été sous-loués pour un loyer mensuel inférieur au montant de … euros.
Il met également en avant le fait que la société (BB) s.à r.l. aurait payé un loyer de … euros pour l’intégralité du rez-de-chaussée de l’immeuble. Or, la valeur locative du rez-de-chaussée serait intégralement si non très largement attribuable au débit de boissons situé à l’avant du bâtiment et, par conséquent, la valeur locative du local, représentant moins d’un cinquième de la surface du rez-de-chaussée, ne pourrait lui être supérieure.
Enfin, il ajoute que pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2020, d’après l’Observatoire de l’habitat, le loyer mensuel moyen par m2 dans la commune de … se serait élevé à … euros, ce qui correspondrait à … euros pour une surface de 22,7 m2, soit un loyer annuel de … euros. Il rajoute que ce loyer serait encore excessif dans la mesure où il ne tiendrait pas compte de tous les facteurs cités plus haut et qui réduiraient encore la valeur de location d’un bien similaire.
L’appelant reproche donc aux premiers juges de ne pas avoir tenu compte de l’ensemble des éléments évoqués ci-dessus et d’avoir conclu qu’il n’apporterait pas la preuve d’un écart significatif entre le montant du loyer évalué par voie de taxation d’office, d’une part, et le prix du marché d’un loyer correspondant à la location d’une chambre meublée avec salle de bains, d’autre part. De plus, il reproche aux premiers juges d’avoir retenu à tort que l’état de l’appartement, à savoir le défaut de salubrité, l’absence de fenêtres et d’accès privatif, ne devraient pas être pris en considération pour les besoins de taxation, alors qu’au contraire, ces éléments auraient un impact majeur sur la valeur locative.
L’appelant demande donc la diminution de la réduction des dépenses en relation avec la sous-location du chef de l’usage privé litigieux du local à … euros et de retenir que les dépenses engagées en relation avec l’immeuble s’élèvent à (… – … =) … euros.
Dans son mémoire en réplique, l’appelant affirme que ce serait à tort que le délégué du gouvernement lui reproche de ne pas avoir rapporté la preuve de l’écart significatif entre le montant du loyer évalué par voie de taxation et le prix du marché. D’après lui, un tel écart significatif résulterait notamment du rapport d’évaluation immobilière du cabinet d’expertise (CC) du 28 octobre 2024, aux termes duquel la valeur locative mensuelle serait estimée à … euros.
La partie étatique, pour sa part, fait référence à l’entrevue entre le bureau d’imposition et l’appelant en date du 25 mars 2021 et lors de laquelle l’appelant n’aurait pas contesté le principe de qualification de logement puisqu’il aurait indiqué « que le logement ne serait pas un appartement mais une chambre au r-d-ch. de l’immeuble dont le loyer serait moins élevé ».
Le délégué du gouvernement explique que d’après les déclarations de l’appelant lui-même, ce logement aurait été sa résidence principale depuis le 5 juillet 1989 jusqu’au 23 juillet 2019.
En outre, il réfute les arguments de l’appelant selon lesquels la société (BB) s.à r.l.
aurait utilisé cet espace, alors que le contrat de location indiquerait le contraire et que, par conséquent, cet espace aurait été utilisé par l’appelant seul.
Ensuite, concernant plus spécifiquement le quantum de la taxation d’office, le délégué du gouvernement affirme que, d’une part, elle ne dépasserait pas les marges acceptables et que, d’autre part, ce serait sur l’appelant que pèserait la charge de la preuve de l’écart significatif. Or, d’après le représentant étatique, les statistiques avancées seraient inapplicables en l’espèce puisqu’il s’agirait d’une moyenne extrapolée des prix des loyers d’appartements qui ne prendrait pas en compte la taille des logements. Il affirme que dans l’échantillon considéré, il y aurait des logements qui dépasseraient la taille de l’espace litigieux de 23 m2, alors que le prix serait d’autant plus élevé que l’objet serait petit et que la location d’une chambre serait proportionnellement plus élevée que la location d’un appartement de 100 m2.
La partie étatique avance que la localisation particulièrement avantageuse de l’immeuble serait aussi à prendre en compte et qu’en revanche, les arguments qui tendent à affirmer que le local litigieux ne remplirait pas les critères légaux fixés en matière de logement seraient à rejeter puisque le droit fiscal ferait abstraction d’une éventuelle situation illicite ou amorale et viserait à déterminer la réalité économique.
Enfin, à titre de comparaison, le délégué du gouvernement donne comme exemple des loyers demandés pour une chambre meublée dans la commune de …, qui s’élèveraient à … euros pour une première annonce ou … euros pour une deuxième annonce.
Analyse de la Cour Au vu de la déclaration de l’appelant relative à la limitation de son appel à la question du bienfondé du montant du revenu de … euros retenu par le bureau d’imposition au titre de la sous-location de l’immeuble en cause et, plus précisément, à celle du quantum du « loyer pour l’utilisation privée du logement 1 » qui a été taxé à … euros, la Cour est saisie de ce seul volet du jugement entrepris et n’est appelée qu’à examiner cette question.
La taxation d’office est prévue au § 217 AO qui dispose comme suit :
« (1) Soweit das Finanzamt die Besteuerungsgrundlagen (einschließlich solcher Besteuerungsgrundlagen, die für eine gesonderte Feststellung nicht vorgeschrieben ist) nicht ermitteln oder berechnen kann, hat es sie zu schätzen. Dabei sind alle Umstände zu berücksichtigen, die für die Schätzung von Bedeutung sind.
(2) Zu schätzen ist insbesondere dann, wenn der Steuerpflichtige über seine Angaben keine ausreichenden Aufklärungen zu geben vermag oder weitere Auskunft oder eine Versicherung an Eides Statt verweigert. Das gleiche gilt, wenn der Steuerpflichtige Bücher oder Aufzeichnungen, die er nach den Steuergesetzen zu führen hat, nicht vorlegen kann oder wenn die Bücher oder Aufzeichnungen unvollständig oder formell oder sachlich unrichtig sind ».
Conformément à sa dénomination allemande (« Schätzung »), la taxation d’office consiste « à déterminer et à utiliser une valeur probable et (ou) approximative, lorsque la détermination de la valeur réelle et exacte n’est pas possible » (J. OLINGER, La Procédure contentieuse en matière d’impôts directs, Etudes fiscales nos 81 à 85, page 117, n° 190). Ce procédé comporte nécessairement et par définition une marge d’incertitude et d’inexactitude, tandis que la prise en compte d’une marge de sécurité par l’administration fiscale est licite, dès lors qu’elle est faite avec mesure et modération.
Il est vrai que le principe d’ordre public de la détermination exacte des bases d’imposition oblige les autorités fiscales à mettre tout en œuvre pour arriver à une imposition sur des bases qui correspondent à la situation fiscale réelle du contribuable. Cependant, le § 217 AO permet au bureau d'imposition de recourir à une estimation de ses bases d’imposition notamment dans l’hypothèse où des postes de frais dont la réalité est indéniable ne peuvent pas être chiffrés exactement (Cour adm. 25 avril 2023, n° 47680C).
La Cour rappelle à cet égard que le procédé de la taxation ne saurait être une sanction infligée au contribuable et que dans sa mise en œuvre, le bureau d’imposition et le directeur, qui intervient dans son contrôle, sont tenus d’y recourir avec discernement afin d’aboutir à la fixation de bases d’imposition qui s’approchent le plus possible des bases d’imposition réelles conformément aux principes de proportionnalité et de faculté contributive (cf. Cour Const.
10 novembre 2023, n° 00185 du registre).
En l’espèce, il est constant en cause que l’appelant accepte le principe de taxation d’office effectuée par le bureau d’imposition et qu’il ne conteste plus en son principe un usage personnel du local composé d’une chambre et d’une salle de bains, situé au rez-de-chaussée de l’immeuble litigieux, en dehors de la mise en sous-location du restant du rez-de-chaussée à la société (BB) s.à r.l. en vue de l’exploitation d’un café-restaurant. Si l’utilisation précise du local par l’appelant n’est pas établie, les indices invoqués par le délégué du gouvernement, tenant à l’inscription de l’adresse du local au registre national des personnes physiques comme adresse de l’appelant de l’année 1989 jusqu’à l’année 2019 et à ses propres indications quant à son domicile ou séjour habituel dans ses déclarations d’impôt des années 2011 à 2019, ensemble cette acceptation du principe de la taxation par l’appelant, doivent être considérés comme éléments suffisants pour admettre l’existence d’un usage privé du local par l’appelant, qui justifie en son principe la mise en compte d’une valeur locative du local litigieux par voie de taxation.
En revanche, c’est le quantum de cette taxation et, plus particulièrement, la valeur locative à attribuer au local en raison de son usage privé par l’appelant qui demeure litigieux.
Afin de respecter les règles précitées et donc de déterminer ce quantum, de manière à ce qu’il s’approche le plus possible des bases d’imposition réelles conformément aux principes de proportionnalité et de faculté contributive, il s’agit de déterminer à quel prix ce local aurait pu être loué sur le marché.
L’affirmation du délégué du gouvernement, retenue également par les premiers juges, qui consiste à dire que pour les besoins fiscaux, il n’y aurait pas lieu de prendre en considération les caractéristiques particulières de ce local sont à rejeter. En effet, le principe du réalisme économique rejoint l’impératif de s’approcher le plus possible des bases d’imposition réelles compte tenu de toutes les circonstances pertinentes du cas d’imposition particulier. En l’espèce, le respect de ces préceptes implique qu’il s’agit de déterminer quel loyer aurait été payé pour ce local au vu de ses caractéristiques propres s’il avait été mis sur le marché immobilier et loué à un tiers. Ainsi, c’est à tort que les premiers juges ont retenu que les conditions de salubrité et de sécurité ne sont pas à prendre en compte, alors que précisément ces considérations sont essentielles lorsqu’un bien est mis en location et ont forcément un impact sur le loyer pour l’usage du bien.
Le bureau d’imposition a retenu un montant annuel de … euros afin de réduire les dépenses en relation avec l’activité de sous-location de l’appelant, ce qui correspond à l’évaluation par le bureau d’imposition d’un loyer mensuel de … euros à prendre en compte pour l’utilisation privée d’une chambre/bureau de 15,9 m2 et d’une salle de bains de 6,8 m2, soit une surface totale de 22,7 m2.
Dans sa réclamation devant le directeur et en première instance, l’appelant s’est fondé principalement sur une publication de l’Observatoire de l’habitat, intitulée « Offres et prix annoncés pour la location d’appartements entre le 1er janvier et le 31 décembre 2020 », dont les données chiffrées aboutiraient à un loyer mensuel de … euros pour 22,7 m2. En revanche, pour la première fois en instance d’appel, l’appelant a encore produit un rapport d’évaluation immobilière préparé par le cabinet d’expertise (CC) datant du 28 octobre 2024, ci-après le « rapport ».
De son côté, le délégué du gouvernement a versé à l’audience des plaidoiries devant la Cour des copies du magazine « ATHOME » de printemps 2017 et d’octobre 2019, qui font état de loyers moyens de studios anciens de … euros pour février 2015, de … euros pour février 2017 et de … euros pour février 2019. En revanche, il n’a avancé aucun argument afin d’écarter le rapport dans son intégralité ou certains de ses aspects.
Le constat s’impose que le rapport comporte une description exhaustive de l’immeuble et du local et retient que ce local a des caractéristiques qui limitent fortement sa valeur locative et sa liquidité sur le marché, ce concept de la liquidité d’un bien faisant référence à la rapidité avec laquelle il peut trouver un preneur, à savoir :
- « Accès unique se faisant exclusivement depuis la cuisine du restaurant, - Le bureau comporte une fenêtre donnant directement sur la cuisine du restaurant (…) le bureau ne dispose pas de fenêtre donnant sur l’extérieur du bâtiment (permettant un éclairage optimal), - La salle de bain est une pièce aveugle (…) ».
En outre, le rapport donne la définition de la valeur locative de marché comme correspondant « au montant pour lequel un bien pourrait être raisonnablement loué au moment de l’expertise. Elle s’analyse comme la contrepartie financière annuelle de l’usage d’un bien immobilier dans le cadre d’un contrat de bail. La valeur locative de marché correspond donc au montant qui pourrait être obtenu de la part d’un locataire pour qu’il puisse disposer de l’usage d’un bien dans le cadre d’un bail nouveau, (…) ».
Au vu de ces caractéristiques particulières du local, tenant à l’absence d’un accès privatif au local et à son imbrication avec les locaux du débit de boissons occupant le restant du rez-de-chaussée de l’immeuble litigieux, la Cour rejoint en son principe l’argumentation de l’appelant suivant laquelle ces particularités rendent une mise en location à un tiers sans lien avec le débit de boissons très difficile, au regard de la nécessité d’aménager, avec l’accord du locataire du café-restaurant, une servitude de passage qui permette d’accéder à ce local et des nuisances sonores et autres potentiellement liées à l’exploitation du café-restaurant et de sa cuisine qui affectent l’usage du local.
Le rapport en tire la conclusion plus tranchée que « ce local est uniquement complémentaire à une activité commerciale » et qu’il « est uniquement liquide dans le cadre d’une mise en location avec le café-restaurant ». Se référant aux statistiques du magazine « ATHOME », édition printemps 2017, suivant lesquelles « le loyer moyen pour des surfaces commerciales et bureaux situés au sud du Luxembourg s’établissait à … EUR/mois hors taxes – hors charges (pour des surfaces entre 0 et 29 m2). A la fin 2019, ce loyer moyen s’établissait à … EUR/mois hors charges (surfaces et localisation identiques) », le rapport aboutit, sur base de l’ensemble de ces considérations, à « une valeur locative de marché uniforme pour la période 2011 à 2019 de … EUR/mois hors charges (soit une valeur locative de marché s’élevant à … EUR/mois hors charges). ».
La Cour retient que les difficultés pour la location du local à un tiers pour un usage privé doivent entraîner que la taxation de sa valeur locative ne peut pas être fondée sur les niveaux moyens de loyers pour des studios durant la période concernée sans tenir compte de la nécessaire réduction de ladite valeur en raison des particularités dudit local. La valeur locative mensuelle de … euros retenue par le bureau d'imposition est partant clairement excessive.
En revanche, la Cour n’exclut pas, comme admis dans le rapport, toute possibilité d’une location à des fins d’habitation, au vu, plus particulièrement, de la reconnaissance par l’appelant quant à son usage privé effectif du local. Dès lors, l’estimation de la valeur locative du local ne peut pas être basée sur les seuls loyers moyens pour des surfaces commerciales ou de bureaux jusqu’à 29 m2, tels que repris dans le rapport, mais doit également tenir compte des loyers moyens pour des studios existants au titre des années concernées. Au vu des difficultés pour une mise en location du local à des fins d’habitation privée, sa valeur locative doit néanmoins s’approcher plus de celle admise dans le rapport pour un usage commercial ou de bureaux que de celle correspondant à un loyer pour un studio à des fins d’habitation.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour considère qu’il y a lieu de fixer la valeur locative du local au montant mensuel de … euros. Ce montant taxé peut être appliqué en tant que valeur moyenne pour toutes les années d’imposition en cause.
Il s’ensuit que l’appel de Monsieur (A) est partiellement justifié et qu’il y a lieu, par réformation du jugement a quo, de réformer la décision directoriale du 13 décembre 2021 en ce sens qu’il y a lieu de fixer la réduction, du chef de l’usage privé du local par l’appelant, des dépenses en relation avec la sous-location de l’immeuble en cause au montant mensuel de … euros et au montant annuel de … euros au lieu du montant annuel de … euros retenu par le bureau d'imposition.
Au vu de la solution du litige et du fait que l’appelant n’a maintenu en instance d’appel qu’une partie de ses prétentions, il y a lieu de faire masse des dépens des deux instances et de les imposer à raison de deux tiers à l’appelant et d’un tiers à l’Etat.
PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel limité du 15 juillet 2024 en la forme, au fond, le déclare partiellement justifié, partant, par réformation du jugement entrepris du 5 juin 2024, réforme la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 13 décembre 2021 (n° (1)) en ce sens qu’il y a lieu de fixer, au titre des années d’imposition 2011 à 2019, la réduction, du chef de l’usage privé du local par l’appelant, des dépenses en relation avec la sous-location de l’immeuble en cause au montant mensuel de … euros et au montant annuel de … euros, rejette l’appel comme n’étant pas justifié pour le surplus, renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes pour exécution, fait masse des dépens des deux instances et les impose à raison de deux tiers à l’appelant et d’un tiers à l’Etat.
Ainsi délibéré et jugé par:
Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu à l’audience publique du 13 mai 2025 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller Serge SCHROEDER, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.
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